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Classiques Garnier

Avant-Propos

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Mélodrames. Tome II. 1801-1803
  • Auteur : Martin (Roxane)
  • Pages : 9 à 11
  • Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 22
  • Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
  • EAN : 9782812433504
  • ISBN : 978-2-8124-3350-4
  • ISSN : 2261-575X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3350-4.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 21/01/2015
  • Langue : Français
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Avant-Propos

Les années 1801-1803, que couvre ce deuxième tome, constituent une période importante dans la carrière de René-Charles Guilbert de Pixerécourt. Après le succès de Cœlina, qui tient toujours laffiche en 1801, rehaussé par celui du Pèlerin Blanc en avril de la même année1, lauteur simpose au cœur de la vie théâtrale du temps et parvient à conquérir la majeure partie des scènes parisiennes, au point de voir figurer son nom à laffiche de trois théâtres différents au cours dune même soirée. Ce nest toutefois pas sur les scènes lyriques quil obtient ses plus grands triomphes. Si lOpéra, les théâtres Favart et Feydeau (quil avait assidûment démarchés sous le Directoire) programment désormais volontiers ses œuvres, celles-ci ne remportent quun succès destime auprès de la critique et sont rapidement reléguées au magasin des accessoires2. Les théâtres dits « de boulevard » lui sont plus profitables. À une époque où les frontières entre les scènes officielles et secondaires étaient encore incertaines, largement brouillées par la loi Le Chapelier de 1791, mais où la critique semployait à les réaffirmer avec une vigueur manifeste, plusieurs initiatives furent menées, en marge des théâtres anciennement privilégiés, afin dédifier de nouvelles scènes, résolument tournées vers un répertoire novateur. En mars 1801, les Foignet père et fils prennent la direction du théâtre des Jeunes-Artistes et cherchent à conjuguer les ingrédients du drame à grand spectacle avec ceux de lopéra-comique. En septembre 1802, Dugas et Jarousseau obtiennent le droit dexploiter lancienne salle de lOpéra et inaugurent un tout nouveau théâtre, concurrent direct de la

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première scène lyrique, sous le nom de théâtre de la Porte-Saint-Martin. Corsse, directeur de lAmbigu-Comique depuis 1800, affine lidentité théâtrale de son établissement en programmant des pièces publiées sous lintitulé générique « Mélo-Drame ». Pixerécourt joue un rôle certain dans la réussite de ces entreprises. LHomme à trois visages, La Femme à deux maris, Les Mines de Pologne et Tékéli, ou le Siège de Montgatz remportent un tel triomphe au moment de leur création quils contribuent à garantir la santé financière de lAmbigu-Comique jusque dans les années 1820. Les Foignet père et fils trouvent dans le répertoire des anciens drames lyriques de Pixerécourt de quoi satisfaire leur ambition ; sont ainsi programmés aux Jeunes-Artistes Quatre maris pour un3, La Forêt de Sicile4 et Raymond de Toulouse, ou le Retour de la Terre-Sainte. Le théâtre de la Porte-Saint-Martin est inauguré avec Pizarre, ou la Conquête du Pérou, qualifié par Pixerécourt comme « mélo-drame historique », sans doute le premier du genre, qui défraie la chronique au point de favoriser lémergence des premiers éléments de théorisation du mélodrame naissant. Et cest là, sans doute, quil devient utile dapprécier les œuvres de Pixerécourt. Les pièces que nous éditons dans ce volume, accompagnées dun apparat critique minutieusement élaboré, apportent des éléments féconds pour les études historiques et éclairent sous un nouveau jour la création théâtrale dune époque qui porte en elle le germe des débats esthétiques à venir.

