Traités d’artillerie et écoles d’artilleurs
- Auteur lauréat du Prix Turriano 2017 de l’International Committee for the History of Technology et du Prix d’histoire militaire 2017 du ministère des Armées
- Publication type: Book chapter
- Book: Les Artilleurs et la Monarchie hispanique (1560-1610). Guerre, savoirs techniques, État
- Pages: 507 to 577
- Collection: History of Technology, n° 21
Traités d’artillerie
et écoles d’artilleurs
El principal intento de la escuela no ha de ser el tirar y gastar pólvora, que esso como cosa que poco le cuesta, cada uno lo haze de buena gana. Pero está la importancia toda en que al gusto y golosina del tirar se aprenda la theórica que es saber tratar, hazer y manejar las cosas del artillería y instrumentos anexos a ella, las cuales son infinitas, como en mi libro se hallan especificadas1.
Luis Collado, ingénieur du roi en Lombardie et auteur du Plática Manual de artillería (1592).
Introduction
C’est ainsi que Luis Collado, auteur de l’un des plus célèbres traités d’artillerie de l’époque, expliquait le but principal d’une école d’artilleurs. Ses mots distinguaient parfaitement les deux composantes de l’enseignement dispensé dans ces institutions à la fin du xvie siècle : les exercices pratiques de tir d’une part, l’apprentissage de la « théorie » d’autre part. Selon Collado, le bon maître était celui qui parvenait à user du « goût sucré » des exercices de tir pour masquer « l’amertume de l’étude2 ». Non seulement Collado 508marquait-il la préséance de la théorie sur la pratique, mais il prétendait que son livre couvrait le champ théorique de la formation des artilleurs, dressant par là une relation directe entre l’imprimé, les connaissances de mathématiques appliquées qu’il exposait et les programmes d’enseignement des écoles d’artilleurs.
S’agissait-il d’une prétention exagérée visant à promouvoir l’utilité de ses écrits ? Rien n’est moins certain. Comme la seconde partie de ce livre l’a mis en évidence, l’enseignement de l’artillerie dans les écoles incluait très souvent une dimension théorique qui, dans le cas de Séville notamment, fut séparée spatialement des exercices de tir et fit même temporairement intervenir un enseignant distinct, le mathématicien Julián Ferrofino. De plus, la pratique extrêmement répandue de l’examen d’artilleur donnait bien, dans les faits, la préséance à la théorie puisque lors de cette épreuve, les aspirants artilleurs étaient jugés non pas sur leur habileté au tir mais sur leur capacité à répondre oralement à des questions posées par d’autres individus de la profession. Les systèmes d’enseignement et d’examen qui étaient alors en cours de construction et d’institutionnalisation s’appuyaient sur des savoirs qu’il devenait urgent de formaliser. Tous ces éléments indiquent qu’il est légitime de questionner plus en profondeur la prétention de Luis Collado à rédiger un traité pour la formation des artilleurs dans les écoles.
S’interroger sur le lien entre les traités d’artillerie et les écoles d’artilleurs, c’est poser la question des savoirs possédés par des individus de milieux sociaux relativement modestes. Les savoirs présentés dans les traités d’artillerie de l’époque reposaient principalement sur l’application de la géométrie et de l’arithmétique au maniement du canon. Ils mettaient en jeu des instruments de mesure, des tables de calcul et des théories issues de la philosophie naturelle aristotélicienne. L’introduction du chapitre précédent a insisté sur le fait que l’historiographie des sciences a généralement associé ces savoirs à une culture érudite, savante, humaniste voire courtisane et aristocratique. Toutefois, le troisième chapitre a montré que la plupart des artilleurs au service de la Monarchie hispanique étaient des artisans, des soldats ou des marins, c’est-à-dire des hommes occupant une position plutôt humble dans la société de la Renaissance. Dans quelle mesure ces hommes étaient-ils préparés intellectuellement à 509assimiler les savoirs décrits dans les traités ? Étaient-ils tous capables de lire ces textes ? Existaient-ils d’autres modes d’appropriation de ces savoirs formalisés ? L’analyse suivante poursuit en quelque sorte le projet de Roger Chartier d’une étude des lecteurs « populaires » en se concentrant sur un groupe professionnel précis, les artilleurs3. D’une certaine manière, l’enquête que ce chapitre s’apprête à livrer pose une question similaire à celle de Carlo Ginzburg quant à la participation des milieux sociaux les plus modestes à la propagation de grands courants d’idées de la Renaissance4. De même que les procès détaillés de Menocchio par l’Inquisition ont permis à Ginzburg d’observer les mécanismes de propagation des idées réformées dans les campagnes, l’institutionnalisation des pratiques d’enseignement et d’examen des artilleurs, grâce à l’abondante documentation qu’elle généra, permet de questionner la diffusion d’une culture mathématique renaissante parmi les marins, soldats, maçons et charpentiers désireux de devenir artilleurs5.
Poser la question du lien entre apprentissage technique, livres imprimés et culture mathématique, c’est aussi contribuer à abattre cette cloison artificielle que l’historiographie des sciences a bâtie entre monde savant et monde artisan. Depuis quelques années, les historiens des sciences multiplient les injonctions à réévaluer positivement l’influence des artisans dans les transformations des pratiques scientifiques de l’époque moderne6. Néanmoins, en dépit de ce programme, un certain scepticisme persiste, même chez ces historiens, quant à l’existence d’une culture textuelle et mathématique au sein des milieux artisans. Or, ce doute est alimenté en partie par la délicate question du lectorat 510des traités techniques. Ainsi, l’implication des artisans dans l’étude de la nature est un engagement souvent plus corporel que textuel chez Pamela Smith7. Pour Pamela Long, les techniciens et artisans de la Renaissance furent souvent impliqués dans la production des imprimés, mais les destinataires de ces textes sont clairement assimilés à l’élite socioculturelle de l’époque8. De même, dans sa classification des différents régimes de pensées opératoires du fait technique, Anne-Françoise Garçon associe étroitement au travail artisanal le « régime de la pratique », informel et oral, opposé au « régime de la technique », écrit et formalisé, apanage de l’ingénieur9. Pour sa part, Hélène Vérin considère que le processus de « réduction en art » fut réalisé par une élite liée à l’exercice du pouvoir, en confrontation avec le monde des métiers10. Les mêmes doutes s’appliquent précisément au lectorat des traités d’artillerie souvent dépeint comme un univers social fait d’aristocrates et de hauts officiers militaires11. L’usage des instruments décrits par ces traités est lui-même coupé de toute vocation applicative avant d’être réduit à un rôle rhétorique, celui d’élever le statut social de l’officier militaire et du gentilhomme en le rapprochant du mathématicien12.
Ce scepticisme est par ailleurs construit sur la conviction que l’apprentissage technique était avant tout oral et gestuel. Selon Epstein, les savoirs techniques étaient, à l’époque moderne, systématiquement transférés « en chair et en os », d’une personne à une autre, « de la tête et des mains du maître » vers celles de l’apprenti13. L’épreuve pour devenir 511maître, la réalisation d’un chef-d’œuvre, renforçait cette prépondérance du savoir informel puisqu’elle était de nature strictement manuelle14. Les pratiques au sein de ce système d’apprentissage rendaient donc l’auteur de traités techniques totalement superflu15. Pourtant, certains historiens des techniques remarquent des sortes d’anomalies : ainsi, s’appuyant sur les recherches de Lon Shelby16, Marteen Prak souligne les connaissances en géométrie des maçons du Moyen Âge, mais il les fait néanmoins entrer dans la catégorie du « pratique » par opposition à un « théorique » indéfini qui évite de bousculer l’ordre historiographique préétabli – artisan/pratique contre géomètre/théorique17.
Ce dernier chapitre se veut être une invitation à reconsidérer le rôle des traités en lien avec le développement de certaines composantes théoriques des systèmes d’apprentissage techniques de l’époque moderne. L’étude détaillée de la formation des artilleurs, et en particulier de l’école de Séville, a permis de mettre en évidence ces composantes théoriques dans le cas de l’artillerie. Or, la pratique de l’examen sous forme de questions, épreuve non manuelle et forçant à produire un discours sur une activité, existait au sein d’autres professions de la Renaissance, ce qui signifie que les questionnements au cœur du développement suivant mériteraient d’être étendus à d’autres activités professionnelles et d’autres espaces de l’époque moderne18. Ce chapitre entend principalement démontrer la pertinence de l’étude du triptyque livre-enseignement-artilleur à la fin du xvie siècle. Cette relation sera abordée sous de multiples angles d’analyse. D’abord, l’étude du projet de publication d’un traité par un maître artilleur de Sicile montrera que les contemporains considéraient les écoles comme un marché potentiel de l’imprimé tout à fait stratégique pour la Monarchie. Consciente de cette réalité, la littérature technique, souvent rédigée par des agents du roi déjà impliqués dans l’enseignement, revendiqua son insertion dans les systèmes émergents de formation des artilleurs. Dans un second temps, il s’agira d’analyser 512le contenu de certains programmes d’enseignement des écoles et de les comparer aux traités publiés à l’époque afin de mettre en évidence leurs nombreuses similitudes. Enfin, la dernière partie de ce chapitre portera sur l’étude des livres comme objets matériels, analysant les annotations manuscrites de dizaines d’exemplaires de traités à la recherche d’indices de lecture laissés par des artilleurs.
Les écoles d’artilleurs,
un marché pour l’imprimé
En 1589, Alonso de Salamanca, maître artilleur à l’école de Trapani en Sicile, soumit aux membres du conseil de guerre un projet de publication d’un livre imprimé à destination des écoles d’artilleurs de tout l’empire. L’approfondissement de ce cas d’étude démontrera que les écoles d’artilleurs étaient considérées par le commandement militaire espagnol comme un marché stratégique pour les livres imprimés. Ce cas permet également de saisir quelques-uns des mécanismes conduisant à la publication d’un traité d’artillerie. Par ailleurs, un passage en revue des rhétoriques utilisées par les auteurs de l’époque montrera les nombreuses revendications des traités à former les artilleurs et à servir de socles et d’exemples à la pratique de l’examen. L’abondante production de traités d’artillerie s’inséra en ce sens dans la dynamique d’institutionnalisation de l’enseignement de l’artillerie, tâchant de construire la norme de ce système socioprofessionnel et s’attribuant de la sorte un double public, celui des artilleurs et celui de leurs commandants.
La production d’un traité d’artillerie :
le cas d’Alonso de Salamanca
L’étude du cas d’Alonso de Salamanca est sans aucun doute le meilleur moyen de mettre en évidence le marché que représentaient les écoles d’artilleurs pour les traités d’artillerie imprimés et, réciproquement, le besoin qu’avaient ces écoles d’un effort de formalisation des savoirs. La proposition que ce maître artilleur fit devant le conseil de guerre, en 1589, de faire imprimer un traité d’artillerie, lança une série de discussions 513permettant à l’historien de cerner bon nombre d’enjeux politiques, militaires et sociaux autour de la publication des traités d’artillerie. Cependant, une brève présentation du personnage est nécessaire avant d’entrer plus en détail dans le contenu de ces discussions.
La vie tumultueuse de cet individu est révélatrice du type d’expériences que pouvaient alors avoir vécues certains auteurs vétérans. Né en Castille vers 1523, Alonso de Salamanca entra au service de la Monarchie hispanique en tant qu’artilleur à l’âge d’environ 25 ans19. Au début des années 1570, il était installé avec sa famille dans la forteresse de la Goulette, près de Tunis, où il cumulait les postes d’artilleurs de la garnison et de majordome de l’hôpital, pour un salaire de 18 ducats par mois, chiffre très élevé pour la profession et qui manifestait le statut exceptionnel de cet artilleur20. En juillet 1574, cette place forte fut assiégée par une gigantesque armée ottomane. Pour rappel, c’est précisément ce moment de crise qui poussa le duc de Terranova à créer la première école d’artilleurs en Sicile21. En tant qu’artilleur de La Goulette, Alonso de Salamanca participa activement à la défense du site pendant plus de 40 jours. Il fut l’un des rares survivants de l’hécatombe des artilleurs décrite dans les rapports envoyés à Terranova. Lorsque La Goulette fut prise le 25 août 1574, Salamanca fut capturé et emmené avec deux de ses filles à Constantinople22.
Ses mésaventures sont en partie connues grâce à un manuscrit qu’il rédigea lors de sa captivité23. Il s’agit d’un récit dans lequel Alonso de Salamanca raconte les grands faits dont il fut témoin, depuis le siège de la Goulette jusqu’à la mort du sultan Sélim II, survenue peu de temps après son arrivée à Constantinople. Rédigé en vers dans un castillan littéraire très correct, ce document démontre que certains artilleurs 514possédaient de toute évidence une grande affinité avec la culture de l’écrit et la littérature. Par ailleurs, le ton désespéré de l’auteur laisse entendre qu’il écrivit ce poème épique lors de sa captivité, peut-être même clandestinement puisqu’il choisit de cacher son nom, le codant dans les initiales d’une certaine strophe. Le dernier chant, qui révélait le secret de l’identité de l’auteur, rompait avec le reste de l’œuvre puisque, rédigé plus tard, il racontait son évasion tout à fait romanesque. Après son séjour à Constantinople, Salamanca était finalement devenu esclave rameur dans l’escadron des galères d’Alexandrie. À l’automne 1576, tandis que les galères hivernaient au port d’Alexandrie, Salamanca et quelques autres esclaves chrétiens résolurent de mettre au point un plan d’évasion. Après quelques préparatifs réalisés avec l’aide de complices extérieurs, ils convainquirent près de 300 esclaves de les suivre dans leur entreprise. Par une nuit de décembre 1576, ils se dirigèrent vers le port, se frayèrent un chemin à travers les gardes turcs au prix des vies de quelques dizaines des leurs, puis ils parvinrent à s’embarquer dans la galère amirale de la flotte, s’enfuyant rapidement d’Alexandrie. Au début du mois de janvier 1577, ils abordèrent le port de Gallipoli, au sud de l’Italie. L’exploit fut alors salué dans le royaume de Naples et la galère dérobée aux Ottomans fut intégrée à l’escadron napolitain24. Sans doute à la suite de ce retour triomphal et en récompense de ses services au siège de la Goulette, Alonso de Salamanca obtint quelques temps plus tard la direction de l’école d’artilleurs nouvellement créé à Trapani, avec une capacité de 70 individus25.
