« Les lettres mesmes s’entre…utent » La typographie satyrique dans la poésie d’expression française (xvie-xviie siècle)
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Lettres à l’œuvre. Pratiques lettristes dans la poésie en français (de l’extrême contemporain au Moyen Âge)
- Author: Goeury (Julien)
- Pages: 141 to 159
- Collection: Encounters, n° 587
- Series: Convergences in literature, n° 7
« LES LETTRES MESMES S ’ ENTRE…UTENT »
La typographie satyrique
dans la poésie d’expression française
(xvie-xviie siècle)
Toute la poésie, tout l’inconscient sont retour à la lettre.
R. Barthes
Petite généalogie de la morale
La catégorie de l’obscène, qui a déjà fait l’objet de très nombreux travaux1, ne saurait être réduite à une définition stabilisée, ne serait-ce que parce qu’elle ne peut se comprendre qu’à la lumière des interdits qu’elle véhicule dans des contextes d’énonciation spécifiques. Cela n’empêche pas de retrouver le fil d’un argumentaire plutôt constant au fil des siècles en Occident. La philosophie morale d’inspiration stoïcienne, légèrement frottée d’aristotélisme, en a sans aucun doute offert les expressions les plus couramment reprises, comme par exemple celle qu’on trouve dans le De officiis de Cicéron :
Hanc naturae tam diligentem fabricam imitata est hominum verecundia. Quae enim natura occultavit, eadem omnes qui sana mente sunt, removent ab oculis ipsique necessitati dant operam ut quam occultissime pareant ; quarumque partium corporis 142 usus sunt necessarii, eas neque partes neque earum usus suis nominibus appellant ; quodque facere turpe non est, modo occulte, id dicere obscenum est. Itaque nec actio rerum illarum aperta petulantia vacat nec orationis obscenitas (I, 35, 127)
« La pudeur des hommes a imité cet art si attentif de la nature. Ce que la nature a en effet dissimulé, c’est cela même que tous ceux qui sont sains d’esprit éloignent des regards, et ils s’efforcent, aux besoins mêmes de la nature, d’obéir le plus secrètement possible. Quant à ces parties du corps dont l’usage est indispensable, ils n’appellent par leurs noms, ni ces parties ni leur usage, et il est indécent de dire ce qu’il n’est point honteux de faire, du moins en secret. C’est pourquoi l’acte de ces fonctions, en public, ne manque pas d’impudence, et l’indécence ne manque pas non plus à en parler2. »
On tient là un argumentaire rebattu, qui a très longtemps permis de borner les limites de la pudeur et de l’impudeur3, quelles que soient par ailleurs les pratiques réelles des individus. On le retrouve chez les Pères de l’Église (Augustin, Ambroise, Chrysostome, etc.) et donc aussi couramment dans toute la littérature morale des xvie et xviie siècles, qui veille au grain. Et si l’on accepte de prendre Érasme comme repère à la Renaissance4, où se situe le point de départ de cette petite enquête, on peut alors caractériser la principale forme d’obscénité, quand elle touche au langage, en se fondant sur un extrait de l’Institution du mariage chrétien (Christiani matrimonii institutio, 1526), qui reprend d’ailleurs certains des arguments cicéroniens cités plus haut :
Nulla est corporis pars inhonesta : Deus enim omnia creavit et bona et pulcra : et tamen quibusdam hoc reverentiae debetur, verum etiam ne nudis verbis nominentur, sed verecundia circumitione significentur. Vulva verecundum est vocabulum, aeque atque matrix : et tamen apud imperitos infamatur. Naturam mulieris verecunde dixeris, pudendum illius membrum indicans. Item pudenda viri verecunde dixeris. Eadem reverentia servanda in nominandis horum membrorum actionibus, de quibus modo diximus. Primum igitur obscoenus est, qui nude nominat ea quæ verecundiæ causa tecte debet significari.
« Aucune partie du corps ne contrevient à l’honnêteté en elle-même, car Dieu les a toutes créées à la fois bonnes et belles ; et cependant on doit par respect non seulement ne pas les nommer ouvertement, mais par pudeur les désigner 143de façon voilée. Le terme de “vagin” est pudique en soi, de même que le terme de “matrice” : et cependant ils sont blâmés par les ignorants. Tu évoqueras pudiquement la “nature de la femme”, lorsque tu voudras désigner ses parties génitales. De la même façon, tu évoqueras pudiquement les parties génitales de l’homme. On doit faire preuve du même respect quand on désigne les actions des parties du corps dont nous venons de parler. C’est pourquoi il est avant tout obscène, l’individu qui nomme ouvertement ce qui, par pudeur, doit être désigné de manière voilée5. »
Qu’en tirer comme leçon (très) générale et (très) provisoire à ce stade précoce de notre réflexion ? Que des parties du corps qu’il serait donc indécent ou obscène (aux yeux de certains, dans certaines circonstances, etc.) de désigner (au choix ici : dicere, nominare, appellare, indicare, etc.) par leur nom à haute voix, il serait également obscène de les écrire, et donc a fortiori de les faire imprimeren toutes lettres pour les donner à lire. C’est pourtant ce que fait ici Érasme en écrivant les mots « vulva » ou « matrix » à la barbe des ignorants, avant d’appeler prudemment juste après à leur dissimulation. Bien qu’il semble le déplorer, un interdit moral véhiculé par des pères-la-pudeur taxés d’ignorance est bien susceptible de peser sur l’usage de certains mots quand ils désignent les parties génitales et leur fonction reproductrice, et cela quelles que soient les intentions du lecteur ou du scripteur. Ce sont les conditions pratiques dans lesquelles cet interdit linguistique se met en place (ou pas) qui va retenir toute notre attention.
