Trésor de sapience, Trésor des histoires ? Quelques observations sur la tradition manuscrite de la Chronique dite de Baudouin d'Avesnes
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Les Chroniques et l’histoire universelle. France et Italie (xiiie-xive siècles)
- Auteur : Endress (Laura)
- Pages : 85 à 110
- Collection : Rencontres, n° 537
- Série : Civilisation médiévale, n° 46
Trésor de sapience,
Trésor des histoires ?
Quelques observations sur la tradition manuscrite
de la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes1
L’identification, la délimitation et la classification de compilations historiographiques médiévales n’est pas une affaire simple. La critique opère souvent avec des titres conventionnels pour désigner des « œuvres » et des « rédactions », concepts qui reposent sur des critères variables et qui peuvent donner lieu à des classifications fluctuantes. Prenons l’exemple de la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes. Tel est le titre conventionnel que l’on donne à une chronique universelle anonyme en langue française qui s’étend, dans la première « rédaction » qu’on en connaît, de la Création à l’an 1278, et qui a vraisemblablement été rédigée vers 1280 pour Baudouin d’Avesnes, seigneur de Beaumont dans le Hainaut2. Les études les plus récentes qui s’intéressent à sa 86tradition textuelle dénombrent entre 50 et 58 manuscrits de l’œuvre3. Le titre Chronique (dite) de Baudouin d’Avesnes ne provient cependant pas de cette réalité manuscrite4. En effet, comme Marc-René Jung l’avait déjà observé, les plus anciens témoins ne donnent pas de titre5. En même temps le texte voit s’attribuer, à travers les premiers mots de son prologue et, dans les manuscrits tardifs, ses rubriques, les « titres » de Trésor de sapience et de Trésor des histoires6. Comme nous le verrons dans la suite, l’emploi de ces deux désignations – et surtout la seconde d’entre elles – est corrélé au défi que pose une délimitation nette de l’œuvre en question par rapport à des compositions apparentées.
Il convient maintenant d’apporter quelques précisions sur les deux désignations figurant dans les manuscrits. La majorité des manuscrits retenus par la critique comme témoins de la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes (ci-après CBA) et qui comportent le début du texte sont dotés d’un prologue duquel se dégage la désignation de Trésor de sapience. En 87voici les premiers mots d’après le manuscrit Cambrai, Bibliothèque municipale, 683, l’un des plus anciens témoins associés à la chronique en question, datant du xiiie siècle : Ki le tresor de sapienche veut metre en l’aumaire de sa memoire et l’enseignement des sages es tables de son cuer escrire, sor toutes choses il doit fuir le fardiel de confusion, car elle engenre ignorance et est mere d’oubliance […]7. La première des deux désignations se trouve donc dès les premiers mots du texte dans sa plus ancienne version connue, et elle s’est perpétuée à cet endroit à travers la tradition de la CBA8. La situation se complique cependant quand l’appellation Trésor des histoires entre en jeu. Comme l’avait observé Florent Noirfalise, « early manuscripts [of the CBA] do not include any title. Later manuscripts, however, often give the title Tresor des histoires, but this title has also been used for hybrid versions of the CBA, which can be confusing9. » En d’autres mots, Trésor des histoires apparaît, d’un côté, en tant que titre (ou dans les rubriques initiales) de certains manuscrits tardifs considérés comme témoins de la « version vulgate » de la CBA10, de l’autre, il se retrouve dans certains témoins qui donnent une « version hybride » du texte de la CBA.
Reste à savoir ce qui définit une telle version hybride. C’est précisément là que se posent les problèmes de délimitation qui se reflètent dans la littérature critique. Rappelons la liste de « hybrid versions » d’après Noirfalise11 :
Arras, BM, 995
Besançon, BM, 678
Bruxelles, KBR, 9277
88Douai, BM, 802
London, BL, Cotton Aug. V
Paris, Bibl. de l’Arsenal, 5077
Paris, BnF, fr. 279
Paris, BnF, fr. 15458
Paris, BnF, fr. 17181
Paris, BnF, naf. 14285
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, 673
On note que certaines de ces versions hybrides de la CBA ont été retenues par d’autres critiques comme des compilations à part entière. Le manuscrit de Londres, British Library, Cotton Augustus V et les fragments conservés sous la cote naf. 14285 à la Bibliothèque nationale de France sont au centre d’un article de David J. A. Ross, qui les avait considérés comme « a work called the Trésor des Histoires, expanded from the world history of the same name written for Baudouin d’Avesnes between 1275 and 128212 ». De même, Anne Rochebouet ne les inclut pas dans sa propre liste de 50 témoins de la CBA, en observant que les manuscrits en question sont parfois identifiés comme des témoins de CBA, mais que leur projet d’ensemble en diffère au point qu’elle a été amenée à les mettre à part13. Rochebouet écarte de la même manière le témoin conservé à Douai et celui de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, en notant que les témoins en question donnent un texte qui se rapproche davantage d’une autre compilation historiographique, connue sous le titre de Manuel d’histoire de Philippe de Valois14. Les délimitations incertaines ressortent aussi de la page Arlima dédiée au Trésor des histoires, qui donne une liste de neuf manuscrits – tous également cités sur la page Arlima dédiée à la CBA – avec l’indication que le Trésor des histoires juxtapose le texte de la CBA et celui du Manuel d’histoire de Philippe de Valois15. On retrouve donc diverses listes qui opposent un texte « vulgate » à des textes « hybrides » ou « autres » et qui, tout en étant d’accord sur le classement d’une bonne partie des manuscrits, divergent sur le statut de certains témoins.
89Du fait qu’aucune des compilations évoquées jusqu’ici n’a été éditée et qu’il manque à ce jour une étude d’ensemble sur leurs traditions textuelles, il reste bien des détails à éclairer. Dans la suite de cette contribution, nous chercherons à approfondir les questions de la délimitation et de la classification des manuscrits en jeu, en nous concentrant en particulier sur un ensemble de témoins portant le « titre » Trésor des histoires à côté du prologue comportant la désignation Trésor de Sapience. Quelques observations et une vue d’ensemble des manuscrits pris en compte nous permettront tout d’abord de cibler les témoins potentiellement intéressants sur la base des données contenues dans leurs parties liminaires. Nous entrerons ensuite sur le plan du contenu des compositions et, en particulier, sur les parties consacrées à l’histoire ancienne. Ici, nous regarderons la constellation de certains épisodes thématiques, en relevant des schémas variants. Dans une prochaine étape, nous aborderons le plan de la variation textuelle à l’intérieur d’une sélection de passages, en nous concentrant sur les données présentes dans un ensemble de manuscrits portant le titre Trésor des histoires et qui semblent former, d’après l’analyse de nos échantillons de texte, un sous-groupe à l’intérieur de la tradition. À partir de là, nous rouvrirons la perspective sur d’autres chroniques désignées en tant que Trésor des histoires, en dégageant quelques particularités de ces textes et de leur position à l’intérieur de la tradition textuelle en question.
Pour établir notre corpus, nous nous sommes appuyée sur les manuscrits retenus dans les études précédemment citées d’Anne Rochebouet et de Florent Noirfalise, en ciblant les témoins qui comportent le début du texte ainsi que les segments de (pseudo) histoire ancienne et biblique16. Nous avons exclu les manuscrits fragmentaires17. En outre, nous n’avons pas eu la possibilité de consulter deux témoins retenus dans les différentes études prises en compte, Princeton, The Art Museum, 4, et Torino, Bibl. Naz. L II 1. Finalement, nous avons écarté deux manuscrits (l’un d’eux fait partie des témoins hybrides de CBA d’après Noirfalise), qui semblent présenter, dans les segments en question, un mélange autrement hybride, 90entre le texte de CBA et celui de l’Histoire ancienne jusqu’à César18. Les 27 manuscrits restants sont repris dans les tableaux 1 et 2 ci-dessous. Le tableau 1 regroupe les manuscrits classés comme témoins de CBA encore dans les études les plus récentes sur le sujet, alors que le tableau 2 accueille les textes qui, suivant l’état actuel de la recherche, ont été placés dans des catégories à part19. Dans la colonne centrale des deux tableaux nous avons indiqué si et où le prologue parlant du Trésor de sapience est présent ; dans celle à droite sont notées les occurrences de la désignation Trésor des histoires figurant dans les rubriques ou dans un prologue à part20.
