[Introduction de la première partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Romans de la Terreur. L’invention d’un imaginaire (1793-1874)
- Pages : 39 à 40
- Collection : Études romantiques et dix-neuviémistes, n° 112
- Série : Le Siècle de l’histoire, n° 3
Le 5 septembre 1793, Claude Royer s’adresse en ces termes à la Convention : « Il est temps d’épouvanter tous les conspirateurs. Eh bien ! Placez la terreur à l’ordre du jour1. » S’il n’est pas inscrit dans une loi2, le mot d’ordre circule abondamment dans les textes et les discours de l’automne 1793. Dès l’été, Danton et Robespierre ont usé du mot « terreur » en l’associant à la « justice » et à la « vertu ». C’est que le terme, loin d’être neuf, fait partie de la culture politique des révolutionnaires et de leur rhétorique. Il faut pourtant attendre les manœuvres politiques qui ont suivi la mort de Robespierre et de ses compagnons pour que soit évoqué, non plus un système de terreur, mais le « système de la terreur », et pour que le mot, nouvelle tête de méduse, finisse par désigner une « période » (même si l’on est alors bien en peine d’en déterminer les bornes chronologiques) qui aurait été incarnée par Robespierre, « nouveau Cromwell » environné de ses « sicaires ».
Ce « temps de l’actualité » est celui où s’invente à proprement parler « la Terreur ». C’est le temps des témoins immédiats, de ceux qui vivent et ont vécu la Révolution. Entre dénonciation polémique des coupables et déploration pathétique des victimes, le roman cherche sa voie et participe à l’invention de la Terreur, en particulier après le 9 thermidor, moment-clé d’une charge passionnelle de l’événement à la faveur duquel s’imposent une imagerie de la Terreur et une collection de « lieux ». Un massif romanesque se distingue, celui des romans de l’émigration, qui présentent la Terreur vue d’ailleurs et font entendre la voix des victimes. Mais la Terreur, parce qu’elle relève de l’irreprésentable ou parce que son évocation doit se faire silencieuse, est parfois représentée de biais au travers de fictions obliques. La Terreur est déplacée, métaphorisée, elle hante l’œuvre fictionnelle de Staël, Chateaubriand ou du marquis de Sade ; disséminée dans le récit, elle imprime sa marque à une époque qui cultive le goût du macabre et 40du sublime, et trouve dans le roman noir – qui lui préexiste – un espace de déploiement privilégié.
1793-1813 : ces deux décennies concentrent un peu plus de 45 % des œuvres retenues dans le corpus principal – ce qui justifie la longueur de cette première partie. Avec les Lettres trouvées dans des portefeuilles d’émigrés, Isabelle de Charrière expérimente une saisie immédiate de ce qui n’est pas encore nommé « la Terreur », à travers une fiction qui échappe au manichéisme réducteur de nombreux romans thermidoriens. À l’autre bout de la période, Isabelle de Bavière de Sade déplace la Terreur au temps des luttes entre Bourguignons et Armagnacs, selon le principe du parallèle. L’écart entre ces deux œuvres est représentatif de la diversité des textes romanesques qui ont contribué à faire de la « Terreur » un sujet de roman, avant même qu’elle ne devienne un « lieu de mémoire » romantique. La traversée de cette première période s’apparentera bien souvent à une tératologie critique : c’est que la Terreur, qui paraît contredire la croyance en la perfectibilité, est d’abord représentée dans une perspective cathartique qui vise à conjurer les « démons » de la période. Tribune ou tribunal, le roman est alors bien souvent une scène pamphlétaire, quand il ne sert pas de relais au « parti pleureur3 » de la Révolution, pour reprendre le mot de Jules Michelet.
1 Ph. J. B. Buchez et P. C. Roux (éd.), Histoire parlementaire de la Révolution française depuis 1789 jusqu’à l’Empire, Paris, Paulin, 1833-1838, t. 29, p. 41.
2 Comme le signale J.-C. Martin, l’expression « la terreur à l’ordre du jour » est employée pour la première fois dans un texte de loi le 5 août 1794, après la mort de Robespierre et de ses compagnons, dans le cadre de la mise en accusation du député Joseph Lebon (Les Échos de la terreur, op. cit., p. 25).
3 J. Michelet, Histoire du xixe siècle, Paris, Michel Lévy, 1875, t. II, p. 131.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11771-1
- EAN : 9782406117711
- ISSN : 2258-4943
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11771-1.p.0039
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/08/2021
- Langue : Français