Il ne s’agit pas en effet ici d’interroger les procédures qui ont pu conduire à désigner ces choses et ces actions en recourant à des figures de l’elocutio, comme le suggérait Érasme. Ce dernier emploie d’ailleurs dans le passage cité plus haut les adverbes « tecte » ou « circumitione », qui servent à caractériser le procédé de la circonlocution ou de la périphrase, comme l’illustre l’usage de l’expression « natura mulieris » ou la simple suggestion de son équivalent masculin « natura virilis » (deux périphrases qu’on retrouve d’ailleurs jusqu’au xviiie siècle sous les plumes chastes d’un certain nombre de naturalistes européens). Ce n’est pas en effet cette inflation alphabétique (ajouter des mots, et donc de très nombreuses lettres, pour dissimuler le(s) mot(s) qu’on ne veut pas dire ou écrire) qui 144est l’objet de cette étude, mais au contraire toutes les formes de déflation alphabétique, lorsqu’il s’agit au contraire d’intervenir directement sur ces mêmes mots en recourant à des opérations de troncature, ou si l’on accepte le néologisme, de « délettrage ».
Qu’on ait alors affaire à une lettre seule (minuscule ou capitale d’imprimerie, ce n’est pas indifférent), à une lettre seule, mais suivie d’un point ou de plusieurs points, voire de tirets ou d’astérisques ; ou bien qu’on ait affaire à une poignée de lettres, précédées et/ou suivies des mêmes points, tirets ou astérisques, l’intention semble toujours la même. Il s’agirait d’une solution typographique apportée à un problème d’ordre moral, à un moment rattrapé par la censure institutionnelle, celle qui pourrait conduire les imprimeurs (voire les poètes qui leur ont confié leurs vers) devant les tribunaux. Procédé d’autocensure donc, plutôt que de censure à proprement parler, mais la muse Anastasine6 n’est cependant pas très loin, puisqu’il s’agit bien de couper, de retrancher, ici des lettres plutôt que des mots, en créant des effets parfois inattendus. Les écrits du corps obscène auraient donc recouru, sur le modèle anglo-saxon, au « C word » ou encore au « V word », pour ne pas dire ou écrire « con » ou « vit » en toutes lettres, puisque les pudenda sont bien ici les premiers visés. Et pour être complet, on peut même ajouter, toujours « en français dans le texte, » qu’il s’agit des trois « four-letter words » (l’expression n’a pas d’équivalent dans notre langue), que sont donc en anglais dick, cunt et fuck, dont les traductions françaises (vit, con et foutre sous toutes ses formes) sont bien les trois mots essentiellement concernés par ces opérations, dont on entend interroger certaines caractéristiques (sur le plan typographique), certains lieux d’inscription (sur le plan historique) et certains effets produits (sur le plan moral et esthétique) au sein de ce qu’on appelle la poésie satyrique des xvie et xviie siècles7.
145Retour sur un titre trompeur
La fréquentation des Blasons anatomiques du corps féminin montre bien (s’il fallait en douter) que les poètes, et les imprimeurs qui les publient, n’ont pas toujours suivi de telles recommandations et que ces choses, et même ces actions le cas échéant, peuvent très bien être désignées par leur nom pour le plus grand plaisir des lecteurs. On se rappelle bien les mises en garde de Clément Marot qui, jouant lui aussi opportunément les Cicéron, réclamait depuis son exil ferrarais la plus grande prudence aux nombreux imitateurs de son blason du beau tétin :
Mais, je vous prie, que chacun blasonneur
Veuille garder en ses écrits honneur :
Arrière mots, qui sonnent salement ;
Parlons aussi des membres seulement
Que l’on peut voir sans honte découverts,
Et des honteux ne souillons point nos vers :
Car quel besoin est-il mettre en lumière
Ce qu’est nature à cacher coutumière8.
Décrire et louer le corps féminin dans toutes ses parties, pourquoi pas, mais attention à ne pas « mettre en lumière » les organes sexuels, c’est-à-dire les donner à voir, mais aussi les « publier » aux différents sens du terme, et pour cela éviter à tout prix les mots « qui sonnent salement », comme les choses qu’ils désignent. En dépit de ces recommandations, les blasonneurs vont donner aux parties génitales féminines une place de choix dans une série de recueils dont l’épicentre éditorial se situe en 1536 et qui constituent l’un des premiers laboratoires de cette poésie satyrique.
Un seul blason anatomique suffit à illustrer cette dimension (faussement) transgressive, celui du « con », toujours resté anonyme dans ces recueils, mais situé en bonne place9. Or parmi les nombreuses questions 146que soulève ce blason dans ses différentes actualisations imprimées au cours du xvie siècle, on peut en relever une, qui concerne précisément un titre figurant dans l’édition lyonnaise attribuée à Denis de Harsy, qui en offre le recueil matriciel10. Juste en-dessous d’un titre courant (« Blason du con »), logiquement placé en haut de page, qui désigne pour sa part ouvertement ce qui aurait dû être voilé aux yeux de certains, et juste au-dessus du blason en vers, où là encore le mot incriminé s’affiche immédiatement en toutes lettres (« Petit mouflard, petit con rebondi », etc.), on peut observer deux choses : d’une part l’absence de bois gravé, pourtant déjà partie prenante dans le dispositif emblématique propre au blason (une absence d’image à laquelle suppléera de façon spectaculaire l’édition de 1543, mais c’est une autre histoire11) et d’autre part un titre apparemment abrégé, et comme redoublé sur le feuillet en vis-à-vis, où figure le « Blason du cul », soumis à une procédure typographique analogue (fig. 1). L’esprit supplée facilement l’absence de (quelques) lettres et l’entourage lexical permet ici à la lecture de progresser sans s’interrompre. Le mot « Con » (qu’on voudrait pouvoir lire) n’est pourtant pas à la place attendue et la lettre « C » (qu’on croirait pouvoir lire) n’est ni vraiment une minuscule ni vraiment une capitale d’imprimerie. Elle est d’autre part assortie d’un curieux appendice en forme de cédille, mais qui n’en est pas une au sens typographique du terme, et elle est surtout renversée. Mais pour écrire quoi ? « Blason du Ç » placé opportunément en vis-à-vis d’un blason du cul dont le titre n’est pas « Blason du Cul » en toutes lettres, mais bien « Blason du Q », la lettre « Q » venant se substituer au mot « cul », aussi bien dans le titre courant, que dans le titre du blason et dans le texte en vers ? Un « Ç » retourné ne serait-il pas alors un « cul » abrégé et renversé, comme on en rencontre ailleurs ? On aurait le recto et le verso en quelques sorte. On passera sur le fait que cette proximité entre le « C » et le « Q » a donné lieu à de nombreux 147développements chez les grammairiens, dont rend parfaitement compte Étienne Pasquier qui, dans les Recherches de la France, consacre une page aux lettres doubles, permettant déjà de nourrir une réflexion alphabético-sexuelle de circonstance :
Car par la prononciation, Q. n’est autre chose que Cu, et s’il vous plaist vous representer sa figure, vous trouverez que ce n’est encore qu’un C. et V. fermez ensemble, en cette façon, Q. Qui faict que nous avons appelé cette lettre Cu12.