Manuscrit |
Prologue Trésor de sapience |
Rubrique ou prologue Trésor des histoires |
Arras, BM, 995 (1059) |
f. 20ro (2e prologue) |
f. 1r (rubrique ; 1er prologue) |
Arras, BM, 863 (1043) |
f. 7roa |
|
Baltimore, Walters Art Gallery, W. 307 |
f. 1roa |
|
Besançon, BM, 678 |
f. 1ro |
f. 1ro, le livre du t. d. h. (rubrique) |
91
Bruxelles, KBR, II 988 |
f. 4roa |
|
Bruxelles, KBR, 9069 |
f.13roa |
|
Bruxelles, KBR, 10201 |
f. 1roa |
|
Cambrai, BM, 683 |
f. 1roa |
|
Chantilly, Bibl. du château, 729 |
f. 25ro |
|
Den Haag, KB, 71 A 14-15 |
f. 1roa |
f. 1ro (rubrique) |
Gent, Universiteitsbibliotheek, 415 |
f. 1ro |
f. 1ro, le livre du t. d. h. (rubrique) |
Krakow, Biblioteka Jagiellońska, gall. fol. 216 |
f. 1ro |
f. 1ro, le t. d. h. et de l’excellence de chevalerie (rubrique) |
London, BL, Royal 18 E V |
f. 20roa |
|
London, BL, Harley 4415 |
f. 1roa |
f. 1ro, le livre du t. d. h. (rubrique) |
New Haven, Yale University, Beinecke Library, 1106 |
non (incipit : Au commencement) |
|
Paris, Bibl. de l’Arsenal, 3710 |
f. 1roa |
|
Paris, Bibl. de l’Arsenal, 5076 |
f. 7roa |
|
Paris, Bibl. de l’Arsenal, 5077 |
? (texte acéphale) |
f. 1ro, livre du t. d. h. (en tête de la table de rubriques) |
Paris, BnF, fr. 685 |
f. 1ro |
|
Paris, BnF, fr. 1367 |
f. 1ro |
|
Paris, BnF, fr. 17181 |
(2e prologue) |
f. 19ro (1er prologue) f. 1ro, le t. d. h. et l’excellence de chevalerie (table de rubriques) |
Paris, BnF, naf. 11199 |
f. 1ro |
? (le début de la table de rubriques manque) |
92
Valenciennes, BM, 538 |
f. 1ro |
f. 1r, le livre du t. d. h. (rubrique) |
Vatican, BAV, Reg. lat. 1900 |
non (incipit : Au commencement) |
Tabl. 1 – Manuscrits de CBA pris en compte.
Manuscrit |
Prologue Trésor de sapience |
Rubrique ou prologue Trésor des histoires |
Douai, BM, 802 |
non |
|
London, BL, Cotton Aug. V |
non |
f. 1ro (en tête de la table de matières) |
Paris, Bibl. Sainte-Geneviève, 673 |
non |
Tabl. 2 – Manuscrits de chroniques
classées à part pris en compte.
On constate que la majorité des témoins de CBA retenus dans le tableau 1 (soit 21 manuscrits) ont le prologue parlant du Trésor de sapience21. Nous considérerons ce dernier comme prologue « vulgate » de CBA. Neuf de ces 21 témoins sont également explicitement appelés des Trésors des histoires. Dans les manuscrits de chroniques classées à part et réunis dans le tableau 2, la désignation Trésor de sapience est entièrement absente. L’un d’entre eux, le manuscrit Londres, British Library, Cotton Augustus V, est désigné comme un Trésor des histoires, les deux autres n’ont aucun des traits distinctifs retenus.
Dans l’étape suivante de notre argumentation, nous aborderons le contenu afin de vérifier si les témoins dans lesquels les deux désignations (Trésor de sapience et Trésor des histoires) cohabitent présentent des divergences par rapport aux autres témoins de CBA sur le plan de la constellation des épisodes. Le manuscrit Cambrai, BM, 683 nous servira d’exemple illustratif lorsque nous citons la version « vulgate » de CBA. 93Dans les segments d’histoire ancienne qui nous occuperont ici, la CBA a la particularité de faire alterner des segments parlant d’histoire biblique et d’histoire païenne, tout en maintenant la chronologie parallèle, comme on le voit à partir des vingt premières entrées de la table des rubriques du manuscrit de Cambrai, transcrites dans le tableau suivant.
Chi commenchent li capitel de cest livre |
|
Ebryus |
.i. De la formation Adam, de Chaym et de Seth et de chiaus ki d’iaus issirent. |
Ebryus |
.iii. Comment Noé issi de l’arche et de Sem, Chaym et Japhet, ses .iii. fius et de chiaus ki d’iaus issirent. |
Ebryus |
.iii. Comment Nemrop [sic] commencha la tour de Babiel, et de pluisours rois de Ausyre, et de Belus, et de Ninus et de Semiramis, et de Telsius, roi de Siscione, et de pluiseurs. |
Crete |
.iiii. De Cret, le premier roi de Crete. |
Ebryus |
.v. De Thare et de Abreham son fil, et de la destruction de Sodome, et de Ysaach et de Jacob. |
Argiiens |
.viii. De Ynacus et de Phoroneus, roi des Argiiens. |
Thessaille |
.viii. De Thessalus, le roi de Thessaille. |
Ebryus |
.viii. Comment Sychem esforcha Digna, la fille Jacob, et comment Joseph fu vendus. |
Argiiens |
.ix. Comment Apis, li rois des Argiiens, fist de Gealus, son fil, roi de Achaÿe. |
Ebryus |
.ix. Comment Yoseph fu vendus en Egypte. |
Ebryus |
.xii. De la naissanche Moyset. |
Athainnes |
.xii. Comment Cycrop fonda Athainnes |
Ebryus |
.xiii. Comment li Ebryu issirent de Egypte et pluisours batailles ke il orent, et la mort Moyset et Josué. |
Thebes |
.xvii. De la destruction de Thebes et les nons des rois de Thebes. |
Thebes [sic] |
.xxi. Des nons de tous les rois des Argiiens et comment tous li roiaumes fu translatés a Mychenes. |
Ebryus |
.xxi. La bataille Sangar, le prinche des Ebryus, contre les Phylistiiens et leur autres voisins, et de Gedeon, ki aprés lui vint, et comment la harpe fu trovee. |
Syches |
.xxiii. Comment Vezones, li rois de Egypte, envaï le regne de Syche. |
94
Amazones |
.xxiii. Le commenchement dou roiaume des Amazoines. |
Ebryus |
.xxiiii. De Abymelech, de Thola, de Gepte, de Abessem, de Aylon, de Abdon, ki tout furent juge. |
Troies |
.xxv. Le comenchement dou siege de Troies. |
Troies |
.xxix. Le fin dou siege de Troies, et le departement de chiaus ki en eschaperent. |
Eneas |
.xxx. Comment Eneas se parti de Troies et vint en Ytaile et morut. |
Ebryus |
.xxxv. De Sanson le fort. |
Tabl. 3 – Extrait de la table des rubriques
du manuscrit Cambrai, BM, 683.
La table des rubriques est éclairante dans ce manuscrit non seulement parce qu’elle indique les feuillets où commencent les chapitres individuels (les chiffres romains précédant les titres), mais aussi dans la mesure où chaque entrée est dotée de l’indication du peuple ou de l’espace géographique qu’elle concerne. Le texte commence ainsi par trois chapitres sur l’histoire des Ebryus, parlant, respectivement, d’Adam, de Noé et de la tour de Babel. Dans la suite, les chapitres consacrés aux Hébreux alternent avec des segments à propos, entre autres, de la Crète, des Argiens, de Thessalie, d’Athènes, de Thèbes, des Scythes et des Amazones, et de Troie22. Les éléments qui nous intéresseront de plus près ici s’échelonnent sur l’étendue de texte située entre les chapitres sur la guerre de Thèbes et ceux à propos de la destruction de Troie.
En regardant plus en détail cet échantillon, on constate qu’entre les « blocs thématiques » qui se reflètent dans les rubriques reproduites ci-dessus sont intercalés divers faits d’histoire mythologique. Nous avons 95retenu quelques éléments notables dans le tableau 4, qui se base toujours sur le manuscrit de Cambrai. Les sujets qui se dégagent des rubriques sont mis sur fond gris et, sur fond blanc, les faits supplémentaires qui sont évoqués dans les segments en question.