À la fin de l’année 1588, à l’âge de 65 ans, Alonso de Salamanca entreprit un long voyage depuis la Sicile pour se rendre auprès des têtes de l’administration militaire à Madrid. Deux affaires importantes motivèrent son déplacement. D’abord, comme il avait contracté des dettes pour payer la rançon de ses deux filles captives à Constantinople, il souhaitait récupérer l’arriéré de ses paies (atteignant la rondelette somme de 980 escudos) de l’époque où il servait à la Goulette26. En outre, à l’occasion de cette requête qu’il soumit au conseil de guerre en 515février 1589, il présenta un manuscrit qu’il avait composé, à partir de ses quarante années d’expérience de l’artillerie, afin de former – le verbe employé est abilitar, caractéristique de l’enseignement – les artilleurs27. Le moment était parfaitement choisi. En effet, au lendemain du désastre de l’Invincible Armada, les préoccupations du haut commandement militaire quant à la formation des artilleurs étaient à leur apogée28. La démarche de Salamanca coïncida précisément avec l’époque où l’expression escuela de artilleros devint soudain d’un usage courant dans les documents du conseil de guerre.
Or, les sources identifiaient clairement les écoles d’artilleurs comme le marché principal d’une version imprimée de ce manuscrit. Ce débouché avait sans doute été initialement suggéré aux membres du conseil de guerre par Alonso de Salamanca lui-même, dans la mesure où son activité principale d’enseignant à l’école d’artilleurs de Trapani le plaçait dans une position idéale pour savoir ce que nécessitaient les apprentis29. Le maître artilleur expliquait ainsi qu’il avait composé cet ouvrage pour que quiconque pût apprendre l’office d’artilleur aussi bien qu’il le connaissait lui-même30. C’est exactement cette idée qui séduisit le conseil de guerre dès la première présentation du manuscrit : « en ce qui concerne le livre, […] le conseil comprend qu’il sera utile pour les écoles d’artilleurs qu’il y a dans nos royaumes31 ». Les diverses notes de plusieurs consultes du conseil de guerre répètent que ce livre devait constituer une aide précieuse à la formation des artilleurs : « une fois ce livre imprimé, on pourra bien mieux enseigner aux artilleurs à se servir de l’artillerie32 » ; « avec seulement son livre, il sera possible dorénavant d’enseigner aux artilleurs espagnols33 ».
En outre, l’un des principaux intérêts de ce manuel résidait dans sa langue d’écriture, le castillan, grande rareté à une époque (1589) où la quasi-totalité des traités d’artillerie avaient été publiés en italien. 516Les membres du conseil de guerre étaient parfaitement conscients du caractère exceptionnel du projet pour l’époque :
Le livre écrit et composé en langue espagnole par un maître espagnol [est] ce qui importe le plus car il n’y a aucun livre qui traite en espagnol de ne serait-ce qu’un cinquième de ce que traite celui-ci34.
Pour cette raison, les têtes de l’administration militaire reconnaissaient l’utilité potentielle de faire imprimer ce livre pour le diffuser auprès des artilleurs hispanophones dans les nombreux territoires de l’empire. Ainsi, au sujet du livre de Salamanca, une note probablement écrite par le secrétaire du conseil de guerre, Andrés de Prada, à l’adresse du roi expliquait que :
Si l’on y regarde bien, après l’avoir imprimé, il semble que, pour Vos Royaumes d’Espagne et des Indes, ainsi que tous les territoires où l’on comprend bien la langue espagnole dans laquelle il est écrit, ce livre sera de toute l’importance nécessaire pour que l’artillerie de Votre Majesté soit bien servie35.
On estimait que le marché était d’une taille tout à fait respectable. Les premiers documents évoquent un projet de tirage à 600 exemplaires36, tandis que l’année suivante, promesse avait été donnée de produire 1 200 exemplaires37. D’après les spécialistes de l’histoire du livre, ces chiffres correspondaient à des tirages courants au xvie siècle, le second étant déjà un signe d’une diffusion relativement large, ce qui ne manque pas de surprendre compte tenu de la thématique très spécialisée de l’ouvrage38.
517Le projet traina néanmoins en longueur pendant près de dix-huit mois. Au début du projet, en février 1589, le capitaine général de l’artillerie, don Juan de Acuña Vela, donna son opinion sur le livre :
à propos de donner la licence pour imprimer le livre, le capitaine en a lu une partie et il lui semble si long que, pour certains aspects, cela le rend peu intelligible et il est d’avis qu’on ne donne pas [à Alonso de Salamanca] la licence pour l’imprimer avant qu’il ne le corrige et modifie et qu’on le lise de nouveau39.
Par conséquent, le maître artilleur fut obligé d’améliorer son manuscrit, jugé trop long et manquant par moment de clarté. En juin de la même année, c’était chose faite : le nouveau manuscrit, « mis en perfection », reçut enfin alors l’approbation du capitaine général de l’artillerie40. Cependant, le processus de validation était loin d’être terminé. Malgré l’avis positif du général, la décision du conseil fut de soumettre l’ouvrage à l’opinion du docteur Julián Ferrofino41. Pour rappel des chapitres précédents, ce mathématicien italien enseigna l’artillerie dans plusieurs villes de la péninsule ibérique, mais, en juin 1589, il venait seulement de proposer ses services au conseil de guerre, avant d’être envoyé à Burgos42. Il jouissait néanmoins déjà d’une autorité scientifique suffisante pour servir de juge de la qualité du manuscrit de maître Salamanca. Toutefois, son avis ne suffit pas. On recourut finalement à l’autorité scientifique suprême de la cour de Philippe II : le mathématicien, architecte de l’Escurial et fondateur de l’académie de mathématiques de Madrid, Juan de Herrera43. Puis, suite à leurs avis positifs, le manuscrit dut passer devant le conseil d’État au début de l’année 1590 afin d’obtenir le privilège d’impression44.
Ce long délai de près d’un an s’avéra fatal pour la publication du livre. Hormis lorsqu’il fut envoyé inspecter quelque temps l’artillerie de Castille45, Alonso de Salamanca resta tout ce temps à Madrid, d’abord 518pour corriger son texte, puis pour préparer la future impression de l’ouvrage. Cependant, à force d’attente, en avril 1590, il écrivit avec amertume une lettre au roi dans laquelle il annonçait renoncer à son projet46. Pour payer l’impression, le conseil de guerre lui avait semble-t-il promis la somme de 150 ducats dont il n’avait en réalité touché qu’à peine un tiers. Entretemps, le prix du papier avait considérablement augmenté et les libraires lui demandaient d’avancer l’importante somme de 300 ducats, qu’il n’avait plus puisque son séjour madrilène de plus d’un an lui avait coûté très cher. Par conséquent, aucun imprimeur ne souhaitait plus passer de contrat avec lui. Cependant, la raison sous-jacente de ce retournement de situation, expliquant à la fois les lenteurs du conseil de guerre et le refus d’engagement des imprimeurs, est perceptible à travers ces quelques mots plein d’aigreur du maître artilleur :
Je suis sur le point de le faire imprimer, comme convenu, comme discours pour enseigner aux artilleurs, car il n’a pas son semblable en langue castillane, et même si certains livres militaires traitent en partie de ce sujet, et plus particulièrement le Perfeto Capitán qui vient de paraître, il est certain qu’on n’y trouve pas de raisonnements issus de maître ayant servi l’artillerie47.
Ce qui avait changé entre le début du projet, en février 1589, et cette lettre du mois d’avril 1590, c’était que, soudain, le manuel d’Alonso de Salamanca n’était plus le seul traité d’artillerie en castillan. En effet, au début de l’année 1590, fut publié à Madrid le Perfeto Capitán, ouvrage dédié à l’art militaire en général mais avec une insistance particulièrement importante sur l’artillerie48. Son auteur, Diego de Álava y Viamont, était un adversaire avec lequel Alonso de Salamanca pouvait difficilement rivaliser. Fils naturel, légitimé sur le tard, de don Francés de Álava, défunt capitaine général de l’artillerie, Diego de Álava descendait de l’une des plus importantes familles aristocratiques de Navarre49. À la cour, où il séjournait depuis la mort de don Francés en 1586, il bénéficiait 519encore du prestige de la figure paternelle, ex-ambassadeur de Philipe II en France et l’un des principaux chefs militaires de la Monarchie. Il pouvait compter sur le soutien personnel de certains membres du gouvernement, tels que le secrétaire du conseil d’État Gabriel de Zayas, grand ami de don Francés, et qui avait pris en charge l’éducation du jeune Diego pendant la longue absence de son père en France dans les années 156050. Il n’est d’ailleurs pas à exclure qu’une partie des retards et tergiversations autour du projet d’Alonso de Salamanca fut orchestrée par des amis et complices de Diego de Álava.
Ce qui est certain, c’est qu’il fut sans aucun doute plus aisé à cet aristocrate de faire publier son ouvrage. Tandis qu’à l’automne 1589, le manuscrit de Salamanca était lentement examiné par l’architecte Juan de Herrera, Diego de Álava obtenait l’approbation de son livre et, un mois plus tard, le privilège royal d’impression51. Au début de l’année 1590, alors qu’Alonso de Salamanca attendait d’obtenir un prêt du conseil de guerre pour avancer les frais d’impression de son traité, Diego de Álava put lancer l’impression chez Pedro Madrigal grâce aux importants moyens financiers dont il disposait personnellement et par ses réseaux sociaux. Le tirage dut d’ailleurs être grand compte tenu du nombre d’exemplaires encore survivants à l’heure actuelle52.
Par conséquent, le maître artilleur Alonso de Salamanca s’était fait devancer dans son projet de publier le premier grand traité d’artillerie en langue castillane. Il eut beau critiquer le manque d’expérience de l’auteur du Perfeto Capitán dans sa lettre au roi du mois d’avril 1590, il était trop tard. Après plus d’un an et demi de séjour en Castille, Alonso de Salamanca manquait d’argent et devait retourner former les artilleurs de Trapani. Avant de quitter la cour, il parvint à obtenir – moyennant le passage d’un « examen » devant le lieutenant du capitaine général de l’artillerie – une augmentation de trois ducats sur son salaire53. Il proposa également de confier son manuscrit à quelque serviteur du roi pour qu’on le fît imprimer plus tard54. Toutefois, le devenir de cet 520ouvrage reste un mystère car aucun historien n’a, à ma connaissance, été capable de le retrouver dans quelque collection que ce soit.
Que contenait ce mystérieux manuscrit que le conseil de guerre souhaitait utiliser dans les écoles d’artilleurs ? Les sources s’y référaient souvent sous l’expression « livre du service de l’artillerie55 ». Il s’agissait manifestement d’un ouvrage expliquant comment se servir de l’artillerie mais qui traitait aussi de la fabrication de la poudre et des artifices de feu56, thématiques également abordées par les auteurs italiens qui précédèrent Alonso de Salamanca, tels que Tartaglia, Cataneo et Ruscelli. D’ailleurs, le vieil artilleur de Trapani ne niait pas recourir à l’autorité d’autres auteurs, dans un travail de compilation qu’il avait étalé sur une quinzaine d’années57. Par conséquent, cet ouvrage destiné aux écoles d’artilleurs semblait s’intégrer à ce champ de savoir en construction qu’était la nouvelle science de l’artillerie.
Toutefois les sources semblent indiquer une certaine divergence des positions d’Alonso de Salamanca par rapport aux méthodes de ce champ de savoir sur l’artillerie recourant abondamment aux mathématiques. Ainsi, lorsqu’il critiqua le Perfeto Capitán, le maître artilleur de Trapani écrivit :
Ce qui y est déclaré a été tiré de papiers mal compris et d’un livre de langue toscane s’appuyant sur la géométrie, les mathématiques et les proportions, qui est une science mal comprise de la plupart des artilleurs58.
Ce livre de langue toscane était sans doute la Nova Scientia de Tartaglia59 car, en effet, une partie du Perfeto Capitán visait à critiquer le contenu de cet ouvrage, premier traité d’artillerie imprimé et grande autorité du champ60. Le traité de Tartaglia relevait sans nul doute d’un niveau d’abstraction supérieur à celui de ses successeurs Cataneo, Ruscelli et autres. C’est probablement cet aspect spéculatif de l’œuvre de Tartaglia, 521repris par Diego de Álava, auquel Alonso de Salamanca s’attaquait. Néanmoins, cette position du vieux maître artilleur sur la géométrie, les mathématiques et les proportions ne reflétait sans doute qu’une ultime tentative, désespérée, de promouvoir ses écrits contre ceux de Diego de Álava.
Plusieurs indices permettent de supposer que le manuel de Salamanca reposait en partie, comme tous les autres traités d’artillerie, sur ces mêmes mathématiques, géométrie, proportions dont il critiquait la présence chez Diego de Álava. D’abord, d’après Alonso de Salamanca lui-même, l’office d’artilleur consistait à savoir manier « la règle et le compas, les poids et les mesures61 ». En outre, il faut rappeler que l’approbation de son manuscrit fut confiée non pas à des militaires d’expérience mais à deux individus, Ferrofino et Herrera, reconnus pour leurs compétences en tant que mathématiciens. Enfin, le fait même que Salamanca identifia le Perfeto Capitán comme principale menace à son projet démontre qu’ils avaient, malgré quelques différences, suffisamment de similitudes pour se concurrencer l’un l’autre. Il faut rappeler ici que, si le livre de Diego de Álava spéculait sur la science de Tartaglia, il s’appuyait aussi, dans ses aspects les plus techniques, sur des ouvrages d’artilleurs praticiens, notamment le premier traité, en italien, de Luis Collado62 ainsi que le manuscrit dit « Alvaradina » offert par l’artilleur Cristóbal de Espinosa à don Francés de Álava, père de l’auteur du Perfeto Capitán63.
Quelles conclusions tirer de cette étude de cas quant à la relation entre traités d’artillerie et écoles d’artilleurs ? Cette affaire démontre que, aux yeux du conseil de guerre tout comme aux yeux d’un maître enseignant l’artillerie, les écoles d’artilleurs nécessitaient la publication d’ouvrages formalisant les savoirs. Les écoles d’artilleurs constituaient donc indubitablement un débouché potentiel des imprimés traitant d’artillerie. De plus, le manuscrit de Salamanca ne fut finalement jamais imprimé malgré l’intérêt évident qu’il avait éveillé parmi les membres du conseil de guerre. Il est par conséquent possible d’émettre l’hypothèse que, dans une certaine mesure, le livre de Diego de Álava se substitua à celui de Salamanca dans son rôle espéré de support à la formation des 522artilleurs. Pourtant, le titre de cet ouvrage, « Le Parfait Capitaine », s’adressait a priori à un public constitué de commandants plutôt que d’artilleurs. Peut-être faut-il, pour concilier les explications, admettre différents types de publics visés par cette œuvre complexe ? D’une part, les capitaines, instruits de cette nouvelle science de l’artillerie, devenant capables d’évaluer le degré de compétences de leurs artilleurs ; d’autre part, les artilleurs, obligés de s’adapter aux nouvelles normes exigées par leurs commandants.