Un « C » apparié à « U » (que l’édition princeps des Recherches confond graphiquement avec un « V » comme c’est l’usage) pourrait donc engendrer une nouvelle lettre. Ici, les lettres se confondent, ou plutôt s’accouplent sans vraiment se reproduire, comme pour créer un hybride. Mais en ce qui concerne le « Blason du con » évoqué plus haut, les choses sont en définitive beaucoup plus simples qu’elles en ont l’air au premier abord et cette (fausse) initiale cache en réalité tout autre chose.
Fig. 1 – Blasons du corps femenin, 1536, titres, fo 94 vo-fo 95 ro.
Original reproduit : Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, R102895 – © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France (NUMM-9400585).
Si un lecteur contemporain peut encore se demander, comme je l’ai fait avant d’être alphabétisé par une médiéviste, s’il s’agit d’un plomb abîmé ou bien mal encré et/ou d’une police renversée, d’un de ces caractères illisibles ou non reconnus, le lecteur du xvie siècle aura su reconnaître (et lire) ce que les scribes appellent depuis l’Antiquité 148une note tironienne, et plus particulièrement celle qu’on retrouve encore à l’époque en usage dans les manuscrits et les imprimés sous le nom de « neuf tironien », une abréviation permettant de transcrire la syllabe latine « cum », ainsi que ses différentes translittérations romanes (« com » ou « con »). Sa forme, qui rappelle bien celle du chiffre « 9 », n’est certes pas immuable et elle se fond même souvent dans l’écriture des copistes pour en épouser les idiosyncrasies, mais il en existe néanmoins de nombreuses réalisations typographiques normées, toutes parfaitement identifiable, comme justement celle évoquée plus haut. Il faut aussitôt ajouter qu’au-delà de son usage sténographique, ce signe a depuis toujours un usage inavoué, celui de désigner une syllabe qui parfois se suffit entièrement à elle-même quand elle constitue un monosyllabe à l’homonymie redoutable. Autant dire qu’il s’agit là d’un signe qui fait jouer l’équivoque, qui la porte même toujours en lui, et cela depuis le Moyen Âge. On pourrait à cet égard aller à la recherche de tous les calembours et les rebus auxquels il a été couramment associé. On en croise des exemples avant et après 1536, mais l’un des plus probants du point de vue qui nous intéresse se rencontre sans aucun doute dans les « Patrons scelon l’ordre de A.B.C. commençant par toutes les lettres Latines elementaires, une apres l’aultre, pour les filles qui veulent apprendre a escripre, et instructifz a bonnes meurs13 » du poète poitevin Jean Bouchet, car il concerne là encore un titre moqueur. Cette petite leçon de morale en vers, qui se développe par quatrains de A à Z, conduit en effet jusqu’à un neuf tironien, qui préfigure un ultime développement sur la « Con-stance ». Et l’on peut alors facilement imaginer où se situe le danger contre lequel cet ultime quatrain est censé mettre en garde les filles de bonne mœurs (fig. 2). On retrouve donc bien là en 1545 le neuf tironien qui avait déjà resurgi quelques années auparavant au cœur d’un recueil de blasons anatomiques comme un signe relique, sorti du fond de la casse où il attendait son heure, et se prêtant à une sorte de plaisanterie d’imprimeur. Il ne s’agit pas d’une troncature, mais bien d’une lettre obscène se substituant à un mot, dont on a vu qu’il pouvait très bien s’écrire en toutes lettres à l’époque.
149Fig. 2 – Jean Bouchet, « Patrons scelon l’ordre de A.B.C […] »,
Les genealogies, effigies et epigraphes des roys de France, recentement reveues et corrigees,
par l’autheur mesmes, Poitiers, Jacques Bouchet, 1545, fo 163 ro.
Original reproduit : BnF, FOL-L37-3 –
© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France (NUMM-9741280).
I Braghetonni
Si cette petite histoire des mots abrégés a débuté par un malentendu, elle risque bien de se poursuivre avec un faux-semblant. Le procédé est donc apparemment absent en tant que tel dans les recueils poétiques publiés dans les années 1530, mais il pourrait sembler connaître un premier développement dans les années 1550, comme en témoignent quelques poèmes de Jodelle, Ronsard et Belleau, tous (discrètement) présents sur le terrain satyrique. Le premier, pour les « Extraits de sa Priapée », soit une poignée de pièces absentes des Œuvres posthumes de 1574, mais que publie Enea Balmas en 196514 ; le deuxième, pour quelques poèmes dans la veine du Livret des Folastries (où tous les mots apparaissent en toutes lettres dans les éditions du xvie siècle) publiés par Isidore Silver et Raymond Lebègue en 1967 dans le dernier volume des Œuvres complètes15 laissées inachevées par Paul Laumonier ; le troisième enfin pour le poème intitulé « Impuissance », intégré in extremis aux 150Œuvres complètes dans l’édition d’Alexandre Gouverneur un siècle plus tôt, en 186716. Dans toutes ces publications savantes, on constate en effet que les mots jugés obscènes sont bel et bien tronqués, voire entièrement supprimés, comme en témoignent ces extraits, qu’on restitue ici à titre d’exemple en respectant la typographie des trois éditions de référence cités plus haut :
Philante tout ainsi va gressant l’alumelle
De son V. brise C. d’un crachat jaunissant
(Pierre de Ronsard, « La Bouquinade », v. 88-89)
Un … tousjours demesuré qui devore goulu
La teste et les ………, pour le mettre en curée,
Un … tousjours puant comme vieille maré.