Thèbes (f. 17ro-20vo) |
Argiens (f. 20vo) |
Persée premier roi de Mycènes (f. 20vo-21ro) Dyonisius, surnommé Liber Pater, conquiert l’Orient (f. 21ro) |
Hébreux (f. 21ro-22ro) |
Mercurius invente la harpe (f. 22ro) Fondation de Tyr (f. 22ro) Mort de Liber Pater (f. 22ro) |
Scythes et Amazones, expédition d’Hercule et de Thésée (f. 22ro-23vo) |
Hercule lutte contre Antée (f. 23vo) Hercule institue les jeux Olympiques (f. 23vo) Thésée détruit Thèbes (f. 23vo) Descendance des Amazones (f. 23vo) |
Hébreux (f. 23vo-25ro) |
Troie (1re destruction) (f. 24vo-25ro) |
Mort d’Hercule (f. 25ro) |
Troie (2e destruction) (f. 25ro-29ro) |
Tabl. 4 – Relevé des contenus de l’échantillon
étudié dans le manuscrit Cambrai, BM, 683.
En lisant le texte, on apprend, par exemple, qu’à l’époque où a eu lieu la guerre de Thèbes, Persée était le premier roi de Mycènes, et qu’en même temps Dionysos, surnommé Liber Pater, est parti pour conquérir l’Orient. Plus loin, après le segment sur les Scythes et les Amazones qui évoque l’expédition d’Hercule et de Thésée contre le peuple des femmes guerrières, sont mentionnés d’autres exploits des deux héros. Finalement, après la première destruction de Troie (par les Argonautes), le texte relate, entre autres, la mort d’Hercule.
Ces faits d’histoire mythologique païenne et leur place dans l’architecture d’ensemble des chroniques s’avèrent particulièrement intéressants pour notre propos, dans la mesure où certains manuscrits 96qui portent, dans leur titre ou leurs rubriques, la désignation Trésor des histoires présentent des variations dans la constellation de ces épisodes. Il est important de noter – suivant un premier examen, qui sera toutefois à vérifier dans le détail – qu’à un manuscrit près, les autres témoins de CBA présentent la même structure que le manuscrit de Cambrai dans les segments en question23. Dans le tableau 5 ci-dessous, nous ne retenons que les manuscrits de CBA désignés comme Trésor des histoires, en indiquant s’ils comportent la constellation d’épisodes reproduite supra (que nous nommons « CBA vulgate ») ou une structure qui en diverge24. Les feuillets délimitent la portion de texte allant de la fin du segment sur Thèbes jusqu’à la fin de la deuxième destruction de Troie.
Manuscrits de CBA désignés |
Constellation des épisodes |
Paris, Arsenal, 5077, f. 39vo-52ro |
CBA vulgate |
London, BL, Harley 4415, f. 26vo-40vo |
CBA vulgate |
Den Haag, KB, 71 A 14, f. 27vo-41vo |
CBA vulgate |
Krakow, Biblioteka Jagiellońska, gall. fol. 216, f. 33ro-50ro [= K] |
CBA avec ajouts |
Besançon, BM, 678, f. 25vo-37vo [= Bs] |
CBA avec ajouts |
Gent, Universiteitsbibliotheek, 415, f. 49ro-72ro [= G] |
CBA avec ajouts |
Valenciennes, BM, 538, 28vo-42ro [= V1] |
CBA avec ajouts |
Paris, BnF, fr. 17181, f. 36ro-45ro [= P3] |
CBA abrégé avec ajouts |
Arras, BM, 995, f. 34ro-55vo [= A2] |
CBA avec ajouts et autres modifications |
Tabl. 5 – Constellation des épisodes dans les manuscrits
de CBA désignés comme Trésor des histoires.
On constate que tous les témoins énumérés ci-dessus ne présentent pas la même organisation des contenus abordés25. Les trois premiers suivent, dans les parties de texte étudiées, le modèle « vulgate » de CBA. Les six autres manuscrits, cependant, présentent diverses innovations sur le plan des contenus. Il ne sera pas possible d’offrir ici une présentation détaillée de tous les schémas qui apparaissent dans ces manuscrits. Dans la suite de l’étude, nous aborderons avant tout un cas de figure particulier, commun à quatre manuscrits : le schéma « CBA avec ajouts ». Nous emploierons les sigles indiqués dans la liste supra afin de renvoyer aux témoins en question, conservés respectivement à Besançon, Cracovie, Gand et Valenciennes.
Ce quartet de manuscrits partage dans l’échantillon étudié une série d’ajouts qui viennent étoffer le texte vulgate de CBA à des endroits où ce dernier présente des séries d’anecdotes d’histoire mythologique. Avant d’aborder le texte à proprement parler, il semble utile de visualiser les innovations en plaçant en regard le schéma des contenus de la version « vulgate », déjà présenté, à côté de la version « avec ajouts ».
CBA « vulgate » |
CBA « avec ajouts » (G, K, Bs, V1) |
Thèbes |
Id. |
Argiens |
Id. |
Persée premier roi de Mycènes Liber Pater conquiert l’Orient |
Id. |
Précisions sur Liber Pater Invention du char Hercule vainc Antheum le jaiant |
|
Hébreux |
Id. |
Hercule sauve Thésée de Cerbère Orphée roi [sic] de musique |
|
Mercurius invente la harpe. Fondation de Tyr. Mort de Liber Pater. |
Id. |
Scythes et Amazones |
Id. |
Hercule contre Antée Hercule institue les jeux Olympiques Thésée détruit Thèbes Descendance des Amazones |
Id. |
98
Hébreux |
Id. |
Troie (1re destruction) |
Id. |
Mort d’Hercule |
Id. |
Hercule vaincu par une femme |
|
Troie (2e destruction) |
Id. |
Tabl. 6 – Comparaison des contenus
dans CBA vulgate et CBA avec ajouts.
La version avec ajouts garde l’ordre des grands segments présents dans le texte vulgate de CBA, mais elle les complète par de nouvelles données. Quand il est question, par exemple, de Liber Pater, les manuscrits G, K, Bs et V1 offrent des précisions sur son personnage, suivi de l’évocation succincte d’autres faits (l’invention du char et la victoire d’Hercule sur Antée). Plus loin, après le segment suivant consacré aux Hébreux, de courts ajouts parlent de Cerbère, puis d’Orphée, avant de revenir à la trame « vulgate » avec l’invention de la harpe par Mercure. Finalement, après la première destruction de Troie, au moment où la version vulgate évoque la mort d’Hercule, on apprend, dans la version avec ajouts, que ce dernier a été vaincu par une femme, qui dans la tradition classique s’appelle Omphale.
Illustrons le phénomène de ces ajouts à l’aide d’un exemple textuel, en citant le segment sur Liber Pater d’après les deux versions du texte, suivi, dans la version avec ajouts, du premier ensemble d’insertions signalé supra. Afin de faire ressortir le segment innovateur dans la version avec ajouts, nous le présentons dans un paragraphe à part.
CBA vulgate (d’après Cambrai, BM, 683)26
En che tans Dyonisius, qui estoit sournoumés Liber Pater, ki fu fius de la fille Cadmus, ki Semelé fu apielee, entra en Ynde par force et arousa toute la terre de sanc humain par griés batailles, puis passa outre vers Orient. Et quant il ot tant alé k’il ne pot plus, si assist grans coulombes de pierre ausi comme bonnes. Et dist k’eles ne seroient jamais passees par nul houme. Mais Alixandres li grans rois le passa puis .i. petit. Chil Lyber fonda une cité sour le flun d’Inde et l’apiela Nysam. Apriés entra en Perse et se combati as Persans, et fu mors en la bataille. Si fu ensevelis en l’ysle de Delphos, si con vous orrés quant tans en ert. Or revenrons a la matere des Ebrius.
99CBA avec ajouts (d’après G)27
En ce temps aussi Dionisius, qui estoit surnommé Liberpater, qui fut filz de la fille Cade Cadinus [sic], qui eust a nom Semelé, entra en Inde par force et arousa toute la terre du sang humain par guerres et grandes batailles, puis passa oultre vers Orient. Et quant il eust tant alé avant qu’il ne peust plus, si assist grandes columpnes de pierres ainsi comme bonnes et dist qu’elles ne seroient jamais passees par nul homme. Mais Alixandre le Grant les passa ung peu aprés. Icellui Liber fonda une cité sur le fleuve d’Inde et l’appella Nisam. Aprés entra en Perses et se combatit aux Persans et morut en bataille et fut ensevely en l’isle de Delphos, si comme vous orrés quant temps sera. Or revenons aux Ebreux.
Icellui Dionisius, qui fut surnommé Liberpater [Liberbacus Br], fonda une cité en Grece qui fut nommee Arges. Et donna aux Grigois l’art et l’usaige de faire les vignes, et pour ce les poetes l’appellent dieu de vin. En ce temps, Certonius [Ertons Br] et Etriolus trouverent l’art de joindre chars et charrettes. En ce temps Herculés vainquit Antheum le jayant.