Rhétorique et normes pour l’enseignement
et les examens
Le projet du maître artilleur Alonso de Salamanca de publier un traité d’artillerie pour la formation des artilleurs fut loin d’être un cas isolé. Le livre de Diego de Álava, le Perfeto Capitán, qui le suppléa dans ce rôle est sans doute l’un des traités d’artillerie de l’époque qui revendiquait le moins son insertion dans les pratiques et systèmes de formation des artilleurs alors émergents. Toutefois, même s’ils furent publiés à Venise, lieu de mise en place des premières écoles d’artilleurs64, les premiers traités d’artillerie s’inscrivirent de manière moins évidente dans le système des écoles et des examens d’artilleurs. Dans leur rhétorique, ces auteurs jouèrent plutôt sur la corde de la relation privilégiée avec le Prince, auquel promesse était donnée de livrer des inventions secrètes. Ainsi en alla-t-il du mathématicien Tartaglia qui garda sa loi reliant l’angle de hausse à la portée pour la seule oreille du duc d’Urbino65. De même, l’humaniste Girolamo Ruscelli souhaitait faire connaître à son dédicataire, le prince Alexandre Farnèse, les « inventions, moyens et secrets de la manière de guerroyer66 ». Cette rhétorique se retrouvait dans l’un des plus anciens manuscrits d’artillerie écrit en castillan, celui de l’artilleur Hernando del Castillo, qui présentait « ses inventions diverses67 ». La tendance changea dans le dernier tiers du xvie siècle, 523avec l’institutionnalisation des pratiques d’enseignement et d’examens des artilleurs dans les péninsules italienne et ibérique. Il s’agit alors de définir la norme des savoirs d’un artilleur.
D’abord, il faut remarquer qu’Alonso de Salamanca ne fut pas le seul auteur de traités à être impliqué dans les institutions de formation des artilleurs. Luis Collado, l’auteur du Plática Manual de artillería cité en introduction de ce chapitre, assumait, en sus de son office d’ingénieur du duché de Milan, le rôle d’« examinateur des artilleurs68 ». Lazaro de la Isla, qui publia un traité en 159569, avait obtenu l’accord du roi pour « enseigner l’art de l’artillerie, la géométrie et les artifices de feu » sur les galères de Lisbonne70. Après cette publication, il obtint un poste d’enseignement dans les écoles d’artilleurs de Burgos puis de Cadix71, rééditant son ouvrage à Valladolid en 160372. Le capitaine Cristóbal Lechuga73 avait été le principal responsable de la réforme des écoles d’artilleurs du duché de Milan, ordonnée par le comte de Fuentes en 160474. L’artillero mayor de Séville Andrés Muñoz el Bueno publia lui-aussi un traité en 162775. La nouvelle science de l’artillerie était par conséquent construite en grande partie par des individus pleinement intégrés dans les systèmes de formation des artilleurs.
Par ailleurs, certains traités revendiquèrent un lien explicite avec les pratiques d’enseignement et d’examen. Ainsi, Luis Collado inséra dans son traité un développement expliquant comment mettre en place une école d’artilleurs76. La citation en introduction de ce chapitre montre sa proposition de fournir, par son livre, un support intégral à l’enseignement théorique des écoles d’artilleurs. En outre, la fin de l’ouvrage mettait en scène un examen d’artilleur lors duquel un individu rescapé du naufrage de son navire en Écosse lors de la Grande Armada de 1588, 524sollicitait un poste d’artilleur au château de Milan77. La mise en scène se voulait de toute évidence réaliste, correspondant aux pratiques en vigueur au sein de l’administration militaire. L’examen réunissait le capitaine général de l’artillerie de Milan, son lieutenant, ainsi que le chef artilleur du château et trois artilleurs vétérans. L’individu examiné avait, disait-il, été formé par le maître artilleur de l’île de Malte mais, aussi et surtout, par la lecture du livre de Luis Collado78. Aussi répondait-il aux questions qui lui étaient posées en se référant aux passages du livre traitant du sujet. Autrement dit, les artilleurs étaient invités par Collado, alors examinateur des artilleurs du duché, à apprendre le contenu de son ouvrage afin d’être capables de répondre aux questions de l’examen. Au cas où le lien entre le livre et les examens d’artilleurs eût échappé aux lecteurs les moins attentifs, Luis Collado précisait dans sa dédicace au roi Philippe II :
Et à la fin se trouve, en dialogue, un très copieux examen d’artilleur, par lequel les officiers de Votre Majesté pourront parfaitement tous les examiner79.
Il y avait, dans ces mots de la dédicace, tout comme dans la mise en scène de l’examen, plus qu’une simple rhétorique. Fixant ce que devait demander l’examinateur et ce que devait répondre l’examiné dans un contexte général d’institutionnalisation des pratiques d’examens, la publication de ce traité participait d’un vaste projet d’élaboration d’une norme des connaissances sur l’artillerie au sein de l’administration militaire de l’empire espagnol.
De nombreux traités d’artillerie de l’époque revendiquaient plus ou moins explicitement leur insertion dans les systèmes émergents de formation et de contrôle des connaissances des artilleurs. Ainsi en 1564, l’ingénieur militaire novarais Girolamo Cataneo inséra à la fin de son livre de fortification, « un traité des examens de bombardiers80 ». Trois ans plus tard, il publia un livre entièrement consacré à l’artillerie qui non seulement reprenait le titre des « examens » (essamini) mais encore dont la structure était en partie divisée en « examinations » 525(essaminationi)81. Le traité de l’ingénieur lombard Gabriel Busca, publié en 1584, s’intitulait quant à lui « l’instruction des bombardiers82 ». Huit ans plus tard, Eugenio Gentilini publia pour la Sérénissime un traité reprenant exactement ce même titre et présentant l’examen de bombardier pratiqué par Zaccaria Schiavina, chef artilleur et capitaine d’artillerie à Venise, l’œuvre étant censée « instruire les artilleurs et chefs artilleurs de tout ce qui était nécessaire à leur profession83 ». La réédition de 1606, augmentée de dizaines de pages, incluait une préface aux lecteurs dans laquelle Gentilini s’adressait directement aux artilleurs et employait le vocable scolaro, caractéristique des écoles d’artilleurs, pour désigner les cibles de son instruction84.
La production manuscrite, elle aussi, s’ancrait dans ces systèmes d’écoles et d’examens d’artilleurs. Ainsi le manuscrit que rédigea en 1591 le lieutenant d’artillerie Diego de Prado mettait en scène un chef artilleur proposant « d’enseigner l’art de l’artillerie » à un soldat souhaitant devenir artilleur85. La mise en contexte se voulait très précise et réaliste, le soldat étant invité à assister aux leçons données par le maître tous les jours entre une heure et trois heures de l’après-midi86. L’apprenti devait même prendre des notes avec la plume, la règle et le compas, afin de pouvoir étudier et réviser les leçons chez lui87. D’autres manuscrits se concentraient plutôt sur la pratique de l’examen. Ainsi par exemple, une œuvre anonyme écrite au tournant des xvie et xviie siècles portait le titre d’« examen d’artilleur dans lequel on traite de tout ce qu’est obligé de demander celui qui serait juge de cet art à celui qui souhaiterait être examiné pour devenir artilleur88 ». Un tel intitulé orientait l’œuvre 526plutôt vers le public des examinateurs et des officiers, mais la définition de la norme de l’examen proposée par ce manuscrit conduisait de facto à l’obligation pour les artilleurs examinés d’acquérir les connaissances qui y étaient décrites et formalisées. La meilleure description de ce jeu de miroir induit par la pratique de l’examen, définissant un double public examinateurs-examinés, est formulée par l’artilleur Espinel de Alvarado, à propos de son œuvre manuscrite :
[Ce livre] est très utile et profitable, tant pour les capitaines généraux de l’artillerie, les lieutenants, gouverneurs, capitaines, chefs artilleurs ainsi que toute personne qui se trouverait en charge de l’examen des artilleurs, que pour les artilleurs eux-mêmes, afin qu’ils sachent ce qu’ils doivent faire dans leurs opérations et qu’ils soient mieux préparés pour passer leurs examens89.
Incontestablement, les auteurs de traités d’artillerie jouèrent sur ce double public de lecteurs dans leurs projets de définition et de formalisation des connaissances sur l’artillerie. Ainsi, la structure du traité de Diego Ufano laissait clairement apparaître les deux principaux publics destinataires de l’œuvre90. La première partie du traité était consacrée à la classification des différents types de pièces d’artillerie, chaque chapitre étant introduit par des expressions génériques et indéfinies de type se declara, se muestra, se trata. L’auteur considérait vraisemblablement cette partie comme constitutive d’un socle commun de connaissances. La seconde partie changeait quant à elle de rhétorique puisqu’elle mettait en scène, dans un style qui se prétendait élégant, un dialogue entre un général de l’artillerie et un capitaine vétéran91. Ce passage du traité visait clairement les commandants de l’artillerie non seulement dans la forme du texte mais aussi dans son contenu. Il s’agissait de définir 527les devoirs et charges des capitaines et officiers, savoir positionner les différentes pièces d’artillerie lors d’un siège et d’une bataille rangée ou encore connaître l’existence de techniques de siège particulières telles que les mines.
Il ne faudrait toutefois pas en déduire que cet ouvrage visait uniquement le public du haut commandement. En effet, la troisième et dernière partie du livre traitait :
de certaines choses touchant à l’usage et à la doctrine militaire de son école, dans le but de générer, au moyen de la théorie et de la pratique, des artilleurs dextres et experts, intelligents et parfaits dans le ministère de leur art92.
Cette partie était donc consacrée à définir ce qui devait être enseigné aux artilleurs. La rhétorique de l’ouvrage s’adaptait au contexte de l’école d’artilleurs : en choisissant de dénommer chacun des 32 chapitres de cette partie par le terme de lición (leçon), Diego Ufano se mettait dans la peau du professeur s’adressant à ses élèves-artilleurs. Il y montrait comment connaître l’anatomie des pièces, le calibre, la qualité de la poudre, comment tirer selon les différents angles de hausse, comment fabriquer des artifices de feu et autres bombes pour la guerre et pour les fêtes. Enfin, l’œuvre se concluait par la mise en scène d’un examen. Toutefois, grande originalité, cette fois-ci il ne s’agissait plus de contrôler les connaissances de l’artilleur mais celles du condestable, le chef artilleur, poste qui était, selon Ufano, absolument fondamental dans le système de formation à l’artillerie puisque c’était cet individu qui devait « instruire et enseigner l’art aux artilleurs93 ».
La multiplication des pratiques de contrôle des connaissances au sein des administrations militaires – qu’il s’agît de Venise ou de la Monarchie hispanique – représenta pour bon nombre d’auteurs de traités, une opportunité de proposer une norme médiatrice de l’échange. Or, pour constituer cette norme, les auteurs impliquèrent les potentiels examinateurs autant, si ce n’est plus, que les examinés. C’est sans doute ce qui explique la 528présence fréquente, dans les traités d’artillerie, de discours à destination des officiers. C’est ainsi que l’on peut interpréter la structure composite du Perfeto Capitán. Comment comprendre autrement que cette œuvre, qui décrivait en détail les qualités, devoirs et charges du « parfait capitaine » put en même temps évincer le projet d’Alonso de Salamanca de publier un manuel à destination des écoles d’artilleurs ? Il devait s’agir d’un discours à de multiples destinataires, s’adressant aux officiers mais aussi aux artilleurs devant se plier à leur contrôle des connaissances. Il en allait sans doute de même des nombreuses associations entre traités d’artillerie et traités de fortification94. Non seulement la compréhension du fonctionnement de l’artillerie était indispensable aux ingénieurs militaires pour bien concevoir une forteresse, mais ces derniers prenaient aussi souvent part aux pratiques de formation et de contrôle des connaissances des artilleurs. Ainsi, lorsque Julián Ferrofino proposa au conseil de guerre de former des artilleurs espagnols, il se présenta comme ingénieur militaire à Milan95. Autre ingénieur militaire du duché de Lombardie, Luis Collado y jouait aussi le rôle d’examinateur des artilleurs, comme cela a déjà été montré. L’expertise technique de certains ingénieurs s’étendait donc couramment à l’évaluation du niveau de connaissances des artilleurs et il était par conséquent pertinent de grouper dans une même publication des savoirs sur l’artillerie et sur la fortification.
Lorsque les auteurs de cette littérature technique discutaient du contenu de la nouvelle science de l’artillerie, ils exprimaient également leurs divergences quant à la définition de la norme de l’examen et de l’enseignement qui en découlait. Certains auteurs se montraient relativement exigeants vis-à-vis des artilleurs. L’examen d’artilleur proposé par Luis Collado était dense et ambitieux, reprenant point par point l’ensemble du traité96. Selon Girolamo Cataneo, tout artilleur devait savoir « lire, écrire et avoir un bon abaque, de sorte qu’il puisse mesurer les hauteurs, profondeurs et distances97 ». D’autres auteurs affichaient 529cependant des prétentions plus faibles quant au niveau de connaissances des artilleurs. Gabriel Busca écrivit, probablement en réponse à Cataneo, « qu’il ne partageait pas l’avis de certains qui veulent que le bombardier soit géomètre et mathématicien, sachant mesurer toutes les distances98 ». Enfin le capitaine Cristóbal Lechuga avait pour sa part des exigences encore plus faibles puisqu’il écrivit, lorsqu’il reprit une partie du traité de Busca dans son propre livre :
Gabriel Busca a écrit son traité pour tous les artilleurs, moi je l’ai mis pour les plus curieux d’entre eux, et pour que le sachent ceux qui commandent l’artillerie, même le général, de sorte qu’ils puissent l’enseigner et résoudre tous les doutes qui pourraient se manifester, car en ce qui me concerne, je ne demande rien de plus à un artilleur que de savoir faire les cuillères de chargement, entretenir les brosses de nettoyage, fabriquer les gabions de protection, constuire les esplanades et les embrasures de tir, charger et bien pointer les pièces ainsi que connaître les boulets99.
Ainsi, se dessinaient les contours, non pas d’une norme, mais d’une pluralité de normes formalisant les connaissances à exiger des artilleurs et de leurs commandants. Toutefois, même si les traités eurent vocation à s’insérer dans les systèmes de formation des artilleurs, encore reste-t-il à vérifier qu’ils y parvinrent. Dans quelle mesure les prétentions de ces traités furent-elles en phase avec les programmes d’enseignement des écoles d’artilleurs ?