(R. Belleau, « Impuissance », v. 65-67)
Que te sert-il d’user de si prompte Bricolle,
D’un mouvement paillard et d’un souspir trompeur,
Tesmoignant que mon V. lui muguette le cœur ?
Mon V. vague dedans comme en une gondolle !
(É. Jodelle, s. « Ah ! Je le sçavois bien […], v. 5-8)
Ce serait donc à première vue la preuve que le xvie siècle non seulement connaît, mais applique le procédé le cas échéant. Qu’il le connaisse, c’est vrai, comme on le verra plus loin, mais qu’il l’applique, rien n’est moins sûr. Et pour preuve, tous les poèmes cités plus haut, comme les quelques autres qui les accompagnent dans ces recueils, ont comme caractéristiques de n’avoir jamais été publiés sous forme imprimée du vivant de leurs auteurs et d’avoir donc exclusivement circulé sous forme manuscrite au cours du xvie siècle17. Et lorsqu’on revient aux manuscrits où ils figurent, on constate alors très vite que les trois mots incriminés y sont bien écrits en toutes lettres (fig. 3 et 4). Seul le copiste du manuscrit 151des « Cinq cents de Colbert » no 488 abrège parfois le « vit » en « V. », en fonction de ce qui ressemble plus à un geste idiosyncrasique qu’à une volonté de dissimulation (fig. 5).
Fig. 3 – Ms. BnF, fr. 1662, « Recueil de poésies satiriques
sur Henry III et son époque », fo 21ro et 21vo.
© gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
Fig. 4 – Ms. Paris, BnF, « Cinq cents de Colbert », no 488,
« Recueil de harangues de Jean de Selve, Thumery de Boissise, etc. »,
fo 547vo et 548vo. © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
Fig. 5 – Ms. Paris, BnF, « Cinq cents de Colbert », no 488,
« Recueil de harangues de Jean de Selve, Thumery de Boissise, etc. »,
fo 547 vo. © gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
Or ce sont ces versions manuscrites en circulation dans la seconde moitié du xvie siècle qui se voient publiées pour la première fois sous forme imprimée dans les recueils satyriques du premier xviie siècle, où les mots incriminés se retrouvent là bel et bien systématiquement tronqués à partir de 1618 environ. On peut même suspecter à cet égard que les éditeurs des xixe et xxe siècles cités plus haut prennent en partie prétexte de ces imprimés du xviie siècle pour exercer leur propre (auto)censure sur ces poèmes du xvie siècle, non pas parce qu’ils ignoreraient l’existence des versions manuscrites en circulation (dont ils donnent même pour deux d’entre eux les références en notes), ou bien parce qu’ils jugeraient les versions imprimées plus fiables d’un point de vue philologique (ce 152qui est difficilement envisageable vu le nombre de coquilles qu’elles comportent), mais bien parce qu’ils partagent, ou plutôt croient partager, les mêmes réticences morales que les imprimeurs du premier xviie siècle. En témoigne par exemple Alexandre Gouverneur, qui non seulement ajoute une note justificative un peu honteuse à son édition du poème de Belleau18, mais va même jusqu’à supprimer entièrement les mots jugés obscènes, initiale comprise, pour éviter de scandaliser ses lecteurs, ce que personne ne semble avoir fait avant lui ni dans des manuscrits ni dans des imprimés. Certes les éditeurs plus tardifs de Jodelle et de Ronsard expriment moins ouvertement leurs réticences (évolution des mœurs dans les années 1960 ?), mais au fond leur attitude est la même. Et il serait à cet égard très instructif de suivre le sort réservé au cours du xixe siècle aux sonnets de la priapée de Jodelle, plusieurs fois imprimés, et dont les mots incriminés perdent ou regagnent des lettres en fonction du lectorat visé. Il appartiendra ensuite à certaines anthologies de la toute fin du xxe siècle de rompre avec cette attitude jugée frileuse en se décidant à dissiper tout malentendu, ce qui traduit cependant toujours de leur part une lecture purement disciplinaire de ces usages typographiques19.
On reviendra plus loin sur les intentions réelles ou supposées de tous ces voleurs de lettres, mais on peut d’ores et déjà constater que le recours massif à un tel procédé au début du xviie siècle semble avoir favorisé des usages rétroactifs et créé une sorte de biais typographique. Il faut pourtant bien insister sur le fait que le xvie siècle n’ignore pas le procédé, comme en témoigne indirectement Brantôme, qui évoque dans le Recueil des Dames « Le mot gallant qui commence par f20. » et apporte ailleurs cette précision à propos d’une dame à la langue bien 153pendue : « Mais elle disoit tout à trac ce qui se commance par f. sans le deguiser ou le farder comme je le deguise21 ». Que nous apprend-il au passage ? Qu’un locuteur (fictif) et/ou un scripteur (réel) est bien susceptible de recourir au « F word » afin de « déguiser » un terme qu’il refuse d’employer, et cela quelles que soient ses intentions réelles.
