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Classiques Garnier

[Introduction de la première partie]

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Le 5 septembre 1793, Claude Royer sadresse en ces termes à la Convention : « Il est temps dépouvanter tous les conspirateurs. Eh bien ! Placez la terreur à lordre du jour1. » Sil nest pas inscrit dans une loi2, le mot dordre circule abondamment dans les textes et les discours de lautomne 1793. Dès lété, Danton et Robespierre ont usé du mot « terreur » en lassociant à la « justice » et à la « vertu ». Cest que le terme, loin dêtre neuf, fait partie de la culture politique des révolutionnaires et de leur rhétorique. Il faut pourtant attendre les manœuvres politiques qui ont suivi la mort de Robespierre et de ses compagnons pour que soit évoqué, non plus un système de terreur, mais le « système de la terreur », et pour que le mot, nouvelle tête de méduse, finisse par désigner une « période » (même si lon est alors bien en peine den déterminer les bornes chronologiques) qui aurait été incarnée par Robespierre, « nouveau Cromwell » environné de ses « sicaires ».

Ce « temps de lactualité » est celui où sinvente à proprement parler « la Terreur ». Cest le temps des témoins immédiats, de ceux qui vivent et ont vécu la Révolution. Entre dénonciation polémique des coupables et déploration pathétique des victimes, le roman cherche sa voie et participe à linvention de la Terreur, en particulier après le 9 thermidor, moment-clé dune charge passionnelle de lévénement à la faveur duquel simposent une imagerie de la Terreur et une collection de « lieux ». Un massif romanesque se distingue, celui des romans de lémigration, qui présentent la Terreur vue dailleurs et font entendre la voix des victimes. Mais la Terreur, parce quelle relève de lirreprésentable ou parce que son évocation doit se faire silencieuse, est parfois représentée de biais au travers de fictions obliques. La Terreur est déplacée, métaphorisée, elle hante lœuvre fictionnelle de Staël, Chateaubriand ou du marquis de Sade ; disséminée dans le récit, elle imprime sa marque à une époque qui cultive le goût du macabre et 40du sublime, et trouve dans le roman noir – qui lui préexiste – un espace de déploiement privilégié.

1793-1813 : ces deux décennies concentrent un peu plus de 45 % des œuvres retenues dans le corpus principal – ce qui justifie la longueur de cette première partie. Avec les Lettres trouvées dans des portefeuilles démigrés, Isabelle de Charrière expérimente une saisie immédiate de ce qui nest pas encore nommé « la Terreur », à travers une fiction qui échappe au manichéisme réducteur de nombreux romans thermidoriens. À lautre bout de la période, Isabelle de Bavière de Sade déplace la Terreur au temps des luttes entre Bourguignons et Armagnacs, selon le principe du parallèle. Lécart entre ces deux œuvres est représentatif de la diversité des textes romanesques qui ont contribué à faire de la « Terreur » un sujet de roman, avant même quelle ne devienne un « lieu de mémoire » romantique. La traversée de cette première période sapparentera bien souvent à une tératologie critique : cest que la Terreur, qui paraît contredire la croyance en la perfectibilité, est dabord représentée dans une perspective cathartique qui vise à conjurer les « démons » de la période. Tribune ou tribunal, le roman est alors bien souvent une scène pamphlétaire, quand il ne sert pas de relais au « parti pleureur3 » de la Révolution, pour reprendre le mot de Jules Michelet.

1 Ph. J. B. Buchez et P. C. Roux (éd.), Histoire parlementaire de la Révolution française depuis 1789 jusquà lEmpire, Paris, Paulin, 1833-1838, t. 29, p. 41.

2 Comme le signale J.-C. Martin, lexpression « la terreur à lordre du jour » est employée pour la première fois dans un texte de loi le 5 août 1794, après la mort de Robespierre et de ses compagnons, dans le cadre de la mise en accusation du député Joseph Lebon (Les Échos de la terreur, op. cit., p. 25).

3 J. Michelet, Histoire du xixe siècle, Paris, Michel Lévy, 1875, t. II, p. 131.