Publiées dans lordre de leur parution à la scène, enrichies pour lune dentre elles de la partition dorchestre originale, les sept pièces qui suivent offrent au lecteur la possibilité de redresser quelques-uns des poncifs entretenus par lhistoire littéraire sur la dramaturgie mélodramatique. Pixerécourt sait déjouer lantagonisme tragédie/mélodrame qui, au cours des trois premières années du xixe siècle, conditionne déjà la réception critique des œuvres. En respectant fidèlement les unités dramatiques, il accorde au mélodrame un aspect « régulier », satisfaisant ainsi la critique, mais mobilise des techniques décriture originales, sappuyant pour beaucoup sur les ressources scéniques et musicales quil sait dorénavant parfaitement exploiter. Les motifs de la persécution et de la vengeance,

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de la rébellion et de la soumission, supports de lintrigue mélodramatique, sont aussi maniés avec beaucoup de souplesse et de différences de traitement dune pièce à lautre, au point quil devient difficile de revendiquer la rigidité du schéma actantiel mélodramatique. Les catégories du traître et de la victime innocente, du père noble et du niais apparaissent, à la lecture du corpus pixerécourtien, bien plus mobiles quon serait tenté de le croire de prime abord. Pixerécourt joue habilement avec les conventions du « drame à grand spectacle » tel quil sétait épanoui sur les scènes du Boulevard sous le Directoire. Tout en continuant de puiser dans le répertoire des romans de Ducray-Duminil ou de Marmontel, des opéras-comiques de Sedaine et des « tragédies romantiques » allemandes, il construit les principes dune esthétique singulière, fondement de tous ses mélodrames à venir, largement conditionnée par une politique humaniste et de tolérance que lauteur semploie ardemment à faire triompher. Car le théâtre de Pixerécourt est fortement imprégné par les événements politiques contemporains. Les années 1801-1803 sont celles de larrivée de Bonaparte au pouvoir. Les luttes entre les factions sont encore vives, les conspirations contre le Premier Consul fort nombreuses, justifiant de féroces répressions antiroyalistes et antijacobines. Sur le plan extérieur, le traité de Lunéville (9 février 1801) puis la Paix dAmiens (27 mars 1802) mettent provisoirement fin aux guerres en Europe, mais la loi du 20 mai 1802, en rétablissant lesclavage dans les colonies, confronte la France révolutionnaire aux principes de liberté et dégalité promus par la Déclaration des Droits de lHomme, allègrement bafoués lors de la répression des émeutes dominguoises de 1802. Ces événements émaillent les drames de Pixerécourt, et conditionnent le travail de lécriture. Ils justifient les remaniements thématiques et formels auxquels se livre lauteur pour chaque pièce nouvelle, invalidant la thèse dun mélodrame aux codes rigides et aveuglément reproduits. En définitive, lauteur Pixerécourt, loin dobéir servilement à des principes préétablis, contribue à lédification dun théâtre résolument actuel, apte à répondre aux attentes contemporaines. Cest pourquoi sans doute il est apparu comme le père fondateur du mélodrame moderne.

Roxane Martin

1 Drame en 3 actes, en prose et à grand spectacle, joué au théâtre de lAmbigu-Comique à partir du 6 avril 1801 et édité ci-après.

2 Par exemple : Marcel, ou lHéritier supposé, comédie en 1 acte, mêlée dariettes, musique de Persuis, jouée pour une représentation unique à Favart le 12 février 1801 ; Le Chansonnier de la paix, impromptu en 1 acte et en vaudevilles, représenté 26 fois à Feydeau à partir du 18 février 1801 ; Flaminius à Corinthe, drame lyrique en 1 acte et en vers, joué à lOpéra le 27 février 1801. – Sur les démarches de Pixerécourt à légard des théâtres Feydeau et Favart, voir le 1er tome de cette édition.

3 Ce drame lyrique en 1 acte, reçu au théâtre Montansier en 1797, puis créé le 27 avril 1801 au théâtre des Jeunes-Artistes na jamais été publié. Dans la mesure où le manuscrit a disparu des archives de la SHLML, il na pas été possible de le faire figurer dans cette édition.

4 Cette pièce, créée le 23 avril 1798 au théâtre des Variétés-Montansier, est publiée dans le 1er tome de cette édition.