Quel premier constat peut-on faire après avoir (en partie) dissipé ce faux-semblant ? Que parmi un certain nombre de procédés d’autocensure, celui qui consiste à tronquer les mots jugés obscènes, à les « délettrer », est bien pensé en tant que tel, théorisé si l’on veut, qu’il est même sans doute utilisé à l’oral dans les conversations (le cas échéant pour amuser son interlocuteur), mais apparemment pas ou très peu pratiqué dans les écrits manuscrits de la période ici envisagée22 (circulation restreinte où l’on a n’a a priori rien à cacher à des lecteurs choisis) ou imprimés (circulation plus large, mais qui ne craint apparemment pas une telle censure), et cela jusqu’à un moment où les choses vont brutalement changer, au sein des recueil satyriques du premier xviie siècle, et plus précisément dans la période 1618-1622, comme l’a donc remarqué Joan DeJean, qui est la première à se livrer à une analyse du phénomène en tant que tel23. Cette dernière y voit uniquement la preuve d’un raidissement institutionnel, anticipé ou bien directement affronté, qui conduirait les imprimeurs à prévenir des accusations d’obscénité en déguisant une poignée de mots sensibles, dont la seule présence serait susceptible de faire scandale, voire d’entraîner des poursuites, et cela tout en laissant par ailleurs prospérer bien d’autres formes d’obscénités dans leurs écrits. Or cette affirmation peut aussitôt être nuancée, non seulement en effet par le simple relevé de toutes les obscénités formulées en toutes lettres au sein des poèmes en question, l’absence d’archives judiciaires permettant de confirmer que ces mots-là sont incriminés, mais aussi par le constat qu’un tel procédé révèle peut-être plus qu’il 154ne cache et pourrait même constituer un marqueur typographique de l’obscène, plus destiné à attirer l’œil qu’à l’épargner, qu’il s’agisse de celui des amateurs de poésie satyriques ou bien de celui des censeurs, qui sauront alors d’autant plus vite trouver au sein de ces recueils ce qui les excite ou bien les répugne, et peut-être un peu des deux à la fois24. On laissera aux spécialistes le soin de statuer sur la question de la pression qu’exercerait réellement la censure institutionnelle dans les années qui précèdent immédiatement le procès de Théophile de Viau, car c’est le procédé typographique qu’on voudrait regarder de plus près.
Une typographie satyrique ?
Il s’agit maintenant d’examiner, en nous fondant sur trois des principaux recueils concernés entre 1618 et 162225, le sort qui est précisément réservé à tous ces mots au sein du texte en vers. Comme on l’a déjà signalé plus haut, il y en a trois qui portent sur eux la charge quasi exclusive de cette obscénité jugée intenable. Quasi exclusive, car de façon relativement arbitraire quelques autres sont également soumis à la même opération26, mais de façon alors beaucoup plus aléatoire, ce 155qui les rend moins significatifs du point de vue qui nous intéresse et apporte peut-être déjà au passage la preuve que d’autres effets peuvent être recherchés. Seuls les mots « con », « vit » et tous les dérivés du verbe « foutre » font ainsi l’objet d’une troncature quasi systématique dans ces recueils à partir de 1618, mais avec des réalisations typographiques de natures très différentes. On ne s’attardera pas ici sur le traitement réservé au verbe foutre, qui procure un véritable effet de tournis lexical à cause des très nombreuses variations touchant à la fois les temps et les personnes quand il s’agit du verbe, mais aussi d’une extension à tous ses dérivés. La variabilité des lettres conservées (en début et/ou en fin de mot), toujours en minuscules, fait ici des points ou des tirets, dont le nombre correspond la plupart du temps aux lettres effacées, le seul repère fixe, un vide que le morphème /fu/, qui correspond à la syllabe « fou », doit presque à chaque fois combler. Là encore, l’esprit exercé (ou mal tourné) saura à coup sûr rétablir ce qui manque sans jamais perdre le sens, mais la diversité des réalisations lexicales constitue de fait un élément prépondérant27. Il y a ici incontestablement une part de jeu dans cette restitution paradoxale : ce sont moins en effet les lettres conservées par l’imprimeur qui facilitent le processus cognitif, puisque ce ne sont presque jamais les mêmes dans le même ordre et dans la même position, que les lettres manquantes, que le lecteur restitue presque automatiquement (« f.o. » ou « f.o.u. »). Le phénomène est singulier, mais il ne confère pas à la lettre en tant que telle une valeur spécifique, car la lecture (orale ou mentale) exige de restituer une syllabe pour que le mot soit compréhensible.
La troncature des deux autres termes (con et vit) crée en revanche un effet de reconnaissance immédiate, car ils sont l’un et l’autre exclusivement représentés par leur seule initiale, presque toujours en capitale d’imprimerie28, et parfois assortis d’un seul point. Ce n’est pas indifférent, car c’est souvent comme ça qu’on écrit les lettres de l’alphabet 156dans les ouvrages de grammaire quand on les cite en mention. Cette procédure simplifiée (pas de série de points, de tirets ou d’astérisques équivalant au nombre de lettres) a comme effet de renforcer l’isolement typographique de la lettre au sein du vers et non de laisser entendre qu’il y aurait justement d’autres lettres absentes à restituer, comme dans le cas précédemment évoqué. On peut ajouter à cela que le « C » et le « V » ne prêtent par ailleurs jamais à confusion, puisque les autres mots en « C » appartenant à un lexique obscène ne sont pas soumis au même traitement. Le « cul », pourtant bien représenté on s’en doute, continue ainsi de s’écrire systématiquement en toutes lettres sans poser le moindre problème. Quant aux « couilles » et tous leurs dérivés, comme « couillons » ou « escouiller », ils subissent bien une troncature, mais toujours à l’initiale, pour éviter là encore toute confusion dommageable29. Il ne s’agit donc pas de créer un jeu de piste lexical, voire de provoquer plusieurs lectures possibles, une équivoque généralisée (ce qui ne serait pas déplaisant pour le lecteur), de brouiller l’écoute si l’on veut, mais au contraire de supprimer toute équivoque en donnant à ces deux lettres (« C » et « V ») une valeur très particulière au sein du texte en vers.