La version vulgate du texte donne une sorte de condensé de la vie et des faits de Liber Pater, à commencer par sa généalogie (il est fils de Sémélé, elle-même fille de Cadmus), présentant ensuite ses conquêtes et exploits guerriers en Orient (les colonnes qu’il aurait érigées et qu’Alexandre le Grand aurait dépassées, ses batailles contre les Persans, la fondation de la ville de Nysam), anticipant finalement sa mort et son enterrement sur l’île de Delphos (qui seront relatés plus loin dans le texte). La version avec ajouts reprend tous ces éléments, mais elle les complète par d’autres morceaux d’information à propos du même personnage : il aurait fondé la ville d’Argos, et il aurait appris aux Grecs à cultiver les vignes – c’est pour cela que les poètes l’auraient appelé le dieu du vin. D’autres insertions suivent, qui concernent d’autres personnages, à savoir Certonius et Etriolus, qui auraient inventé le char, et Hercule, vainqueur d’Antheum.
Le segment qui n’est pas présent dans le texte « vulgate » se prête à quelques observations plus précises, permettant en même temps d’écarter l’hypothèse selon laquelle les manuscrits G, K, Bs, V1 témoigneraient d’un état textuel plus ancien et plus complet de CBA. On constate que le matériel absent de la version vulgate est ajouté par l’autre version à la fin du bloc textuel, comme une pièce rapportée, alors qu’on a déjà annoncé le thème du segment suivant : Or revenons aux Ebreux. En d’autres termes, là où la version vulgate embraye effectivement en 100parlant des Hébreux, celle avec ajouts intercale des éléments à propos d’événements sans rapport avec le peuple d’Israël, sans modifier la phrase de transition. Les ajouts risquent ainsi de perturber l’ordre du texte. En outre, ils amènent à certains dédoublements. La phrase succincte En ce temps Herculés vainquit Antheum le jayant évoque un événement – la lutte entre Hercule et Antée – qui sera relaté une nouvelle fois in extenso plus loin dans le texte, après le segment qui parle des Amazones et de l’expédition d’Hercule et de Thésée contre celles-ci. Il semble donc bien plus probable que l’on a affaire ici à la juxtaposition de différentes strates textuelles. Le texte vulgate de CBA est enrichi par des matériaux relevant de l’histoire universelle provenant d’ailleurs.
Les ajouts visualisés ci-dessus sont présents en effet dans une compilation à part dont la tradition se confond – comme la critique l’a déjà relevé – avec celle de CBA : le Manuel d’histoire de Philippe VI de Valois28. Il s’agit d’un abrégé d’histoire universelle, inédit lui aussi, qui a probablement vu le jour dans les années 1330 et qui survit dans quelque trente manuscrits29. En comparant le texte de CBA avec ajouts avec celui du Manuel, on comprend mieux les insertions ainsi que le contexte dans lequel certaines d’entre elles figurent dans les manuscrits G, K, Bs et V1. À titre d’exemple, on peut considérer une nouvelle fois les ajouts mentionnés précédemment, ainsi qu’un deuxième ensemble d’insertions, à propos de Cerbère, puis d’Orphée, en comparant le texte de CBA avec ajouts à celui du Manuel. Nous citons ce dernier d’après le manuscrit Paris, BnF, fr. 4940, témoin du xive siècle, en indiquant des variantes ponctuelles d’après une sélection d’autres témoins lorsque ces leçons nous aident à comprendre le texte du Manuel ou de CBA avec ajouts30.
101CBA avec ajouts (d’après G)31
Icellui Dionisius, qui fut surnommé Liberpater [Liberbacus Br], fonda une cité en Grece qui fut nommee Arges. Et donna aux Grigois l’art et l’usaige de faire les vignes, et pour ce les poetes l’appellent dieu de vin. En ce temps, Certonius [Ertons Br] et Etriolus trouverent l’art de joindre chars et charrettes. En ce temps Herculés vainquit Antheum le jayant.
Manuel d’histoire de Philippe de Valois (d’après Paris, BnF, fr. 4940)32
[contexte : à l’époque de Moïse]
En celuy temps, Dyonise Bachus, qui autrement est appellez Liber Pater, edifia une autre cité, qui est appellee Argos, en Grece. Et donna ce Bachus aux Grecs l’art et l’usage de faire vigne, et pour ce les poetes l’appellent dieu de vin. En celuy temps, Orithonius [Eritonius V688P693P1406P19477] et Troilus [Etriolus V688 Estroilus P1406 Etrolus P693P19477] trouverent l’art de joindre chars et charrettes. En ce temps, soubz Deucalyon, le deluge fu en Thessale, du quel parle le poete. En ce temps, Herculés vainqui Anthemi [Antheum V688P1406P19477Bes677] le jayant. […]
CBA avec ajouts (d’après G)33
[contexte : après un segment parlant des juges d’Israël, de Samgar à Gédéon]
[C]erberus, ung grant [ja]iant, regna en ce temps, lequel devora Pichoine [Pithomo K Pichomne Bs], qui estoit venu pour ravir Proserpine avec Theseus ; et aussi eust devoré Theseus, mais Herculés y survint qui le delivra. Et pour ce que ce jayant estoit si mauvais, les poetes dient que Cerberus est le portier d’enfer. Orpheus, roy de musique, est aussi esté en ce temps, duquel les poetes dient que par son bel chant il fist les rivieres arrester, les bestes sauvaiges apprivoisier et les monstres d’enfer leur cruaulté laissier. Duquel Mistus [Mustus K] fut disciple.
Manuel d’histoire de Philippe de Valois (d’après Paris, BnF, fr. 4940)34
[contexte : à l’époque de Samgar]
En celuy temps fu Cerberus, un grant jayant, qui devora Peritoine, qui estoit venu pour ravir Proserpine avec Thezeus, [aj. et (ainsi P1406 aussi V688Bes677)] eust devouré Theseus, V688P693P1406P19477Bes677] mais Herculés seurvint qui le delivra. Et pour ce qu’il estoit si maulx, li poetes dient que Cerberus est portier d’enfer.
102[contexte : à l’époque de Gédéon]
En celuy temps, Orpheus, maistre de musique, fu clerc du pueple. Du quel dient les poetes que, par son beau chant il faisoit baler les pierres et les rivieres arrester, les bestes sauvages aprivoisier, les moustres d’enfer leur cruaulté lessier. Museus fu son desciple.
La place des insertions dans la version de CBA avec ajouts est, au moins en partie, corrélée à celle qu’occupent les éléments correspondants dans le Manuel. La mention de l’invention du char et de la victoire d’Hercule sur Antée après les précisions sur Liber Pater s’explique par le simple fait que cette série d’éléments a été reprise en bloc du Manuel et insérée après le chapitre déjà en place dans CBA vulgate sur Liber Pater. Les éléments d’histoire ancienne et biblique dans les parties en question du Manuel se construisent dans leur ensemble comme une suite de courtes « entrées », alors que CBA opère avec des chapitres plus longs. C’est ainsi que s’explique aussi l’accumulation de faits à la fin de certains chapitres de CBA avec ajouts qui se trouvent dans un ordre non consécutif dans le Manuel. Ainsi, les mentions de Cerbère et d’Orphée se suivent dans le texte de CBA avec ajouts, après un chapitre qui décrit l’histoire des Hébreux de Samgar à Gédéon, alors que dans le Manuel, les deux faits d’histoire païenne sont placés après les deux segments respectifs parlant des deux juges d’Israël mentionnés.
Sur le plan de la variation textuelle plus fine, le texte du Manuel aide aussi à expliquer certaines formes corrompues dans les quatre témoins de CBA avec ajouts. En recourant au Manuel, on arrive à déceler l’identité des prétendus inventeurs du char, Certonius et Etriolus d’après G, Bs et V1 (le premier étant corrompu davantage en Ertons dans K), censés être Érichthonius (Eritonius dans plusieurs témoins du Manuel) et Troilus. De même, on reconnaît mieux le nom du personnage qui était descendu aux enfers avec Thésée afin de ravir Proserpine avant d’être détenu par Cerbère : les formes difficilement reconnaissables de Pithoine (GV1), Pithomo (K) ou encore Pithomne (Bs) dans CBA avec ajouts paraissent en effet résulter de la mauvaise interprétation d’une forme abrégée du type P(er)itoine, attestée parmi les témoins considérés du Manuel et plus proche du nom de la personne en question, Pirithoüs. De manière tout à fait analogue, le personnage au nom de Mustus (K) ou Mistus (GBsV1) qui aurait été le disciple d’Orphée apparaît plus correctement en tant que Museus dans les témoins du Manuel pris en compte. Les variantes 103prises en considération ici, notamment les formes erronées présentes dans les quatre manuscrits de CBA avec ajouts, mettent davantage en évidence la parenté entre ces témoins, qui semblent former un sous-ensemble à l’intérieur de la tradition de CBA. Les données prises en compte suggèrent non seulement que le Manuel est la source directe des ajouts, mais nous indiquent même des pistes pour identifier, parmi les témoins de cette compilation, un modèle à partir duquel les éléments en question auraient été exportés35.
