[Introduction à la quatrième partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: Les Camps nazis. Réflexions sur la réception littéraire française
- Pages: 393 to 393
- Collection: Classiques Jaunes (The 'Yellow' Collection), n° 773
- Series: Essais, n° 40
La manière de catégoriser l’expérience des camps détermine un rapport contraignant à l’acte de représentation et aux actes de discours. Il existe des présupposés et des implicites qui orientent ces différents actes : l’énonciateur du discours ou l’auteur de la représentation se positionne nécessairement par rapport à cette configuration intellectuelle et herméneutique préalable (que cette configuration renvoie aux questions de l’inimaginable, de l’indicible ou, dans le cas du débat mémoriel, de l’unicité de l’événement), et c’est précisément quand il devient impossible de faire jouer une distance par rapport à ces différents préalables que se révèle un ordre du discours qui tend à instaurer une vérité éthique, esthétique et discursive unique, synonyme et expression même de la vérité de l’événement.
Pour reprendre la réflexion de Michel Foucault dans L’Ordre du discours1, le discours est un lieu de pouvoir où peut s’exprimer la volonté d’un contrôle des possibles discursifs : il s’agit de juger de leur pertinence par rapport à la supposée vérité de l’événement, de définir ce qu’il est possible d’en dire et de spécifier ce qu’il est possible de représenter. Dans cette perspective, le principe d’autorité proviendrait de l’événement lui-même. Dès lors, l’ordre du discours se caractérise comme un principe d’exclusion, puisqu’il s’organise autour d’un ensemble de normes à partir desquelles sont jugées toutes les approches et tentatives de représentation. Ainsi cet ordre viserait-il à limiter la possibilité de discours déviants pour stabiliser la valeur et la qualité accordées à l’événement. Or, si cet ordre est nécessaire afin, par exemple, de contrevenir aux discours négationnistes et révisionnistes, il peut aussi réduire l’espace de discussion attenant à l’événement et refermer la brèche herméneutique qu’il a ouverte.
La notion d’ordre du discours ne renvoie pas ici à l’idée d’un discours unique et surplombant, mais se définit plutôt comme un principe d’organisation, de structuration et de circulation même. La convergence vers des nœuds thématiques et théoriques clairement identifiables permet d’affirmer l’existence et la prégnance de cet ordre transcendant la diversité des foyers d’énonciation et ne se rendant visible qu’à travers l’analyse d’un corpus varié.
1 M. Foucault, L’Ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971.