Un rapide détour par ce qu’on appelle l’acrophonie nous permettra peut-être d’y voir plus clair. Ce terme caractérise en effet l’attribution à un idéogramme (signe-mot) de la valeur phonique du premier phonème (ou de la première syllabe) qu’il sert à figurer30. Or ce que provoque le procédé de troncature systématique de tous ces « cons » devenu « C » et de tous ces « vits » devenu « V » au sein des recueils, c’est ce qu’on pourrait appeler un phénomène d’acrophonie inversé, au sens où la lettre 157initiale, laissée seule pour figurer le mot absent qu’elle représente (ni points, ni tirets, ni astérisques en renforts cognitifs), reprend la valeur d’un idéogramme, ou d’un pictogramme hiéroglyphique représentant la chose même au sein du texte. Et le fait qu’on ait ici affaire à des monosyllabes fait de la lettre telle qu’on la prononce seule (« c » : /se/) et « v » : /ve/) un équivalent phonologique du mot absent (« vit » : /vi/ et « con » : /kI/), ce qui permet de ne jamais fausser la mesure du vers. C’est la raison pour laquelle on peut tenir compte du fait que la lecture du poème ne suppose pas forcément de restituer le mot tronqué et qu’une lecture où la lettre lue se substituerait au mot serait non seulement possible, mais serait même créatrice de sens. Seule exception notable, la position de fin de vers évidemment, où la rime en -i ou en -on exige de rétablir le terme tronqué pour ne pas dénaturer le poème (« C » et « V » lus comme tels exigeraient en effet une rime en -é, ce qui n’est jamais le cas).
Que nous disent par ailleurs tous ces poèmes portés sur la chose, si on accepte de les lire « à la lettre » en lisant justement la lettre ? D’une part que les « V » sont parfois trop petits, bien trop courts, mais qu’ils peuvent être gros, grands, voire démesurés : ce sont alors des « V » longs « comme un quart d’aune » (PS, p. 4) ou « comme pique » (DS, p. 341), des « V » « de deux pieds et demy » (DS, p. 30). Ils nous disent aussi que le « V » s’enfle, qu’il s’allonge et qu’il se dresse et qu’il devient « roide », « Tellement que sa forme apparoit par dehors » (PS, p. 71). C’est alors « un V à la teste haute, [qui] ne peut regarder en bas » (DS, p. 341), qui fait en définitive que l’homme « a de la fortune / À la mesure de son V » (CS, p. 31). Et ces mêmes poèmes nous disent d’autre part, que les « C » peuvent eux aussi être petits ou grands, voire eux aussi démesurés, mais qu’ils sont plutôt larges ou étroits ; qu’on peut en observer de près les « bords » (PS, p. 71) ; qu’un « grand V. » peut remplir le « gosier chaleureux » (PS, p. 207) d’un « C » ; qu’on plante volontiers un « gros V dans [s]on centre » (DS, p. 79), c’est-à-dire le centre d’un « C », que les grands « C » craignent pour leur part « ces petits V. desquels l’enfleure / A peine garnir l’ouverture » (CS, p. 35), et que certains « V » craignent de leur côté les « grands C affamez » (CS, p. 603). On lit aussi qu’on en éloigne les « parois », quand ils sont « estroits de closture » (CS, p. 43), ou que l’on déplore encore qu’un « C » puisse être « plus troué qu’un crible » (CS, p. 150). Et on pourrait continuer ainsi longtemps. 158Les caractéristiques physiques des sexes, leur géométrie réelle ou fantasmée, finissent par se confondre entièrement avec les caractéristiques typographiques de ces lettres en capitale d’imprimerie.
Bref, le V est (comme) un Vit et le C (comme) un Con et plutôt que de se cacher en voilant des lettres au sein d’un mot laissé incomplet et réduit au minimum vital, puisqu’il ne reste qu’une lettre sur la page, ils se montrent, ils s’exhibent même, car ce qui est vrai à la lecture, l’est aussi (et peut-être surtout) visuellement. L’effacement des lettres ne se contente pas en effet de désigner le mot absent, de le faire resurgir mentalement, il fait surgir graphiquement la chose même au sein du texte : le C est un « Con » et le V est un « Vit ». La lettre redevient idéogramme au sein du poème. Et si l’on suit l’hypothèse selon laquelle « l’écriture se fonde sur l’effacement de sa propre origine idéographique, de la même manière que le refoulement concerne l’image du corps propre » en psychanalyse31, on assisterait ici subrepticement au retour de la valeur d’image de la lettre, au retour du refoulé en quelque sorte. Et c’est à ce titre qu’on peut faire l’hypothèse d’un phénomène d’acrophonie inversée, car ce n’est pas ici la tête du taureau qui finit par disparaître dans l’« A » stylisé de l’aleph, c’est le « C » de con ou le « V » de vit qui finissent par faire apparaître sur la page des idéogrammes de sexes masculins et féminins.
Or il n’est cependant pas certain que les poètes, dont on peut supposer qu’ils fournissaient des poèmes manuscrits non tronqués à leurs imprimeurs, soient forcément partie prenante dans cette opération seconde, qu’on observe donc en particulier dans une série de recueils publiés entre 1618 et 1622. Contrairement au père Garasse, on fera volontiers l’hypothèse que les imprimeurs, voire les ouvriers typographes eux-mêmes, qui ont parfaitement conscience du pouvoir des lettres, jouent ici un rôle majeur dans l’invention de ce qu’on pourrait appeler une 159typographie satyrique, qui se moque littéralement de la censure. On aurait alors déjà ici affaire à une forme d’écriture typographique, qui relève de ce que P. Duplan a appelé la « typographie jaillissante », qui permet à la lettre d’échapper au domaine d’expression où le langage ordinaire la maintenait32 pour imposer sa propre écriture. On pense alors forcément au fameux sizain liminaire du Parnasse des poëtes satyriques, qui annonçait très clairement ce programme réalisé par des poètes avec la collaboration active de leurs imprimeurs, co-auteurs à ce titre de poèmes satyriques dont les effets sont redoublés :
Tout y chevauche, tout y..ut,
L’on..ut en ce livre partout :
Afin que Les lecteurs n’en doutent,
Les Odes …tent les Sonnets,
Les lignes …tent les feuillets,
Les Lettres mesmes s’entre..utent. (PS, n. p.)
On peut appeler cela comme on veut, érotypographisme, pornographisme ou encore typornographie, pour reprendre quelques mots-valises suggestifs, mais l’on doit désormais imaginer ce qui se passe dès qu’on referme le livre et que les lettres sont livrées à elles-mêmes.