530Les savoirs enseignés
dans les écoles d’artilleurs
Les auteurs de traités d’artillerie cherchèrent manifestement à proposer aux écoles des programmes d’enseignement de l’artillerie. En outre, de grandes divergences d’opinion existaient entre les différents auteurs quant aux savoirs que devait posséder l’artilleur. Par conséquent, il convient de poser la question de ce qui était réellement exposé dans les écoles d’artilleurs. Le cas de la garnison de Perpignan dans les années 1560-1570 offre un exemple de ce qui pouvait être enseigné aux artilleurs avant la mise en place des écoles d’artilleurs à proprement parler. Certaines sources révèlent notamment une forme de réception des ouvrages de Niccolò Tartaglia, le premier auteur de traités d’artillerie. Dans un second temps, il s’agira de s’intéresser à l’enseignement dans sa forme institutionnalisée, à travers l’étude de deux programmes, l’un concernant l’école de Palerme en 1575, l’autre s’appliquant à l’école de Séville en 1595. Enfin, en comparant le contenu de ces programmes aux plans des principaux traités d’artillerie de l’époque, il est possible de mettre en évidence de nombreuses similitudes ainsi que quelques différences entre les formations proposées par les écoles et celles proposées par les livres.
Avant l’école d’artilleurs :
Tartaglia dans la garnison de Perpignan
Les archives de Simancas ont conservé tout un ensemble de documents relatifs aux artilleurs de la place forte de Perpignan des années 1560 et 1570100. Capitale du comté de Roussillon et porte d’entrée de la péninsule ibérique du côté des Pyrénées orientales, Perpignan était l’une des plus grandes forteresses de la Monarchie hispanique. Pour servir ses quelques 119 pièces d’artillerie, cette ville possédait une des plus grandes garnisons d’artilleurs de l’époque, ses effectifs s’établissant autour de 35 individus101. Il s’agissait d’une de ces places fortes qui, comme Burgos, Pampelune ou Saint-Sébastien, intégraient un entraînement des artilleurs sur un terrain avec des sessions de tirs sur cible.
531Par chance, la liasse de Simancas évoquée précédemment a conservé, parmi de nombreux documents comptables évoquant les paiements des artilleurs, quelques documents relatifs à ces sessions d’entraînement. D’abord, il s’y trouve des comptes de la poudre dépensée lors de certaines sessions de tir. Ils sont suivis de quelques informations normatives quant au programme de formation des artilleurs. Ainsi, une ordonnance royale datant de 1560 réglait les pratiques d’entraînement sur le terrain de tir102. En plus d’établir ce qui devait être financé par la Monarchie et ce que les artilleurs devaient eux-mêmes payer, cette ordonnance précisait que les artilleurs devaient s’entraîner à fabriquer la poudre et à tirer avec différents dosages de poudre et différents types de pièces, tels que des petits falconetes mais aussi des pièces de plus gros calibres et des mortiers. Sous la supervision de leur capitaine, ils étaient également autorisés à utiliser de la poudre pour s’entraîner à faire des mines de sape des murailles, technique classiquement exposée dans les traités d’artillerie103. Autrement dit, ces documents décrivent un programme de formation pratique relativement complet.
Cette ordonnance sur la formation pratique des artilleurs est accompagnée, dans la liasse, par un document de plusieurs folios reliés entre eux et portant le titre de « Recommandations des choses touchant à l’artillerie104 ». Derrière cet intitulé très générique se cache en réalité un bref manuel d’artillerie, formalisant des connaissances à la manière des traités d’artillerie. Sa présence au cœur d’une documentation relative à l’entraînement des artilleurs permet de supposer que son contenu fut utilisé afin de former les artilleurs. Ce manuel commençait par une section sur les différentes pièces d’artillerie, leurs proportions et leurs usages. Pour chaque type de pièces, l’auteur anonyme avait indiqué comment variait la portée selon l’angle de hausse, exprimé en « doigts105 ». L’usage de cette unité laisse supposer que ces connaissances furent formalisées avant que les ouvrages de Tartaglia et de son équerre à douze points ne s’imposent comme autorité dominante. De plus, ce passage montre que le thème du lien entre angle de hausse et portée dont s’empara Tartaglia intéressait le milieu des artilleurs.
532La suite du manuscrit abordait quelques-uns des thèmes qui devinrent plus tard des classiques de tous les traités d’artillerie. Le texte décrivait des modes opératoires permettant de connaître l’épaisseur de métal d’une pièce d’artillerie à l’aide d’un compas, de la charger avec une quantité de poudre convenable ou encore de viser une cible. Il expliquait les risques qu’il y avait à enchaîner les tirs sans faire refroidir la pièce, invitait l’artilleur à vérifier la qualité des affûts et de la poudre. Sans exposer les détails de la technique, il précisait que l’artilleur devait savoir mesurer et calculer les distances sur terre106. L’effort de formalisation des savoirs sur l’artillerie n’en était qu’à ses balbutiements, mais l’existence de ce document révèle les préoccupations quant à cette formalisation des savoirs au sein d’un centre de formation tel que la garnison de Perpignan. Autrement dit, la demande semble avoir précédé l’offre dans l’émergence du marché des traités d’artillerie.
Mieux encore, dans ce même feuillet figurait à la fin de ce court manuel, séparé de deux pages vierges, un autre document, écrit postérieurement, portant en titre « La substance des arguments touchant à l’artillerie du livre de Niccolò Tartaglia le Brescian107 ». Il s’agissait d’un résumé, en quelques points, de la doctrine de Tartaglia qui était envisagée comme un ensemble de « règles d’artillerie » – mention écrite au dos du document – probablement apprises et discutées parmi les artilleurs de la garnison. Qu’avaient-ils retenus de leur lecture de Tartaglia ? De la Nova Scientia, figurait uniquement l’équerre de l’artilleur divisée en douze points ainsi que la règle de la portée maximum atteinte avec un angle de 45o108. Les démonstrations théoriques sur la géométrie des trajectoires ne répondaient vraisemblablement pas aux attentes des artilleurs de Perpignan.
Il en allait tout autrement du second opus de Tartaglia, les Quesiti et Inventioni Diverse, qui les avait manifestement intéressés puisque le document répertoriait vingt-et-un points provenant de ce traité. Des aspects les plus spéculatifs des Quesiti, les artilleurs de Perpignan avaient 533retenu que la trajectoire d’un boulet de canon n’était jamais rectiligne109. L’essentiel des autres points portait sur des conclusions plus concrètes permettant d’améliorer le service de l’artillerie en offrant des modes opératoires et des instruments. Certains points étaient d’ailleurs déjà abordés dans le précédent manuel, comme par exemple la description des différentes pièces110 ainsi que la charge de poudre convenant à chacune111. De nombreux autres aspects pratiques avaient été jugés dignes d’intérêt, comme par exemple cet instrument de Tartaglia permettant de vérifier la rectitude de l’âme d’une pièce112. L’analyse des lignes de visée et de tir figurait également dans cette liste, sans schémas113. D’une manière générale, ce bref résumé restait extrêmement superficiel, même s’il témoignait d’une lecture détaillée des Quesiti. De même, les artilleurs n’avaient conservé que la conclusion principale de la réflexion de Tartaglia quant à l’efficacité des tirs sur un château en hauteur114. Enfin, le document contenait certaines anecdotes marquantes de Tartaglia, telle cette histoire du petit chien happé par les vapeurs d’un canon encore très chaud115. Il est aisé d’imaginer l’effet de mise en garde amusante que ce genre d’histoires pouvait avoir sur les apprentis artilleurs.
Ce document permet de mieux comprendre la construction de l’autorité de Niccoló Tartaglia au sein des artilleurs praticiens. Les traités 534de Tartaglia, en particulier les Quesiti et Inventioni Diverse, donnaient un accès facile à une importante quantité de connaissances formalisées qu’il était possible de discuter et de transmettre aux nouvelles recrues à une époque où ces mêmes connaissances formalisées étaient loin d’être abondantes. Nul doute que, dans les années 1560-1570, les idées, les schémas et les anecdotes de Tartaglia furent enseignées aux apprentis artilleurs de la garnison de Perpignan. Il faut noter à ce titre une curiosité de l’histoire. Dans cette liasse de Simancas traitant des artilleurs de Perpignan figure le contrat d’embauche pour une place d’artilleur de
Luis Collado, natif de Jerez de la Frontera […] qui, d’ici quatre mois, doit devenir capable et apte dans tout ce qui convient pour servir le dit poste116.
Il y a de fortes chances que ce Luis Collado fût le même individu qui publia, une vingtaine d’années plus tard, l’un des traités d’artillerie les plus lus de l’époque117. Si tel est le cas, cela signifie que le célèbre auteur et ingénieur reçut sa formation d’artilleur dans la garnison de Perpignan en 1570. Il dut sans doute assister aux leçons du maître artilleur qui rédigea le résumé de la doctrine de Tartaglia.
Il n’y a alors rien d’étonnant à ce que, lorsque Collado prit la plume et devint à son tour auteur, il s’attacha particulièrement à saper l’autorité du maître dans la science duquel il avait été lui-même instruit à Perpignan118. L’anecdote du chien de Tartaglia figurant dans le livret de formation de Perpignan n’avait pas eu, chez l’élève Collado, l’effet de plaisanterie ou d’épouvante escompté puisque ce dernier se montra assez critique, à cet égard, dans son traité de 1592 :
En témoignage de quoi Niccolò Tartagla dit qu’un canon de batterie fut un jour attiré au sol après avoir tiré vers le bas et qu’il happa un petit chien lorsque ce dernier s’approcha trop près de la bouche du canon, […] lesquels miracles ne surviennent plus de nos jours119.
535Dans les années 1590, face à la multiplication des écoles d’artilleurs, les livres de Tartaglia paraissaient à Collado trop détachés des réalités et, par conséquent, inadaptés à un véritable programme de formation des artilleurs de la Monarchie hispanique. Il était devenu nécessaire de publier un nouveau livre, mieux adapté à ce qui était enseigné dans les écoles.
Programmes d’enseignement des écoles
de Palerme et de Séville
Le contenu de l’enseignement théorique des écoles d’artilleurs peut être saisi à travers la lecture de deux documents importants. Le premier est le programme d’enseignement accompagnant les contrats de deux maîtres artilleurs de Palerme, lorsque l’école y fut ouverte en 1575 par le duc de Terranova120. Le second document est un programme d’enseignement que fit imprimer vers 1595 l’artillero mayor de Séville Andrés Muñoz el Bueno121. Envoyé par le maître artilleur au conseil des Indes, ce programme fut sans doute imprimé pour être diffusé parmi les élèves de l’école de Séville. Par ailleurs, d’autres sources intéressantes ont été écartées de cette analyse, notamment un manuscrit attribué à Julián Ferrofino122. Cet individu fut pourtant enseignant aux écoles d’artilleurs de Burgos et de Séville mais, d’une part, le manuscrit date de 1599, époque à laquelle Ferrofino enseignait à la cour et, d’autre part, ce document n’est vraisemblablement pas de la main du maître mais d’un tiers ayant recopié les notes de brouillon de Ferrofino123. Autre source potentielle d’étude ayant été écartée, les questions posées lors de l’examen d’artilleur par l’artillero mayor Andrés de Espinosa ont été recopiées par Fernández Duro il y a près d’un siècle et demi124. Ayant été incapable de retrouver l’original dans les archives, il m’est par conséquent difficile 536de replacer ce document dans son contexte d’élaboration. C’est la raison pour laquelle les deux programmes d’enseignement cités précédemment ont été considérés comme les sources les plus proches de la réalité de l’enseignement dans les écoles d’artilleurs.
Malgré les 20 années et les 2 000 kilomètres qui les séparent, les programmes des écoles de Palerme et de Séville présentent de nombreuses ressemblances quant à leur contenu. Certes, il est possible de remarquer quelques différences. Le programme de Palerme est notamment plus succinct et moins détaillé que celui imprimé par Andrés Muñoz el Bueno. En outre, les débouchés nautiques de la carrera de Indias apparaissent clairement dans certains points spécifiques du programme sévillan. Aucun des deux textes ne prétendait néanmoins être exhaustif et ils laissent même entendre que l’enseignement allait parfois au-delà125. Cependant, malgré ces quelques divergences, il est possible de retrouver la plupart des points de celui de Palerme dans celui de Séville126. Autrement dit, à des degrés de précisions légèrement différents, ces deux documents présentaient des programmes d’enseignement relativement semblables. Cela laisse supposer qu’une sorte de consensus s’était établi à propos des connaissances que devaient acquérir les apprentis au sein d’une école d’artilleurs.
L’enseignement de l’artillerie revêtait une grande part de savoir-faire, énoncés sous la forme de modes opératoires et de recettes à connaître. Cela n’étonnera guère ; le maniement d’une pièce d’artillerie se situait après tout dans le registre de l’action. Néanmoins, les actions que devaient apprendre les artilleurs s’étendaient au-delà de savoir simplement charger une pièce. Les programmes comprenaient tout un ensemble de modes opératoires, de techniques et d’appareils pour manœuvrer l’artillerie, la monter sur ses affûts et la transporter. Il s’agissait également de montrer comment fabriquer tout un ensemble d’accessoires nécessaires à l’artillerie, tels que les gargousses contenant une charge de poudre, les cuillères de chargement ou lanternes, ainsi que les gabions et autres 537protections contre les tirs ennemis, qui étaient enseignés de pair avec la réalisation des tranchées et des plateformes de tir pour disposer les pièces. En outre, les artilleurs de l’école devaient apprendre à tester les pièces d’artillerie à leur sortie de la fonderie. Le programme de Palerme affichait même l’ambition de montrer à ses artilleurs les techniques de fabrication de pièces d’artillerie dans la fonderie.
Les plans d’enseignement détaillaient aussi tout un ensemble de savoir-faire relatifs à la fabrication de la poudre noire et à ses différents usages. On apprenait aux artilleurs à trouver le salpêtre et raffiner les différents composants de la poudre. Même si la fabrication de la poudre relevait, au sein des États de la Monarchie hispanique, de l’activité du polvorista, il était jugé important que l’artilleur fût capable d’en préparer lui-même en cas d’urgence, ou de la raviver si elle était gâtée par l’eau. Par ailleurs, ces documents prévoyaient d’enseigner des usages de la poudre noire en dehors des pièces d’artillerie. Ainsi, les apprentis artilleurs devaient savoir fabriquer et utiliser les « artifices de feu », c’est-à-dire les bombes, explosifs et autres feux inextinguibles. En outre, ils devaient également être instruits sur les techniques de construction de mines que l’on remplissait de barils d’explosifs dans le but de saper les murailles lors d’un siège, ainsi que sur les manières de prévenir ce genre d’attaques lorsque les artilleurs étaient amenés à défendre une place forte.
