[Introduction à la première partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Les Camps nazis. Réflexions sur la réception littéraire française
- Pages : 25 à 26
- Collection : Littérature, histoire, politique, n° 2
L’événement tel que je le conçois se définit comme l’articulation entre une réalité vécue par un sujet (individuel et collectif) et un univers de réception auquel il n’advient qu’à travers une construction médiatique et symbolique. C’est dire qu’il n’y a pas d’événement sans témoins pour qui il vient à se manifester, au même titre qu’il n’y en a pas pour une collectivité sans supports matériels de communication aptes à le manifester. Si ces supports donnent forme à l’événement, ils sont aussi une manière de le catégoriser et de l’inscrire dans des cadres sémantiques particuliers : le commentaire et la quête du sens sont indissociables des conditions techniques et factuelles de saisie et de représentation.
Le temps de l’ouverture des camps implique une confrontation avec l’énormité d’un événement qui excède de toutes parts les repères traditionnels du réel et du rationnel, et qui va vite toucher un large public à travers des modes de publicité spécifiques, qui valident sa réalité hyperbolique jusqu’ici en attente d’un réel processus d’attestation. Ainsi c’est à l’image photographique (et plus globalement à l’image analogique) que reviendra la tâche de faire partager au plus grand nombre et avec la plus grande efficacité possible les informations relatives à l’ouverture des camps.
S’il est juste de considérer avec Pierre Nora que tout événement est pour une grande part le produit d’une intention et d’une politique médiatiques (dans le cas présent d’une politique volontariste de diffusion des images des camps), il est tout aussi juste de considérer que l’événement est également toujours adressé à un ou des sujets qui le vivent ou le constatent, qui en sont les acteurs ou les victimes. L’événement doit être envisagé comme une réalité bicéphale dont il faut étudier conjointement les deux aspects. C’est pourquoi je voudrais au cours de cette première partie prendre pour objet le trajet qui fait de l’événement une réalité vécue avant d’être une réalité communiquée, montrée et témoignée. Dans la perspective d’une généalogie mémorielle, il apparaît indispensable de revenir en détails sur le temps de la communication et de la découverte, où sont nés les premiers éléments de représentation et de compréhension des camps et du génocide. Ce moment séminal de la connaissance implique également une articulation voire une concurrence 26entre différents types de média et différents régimes discursifs susceptibles de le prendre en charge pour lui donner forme et sens. Il s’agit en ce sens de mettre en relief les principes de hiérarchisation et de catégorisation à l’œuvre dans la communication de l’événement pour arriver à déterminer les fondements d’une mémoire des camps et du génocide nécessairement partielle, appelée à être discutée, complétée et remodelée au gré de l’évolution des contextes mémoriels et historiques.