Julien Gœury
Sorbonne Université
– Cellf / UMR 8599
1 Sur la notion d’obscénité au Moyen Âge et à la Renaissance, voir en particulier les volumes collectifs Obscénités renaissantes, dir. H. Robert, G. Peureux et L. Wajeman, Genève, Droz, 2011 ; Obscène Moyen Âge ?, dir. N. Labère, Paris, H. Champion, 2015 et The Politics of Obscenity in the Age of the Gutenberg Area Revolution, dir. P. Frei et N. Labère, New York, Routledge, 2022.
2 Cicéron, Les devoirs, texte établi et traduit par M. Testard, Paris, Les Belles Lettres, 1974 [1965], t. I, p. 171.
3 Sur les usages au xvie siècle de ces catégories adjacentes, voir Brancher, Dominique, Équivoques de la pudeur. Fabrique d’une passion à la Renaissance, Genève, Droz, 2015.
4 Pour une analyse plus développée de la catégorie d’obscène chez Érasme, voir Girod, Jean-Eudes, « Sur quelques chansons obscènes de la Renaissance (fin xve-début xvie siècles), Academia.edu, mis en ligne le 31 octobre 2019.
5 Christiani Matrimonii Institutio, Desiderii Erasmi Rotterdami Opera omnia, Tomus quintus, Leyde, P. Vander, col. 718, D-E. La traduction est nôtre, mais revue et corrigée par Lucie Claire, que je remercie amicalement.
6 On pourrait à ce titre faire d’Anastasie, ou la « muse Anastasine », une sorte de jumelle maléfique de la muse « Typosine », étudiée par Daniel Maira dans Typosine, la dixième muse. Formes éditoriales des « canzonieri » français (1544-1560), Genève, Droz, 2007.
7 Pour une caractérisation du phénomène « satyrique » à partir de son expression éditoriale au cours du premier xviie siècle, voir Peureux, Guillaume (La muse satyrique [1600-1622], Genève, Droz, 2015) dont le cadrage historiographique nous sert ici de référence exclusive.
8 Blasons anatomiques du corps féminin, éd. J. Gœury, Paris, Flammarion, coll. « GF », 2014, p. 200.
9 Voir dans le recueil parisien de 1543, qui offre la série la plus complète : « Blason du con » (Blasons anatomiques, éd. citée, p. 83-84), « Blason du con de la pucelle » (ibid., p. 85-86) et « Blason du con » (ibid., p. 86-88).
10 Voir Clément, Michèle, « Coup d’essai, coup de maître : les blasons de Maurice Scève, émulation lyonnaise et histoire courte du blason anatomique », Anatomie d’une anatomie. Nouvelles recherches sur les blasons anatomiques du corps féminin, éd. J. Gœury et Th. Hunkeler, Genève, Droz, 2018, p. 157-185.
11 Voir Alduy, Cécile, « Archéologie d’un gros plan. Sémiologie du sexe imprimé dans les Blasons anatomique du corps féminin (1539-1568) », Obscénités renaissantes, p. 163-192 et Clément, Michèle, « Blasons sexuels : difficiles scènes sexuelles et féminines à la Renaissance », Gryphe, Le corps féminin, 3, 2022, p. 3-10.
12 Pasquier, Étienne, Les Recherches de la France, dir. M.-M. Fragonard et Fr. Roudaut, Paris, H. Champion, 1996, t. III, p. 1705.
13 Les Genealogies, Effigies et Epitaphes des roys de France […], Poitiers, J. et E. de Marnef, 1545, fo 163 ro. Je remercie François Cornilliat de m’avoir signalé cette référence.
14 « La Priapée de Jodelle », Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1965, t. I, p. 428-436.
15 Voir en particulier le poème intitulé « La Bouquinade », Lm XVIII, 2, p. 389-399.
16 Œuvres complètes, Paris, A. Frank, 1867, t. I, p. 237-239.
17 Tous ces poèmes sont tirés de deux manuscrits aujourd’hui conservés à la BnF et dont il est impossible de déterminer les dates de copies exactes, même s’il faut sans doute les situer dans le dernier tiers du xvie siècle. Voir dans le ms BnF fr. 1662 (« Recueil de poésie satirique sur Henry III et son époque ») les « Cinq sonnez tirez de la Priapée de Jodelle » (fo 20 ro-fo 21 ro), suivis des « Sonnets vilains dudict Jodelle » (fo 21 ro-vo) et dans le ms no 488 des « Cinq cents de Colbert », « La Bouquinade » de Ronsard (fo 471 ro-fo 476 ro), les « Cinq sonnets tirés de la Priapée de E. Jodelle » (fo 546 ro-fo 547 ro), les « Autres vilaines du dit Jodelle » (fo 547 ro-fo 548 vo), l’« Epitaphe du membre viril de frere Pierre » (fo 550 ro) ainsi que « L’impuissance » de Belleau (fo 550 ro-fo 551 vo).
18 « Nous regrettons pour notre auteur qu’il n’ait pu soustraire sa muse à la dépravation de ce siècle. Il a payé, une seule fois, mais trop complètement son tribut au gout licencieux de l’époque, par cette pièce que nous aurions volontiers négligée si nous n’eussions pris l’engagement de donner les œuvres complètes du poète nogentais. » (R. Belleau, éd. citée, n. p. 237).
19 Voir l’avertissement ajouté par M. Jeanneret dans son anthologie : « Il arrive souvent, mais de façon irrégulière avec des variations entre éditions, que con, vit, foutre soit imprimés c…, v…, f…tre. Étant donné l’allure aléatoire de ces abréviations, j’ai rétabli le mot complet » (La muse lascive. Anthologie de la poésie érotique et pornographique française (1560-1660), Paris, J. Corti, 2007, p. 43).
20 Recueil des Dames, poésies et tombeaux, éd. E. Vaucheret, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1991, p. 462.
21 Ibid., p. 562.
22 On peut relever dans les manuscrits médiévaux un procédé d’euphémisation, qui occulte le mot en l’épelant. Voir Llamas Pombo, Elena, « Gratiam varietatis. Paramètres de variation stylistique de la lettre au Moyen Âge », Belles Lettres. Les figures de l’écrit au Moyen Âge / Figurationen des Schreibens im Mittelalter, dir. M. Uhlig et M. Rohde, Scrinium Friburgense 44, Wiesbaden, Reichert Verlag, 2019, p. 208 et le chapitre consacré au 9 tironien dans Uhlig, Marion, Radomme, Thibaut, avec Roux, Brigitte, Le Don des lettres. Alphabet et poésie au Moyen Âge, Paris, Les Belles Lettres, 2023.