Un autre passage présent dans les quatre manuscrits G, K, Bs et V1 renforce l’hypothèse que ces derniers pourraient même témoigner d’une « version remaniée » propre de CBA, au moins dans les segments étudiés. Il s’agit en l’occurrence d’un ajout qui ne provient vraisemblablement pas du Manuel. Après la deuxième destruction de Troie, après avoir repris à CBA « vulgate » l’indice Or vous diray que les Troyens qui ne furent mie occis en la bataille devindrent, se trouve une nouvelle insertion :
En ce temps commencerent les Grigois a nouter les ans de la prise de Troyes. Ainsi comme nous escripvons a present l’an de l’incarnacion Nostre Seigneur mil quatre cens quinze [id. KBsV1], aussi disoient les Grigois l’an et jour tel aprés la destruction de Troye. Et par telle maniere avoit on compté par avant les ans des jeuz de l’Olimpiade du commencement que Herculés les eust establis36.
La présence de cette date, 1415, livre un bon indice non seulement pour le terminus post quem des témoins en question, mais aussi pour la potentielle date de rédaction de la version avec ajouts dont G-K-Bs-V1 sont des représentants survivants, au moins dans les parties d’histoire ancienne prises en compte. Il s’agirait en d’autres termes d’un possible sous-ensemble « génétique » parmi les « versions hybrides » de CBA. Une telle observation est évidemment téméraire sur la base du mince échantillon de données examinées ici. On devrait aussi s’attendre à ce que certains manuscrits se comportent différemment dans d’autres parties des compilations37.
104Le constat des solidarités entre ces quatre témoins ainsi que leurs rapports avec le Manuel d’histoire de Philippe de Valois nous permettent néanmoins dans une dernière étape d’ouvrir le champ de vision sur les autres témoins appelés Trésor des histoires qui ne donnent pas la version vulgate de CBA, mais une version altérée, voire qui témoignent d’une compilation à part. Cela concerne d’abord deux manuscrits retenus dans notre tableau 5 (Paris, BnF, fr. 17181 et Arras, BM, 995), qui comportent également le prologue parlant du Tresor de sapience, caractéristique de CBA. En outre, cela implique la chronique du manuscrit London, BL, Cotton Augustus V, qui, comme nous le verrons, partage certains éléments avec les témoins de CBA avec ajouts (et modifications), appelés Trésor des histoires.
Certaines données textuelles dans les témoins fr. 17181 (P3) et Arras 995 (A2) suggèrent que ces derniers sont apparentés à leur tour aux manuscrits G, K, Bs, V1. Les exemples que nous évoquerons ici se situent dans les parties du texte qui remontent à CBA vulgate et que l’on retrouve, par conséquent, dans l’essentiel des témoins de CBA. Pour faire ressortir les parallèles entre les ensembles G-K-Bs-V1 et P3-A2, il convient donc de recourir aux données présentes dans la totalité des témoins de CBA. On se limitera ici à évoquer deux exemples : une erreur parlante et une transition particulière entre deux chapitres, dont témoignent les six Trésors des histoires en question.
Le premier exemple se situe dans la phrase introductive au segment sur Liber Pater, qui nous est déjà connu de l’argumentation précédente. Le lieu variant qui nous intéresse est le nom du grand-père de Liber, Cadmus. Citons la phrase en question d’après le manuscrit de Cambrai (version vulgate), en relevant ensuite les variantes que donnent les autres témoins de CBA du nom propre en question.
En che tans Dyonisius, qui estoit sournoumés Liber Pater, ki fu fius de la fille Cadmus ki Semelé fu apielee, entra en Ynde par force et arousa toute la terre de sanc humain par griés batailles, puis passa outre vers Orient38.
Varia lectio : Cadmus] Cambrai ; cadmus ou cadinus Baltimore, Walters Art Gallery W. 307 ; Chantilly, Bibl. du château, 729 ; London, BL, Royal 18 E V ; Paris, BnF, 1367 cadinus Bruxelles, KBR 9069 ; London, BL, Harley 4415 ; Paris, Arsenal 3710 ; Arsenal 5067 ; Arsenal 5077 ; Vatican, Reg. Lat. 1900 ; 105New Haven, Yale, 1106 ; feuillet mq. Arras, BM, 863 ; segment manque dans Bruxelles, KBR 10201 ; cade cadinus GBsV1 cade cainus J cade cadimus P3 cade candraus A2
Dans un grand nombre des témoins de la version vulgate, le nom de Cadmus apparaît sous une forme légèrement corrompue, du type cadinus, résultat d’une mauvaise interprétation des jambages. Dans les manuscrits G-K-Bs-V1 et P3-A2, il a cependant subi une corruption supplémentaire, se dédoublant à moitié par une pseudo-dittographie en cade cadinus (GBsV1), qui a évolué à son tour en cade cainus (dans K), cade cadimus (P3) et cade candraus (A2)39. Il semble peu probable en effet qu’une telle erreur se soit produite au même endroit de façon polygénétique, et bien plus vraisemblable que les six témoins se rattachent ici à un modèle commun.
Le deuxième exemple se situe un peu plus loin dans le texte, au moment de la transition entre l’histoire des juges d’Israël et le récit sur le premier siège de Troie. Dans le manuscrit de Cambrai et l’essentiel des autres témoins de CBA40, le paragraphe sur les Hébreux en question se termine par le passage suivant :
Au tans de ces .iii. juges Abessem, Aylon et Abdon furent li Ebruy en grant pais, mais es autres roiaumes avoit grant guerre et grant descort, car en lor tans fu Troies destruite. Si vous dirai comment et par quele occoison. Et pour chou ke vous l’entendés miex et que vous saichiés dont cil de Troies vinrent, je commencherai plus amont41.
On passe ensuite au prochain paragraphe, rubriqué dans le manuscrit de Cambrai Dou siege de Troies, qui commence par la généalogie des rois de Troie, rattachés à la généalogie biblique. Dans les témoins G-K-Bs-V1 et P3-A2, le segment cité est bien présent, mais il forme le début du chapitre suivant sur Troie42. Dans chacun des manuscrits concernés, on trouve ainsi une lettrine A en tête de Au tans, marquant le début du 106segment. Si le déplacement d’une transition est, certes, un phénomène moins parlant que l’erreur dans le premier exemple évoqué, il nous semble néanmoins intéressant de le prendre en considération, si ce n’est que pour fournir une piste à explorer dans des études ultérieures.
De manière générale, la présence de telles erreurs et variantes dans chacun des Trésors des histoires en question et son absence dans les autres manuscrits pris en considération suggère que G-K-Bs-V1 et P3-A2 pourraient dériver d’une même branche du stemma de CBA. Cette hypothèse serait, bien entendu, à vérifier sur d’autres parties du texte.
Les six témoins G-K-Bs-V1 et P3-A2 ont en même temps une autre particularité en commun, qui souligne par contre la nature « ouverte » de la tradition à laquelle ils appartiennent, et à laquelle se rattache également le manuscrit Cotton Augustus V de la British Library, intitulé à son tour Trésor des histoires. Il s’agit du rapport qu’ils entretiennent avec le Manuel d’histoire de Philippe de Valois. En effet, chacun de ces manuscrits se caractérise dans les segments examinés par des emprunts au Manuel, même si c’est selon des programmes différents et dont aucun ne correspond au schéma des témoins de CBA avec ajouts représenté plus haut dans le tableau 6. Ni P3 ni A2 ne comporte ainsi les précisions sur Liber Pater telles qu’on les trouve dans l’ensemble G-K-Bs-V1. L’ajout à propos d’Orphée est présent dans A2 (à un autre endroit de la trame historique), mais non dans P3, et le dernier ajout retenu dans notre liste supra, à propos d’Hercule vaincu par une femme, figure dans P3, mais non dans A243. Le témoin londonien présente un cas à part, car s’il comporte la plupart des ajouts énumérés, le contexte dans lequel ces composantes s’insèrent est si différent qu’il se prête difficilement à une comparaison avec le texte de CBA vulgate44. En d’autres termes, notre étude confirme les résultats obtenus dans des contributions précédentes, suggérant qu’il s’agit ici d’une autre œuvre. En effet, dans les passages analysés, celle-ci se ne rapproche de CBA qu’à travers les insertions présentes dans les témoins tardifs de CBA avec ajouts et/ou modifications (G-K-Bs-V1 et P3-A2), mais absentes de CBA vulgate.