Les connaissances inscrites dans ces programmes dépassaient toutefois le niveau des savoir-faire. Il faut rappeler l’hétérogénéité du matériel que les artilleurs étaient amenés à utiliser à cette époque où il n’existait pas de standards dans la fabrication des pièces. C’est la raison pour laquelle les programmes prévoyaient de former les apprentis à la nomenclature du matériel et aux systèmes de classification. La meilleure évocation de ce type de connaissances se trouve dans le plan d’enseignement de Séville à propos de la classification des pièces d’artillerie :
Quelle artillerie est en usage à présent en Europe, tant sur mer que sur terre, et en combien de genres elle est répartie, et combien de pièces différentes appartiennent à chaque genre, et quel est le nom de chacune127.
538Dans les deux écoles, ces connaissances de classification s’étendaient aux affûts adaptés à ces différentes pièces ainsi qu’aux différents usages que l’on pouvait en avoir sur terre ou sur mer. Ce type de savoirs est néanmoins plus présent dans le programme sévillan où se trouve également une référence à la classification des différents artifices de feu.
Ce document met clairement en évidence le fait que les apprentis artilleurs devaient acquérir tout le jargon technique de la profession. Par exemple, à propos des différentes manières de viser et de tirer avec une pièce d’artillerie, le programme d’Andrés Muñoz el Bueno fournissait tout en ensemble d’expressions peu aisées à déchiffrer pour les non-initiés128. La possession de ce vocabulaire spécifique tenait en quelque sorte le rôle de regalia immatérielle de la profession, participant, au même titre que l’examen, au processus de distinction sociale entre l’artilleur et le profane. Les allusions plus nombreuses à ce type de savoirs dans le cas sévillan peuvent être expliquées par le niveau de détails plus élevé de ce document, mais aussi, peut-être, par les vingt années qui le séparent de son équivalent sicilien. Il est tout à fait possible que l’importance accordée au jargon technique augmenta durant ces années cruciales pour le développement des pratiques d’enseignement et la publication des traités d’artillerie.
Par ailleurs, de nombreux indices montrent que la transmission de ces savoir-faire et classifications passait par des procédés de formalisation dans lesquels le nombre et la mesure constituaient des éléments essentiels de l’échange. La présence de ces chiffres, bien que discrète dans le programme de Palerme, est visible à travers l’emploi répété des mots regola (règle) et quantità (quantité) comme, par exemple : « La règle pour savoir quelles pièces ont une quantité suffisante de métal et lesquelles en manquent129 ». Dans le programme de Séville, nombres et proportions étaient systématiquement utilisés comme bases d’identification au sein du système de classification du matériel. Ainsi, la reconnaissance des pièces passait par la mesure de ses proportions entre la longueur, le diamètre de la bouche, l’épaisseur et la répartition du métal. Puis, c’était en rapport avec ces proportions que les artilleurs étaient instruits sur la taille du boulet à charger, ainsi que sur la quantité de poudre, qui elle-même 539dépendait de la qualité de la poudre, c’est-à-dire des quantités de chacun des ingrédients entrant dans sa composition. Par conséquent le niveau de détails du programme sévillan permet de prendre conscience du fait que l’école formait l’artilleur à tout un système articulé de savoirs opératoires, classificatoires et quantitatifs permettant de maîtriser les différents paramètres en jeu dans un tir d’artillerie, particulièrement nombreux du fait de la grande variabilité du matériel. Autrement dit, il s’agissait ni plus ni moins que du programme épistémologique de la plupart des traités d’artillerie de l’époque.
En outre, si les problématiques de balistique interne étaient omniprésentes dans ces programmes, la balistique externe n’en était pas pour autant oubliée. Le « tir par la raison » prôné par Tartaglia contre le tir au hasard entrait, au moins partiellement, dans la formation des artilleurs. D’abord, il faut remarquer que les deux programmes incluaient un apprentissage des techniques de géomètres pour mesurer les distances. Cela devait permettre aux apprentis de calculer la distance qui les séparait de leur cible. De plus, le programme de Muñoz el Bueno proposait précisément d’enseigner aux artilleurs l’usage de l’équerre de Tartaglia divisée en douze points, ainsi que la relation existant entre la variation de l’angle de hausse d’une pièce d’artillerie et sa portée :
Combien atteindra [le boulet] pour chaque point de l’équerre depuis le tir au niveau du plan de l’horizon jusqu’à la hauteur du plus grand tir possible, qui est à 45 degrés, c’est-à-dire au sixième point de l’équerre. De même, pour les mortiers, à quelle distance ils tirent depuis le point de 45 degrés et aux six autres points jusqu’au zénith, au point le plus haut130.
Cette technique pouvait non seulement servir pour un tir offensif de précision mais elle était également sollicitée lors des tests de pièces d’artillerie « pour vérifier si l’on pouvait s’en servir dans n’importe quelle situation131 ». Autrement dit, l’enseignement dans les écoles d’artilleurs incluait indubitablement une part d’arithmétique et de géométrie appliquées à l’artillerie.
540Enfin, il est par ailleurs intéressant d’observer les différences de programme induites par la vocation nautique de l’école d’artilleurs de Séville. D’abord, il faut remarquer un point particulier du programme de Palerme absent de celui de Séville ; à Palerme, on enseignait aux artilleurs quelques notions d’architecture militaire. Toutefois, cela ne signifiait nullement que les artilleurs de Séville n’étaient pas formés à l’usage terrestre de l’artillerie. D’après le texte de Muñoz el Bueno, il convenait à l’artilleur de « savoir user de l’art en campagne ou en forteresse132 », d’être capable de préparer la défense d’une place forte, de savoir battre une muraille de nuit, ou encore tirer sur un escadron de soldats lors d’une bataille. Les savoirs spécifiques à l’artillerie navale concernaient la disposition des hommes et des pièces sur un navire, ainsi que des techniques particulières de transport de pièces lors des tempêtes. Des spécificités de l’usage de l’artillerie dans une bataille navale, peu était dit, en dépit de la grande technicité du tir en mer induite par les mouvements permanents du navire133. Il était simplement précisé que le chef des artilleurs devait prendre quelques précautions (inconnues) en préparation d’un tel évènement. On enseignait également la manière de transporter la poudre lors d’un engagement, pour éviter les risques d’explosion. L’artillero mayor proposait d’enseigner à ses apprentis les raisons pour lesquelles les tirs en mer étaient plus incertains, ainsi que les solutions pour y remédier au mieux. Il s’agissait également d’apprendre comment mettre le feu aux voiles ennemies. Enfin, dernière situation de tir spécifiquement envisagée, on apprenait aux artilleurs à utiliser des types particuliers de munitions lors d’un abordage. Pour le reste, peu de différences étaient faites entre services terrestre et naval. D’ailleurs, la distinction entre ces deux milieux n’était pas une priorité de l’enseignement car elle affectait peu le contrôle des paramètres de balistique interne, principale problématique de l’artilleur du xvie siècle. C’est sans doute la raison pour laquelle l’administration militaire espagnole n’hésitait pas à recourir aux services des mêmes individus, tantôt sur mer, tantôt sur terre134. C’est certainement aussi pour cela que le thème de l’artillerie navale est si peu abordé par les traités.
541
École de Palerme (1575) |
École de Séville (1595) |
Tartaglia (1537/1546) |
Álava (1590) |
Collado (1592) |
Lechuga (1611) |
Proportion totale du traité dédiée aux différents points de ces programmes |
Nova Sci. 100 % 90/90 p. Quesiti 37 % 98/264 p. |
46 % 236/516 p. |
77 % 172/224 p. |
93 % 259/279 p. |
|
Règle de la fonderie de métal pour faire des pièces d’artillerie de toutes sortes. |
De quelle artillerie on use à présent en Europe, sur mer et sur terre, et en combien de genres elle se divise, et quels types de pièces contient chaque genre, quel est le nom de chacune d’elles et quelle proportion de métal il convient de leur donner en fonction du diamètre de leur âme. |
Quesiti 4 % fol. 19r-20v |
4 % fol. 153r-155r 159r-162v |
13 % fol. 7v-12r 17v-18r 27v-32r 34r/37r |
29 % p. 1-53 56-69 73-77 175-177 et 238 (Les deux aspects s’entremêlent) |
Règle pour savoir si les pièces ont une quantité suffisante de métal, afin que l’artilleur sache comment il peut faire feu avec sans risque de rupture. |
Quel ordre avoir afin de reconnaître chaque pièce et savoir si elle possède des proportions adéquates, tant dans sa longueur que dans la répartition de son métal, et dans quelles proportions le métal doit être réparti en fonction du diamètre de l’âme et du type de pièce, et savoir si l’âme d’une pièce est bien centrée au milieu, droite et non de travers, et si la lumière et les tourillons sont positionnés au bon endroit. |
Quesiti 4 % fol. 27r-28v |
7 % fol. 155r-157v 162v-168r |
9 % fol. 14r-17v 18v-19r 28r 29r-30r 35r-36v |
|
Règle pour connaître la qualité et la forme des affûts et autre matériel utilisés en campagne, dans les forteresses et en mer. |
Comment il convient de donner à chaque pièce l’affût qui lui correspond, la différence qu’il y a entre les affûts de mer et de terre et, au cas où il serait nécessaire d’en fabriquer de nouveaux, la taille et proportions qu’il faut leur donner, l’épaisseur de bois qu’ils doivent posséder selon le poids de la pièce ainsi que la taille et la forme que doit avoir le ferrage et, enfin, tous les appareils nécessaires pour monter l’artillerie sur son affût et l’embarquer sur un navire ou la débarquer. |
6 % fol. 19r-22r 33r-v 70r-v |
15 % p. 78-118 |
||
542
Règle pour charger les pièces de toutes sortes avec des boulets de fer, de pierre ou de plomb, et même sans cuillère à poudre. |
Quelle quantité de poudre il convient de donner à chaque pièce selon le poids du boulet, la répartition de son métal et la qualité de la poudre. Quel poids pèse chaque boulet qu’une pièce requiert en fonction du diamètre de son âme. Combien de types de boulet il y a, comment il faut les utiliser pour ne pas endommager les pièces. Dans quelles circonstances il faut user de chaque type de boulets. Quelle quantité de vent il faut donner à chaque boulet en fonction de son poids et comment cela peut se faire de manière précise. |
Quesiti 20 % fol. 18v 20v-21r/22v 24r-25v 34r-39v |
7 % fol. 168r-172r 180v-83v 187v |
10 % fol. 12r-14r 36v/38r 43r-44v 45v-46v 60r-61v 69v-70r |
3 % p. 151-155 170-172 |
Règle pour connaître les cuillères et tous les autres instruments d’artillerie. |
Comment fabriquer les cuillères de chargement afin qu’elles contiennent précisément ce qu’il faut de poudre pour chaque pièce, quels sont les outils nécessaires à l’usage de l’artillerie et à quoi sert chacun d’eux. |
6 % fol. 22r-26v 32r-v |
1,5 % p. 142-145 |
||
Règle des distances et autres mesures. |
Savoir connaître la distance qu’il y a entre le lieu où l’on nous ordonne d’installer l’artillerie et la cible sur laquelle on doit tirer, afin que, en conformité à la distance, on sache l’effet que les boulets peuvent avoir depuis le lieu en question. |
N.S.(1550) fol. 23r-32v |
30 % fol. 189r-223v |
1,5 % fol. 68r-69r et 81v |
|
Règle des batteries |
Quesiti 10 % fol. 7v-11r 24r-v |
1 % fol. 53r-54r |
0,5 % p. 183 |
||
L’art de la mine et de la contremine. |
La manière de mettre le feu à une mine sans échec. |
1,5 % fol. 256r-258r |
7 % fol. 62r-68r |
||
543
Les mixtures et artifices de feu |
Quelles armes d’artifices de feu il faut utiliser en défense d’une forteresse et comment on peut les préparer et s’en servir. Comment il faut utiliser les armes d’artifices de feu en combat naval et comment on les prépare. |
10 % fol. 94r-104r 176v |
10 % fol. 61r 80r-88v |
1,5 % p. 149-151 |
|
Connaissances suffisantes en matière de fortifications. |
Quesiti 12 % fol. 69r-75v |
15 % p. 239-279 |
|||
L’avantage qu’il y a à l’attaque et à la défense d’une place forte. |
Les préparatifs que doit entreprendre le chef artilleur d’une place forte assiégée par l’ennemi, dans la situation où un assaut semble imminent, de quelles pièces d’artillerie il faut se servir dans ce type d’actions, avec quelles munitions il faut les charger pour causer le plus de dommages […] comment il faut garder la poudre dans une forteresse pour qu’elle soit protégée de tous dangers et trahisons […] et si la victoire ennemie paraît très proche, ce qu’il faut faire pour rompre les pièces d’artillerie et brûler le matériel et les munitions afin que l’ennemi ne puisse s’en servir. Comment battre une muraille de nuit afin que les boulets atteignent précisément l’endroit que l’on souhaite, comment tirer sur des escadrons de soldats et quelles munitions il faut utiliser pour causer le plus de dégâts. |
Quesiti 3 % fol. 24r-25r |
1,5 % fol. 92v-94r |
3 % fol. 49r-v 53r-54r et 55r |
4 % p. 54-55 174 206-208 212-217 |
Faire des balles de plomb sans moule. |
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544
Enseigner à charger les pièces de toutes sortes avec des petits sacs de poudre pré-remplis. |
Comment se font les gargousses afin qu’elles contiennent précisément la quantité de poudre qu’il convient à la pièce d’artillerie. Comment il faut les marquer, les identifier et les conserver pour que, lors d’un combat, on puisse facilement prendre la cartouche adéquate pour chaque pièce. |
1 % fol. 46v-47v |
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Le test des pièces d’artillerie qui se fabriquent à la fonderie. |
Comment procéder au test et à l’examen de l’artillerie, et avec quelle quantité de poudre et quel boulet il faut réaliser le test. À quel point de l’équerre il faut faire tirer les pièces, et toutes les autres choses qui doivent se faire durant ce test, afin de vérifier que les pièces sont capables de servir dans n’importe quelle occasion. Les causes habituelles pour lesquelles les pièces se rompent, même si elles sont renforcées et possèdent toutes les qualités requises. |
Quesiti 3 % fol 26r-27r |
1,5 % fol. 158r-v 184v-85v |
2 % fol. 12v-13r 44v-45r |
1,5 % p. 185-187 |
Si l’artillerie se retrouve enclouée du fait d’une trahison ou d’une action de l’ennemi, comment on peut tout de même s’en servir en cas d’urgence en attendant de la désenclouer. Comment désenclouer une pièce d’artillerie. |