23 Voir DeJean, Joan, The Reinvention of Obscenity. Sex, Lies, and Tabloids in Early Modern France, Chicago-Londres, University of Chicago Press, 2012, p. 35-36.
24 Voir G. Peureux qui va précisément dans ce sens, quand il écrit que « ce procédé mime une réticence que le contexte rend inopérante et presque burlesque : il est dit bien davantage dans la proximité immédiate » (La muse satyrique, op. cit., p. 70).
25 Si nous citons au cours de cette étude des exemples tirés de différentes sources manuscrites et imprimées, les listes de mots et statistiques qui suivent se fondent sur l’analyse systématique des trois recueils jugés les plus caractéristiques du moment satyrique de la période 1600-1622 : Le Cabinet satyrique ou recueil parfaict des vers piquants et gaillards de ce temps. Tiré des secrets Cabinets des Sieurs Sigognes, Regnier, Motin, Berthelot, Maynard, et autres des plus signalez Poëtes de ce Siecle, Paris, P. Billaine, 1618 [noté CS], Les Delices satyriques. Ou suitte du cabinet des vers Satyriques de ce Temps, recherchez dans les secrets Cabinets des Sieurs Sigognes, Regnier, Motin, Berthelot, Maynard, et autres des plus signalez Poëtes de ce Siecle, Paris, A. Estoc, 1620 [noté DS] et Le Parnasse des poetes satyriques, 1622 [noté PS].
26 Il s’agit plus précisément des termes « couilles » et « couillons » (DS, 11 occ. ; CS, 8 occ. : et PS, 2 occ.), « chevaucher » (DS, 4 occ. ; CS, 1 occ.), « desfourner » (DS, 1 occ. ; PS, 1 occ.), « pique » (DS, 1 occ.), « bougre » (PS, 1 occ.) et dans un tout autre registre qui mériterait un commentaire à part entière, « Bible » (CS, 1 occ.), car il ne s’agit pas dans ce cas de soustraire à la vue un mot obscène, mais au contraire un mot sacré, dont la présence est jugée inconvenante dans un tel environnement : « Et son C. plus troué qu’un crible / En feuillet surpassoit la B… / Le Digeste et le Calepin » (CS, p. 150). L’ironie est totale.
27 On ne saurait épuiser la diversité des réalisations sans épuiser le lecteur et cet échantillon suffira à donner une idée des réalisations typographiques en question : « De voir un si beau C. ne le …tre pas » (CS, p. 113) ; « F..tez f..tez à porte ouverte » (CS, p. 83) ; « J’ay les..illons enflez de t’avoir tant …tue » (PS, p. 68) ; « Qu’il ne …oit pas de son V. » (DS, p. 175) ; « Femme qui aymez mieux le …tre que le pain / Qui prenez en …utant un plaisir souverain » (PS, p. 55) ; « C’est le vray jeu d’amour et la vraye …terie » (PS, p. 207) ; « Aux …teurs qui viendront apres » (CS, p. 194) ; « Jadis …toirs si triomphans » (CS, p. 467).
28 Sur la symbolique des capitales d’imprimerie, voir Duplan, Pierre, « Pour une sémiologie de la lettre », L’espace et la lettre. Écritures typographiques, Cahiers Jussieu no 3, Université Paris 7, Union Générale d’Éditions, 1977, p. 295-347 et Rigolot, François, Poétique et onomastique. L’exemple de la Renaissance, Genève, Droz, 1977, p. 94.
29 L’usage ne varie pas de ce point de vue d’un recueil à l’autre. On se contentera de citer trois exemples empruntés aux trois recueils étudiés : « Beau cul calamité des …lles » (CS, p. 175) ; « J’ay les..illons enflez de t’avoir tant …tue » (PS, p. 67) ; « Plus qu’Hercule à la ….ille noire » (DS, p. 23).
30 L’hypothèse acrophonique a par exemple été utilisée en épigraphie pour expliquer le nom donné aux lettres phéniciennes. La lettre « A » serait ainsi par exemple issue de la stylisation de l’idéogramme représentant un taureau, dont le nom est « aleph ». Et c’est donc par convention dite acrophonique que ce signe s’emploie après transformation pour écrire la lettre « A », que n’importe quel lecteur sera ensuite en mesure de lire, à l’exception de celui qui continuerait de voir l’image d’un animal. Mais un processus de stylisation progressive évite ce blocage. Sur ce processus cognitif, voir Pommier, Gérard, Naissance et renaissance de l’écriture, Paris, PUF, 1993, chap. « Instance de la lettre dans l’inconscient et écriture », p. 203.
31 Voir G. Pommier : « Ce double versant de la lettre repose entièrement sur la conjecture de son équivalence avec l’image du corps refoulé. Il faudrait examiner maintenant la pertinence de son analogie avec la lettre d’écriture. S’il existe une analogie entre le processus de refoulement et l’effacement de la valeur d’image des pictogrammes, il faudrait pouvoir vérifier dans quelle mesure il a jamais existé d’écritures qui soient seulement pictographiques. Si c’était le cas, on devrait pouvoir étudier ainsi un stade élémentaire, “originel”, du rapport des hommes à la représentation. […] On aura alors montré que l’écriture se fonde sur l’effacement de sa propre origine graphique, de la même manière que le refoulement concerne l’image du corps propre. » (Naissance et renaissance de l’écriture, op. cit., p. 206.)
32 Voir Souchier, Emmanuël, « Quelques remarques sur le sens et la servitude de la typographie », Cahiers GUTenberg, nos 46-47, avril 2006, p. 85.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-14954-5
- EAN: 9782406149545
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14954-5.p.0141
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 08-23-2023
- Language: French
- Keyword: Poésie satyrique, obscénité, typographie, acrophonie, blason anatomique