107En regardant de plus près les rapports qu’entretiennent les différents manuscrits en question avec le Manuel, on arrive à un constat intéressant. On peut l’illustrer par un autre ajout, celui à propos d’Hercule vaincu par une femme, dont le nom fait l’objet d’une variation significative dans nos manuscrits. L’ajout apparaît dans G-K-Bs-V1 (où il se situe dans un contexte identique) ainsi que dans P3 et dans la compilation du manuscrit Cotton Augustus V. Nous citons ci-dessous d’abord l’ajout en question d’après ces cinq témoins, et ensuite le passage source dans le Manuel d’après le manuscrit Paris, BnF, fr. 4940. Une sélection de variantes sera indiquée d’après le même ensemble de témoins du Manuel considérés supra. Nous y ajouterons ici, en outre, les variantes des manuscrits de Douai, BM, 802 et Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève 673, inclus parfois dans les listes de manuscrits de CBA, mais qui, selon la recherche plus récente, témoignent plutôt du Manuel45. C’est également le cas dans les segments abordés ici :
CBA « avec ajouts » (d’après G)46
[après la mort d’Hercule] Icellui Herculés est appellé victorieux pour ce que, selon Barro [sic], il surmonta toutes manieres de bestes. Toutesvoies une femme, qui Deiphile* [id. V1 Deiphele K Deifile Bs] eust a nom, le surmonta, car elle le fist filer et faire euvres de femmes.
Paris, BnF, fr. 17181 (P3)47
[avant la mort d’Hercule] Cestui Herculés appell’on victorien car, selon Baro, il sourmonta toute manieres de bettes, serpens horribles et grandz monstres. Et touteffois une femme nommee Olimpha* le sourmonta, car elle lui fist faire oeuvre de femme et filler.
London, BL, Cotton Aug. V48
[après la mort d’Hercule] Cellui Herculés est appellé victorieux pour ce que, selon Varro, il surmonta toutes manieres de bestes et tous les fors hommes de son temps. Toutesvoies une femme, qui Deiphile* avoit nom, le surmonta, car elle le fist filler et faire euvres de femmes.
108Manuel d’histoire de Philippe de Valois (d’après Paris, BnF, fr. 4940)49
[après la mort d’Hercule] Cestuy Herculés on appelle victorian pour ce que, selon Varro, il seurmonta toutes manieres de bestes, mais une femme, qui avoit nom Omphale*, le seurmonta, car elle le fist filer et faire euvres de femmes.
Varia lectio : Omphale] P4939Bs677 omiphale P1406 olimpha P673 olimphale P693P19477 olimphabe D deyfille V 688
En regardant les extraits des différents textes appelés Trésor des histoires, on constate d’abord qu’aucun d’entre eux ne donne le nom correct d’Omphale. Le manuscrit P3 présente une forme légèrement corrompue, Olimpha, alors que les témoins de CBA avec ajouts et la compilation du manuscrit de Londres donnent une forme très différente, du type Deiphile. Ces formes corrompues ne semblent cependant pas être des innovations qui ont surgi suite à un emprunt unique à un même exemplaire du Manuel. En abordant les variantes retenues dans notre sélection de témoins du Manuel, on constate que des variantes analogues sont présentes déjà parmi les manuscrits de cette compilation (voir Olimpha et Deyfille parmi la varia lectio)50. On a l’impression que les rédacteurs des différents Trésors des histoires ont eu recours à différents exemplaires du Manuel, en en extrayant des informations afin d’enrichir leurs propres compilations historiographiques. En d’autres termes, le même passage a pu être emprunté indépendamment à différents témoins du Manuel.
L’implication du Manuel dans les témoins désignés comme Trésor des histoires qui divergent de CBA vulgate se manifeste sur encore un autre plan, plus visible que ne le sont les ajouts abordés ci-dessus. Avant de clore cette étude, revenons vers l’incipit des manuscrits de notre corpus51. Le segment qui, dans les manuscrits ayant le texte vulgate de CBA, suit le prologue vulgate de CBA (prologue comportant la désignation Trésor de Sapience) est différent dans les témoins G-K-Bs-V1 et P3-A2. Citons les deux premières phrases de l’incipit selon les témoins de CBA vulgate, 109suivi de l’incipit commun aux témoins dans lesquels nous avons repéré les ajouts (et autres modifications) :
CBA vulgate / Trésor de sapience (Cambrai, BM, 683)52
Au commenchement dou tans, quant Diex ot creé ciel et terre et aourné de toute creature et il ot aussi comme l’ostel appareilliet de quanke il li convenoit, si fourma houme de terre a s’ymage aussi grant et aussi parfait comme s’il euust.xxx. ans. Si li mist non Adam et le mist em paradis terrestre.
CBA avec ajouts (et autres modifications) / Trésor des histoires (d’après G)53
Au commencement, si comme l’escripture tesmoingne, Dieu crea ciel et terre selon les docteurs et les saincts en une masse confuse, laquelle ilz appellerent matiere sans forme. Et toutes les choses qui adonc furent faictes et les quatre elemens estoient assemblez en une confusion si que on ne povoit discerner l’ung de l’autre.
L’incipit commun aux versions de CBA avec ajouts (et modifications) est en effet présent également dans le manuscrit London, BL, Cotton Augustus V :
London, BL, Cotton Aug. V (Trésor des histoires)54
Au commencement, sicomme l’escripture tesmoigne, Dieu crea ciel et terre selon les docteurs et les sains en une masse confuse, laquelle ilz appellerent matiere sans forme. Et toutes les choses corporelles qui adont furent faittes et les quatre elemens estoient assamblez en une confusion, si que on ne povoit discerner l’un de l’autre.
Cet incipit qui caractérise les manuscrits G-J-Bs-V1, P3, A2 et Cotton Aug. V est en effet en même temps l’incipit du Manuel d’histoire de Philippe de Valois55. L’exportation de cet incipit vers des témoins de CBA ou apparentés à cette dernière contribue à son tour à expliquer les difficultés de classification rencontrées par la critique à l’égard de cette chronique56. Il s’agit pourtant de l’une des composantes révélatrices qui 110nous permettra de distinguer le texte « vulgate » de CBA d’une partie de ses versions hybrides.
Si l’échantillon des données examinées ici est beaucoup trop mince pour pouvoir tirer des conclusions définitives à propos des rapports stemmatiques entre les différents témoins, nous avons pu voir comment les traditions respectives des Trésors et des Manuels s’entrecroisent dans un ensemble de Trésors des histoires et comment la nature de ces entrelacements a pu donner lieu à des difficultés à délimiter et à classifier les textes en question. Les Trésors des histoires sont peut-être issus à l’origine d’une même branche de la tradition de CBA, au plus tard à partir de 1415 (date indiquée dans les manuscrits G-K-Bs-V1). Ils témoignent en outre d’une pratique d’emprunts qui s’est perpétuée par la suite, impliquant probablement différents témoins du Manuel. L’hybridité des témoins atteint ainsi des degrés variables. Le titre Trésor des histoires désignant ces textes hybrides a ensuite été utilisé également pour d’autres compilations qui puisaient dans le Manuel (comme celle du manuscrit London, Cotton, Augustus V) ainsi que dans des témoins de la version vulgate de CBA. La présence des emprunts au Manuel, à commencer par son incipit, a confirmé la difficulté à classer les témoins en jeu de manière univoque.
Les aperçus faits à travers cette étude visent finalement un autre aspect intéressant : en suggérant que le Manuel a fourni des matériaux à plusieurs textes et à plusieurs reprises, on est amené à supposer que ce texte a dû avoir une importance particulière à l’époque, et que sa tradition textuelle mérite à son tour des études plus approfondies. Donc, il serait éventuellement judicieux d’ajouter son titre à notre liste : Trésor de sapience, Trésor des histoires, Manuel d’histoire – et de constater que la question de leur délimitation, tout comme la désignation médiévale des grandes compilations historiques – Fleur/Mer/Tresor des Histoires/de Sapience – reste un terrain d’enquête qu’il faut continuer à creuser.
Laura Endress
Universität Zürich
1 J’aimerais remercier Florent Noirfalise pour m’avoir fait parvenir un exemplaire numérique de sa thèse de doctorat et Anne Rochebouet pour avoir mis à ma disposition son étude sous presse sur la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes. Leurs travaux constituent une base importante pour la présente contribution.