0,5 % fol. 186r |
0,5 % fol. 56r |
0,5 % p. 183 |
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Ramasser et faire du salpêtre et le raffiner pour obtenir diverses qualités. Connaître la bonté du salpêtre. |
La manière de raffiner les ingrédients de la poudre noire. |
2 % fol. 178r-180v |
1 % fol. 77r et v |
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545
Composer et raffiner les poudres de toutes sortes. Connaître la bonté et la puissance de la poudre. |
Quelle quantité il faut de chaque ingrédient pour fabriquer de la poudre noire en conformité avec ce que Sa Majesté requiert pour le service de ses armadas, comment il est possible de savoir si la composition a été respectée et si la poudre a plus ou moins de force. |
Quesiti 9 % fol 41v-46r |
3 % fol. 173r-176r 177r |
2,5 % fol. 77r et 78r-80r |
1,5 % p. 146-148 |
Raffiner la poudre sans ajouter ni salpêtre ni soufre ni charbon, au cas où l’on n’en aurait plus. Savoir sécher la poudre sans soleil, par tout temps. |
La manière de raffiner la poudre qui a pris l’humidité de la mer ou qui est mauvaise. Comment on peut rapidement sécher l’humidité même de nuit et en pleine mer. |
0,5 % fol. 177v (Poudre gâtée) |
0,5 % fol. 79r |
||
Faire des tranchées et des gabions en campagne et en forteresse. |
Comment faire des plateformes et comment on les nivèle pour qu’elles résistent au poids, et quelle importance cela peut avoir. Comment fabriquer les gabions et autres protections, et comment les installer afin de protéger des tirs ennemis les personnes qui servent l’artillerie. |
2,5 % fol. 56v-58r et 92r |
1,5 % p. 182 209-211 |
||
La règle pour déplacer, soulever, descendre et conduire l’artillerie, ainsi que la quantité et qualité des instruments nécessaires, des bœufs, mules et hommes. |
Connaître et nommer tous les appareils et objets nécessaires au déplacement de l’artillerie et savoir les utiliser, et s’il en manque certains, comment on peut les fabriquer. Combien d’artilleurs et de sapeurs il faut pour chaque pièce, et le nombre de bœufs ou de mules que chaque pièce requiert pour être déplacée en fonction de son poids. Comment il est possible de se sortir de mauvais pas, ou de gravir plus facilement des montagnes avec l’artillerie. |
Quesiti 2 % fol 19v-20r |
0,5 % fol. 186v |
11 % fol. 71r-76v 89r-92v |
9 % p. 119-141 192-195 |
546 |
Quelle portée est atteinte par des tirs à chaque point de l’équerre, depuis le niveau du plan de l’horizon jusqu’au point de la plus grande portée qui est à 45 degrés, c’est-à-dire au sixième point de l’équerre. Et de même pour les mortiers qui tirent quant à eux depuis l’angle de 45 degrés jusqu’au zénith. |
Nova Sci. >50 % Dédicace Livres I et II Quesiti 5 % fol. 5r-7r |
27 % fol 225r-256r |
8 % fol. 26v-27v 38v-41r 48v 49v-50r 51r-v |
5 % p. 70-72 155-159 161-162 164-165 168-169 |
Savoir ce que veut dire l’expression “sacar el vivo” (ligne de visée), et comment on l’obtient avec précision et à quelle distance on peut s’en servir. Comment on peut modifier la visée, et l’abaisser en cherchant les points le plus élevés de la culasse et de la bouche de la pièce. Comment on peut positionner la pièce pour un tir bien horizontal. L’art du tir de démonstration, et que le second tir permette de déterminer l’emplacement des mires et de réajuster la pièce afin que le tir suivant donne précisément sur la cible visée. Quelles sont les différences entre les tirs “por el raso de los metales”, “de punto a dentro”, “de punto a fuera”, “de punto en blanco”. |
Quesiti 18 % fol. 14v-18v 28v-33v |
2,5 % fol. 156r-157v 224r-v |
8 % fol. 38r 41r-43v (+2 car numéro 42 48r-v 50r 54r 52r-v |
2,5 % p. 159-160 163 178-181 |
|
Combien de pièces il convient de donner à chaque navire en fonction de sa taille et de son rôle, de quels types de pièces il s’agit, à quels emplacements elles doivent être installées et comment il faut ouvrir les sabords. Comment il faut faire les plateformes d’artillerie sur les navires, comment les pièces doivent s’y attacher en cas de forte tempête, afin qu’elles ne bougent pas, et les appareils qui y sont annexes. |
|||||
547 |
Quelles sont les causes expliquant pourquoi les tirs sur mer sont incertains, comment y remédier, comment il est possible de mettre le feu aux voiles ennemies, et si l’on a épuisé toutes les munitions durant un long combat, comment tirer avec des pierres, des clous, des dés métalliques et autres choses courantes sur les navires. Avec quelles munitions il faut tirer sur l’ennemi lors d’un abordage pour faire le plus de dégâts possibles. |
Quesiti 1 % fol. 23r et v |
1,5 % fol. 184r-v 188r-v |
1 % fol. 50v et 84v |
|
Quels préparatifs le chef artilleur d’un navire doit entreprendre avant un combat naval. Comment les artilleurs et les aides se répartissent et comment la poudre doit être amenée à l’artillerie afin d’être protégée du danger du feu. |
Fig. 58 – Comparaison des programmes d’enseignement des écoles d’artilleurs de Palerme (1575) et de Séville (1595).
Sources : AGS EST leg. 1144/4 et AGI IG leg. 2007. Cette table met aussi en relation ces programmes
avec le contenu des principaux traités de l’époque.
Comparaison entre programmes d’enseignement
et traités d’artillerie
Le meilleur moyen de mettre en évidence le potentiel débouché que représentaient les écoles d’artilleurs pour les auteurs de traités est de comparer ces deux programmes d’enseignement aux contenus de quelques-uns des principaux traités de l’époque. Cinq imprimés, parmi les plus démonstratifs, ont été retenus mais l’exercice aurait mené à des résultats similaires avec la plupart des autres ouvrages de l’époque. La construction de la table de comparaison de la figure 58 mérite quelques explications. D’abord, elle met en relation les différents points du programme de Palerme avec ceux correspondants (et souvent plus détaillés) du programme de Séville. Ensuite elle montre quelle proportion de chaque ouvrage a été consacrée à aborder les différentes questions des deux programmes. Ainsi, par exemple, Collado dédia près des trois-quarts de son livre à traiter de points figurant aux programmes de ces écoles d’artilleurs, tandis que dans ses Quesiti et Inventioni Diverse, Tartaglia visa une audience bien moins spécifique, ne consacrant qu’un peu plus d’un tiers de son ouvrage à ces mêmes points. Enfin, le reste de la table de comparaison identifie, pour chaque point des programmes, les passages correspondants de chacun des livres. Cela permet de montrer dans quelle mesure chacun de ces livres traite des diverses problématiques inhérentes à l’apprentissage de l’artilleur. Le poids du traitement de chacune de ces problématiques au sein des livres en question peut être visualisé à partir des valeurs en pourcentage, exprimées non pas par rapport au nombre de pages de l’ensemble de l’œuvre mais seulement en comparaison du volume consacré exclusivement à l’artillerie.
Cette table de comparaison permet de montrer que la plupart des points figurant dans les programmes d’enseignement étaient abordés dans les livres d’artillerie. Certes le degré de spécialisation variait énormément d’un ouvrage à l’autre, certains se focalisant sur l’artillerie tandis que d’autres étaient plus généralement dédiés à l’art militaire (Perfeto Capitán) ou aux mathématiques (Quesiti). Néanmoins, force est de constater que cette littérature technique couvrait presque intégralement les programmes d’enseignement des écoles. Bien que les insistances fussent variables d’un auteur à l’autre, certaines thématiques bénéficiaient presque toujours d’une place privilégiée. Ainsi, par exemple, la classification des différents types de pièces et les techniques permettant de mesurer leurs proportions 549occupaient systématiquement un volume important, de 10 à 30 % selon les auteurs. De même, dans chaque traité, la problématique de la variation de la portée d’un tir en fonction de l’angle de hausse de la pièce – élément essentiel du « tir par la raison » – obtenait toujours au moins quelques pages de discours, voire des chapitres entiers. Par ailleurs, il faut noter que le traitement de certaines questions pouvait aisément glisser d’une thématique à l’autre. Ainsi, la question, systématiquement importante, de savoir quelle quantité de poudre mettre dans les différents types de pièces empiétait parfois sur celle de la fabrication des cuillères de chargement de poudre. En effet, plutôt que de proposer comme Tartaglia et Álava, des poids de poudre à charger, Collado et Lechuga intégraient ce paramètre, à l’aide de la géométrie, dans la fabrication des cuillères, instruments bien plus commodes à utiliser en combat que les balances. Enfin, il faut noter que quelques points des programmes étaient systématiquement ignorés par les traités. Il s’agissait en particulier des aspects spécifiques à l’usage naval de l’artillerie, présents dans le programme sévillan. Le processus de formalisation des savoirs était manifestement encore incomplet. Cependant, malgré ces quelques lacunes, il apparaît clairement que ces livres formalisant les savoirs sur l’artillerie pouvaient effectivement servir de bases à l’enseignement dans les écoles d’artilleurs de Palerme et de Séville.
Le plus ancien de ces traités, la Nova Scientia, fut publié en 1537, à Venise, c’est-à-dire dans un contexte où les premières écoles d’artilleurs étaient apparues135. Or, la composition de cet ouvrage constitue une exception paradoxale du corpus. L’étrangeté réside dans le fait qu’il s’agit d’un livre entièrement consacré à l’artillerie, mais qui ne développe que deux points de la formation de l’artilleur : d’une part, il exposait les différentes techniques de géomètre pour mesurer les distances et, d’autre part, il investiguait en profondeur la relation entre l’angle de hausse d’une pièce d’artillerie et la portée de ses tirs. Bien qu’il soit difficile de l’affirmer puisque les programmes d’enseignement datent d’une époque postérieure, ce livre de Tartaglia présentait probablement de nombreuses lacunes pour servir réellement de support au sein des écoles d’artilleurs vénitiennes. Cependant, le système d’enseignement émergeait tout juste à Venise et il s’agissait de la première tentative de formalisation des savoirs sur l’artillerie ayant connu une version imprimée.
550Publiées par le même auteur neuf ans plus tard, les Quesiti et Inventioni Diverse répondaient quant à elles beaucoup mieux aux nécessités de la formation d’un artilleur telles que les présentaient les programmes de Séville et de Palerme. Néanmoins, cette fois-ci, Tartaglia avait visé un spectre de lecteurs bien plus large. À peine plus d’un tiers du traité était consacré aux questions d’artillerie tandis que le reste abordait des questions de mathématiques appliquées à des activités aussi diverses que la mise en forme des régiments d’infanterie, la comptabilité marchande ou encore la mécanique. Encore peu institutionnalisé, l’enseignement de l’artillerie ne représentait peut-être pas un marché assez grand aux yeux de l’auteur pour mériter un ouvrage complet. Néanmoins, les chapitres consacrés à l’artillerie couvraient, dans un volume de pages comparable à la Nova Scientia mais de manière plus exhaustive, les différentes problématiques auxquelles devaient faire face un artilleur. La fréquentation du milieu des artilleurs et fondeurs de l’arsenal (mise en scène dans le livre) avait peut-être permis à Tartaglia de mieux cerner leurs besoins réels. Il n’est par conséquent pas étonnant que ce fut ce traité, et non la Nova Scientia, qui retint le plus l’attention des artilleurs de la garnison de Perpignan.
Le Perfeto Capitán fut l’un des premiers livres à proposer une formalisation des savoirs de l’artilleur en castillan. Toutefois, plus de la moitié de cet ouvrage était consacrée à la formation du parfait capitaine, qui devait constituer, pour l’homme de cour qu’était l’auteur, le public de premier choix de l’œuvre. Pourtant, la comparaison de ce traité avec les programmes de Séville et de Palerme tend bien à confirmer l’hypothèse selon laquelle il déroba au maître artilleur de Trapani (Alonso de Salamanca) le marché des écoles d’artilleurs. En effet, élargissant encore un peu le spectre des problématiques par rapport aux Quesiti de Tartaglia, l’ouvrage de Diego de Álava couvrait une grande partie des programmes d’enseignement. Que ce soit ou non une conséquence de la volonté propre de l’auteur, ce livre largement diffusé intéressait de facto les écoles d’artilleurs. Néanmoins il y a dans cet imprimé un certain déséquilibre dans le traitement des problématiques, les questions des mesures de distance et des angles de hausse représentant à elles seules plus de la moitié du volume consacré à l’artillerie. La cause en était qu’Álava souhaitait bâtir son autorité contre l’auteur de la Nova Scientia et qu’il reprenait donc de manière détaillée les mêmes problématiques. 551En outre, ce choix était, de la part de l’auteur, une tactique permettant de mettre en avant ses points forts – sa virtuosité en mathématiques – au détriment de ses faiblesses – son manque total d’expérience de l’artillerie. Les aspects les plus techniques de son livre, concernant la classification des pièces ou encore la réalisation d’artifices de feu, provenaient d’autres ouvrages, notamment le manuscrit que l’artilleur Cristóbal de Espinosa avait dédié à son père en 1584, ainsi que le premier ouvrage de Luis Collado, publié en italien et dont Álava traduisit certains passages en castillan136.
Parmi le corpus de traités d’artillerie écrits en castillan, le Plática Manual de Luis Collado fut sans doute le plus proche des programmes d’enseignement en place au sein des écoles d’artilleurs. L’ouvrage était aux trois quarts consacré à ce type de problématiques, le reste étant dédié à l’histoire de l’artillerie, à la mise en scène d’un examen d’artilleur, ainsi qu’à quelques indications destinées aux capitaines d’artillerie. De tous les ouvrages analysés, il était le plus exhaustif dans son traitement des différentes problématiques figurant dans les programmes sicilien et sévillan. Il est important de rappeler que son auteur, qui était en charge de l’examen des artilleurs à Milan, avait la prétention d’avoir écrit un livre servant de modèle pour la formation des artilleurs au sein des écoles. On peut raisonnablement considérer ce traité comme le plus proche de ce qui devait être enseigné aux artilleurs lors des leçons théoriques à la fin du xvie siècle.