2 Depuis les études de Johannes Heller, « Ueber die Herrn Balduin von Avesnes zugeschriebene Hennegauer Chronik und verwandte Quellen », Neues Archiv, 6 (1881), p. 129-151, la critique distingue deux rédactions de l’œuvre, la deuxième datant d’environ 1284 et comportant des ajouts généalogiques dans les parties sur l’histoire médiévale. Si des extraits de la chronique ont été édités à partir du xixe siècle, entre autres par Heller lui-même dans les Monumenta Germaniæ historica (« Chronicon Hanoniense quod dicitur Balduini Avennensis », MGH, Scriptores, Hannover, Hahn, t. 25, 1880, p. 414-467), la chronique reste inédite dans son ensemble. De même, les études abordant sa tradition manuscrite sont peu nombreuses. On citera à ce sujet notamment Alphonse Bayot, « La Première Partie de la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes », Revue des bibliothèques et archives de Belgique, 2 (1904), p. 419-432 ; Louis-Fernand Flutre, Li Fait des romains dans les littératures française et italienne du xiiie au xvie siècle, Paris, Librairie Hachette, 1932, ch. 4. « La Chronique de Baudouin d’Avesnes », p. 25-42 ; Marc-René Jung, La Légende de Troie en France au moyen âge. Analyse des versions françaises et bibliographie raisonnée des manuscrits, Basel et Tübingen, Francke, 1996, p. 431-435 ; Florent Noirfalise, Family Feuds and the (Re)writing of Universal History : The Chronique dite de Baudouin d’Avesnes (1278-1284), thèse de doctorat non publiée, University of Liverpool, 2009 ; Anne Rochebouet, ‘D’une pel toute entiere sans nulle cousture’. La cinquième mise en prose du Roman de Troie. Édition critique et commentaire, thèse de doctorat non publiée, Paris, Université Paris-Sorbonne, 2009, p. 207-216 ; et dernièrement, « Le récit de la chute de Troie dans la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes », Mélanges Roussineau, éd. Hélène Biu, Sandrine Hériché-Pradeau et Géraldine Veysseyre, à paraître chez Classiques Garnier.
3 La liste de 43 témoins d’après Jung, La légende de Troie, op. cit., p. 432-435, a été actualisée par Noirfalise, op. cit., p. 43-50, qui recense 57 témoins (dont 12 donnent un texte « hybride »), ainsi que par Rochebouet dans sa thèse de 2009, op. cit., de même que dans son article sous presse, op. cit., qui donne 50 manuscrits (en excluant certains des témoins hybrides inclus par Noirfalise). Les recherches citées prennent aussi en compte les fiches élaborées par Gillette Tyl-Labory à la section de langue romane de l’IRHT. Citons finalement la page, rédigée également par Noirfalise, « La Chronique dite de Baudouin d’Avesnes », Arlima, en ligne : https://www.arlima.net/ad/chronique_dite_de_baudouin_davesnes.html (consulté le 14/04/2021), dernière actualisation le 12-09-2017, qui fournit une liste de 58 témoins sur la base des différentes études.
4 Elle s’apparente au titre présent dans une compilation appelée Cronikes estraittes et abregies des livres de Bauduin d’Avesnes (d’après le manuscrit de Bruxelles, KBR, 10233-10236) et qui est, pour l’essentiel, une version abrégée et remaniée de la chronique qui nous intéresse (voir à son propos, Noirfalise, Family Feuds and the (Re)writing of Universal History, op. cit., p. 148). Les témoins de cet abrégé ne nous intéresseront pas dans la suite de cet article.
5 Jung, La Légende de Troie en France au Moyen Âge, op. cit., p. 431.
6 Ibid. (nous précisons légèrement l’argumentation de Jung). Les listes de manuscrits données par Anne Rochebouet dans sa thèse, op. cit., et son étude sous presse, « Le récit de la chute de Troie dans la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes » sont éclairantes à cet égard, comme elles donnent systématiquement les « titres » en question, en indiquant leur place dans les différents témoins, dans le prologue et/ou les rubriques.
7 Cambrai, BM, 683, f. 1roab. Dans le présent article, nous avons opté pour une transcription interprétative des extraits cités : nous faisons la distinction entre u/v et i/j, nous introduisons des majuscules et une ponctuation selon l’usage moderne et nous résolvons les abréviations.
8 Tresor de Sapience figure également en tête de la table des rubriques dans au moins deux manuscrits tardifs de CBA : dans les manuscrits de Chantilly, Bibliothèque du château, 729 et Paris, BnF, fr. 1367, on lit à cet endroit Le repertoire et la table des chapitres du livre appellé le Tresor de sapience (d’après fr. 1367, n.f. en tête du volume).
9 Noirfalise, Family Feuds and the (Re)writing of Universal History, op. cit., p. 18.
10 Le manuscrit de Den Haag, KB, 71 A 14, par exemple, présente une rubrique initiale Cy commence le proheme de ce premier volume du tresor des histoires, qui est suivie immédiatement du prologue comportant la désignation Tresor de Sapience : Qui le tresor de sapience veult mettre en l’aumaire de sa memoire […] (f. 1ro).
11 Family Feuds and the (Re)writing of Universal History, op. cit., p. 50-51.
12 « Some Geographical and Topographical Miniatures in a Fragmentary Trésor des Histoires », Scriptorium, 23 (1969), p. 177.
13 « Le récit de la chute de Troie dans la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes », art. cité. Voir aussi ‘D’une pel toute entiere sans nulle cousture’, op. cit., p. 215.
14 « Le récit de la chute de Troie dans la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes », art. cité.
15 Laurent Brun, « Le tresor des histoires », Arlima, actualisé le 12-08-2014, en ligne : https://www.arlima.net/qt/tresor_des_histoires.html (consulté le 03/05/2020).
16 Parmi les quelque cinquante témoins retenus respectivement par Rochebouet et Noirfalise, une vingtaine peut être écartée de cette façon, du fait qu’ils ne comportent pas les parties du texte qui nous intéressent ici.
17 Outre les fragments du manuscrit parisien naf. 14285, faisant partie des versions hybrides évoquées plus haut, cela concerne un double feuillet conservé à Cambridge, University Library, Add. 2709 (1).
18 Il s’agit d’un côté de Paris, BnF, fr. 15458, dont les sections empruntées à l’Histoire ancienne jusqu’à César ont déjà été remarquées par Jung, La légende de Troie en France, op. cit., p. 435. De l’autre c’est le manuscrit de Wien, Österreichische Nationalbibliothek, 3370*. Le caractère hybride de ce dernier n’a, sauf erreur de notre part, pas encore été relevé par la littérature critique. Nous ne l’avons pas analysé de près, mais avons constaté des emprunts importants à l’Histoire ancienne dans les segments sur Thèbes (f. 43ro-62vo), sur les Scythes, les Amazones, Hercule et Thésée (f. 63ro-67vo) et sur la première destruction de Troie (f. 68ro-69vo), observations qui seront à approfondir dans des études ultérieures.
19 Ce sont des textes qui, chez Anne Rochebouet, appartiennent aux « Autres manuscrits », exclus de sa liste de témoins de CBA, alors qu’ils figurent parmi les « hybrid versions » de Florent Noirfalise. Nous avons décidé de les inclure ici justement pour examiner plus loin leur propre statut à côté de celui des autres témoins « hybrides », mais toujours classés en tant que témoins de CBA chez Rochebouet. Les observations que nous ferons dans cette contribution aideront aussi à comprendre pourquoi ces témoins occupent une place fluctuante dans les classifications.
20 Nous avons consulté les manuscrits concernés soit in situ soit à travers des reproductions (numériques ou sur microfilm), en vérifiant ensuite les indications à propos des prologues à l’aide des travaux d’Anne Rochebouet. Nous renvoyons à l’article sous presse de Rochebouet, « Le récit de la chute de Troie dans la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes » pour des indications plus précises à propos de ces données dans les parties liminaires des manuscrits.
21 Il est absent dans trois témoins du tableau 1. Deux d’entre eux (celui de la Yale University Library à New Haven et celui de la Bibliothèque Vaticane) omettent simplement le prologue alors que la suite du texte correspond bien à l’incipit de la version « vulgate » de CBA. Un autre (Paris, Arsenal 5077) a perdu le feuillet sur lequel devait se trouver l’incipit du texte.
22 Les trois derniers éléments dans cette liste – Thèbes, les Amazones, et Troie – s’inspirent des sections thématiquement correspondantes de l’Histoire ancienne jusqu’à César, comme l’a observé Jung, La légende de Troie, op. cit., p. 431. Pour une bonne présentation d’ensemble de l’utilisation des différentes sections de l’Histoire ancienne dans la CBA, voir l’étude de Noirfalise, « Context-Based Compilation ? The Use of the Histoire ancienne jusqu’à César and the Function of the matière d’Alexandre in the Chronique de Baudouin d’Avesnes », Medieval Francophone Literary Culture Outside France : studies in the moving word, éd. Nicola Morato et Dirk Schoenaers, Turnhout, Brepols, 2018, p. 289-319, voir p. 296-298 à propos des sections Thèbes, Amazones et Troie.
23 Le manuscrit de Bruxelles, KBR, 10201 fait exception, témoignant d’une version manifestement abrégée du texte. D’après nos sondages provisoires, le segment thébain en est entièrement absent, et celui sur Troie a été réduit en une suite de généalogies des Troyens et de leurs descendants qui ne dépasse pas un feuillet.
24 Nous n’avons pas inclus ici le manuscrit London, BL, Cotton Aug. V, autre soi-disant Trésor des histoires, puisqu’il témoigne vraisemblablement d’une compilation. Nous reviendrons plus loin sur le statut de ce témoin.
25 On voit se confirmer ainsi l’observation de Florent Noirfalise, citée supra, p. 87.
26 Cambrai, BM, 683, f. 21roa.
27 Gent, Universiteitsbibliotheek, 415, f. 49vo-50ro.
28 Voir les observations à la p. 88 supra.
29 Manuel d’histoire de Philippe VI de Valois est à son tour un titre conventionnel, proposé par Camille Couderc, supposant que le roi Philippe VI de Valois était le dédicataire de l’œuvre ; cf. Couderc, « Le Manuel d’histoire de Philippe VI de Valois », Études d’histoire du Moyen Âge dédiées à Gabriel Monod, Paris, Cerf et Alcan, 1896, p. 415-444 (p. 438-443 pour une liste de 26 témoins). Pour une liste actualisée de manuscrits, voir la page Arlima dédiée à l’œuvre, « Les chroniques abregees », en ligne : https://www.arlima.net/ad/chroniques_abregees.html (consulté le 05/05/2020). La diffusion de l’œuvre est abordée par Marie-Madeleine Huchet, « La diffusion de deux traités de Jean Quidort de Paris en ancien français : du Manuel d’histoire de Philippe de Valois au roman de Renart le Contrefait », Romania, 132 (2014), p. 412-427, surtout p. 416-417. Voir aussi l’article de Jean-Marie Fritz dans le présent volume.
30 Nous n’avons pas fait une étude approfondie de la tradition textuelle et avons sélectionné un ensemble de témoins sur la base de leur accessibilité, en veillant à choisir des représentants des deux « rédactions » principales du texte identifiés par Couderc, « Le Manuel d’histoire de Philippe VI de Valois », art. cité, et à choisir des manuscrits des xive et xve siècles. Voici les témoins, avec les sigles que nous leur attribuerons ici : Besançon, BM, 677 (= B677, xive siècle) ; Paris, BnF, fr. 4939 (= P4939, xve siècle, 1re rédaction) ; Paris, BnF, fr. 19477 (= P19477, xive siècle, 2e rédaction) ; Paris, BnF, fr. 693 (= P693), fr. 1406 (P1406), et Vatican, BAV, Reg. lat. 688 (= V688). Les variantes sont notées entre crochets et intercalées directement dans les segments individuels.
31 Gent, Universiteitsbibliotheek, 415, f. 50ro.
32 Paris, BnF, fr. 4940, f. 5vo.
33 Gent, Universiteitsbibliotheek, 415, f. 53vo-54ro.
34 Paris, BnF, fr. 4940, f. 7vo (Cerbère), f. 8ro (Orphée).
35 Parmi les témoins du Manuel pris en compte, le manuscrit Vatican, BAV, Reg. Lat. 688 présente, par exemple, certaines variantes identiques à celles des quatre témoins G, K, Bs et V1. On y trouve la même variante corrompue Etriolus pour le nom de Troïlus et la précision que Cerbere aussi eust devoré Theseus, qui est entièrement ou en partie absente dans certains témoins du Manuel.
36 Gent, Universiteitsbibliotheek, 415, f. 72ro.
37 Notons à ce sujet que les analyses de Florent Noirfalise l’ont amené à placer seul Bs (et non G, K et V1) dans sa liste de témoins hybrides (Noirfalise, Family Feuds and the (Re)writing of Universal History, op. cit., p. 49-50).
38 Cambrai, BM, 683, f. 21roa.
39 G, f. 49vo ; J, f. 33vo ; Bs, f. 26roa ; V1, f. 29roa ; A2, f. 62ro ; P3, f. 36vo.
40 Le témoin abrégé de Bruxelles, KBR, 10201 fait exception, présentant une structure qui ressemble en effet à celle des témoins avec ajouts et modifications qui sera présentée infra. Il faut noter cependant que le texte a été réaménagé afin de résumer en un seul segment (aux f. 11roa-vob) la généalogie des Troyens et de leurs descendants, se passant entièrement de la narration des deux destructions de la ville. Cf. déjà la note 23 à propos de ce manuscrit.
41 Cambrai, BM, 683, f. 24voa.
42 G, f. 60ro ; K, f. 41ro ; Bs, f. 31vo ; V1, f. 35ro ; A2, f. 49vo ; P3, f. 23ro.
43 L’ajout à propos d’Orphée se situe au f. 47vo dans A2 ; celui à propos d’Hercule vaincu au f. 23vo de P3.
44 Dans le manuscrit de Londres, l’ajout à propos d’Orphée se retrouve au f. 30rob avant la narration thébaine, dans un chapitre qui traite d’Isaac, de Jacob et d’Ésaü. Les éléments à propos de l’invention du char, de Cerbère et de Liber Pater se suivent (dans cet ordre) au f. 32rob-voa dans un chapitre parlant d’événements survenus à l’époque de Moïse, également avant le segment thébain.
45 Cf. note 30 supra pour les manuscrits en question. Nous emploierons les sigles supplémentaires P673 pour les manuscrits de la Bibliothèque Sainte-Geneviève et D pour celui de Douai. Rappelons qu’il s’agit de deux témoins retenus dans notre tableau 2, qui ne portent ni le prologue parlant du Trésor de sapience ni l’appellation Trésor des histoires, et que leur statut en tant que témoins de CBA a déjà été remis en cause par plusieurs chercheurs précédents, qui y voyaient des témoins du Manuel. Les échantillons étudiés ici semblent confirmer cette dernière hypothèse.
46 Gent, Universiteitsbibliotheek, 415, f. 61vo.
47 Paris, BnF, fr. 17181, f. 23vo.
48 London, BL, Cotton Aug. V, f. 39vaob.
49 Paris, BnF, fr. 4940, f. 8vo.
50 On note par ailleurs que la leçon du manuscrit Reg. Lat. 688 (Deyfille) se rapproche à nouveau de celle de l’ensemble G-K-Bs-V1 (Deiphile, Deiphele, Deifile), ce que nous avons déjà constaté supra à l’égard des autres passages communs au Manuel et à CBA avec ajouts (cf. surtout notre note 35).
51 Notre argumentation à propos des incipit rejoint les observations faites par Anne Rochebouet dans sa thèse, ‘D’une pel toute entiere sans nulle cousture’, op. cit., et son article à paraître, « Le récit de la chute de Troie dans la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes », art. cité.
52 Cambrai, BM, 683, f. 1ro.
53 Gent, Universiteitsbibliotheek, 415, f. 1vo.
54 London, BL, Cotton Aug. V, f. 18ro.
55 Anne Rochebouet fait ce constat à propos du manuscrit de Londres, BL, Cotton Aug. V et des deux témoins de Douai, BM, 802 et de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, 673 (cf. « Le récit de la chute de Troie dans la Chronique dite de Baudouin d’Avesnes », art. cité, à paraître).
56 Pour voir les effets ultérieurs de cette juxtaposition d’incipit, il suffit de consulter la page consacrée à CBA sur le site du projet Jonas (Répertoire des textes et des manuscrits médiévaux d’oc et d’oïl) et de constater que l’incipit attribué à la « Chronique de Baudouin d’Avesnes » est en effet l’incipit du Manuel qui a été récupéré dans le manuscrit V1, parmi nos témoins de CBA avec ajouts (Institut de recherche et d’histoire des textes – CNRS, 1998-2013, en ligne : http://jonas.irht.cnrs.fr/consulter/oeuvre/detail_oeuvre.php?oeuvre=5294 (consulté le 05/05/2020).
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11909-8
- EAN : 9782406119098
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11909-8.p.0085
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/12/2021
- Langue : Français
- Mots-clés : Tradition manuscrite, sources, compilation, variation textuelle, manuscrits