Le traité rédigé par Cristóbal Lechuga, bien que relativement proche des programmes d’enseignement, était moins exhaustif que celui de Collado. Il insistait particulièrement sur certains aspects peu ou mal traités par la littérature technique publiée jusqu’alors. Ainsi, il intégrait des descriptions techniques détaillées des affûts, sujet généralement peu approfondi par les auteurs du xvie siècle. De même, il décrivait des méthodes très précises de mesure des proportions des pièces d’artillerie et développait plusieurs pages sur leur fabrication à la fonderie. À eux seuls, ces trois aspects techniques représentaient près de la moitié de l’ouvrage. D’ailleurs, pour la plupart des autres aspects, le capitaine Lechuga ne daignait même pas rédiger lui-même. Il s’était contenté de recopier, en les traduisant en castillan, des passages issus du livre de 552Gabriel Busca137. En 1611, lorsqu’il publia son traité, un vaste processus de formalisation des savoirs avait déjà alimenté les demandes des écoles d’artilleurs. Il ne s’agissait plus d’être exhaustif, mais de compléter et améliorer ce qui avait été abordé trop superficiellement par les auteurs précédents.
Les artilleurs ont-ils lu
les traités d’artillerie ?
Comme ce chapitre vient de l’exposer, de multiples indices tendent à prouver que les traités d’artillerie servaient de supports à la formation et à l’examen des artilleurs. Néanmoins, une dernière question reste en suspens : dans quelle mesure ces artilleurs, issus pour la plupart de milieux modestes, ont-ils pu lire des traités d’artillerie appliquant la géométrie, l’arithmétique et la philosophie naturelle d’Aristote à l’art du tir au canon ? À la recherche de preuves directes de la lecture de ces ouvrages par les artilleurs, je propose d’aborder ce thème fascinant de la lecture à travers une étude sur la matérialité des livres et sur les traces que certains lecteurs ont pu y laisser. Après un aperçu général des résultats trouvés suite à la consultation de plusieurs dizaines d’exemplaires de traités, la fin du chapitre exposera ce que deux lecteurs-artilleurs ont annoté et commenté dans leurs exemplaires de Collado et Álava.
Matérialité des traités et traces de lecture
Dans les trois dernières décennies, l’historiographie du livre a démontré combien s’intéresser à la matérialité du texte était pertinent lorsqu’il s’agit d’étudier la lecture et les modes d’appropriation des livres138. Cette dernière partie s’appuie donc sur l’analyse d’un échantillon d’exemplaires 553de traités consultés dans six grandes bibliothèques de Madrid et de ses environs139. L’étude a porté sur un total de 67 exemplaires comprenant 20 éditions différentes des principaux traités d’artillerie depuis la Nova Scientia de 1537 jusqu’à l’édition du traité d’Ufano de 1613140. De même que l’exemplaire de la Nova Scientia, édition 1558, du Musée Galileo de Florence, contient un ex-libris de Giorgio Vasari et des annotations de Galilée lui-même141, ces nombreux exemplaires madrilènes ont été consultés dans le but de trouver des ex-libris et des annotations manuscrites fournissant des informations sur les propriétaires de ces livres et sur la lecture qu’ils ont pu en faire.
Le format de ces traités invite tout d’abord à quelques commentaires. La grande majorité des éditions adoptèrent comme format l’in-4o mais il faut noter que certains des traités les plus célèbres – ceux de Collado, Álava et Lechuga – furent publiés en grand format in-folio. La forte présence dans ce corpus des exemplaires de ces trois auteurs s’explique sans doute autant par le nombre important de tirages que par leur grand format favorisant la conservation. Il faut également noter que ces exemplaires, qu’ils fussent in-folio ou, dans une moindre mesure, in-4o, avaient un format peu propice, a priori, à une diffusion auprès des artilleurs. À l’exception des livres de Lazaro de la Isla publiés en format de poche in-8o, ces traités étaient tous encombrants et par conséquent, il est difficile de les imaginer côtoyant les champs de bataille, que ce soit dans un navire ou dans une armée. De plus, les moyens et grands formats constituaient des objets relativement coûteux. En tenant compte également des nombreuses gravures dont ils sont tous ornés, il faut en déduire que le prix d’acquisition de ces œuvres n’était sans doute pas à la portée de tous les apprentis des écoles d’artilleurs.
À qui ces livres ont-ils donc appartenu ? Des ex-libris situés en début d’ouvrage fournissent parfois des informations à ce sujet. Néanmoins, 554la pratique d’inscrire le nom du propriétaire du livre était loin d’être systématique. Un tiers, seulement, des exemplaires consultés présentent au moins un ex-libris. Les informations qu’ils apportent à cette analyse sont, en outre, très irrégulières. Ainsi, dans certains cas, seul un nom apparaît, rendant l’ex-libris difficilement utilisable. D’autres fois, le nom est accompagné d’une date, parfois d’un titre, voire d’un petit texte permettant d’esquisser un contexte d’acquisition ou de lecture. Enfin un certain nombre de ces ex-libris n’apparaissent qu’à une période tardive de l’histoire de ces exemplaires, à l’image de ce Plática Manual de Collado, dont la succession des propriétaires a été soigneusement enregistrée seulement à partir du xviiie siècle142. Néanmoins, il est possible de déduire de ces ex-libris de nombreuses informations sur la possession et la circulation des livres.
Ces ex-libris mettent d’abord en évidence les multiples changements de mains de certains de ces livres dans les décennies qui suivirent leur publication. Ce marché du livre d’occasion apparaît clairement dans l’ex-libris d’un exemplaire du Plática Manual de Collado :
Ce petit livre est à Estefano de Salas, recamatore (brodeur ?) et architecte, et je l’ai acheté à Naples, place de l’Olmo, en l’année 1610, il m’a coûté 38 carlines d’argent chez Antonio Pescarelo143.
Ainsi, en 1610, cet individu acheta d’occasion à Naples, un traité qui avait été publié à Milan dix huit ans plus tôt. Le livre lui avait coûté 38 carlines d’argent ce qui, sans être véritablement bon marché, restait un investissement à la portée d’un artilleur, équivalent à un peu moins d’un mois de salaire144. D’autres traces de ces ventes d’occasion apparaissent dans certains ouvrages. Ainsi, le frontispice d’un autre exemplaire du Plática 555Manual montre toute une superposition de retouches. D’un côté, se trouve un ex-libris portant un nom et une date (1606 ?) extrêmement difficiles à déchiffrer car quelqu’un a pris la peine de les recouvrir intégralement de rayures à l’encre. Après avoir effacé la marque du propriétaire précédent, cette personne, probablement un vendeur de livres d’occasion, a écrit de l’autre côté « Il est à qui l’achètera145 », afin de remettre l’exemplaire en vente. Cette courte phrase est quant à elle recouverte d’un bout de papier – rajouté par l’acheteur ? – tentant de masquer cette trace du rachat du livre. Seule une lecture à la loupe avec une source de lumière derrière la page permet de révéler ces indices de changement de mains.
Par ailleurs, le changement de propriétaires pouvait s’effectuer au sein de certains milieux sans l’intermédiaire d’un vendeur. Ainsi, en novembre 1595, un certain Glateson, anglophone, acheta un exemplaire du Perfeto Capitán146. Cet ex-libris rédigé dans un castillan maladroit et erroné montre que son propriétaire évoluait dans un espace hispanophone. L’histoire ne dit pas ce qu’il y faisait, mais ce qui est certain, c’est que le livre passa à un autre anglophone, six ans plus tard, en mars 1601, lui aussi capable d’écrire en castillan147. L’exemplaire avait manifestement circulé au sein d’un milieu anglophone probablement établi en Espagne. D’ailleurs, les annotations manuscrites qu’il contient montrent un usage tout à fait original de ce livre : l’un des lecteurs, vraisemblablement Glateson, chaque fois qu’il rencontrait un mot castillan qu’il ne connaissait pas, en cherchait la traduction anglaise et l’écrivait à côté du mot imprimé148. La lecture de ce Perfeto Capitán en résultait plus aisée pour un public d’amis anglophones ayant une certaine familiarité avec le castillan, mais n’étant pas parfaitement bilingues. Le cas n’était pas une exception car d’autres ex-libris témoignent, avec moins d’éloquence, de la circulation fréquente de ces livres auprès de lecteurs d’autres langues maternelles149.
556Les propriétaires de ces livres représentent un ensemble social relativement hétérogène. Parmi les noms, figurent trois hauts aristocrates identifiés par la particule don, mais un seul d’entre eux, don Diego Hurtado de Mendoza, vécut à l’époque étudiée150. D’autres noms castillans très simples et sans particules apparaissent, preuve que la possession de ces ouvrages n’était absolument pas l’apanage de la noblesse151. Des religieux firent même l’acquisition de ces livres pourtant à première vue destinés à un public militaire152. L’exemple cité plus haut mettait en scène, à Naples, en 1610, un éclectique recamatore (brodeur ?) et architecte portant un nom à consonance hispanique (Estefano de Salas) achetant le traité in-folio de Collado. Enfin, malgré l’absence d’ex-libris, il est possible d’émettre des hypothèses quand à l’activité de certains propriétaires. Ainsi, par exemple, un exemplaire du Perfeto Capitán contient encore une feuille manuscrite de reçus et dépenses (cargo y data) dont la structure et l’écriture sont typiques des documents comptables de l’administration militaire espagnole de la fin du xvie siècle et du début du xviie siècle153. Découpé et inséré au milieu du livre, ce document semble avoir servi de marque-page à un lecteur faisant probablement partie des nombreux comptables militaires de la Monarchie. De même, à la fin d’un exemplaire du traité de Lechuga, se trouvent plusieurs pages de notes comptables de l’année 1619, relatives à la mine de mercure d’Almadén, exploitée par des agents de la Monarchie154. Le propriétaire du livre était selon toute vraisemblance un des administrateurs ou des comptables de cette mine. En ce sens, les traités d’artillerie suivent la tendance générale des autres livres qui, comme le formule Roger Chartier, « circulent dans la totalité du monde social155 ».
557Les autres annotations manuscrites constituent quant à elles de véritables indices de lecture. D’abord, un premier chiffre peut surprendre : 43 % des exemplaires de l’échantillon ont traversé, vierges de toute annotation, les 400 années séparant leur publication de l’époque actuelle. Deux remarques s’imposent à ce sujet. D’abord, il faut observer qu’une grande proportion de ces livres sans notes est issue des grandes collections de la haute aristocratie. Ainsi, par exemple, don Diego Hurtado de Mendoza n’a absolument pas annoté l’exemplaire de la Nova Scientia que Tartaglia lui a vraisemblablement offert lorsqu’il était ambassadeur de Charles Quint à Venise156. De même, les nombreux exemplaires provenant de la bibliothèque du comte de Gondomar, ambassadeur de Philippe III à Londres, sont tout autant immaculés157. La lecture et l’usage de ces livres par les aristocrates bibliophiles se distinguaient donc de ceux des autres propriétaires. Ce fait invite même à se demander dans quelle mesure la possession de ces livres relevait pour ces hommes d’un intérêt de lecture spécifique ou plutôt de la constitution d’une collection allant de pair avec la construction d’une identité nobiliaire et érudite particulière. La deuxième remarque qui s’impose est que ces exemplaires sont surreprésentés dans l’échantillon car leur conservation a été favorisée par rapport à ceux qui vécurent une existence plus tourmentée, passant entre de nombreuses mains. En effet, la bibliothèque de don Diego de Mendoza fut incorporée, après sa mort en 1576, à la bibliothèque de l’Escurial, et ses ouvrages ont donc été préservés sans altérations pendant près de 450 ans158. De même, la bibliothèque du comte de Gondomar fut conservée par ses héritiers, puis transmise à la Monarchie en 1785, à la mort du dernier de la lignée159.
558
Titre |
Auteur |
Date |
Format |
Aucune note |
Ex-libris |
Signes |
Mots/phrases |
Calculs/schémas |
Nova Scientia |
Tartaglia |
1537 |
4o |
1 BNE R/1307(2) |
1 BNE R/1307(2) |
|||
Nova Scientia con una gionta… |
Tartaglia |
1550 |
4o |
2 Es Mesa 11-II-21(2) PR X/4405(2) |
||||
Nova Scientia con una gionta… |
Tartaglia |
1558 |
4o |
1 AS 39-2-41(1) |
||||
Nova Scientia con una gionta… |
Tartaglia |
1583 |
4o |
1 BNE R/23125(1) |
||||
Quesiti et Inventioni Diverse |
Tartaglia |
1546 |
4o |
1 BNE R/23125(2) |
1 BNE R/23125(2) |
1 BNE R/23125(2) |
||
Quesiti et Inventioni Diverse |
Tartaglia |
1554 |
4o |
2 Es Mesa 11-II-21(1) PR IX/ |
||||
Quesiti et Inventioni Diverse |
Tartaglia |
1562 |
4o |
1 AS 39-2-41(2) |
||||
Opera nuova de fortificare |
Cataneo |
1564 |
4o |
1 Es Mesa 9-II-11 |
||||
Avvertimenti |
Cataneo |
1567 |
4o |
1 PR IX/8333 |
1 PR IX/8333 |
1 PR IX/8333 |
||
559
Avvertimenti |
Cataneo |
1571 |
4o |
1 PR PAS/ |
||||
Avvertimenti |
Cataneo |
1582 |
4o |
2 BNE 2/28753(2) Es 49-II-19 |
||||
Dell’arte militare… |
Cataneo |
1584 |
4o |
1 PR VIII/398 |
1 BNE 2/28753(1) |
1 PR VIII/ |
||
Pratica manuale di arteglieria |
Collado |
1586 |
Fol |
1 PR IX/9081 |
1 BNE R/4299 |
|||
Plática manual de artillería |
Collado |
1592 |
Fol |
1 PR VIII/579 |
6 AS 39-4-61 BCM V-70-1-17 BNE R/6376 PR III/1677 PR VIII/ PR X/359 |
11 AS 39-4-60 AS 39-4-61 BCM V-70-1-17 BNE R/4298 BNE R/6376 BNE R/10531 BNE R/15048 MN CF 443 PR III/1677 PR VIII/ PR X/359 |
8 BNE R/5176 BNE R/6376 BNE R/10531 BNE R/15048 MN CF 443 PR III/1677 PR VIII/ PR X/359 |
3 AS 39-4-61 BNE R/6376 PR VIII/ |
560
El Perfeto Capitán |
Álava y Viamont |
1590 |
Fol |
8 AS 42-15-34188 BCM 1590/2 BNE R/2062 BNE R/6715 Es 34-I-5 PR VII/29 PR VIII/4702 PR VIII/4703 |
5 AS 39-4-68 AS 42-15-34186 BCM 1590/1 BNE R/7658 MN CF-19 |
5 AS 39-4-68 AS 39-4-69 AS 42-15-34187 BCM 1590/1 BNE R/7666 |
8 AS 39-4-68 AS 39-4-69 AS 42-15-34187 BCM 1590/1 BNE R/7658 BNE R/7666 BNE R/11672 MN CF-19 |
3 AS 39-4-68 BCM 1590/1 BNE R/7666 |
Breve tratado de artillería… |
De la Isla |
1595 |
8o |
1 Es 14-VI-16 |
1 BCM 1595/1 |
|||
Breve tratado de artillería… |
De la Isla |
1603 |
8o |
1 PR IX/4887 |
||||
Discurso que trata de la artillería |
Lechuga |
1611 |
Fol |
3 AS 39-4-76 BNE R/15049 PR XIV/1009 |
1 BNE R/10535 |
4 BCM 1611/1 BNE R/10535 BNE R/15055 PR XIV/ |
3 BCM 1611/1 BNE R/10535 BNE R/15055 |
|
Tratado de la artillería y uso della |
Ufano |
1612 |
4o |
2 AS 39-2-21 BNE R/3006 |
2 PR PAS/ARM 4/28 PR XIV/43 |
|||
561
Tratado de la artillería y uso della |
Ufano |
1613 |
4o |
1 PR IX/6909 |
1 BNE R/594 |
1 BNE R/4828 |
2 BNE R/594 BNE R/4828 |
|
TOTAL (sur 67 exemplaires) |
29 |
20 |
22 |
24 |
10 |
|||
Pourcentage de l’échantillon |
43 % |
30 % |
33 % |
36 % |
15 % |
Fig. 59 – Annotations manuscrites rencontrées dans 67 exemplaires de traités d’artillerie.
Chaque exemplaire est référencé par la bibliothèque où il se trouve ainsi que par sa cote bibliothécaire.
Abbréviations : AS pour l’academie d’artillerie de Ségovie, BCM pour la Biblioteca Central Militar,
BNE pour la Bibliothèque Nationale d’Espagne, Es pour l’Escurial, MN pour le Museo Naval,
PR pour le Palacio Real.
Malgré cette surreprésentation des exemplaires d’aristocrates bibliophiles, la majorité des exemplaires consultés possèdent des annotations manuscrites qu’il convient de caractériser et commenter. D’abord, type d’annotations les plus discrètes, les signes se rencontrent dans un peu moins d’un tiers des exemplaires. Ces signes présentent une grande diversité de formes : il peut s’agir de passages soulignés, de croix, de traits ou de points dans la marge. Parfois, un signe plus élaboré était dessiné, comme ces mains avec un doigt pointant vers une ligne, qui figurent dans deux exemplaires160. Quelquefois, un même lecteur utilisait différents signes marginaux, sans qu’il soit possible de savoir si ces différences revêtaient une signification particulière ou bien si elles n’étaient que le fruit d’une fantaisie161. Ces traces mettent en avant l’intérêt d’un lecteur pour certains passages spécifiques. Elles préparaient potentiellement une relecture rapide permettant d’attirer visuellement l’attention sur les passages que le lecteur considérait comme importants. Ces exemplaires étaient donc lus avec une certaine attention puis éventuellement consultés de nouveau pour s’en remémorer certains aspects.
Par ailleurs, un peu plus d’un tiers des exemplaires consultés possédaient des mots ou des phrases manuscrites de natures extrêmement variables. Dans certains cas, seul un ou deux mots avaient été écrits dans tout le livre162. Régulièrement, ces notes manuscrites visaient à corriger certains mots ou certaines phrases163. Quelques-unes de ces notes avaient également une fonction de soutien à la relecture similaire aux signes. Il en va ainsi d’un exemplaire des Quesiti de Tartaglia, dans lequel un lecteur a trouvé judicieux d’ajouter des titres en marges des questions164. Certains lecteurs ajoutèrent leurs commentaires comme dans cet exemplaire du Perfeto Capitán où se trouve précisé à côté du nom de Syracusa qu’il s’agit d’une ville qui « s’appelle de nos jours Saragosse de Sicile165 ». Intéressé par le contexte d’écriture de cette œuvre, ce même lecteur a d’ailleurs copié 563une biographie de Gerónimo Muñoz, le maître de Diego de Álava166. De tels ajouts se rencontrent dans quelques ouvrages à propos d’informations techniques sur l’artillerie. Ainsi, dans la partie du traité de Collado portant sur la description des différentes pièces d’artillerie, un lecteur a considéré important d’ajouter un passage manuscrit intitulé « Chapitre qui traite des pétards, de leur fabrication et de la raison pour laquelle ils furent inventés167 ». Ce bref chapitre de quelques phrases venait compléter la classification de Collado, qui avait effectivement omis de mentionner ce type d’armes destinées à « détruire les portes » et qui, faut-il le mentionner au passage, figurait au programme de l’école de Séville168. Ajout encore plus conséquent, un exemplaire de Diego Ufano contient un supplément manuscrit de plusieurs pages, divisé en différents chapitres, portant principalement sur la confection des grenades et artifices de feu169.
Enfin, le dernier type d’annotations présent dans ces livres renvoie à tout ce qui est matériel mathématique, qu’il s’agisse de figures géométriques ou de calculs. Notamment, en marge des tables de Diego de Álava ou bien encore à côté des techniques de géométrie appliquées à la mesure des pièces et à la fabrication des cuillères chez Collado et Lechuga, des chiffres se retrouvent empilés, traces d’un calcul réalisé par un lecteur170. Malheureusement, le sens en est souvent difficile à percer. Ces notes montrent au moins l’affinité aux mathématiques de certains lecteurs des traités d’artillerie. Cependant, ils ne sont pas très nombreux à laisser de tels indices : à peine 15 % des exemplaires consultés en possèdent. L’identité de leurs auteurs est méconnue. Des noms simples apparaissent, tels que Iànelo171 et Gab Lopez172. Leur profession est pour la plupart d’entre eux inconnue, hormis pour cet individu qui semblait travailler dans l’administration des mines de mercure d’Almadén173. En tout cas, ces hommes ont un usage plus 564intensif du traité que la plupart des autres lecteurs. Ils refont les calculs des auteurs, ou bien les adaptent à leur propre situation. Ils dessinent des schémas, s’appropriant les figures de ces livres174.
Comment interpréter cette diversité de cas ? Ces objets révèlent une multitude de lectures. Certains préservent et collectionnent, d’autres interagissent et marquent leur passage. L’ouvrage intéresse, alors on annote le texte, on souligne les passages mémorables, on prépare une future relecture. On n’hésite pas, parfois, à adapter le texte. Il s’agit de corriger une faute d’orthographe due à l’impression, ou bien de compléter le texte selon ses propres attentes. Les lecteurs compétents en mathématiques vérifient les calculs des auteurs, appliquent les méthodes à leurs propres problématiques ou bien s’entraînent en refaisant. Finalement, ce qui a été recensé ici, ce sont les rares traces visibles de ce « braconnage » qu’est la lecture – pour reprendre l’expression de Michel de Certeau175 – pratique qui reste en grande partie silencieuse face à l’historien. À ces divers usages correspondent une multitude de braconniers difficiles à identifier. D’ailleurs, il faut noter que, du fait des nombreux changements de mains de certains ouvrages, il n’est pas toujours évident d’attribuer ces notes à l’individu en ex-libris, ni même de dater précisément les annotations176. Les notes révèlent par ailleurs des intérêts particuliers de certains individus. Ainsi, l’anglophone Glateson n’annota que la partie du Perfeto Capitán traitant de l’art militaire, délaissant les chapitres sur l’artillerie177. Dans un autre exemplaire du même traité, deux écritures différentes révèlent les intérêts distincts de deux lecteurs successifs, l’un intéressé par la première partie de l’œuvre, commentant les récits que fait Diego de Álava à propos de l’histoire militaire antique, et l’autre, amateur de calculs, annotant les tables de la partie sur l’artillerie178. La pluralité des lectorats, comme celle des lectures, apparaît évidente à travers cette brève analyse des livres dans leur matérialité. Mais alors, qu’en-est-il du public des artilleurs ?
565Ces artilleurs qui ont lu Collado et Álava
Sur les 67 exemplaires consultés, il a été possible d’en identifier seulement deux ayant été annotés par des artilleurs. Le résultat pourrait paraître décevant, mais il n’a rien de surprenant car, comme cela vient d’être expliqué, l’identification des lecteurs n’est pas aisée. D’une part, la pratique de l’ex-libris était loin d’être systématique et, d’autre part, les informations inscrites permettent d’obtenir un nom mais rarement une profession. Il est par conséquent fort probable que d’autres artilleurs se cachent parmi les lecteurs des exemplaires de ce corpus.
Le premier exemplaire ayant appartenu à un artilleur est un Plática Manual de Luis Collado179. Cet objet a d’ailleurs déjà été évoqué précédemment lorsqu’a été présenté le marché de l’occasion des traités d’artillerie. Il s’agit de ce livre possédant un ex-libris rayé par un vendeur de livres afin de supprimer l’identité du propriétaire précédent. À l’aide d’une lumière placée derrière la page, le déchiffrement, bien que difficile, permet clairement d’identifier le mot artillero, voire l’expression artillero mayor rappelant le poste d’enseignant de l’école de Séville. Le reste de l’ex-libris est véritablement sujet à interprétations tant la lecture en est délicate. Une date y figure : août de l’année 1596, ou 1606 ou encore 1696, impossible de le savoir plus précisément sans un outillage technique plus performant que l’œil humain. Néanmoins, malgré ces incertitudes, l’objet a manifestement appartenu à un artilleur hispanophone moins d’un siècle après sa sortie des presses.
Il faut dores et déjà annoncer que ce livre contient une quantité hors norme d’annotations. D’abord, cet artilleur lecteur souhaita corriger certains passages de Luis Collado qu’il jugeait erronés. Ainsi, il commenta qu’une certaine remarque de Collado sur le réglage des mires était fausse180. Un peu plus loin, il nota que la gravure d’un tonneau explosif était mal réalisée, la mèche devant être placée différemment181. Il corrigea également certaines réponses de l’examen d’artilleur à propos des types de poudre à utiliser ainsi que d’autres instruments d’artilleur182. Il ajouta aussi des informations, par exemple sur des types de boulets 566particuliers appelés angeles183. Il est certainement inutile de multiplier à l’excès ces remarques : manifestement, ce lecteur avait non seulement réalisé une lecture attentive et en profondeur de l’œuvre de Collado, mais il disposait d’assez de connaissances techniques pour en discuter les moindres détails. Loin d’accepter le rôle de disciple passif absorbant la science de Collado, cet artilleur avait l’attitude du maître passant au crible de sa critique la doctrine d’un autre maître. Cette attitude, ainsi que l’ex-libris faisant (peut-être) référence à un artillero mayor laissent supposer qu’il pouvait s’agir d’un homme en charge de la formation des artilleurs à Séville ou dans quelque autre lieu de l’empire espagnol.
Autre élément intéressant, il faut souligner les compétences en mathématiques de l’individu. Ce dernier n’hésita pas à reprendre les calculs de proportions de Luis Collado à propos du positionnement des anses sur les pièces d’artillerie184. Quelques pages plus loin, il remarqua avec justesse que Collado, voulant diviser « cinq et un quart par trois » avait obtenu un résultat erroné de « un et un quart185 ». Il remplaça cette valeur par le résultat correct de « un et trois quarts ». Certes, il s’agit de mathématiques très basiques, mais il faut reconnaître que non seulement cet individu connaissait le maniement des proportions et des divisions, mais également qu’il vérifiait avec précaution les informations numériques contenues dans l’ouvrage. Pourquoi corriger ces erreurs dans le texte ? Peut-être l’exemplaire-t-il était amené à circuler dans un cercle élargi de lecteurs (des disciples ?) que le propriétaire de l’objet souhaitait prémunir contre les erreurs du texte. Malheureusement, les informations quant à cet individu et au contexte dans lequel il évolua demeure incertaines.
Il en va tout autrement du second exemplaire portant les traces d’un artilleur-lecteur. Il s’agit d’un Perfeto Capitán présentant sur son frontispice un ex-libris (barré ultéreurement) d’un certain « Pedro J. de Villanueva186 ». Or, l’année où fut publié le traité de Diego de Álava, le caporal des artilleurs de la ville de Pampelune se prénommait justement Pedro de Villanueva187. Il servait alors en tant qu’artilleur depuis douze 567années et le capitaine général de l’artillerie don Juan de Acuña Vela avait manifestement une bonne opinion de sa personne :
Pedro de Villanueva a bien servi Votre Majesté comme il le prétend, ayant toujours accompli son devoir et, pour cette raison et parce qu’il est bon artilleur et fait bien attention, on lui a donné le poste de chef des artilleurs, pour qu’il enseigne aux autres artilleurs et les encadre188.
Autrement dit, Pedro de Villanueva était chargé de la formation des artilleurs – une quarantaine selon ce même document – de la garnison/école de Pampelune en Navarre. Venu à Madrid réclamer de l’argent au conseil de guerre en octobre 1590, juste après la publication dans cette même ville du Perfeto Capitán, il y a fort à parier qu’il repartit en Navarre avec cet exemplaire sous le bras. Seconde hypothèse, si Pedro de Villanueva et Pedro J. de Villanueva ne furent pas les mêmes individus, le second fut sans doute fils ou neveu du premier. En effet, le chef des artilleurs de Pampelune, Pedro, avait un frère nommé Juan de Villanueva, lui aussi artilleur de cette garnison, qui décéda à bord d’un navire parti de Pasajes en 1589189. Pedro J. (Pedro Juan ?) pourrait en ce sens être le fils de l’un ou de l’autre.
Fig. 60 – Ex-libris (barré) de Pedro J. de Villanueva sur un exemplaire
du Perfeto capitán de D. de Álava y Viamont, Madrid, 1590. Document appartenant
aux collections de la bibliothèque de l’Académie d’artillerie de Ségovie.
Qu’il fût un proche du maître ou le maître lui-même, ce Pedro J. de Villanueva disposait manifestement de solides connaissances en artillerie et en mathématiques. Son livre est incontestablement le plus abondant en annotations des 67 exemplaires consultés. L’absence de notes dans la première partie du traité montre que l’intérêt de ce lecteur fut circonscrit aux chapitres de la seconde moitié du Perfeto Capitán, exclusivement dédiés à l’artillerie. En outre, cet exemplaire présente un caractère exceptionnel autant pour la quantité des annotations manuscrites que pour leur qualité qui témoigne d’une lecture minutieuse, critique et intelligente, voire experte. Pedro J. de Villanueva disposait de toute évidence de l’outillage intellectuel suffisant pour comprendre dans ses moindres détails ce traité, pourtant l’un des plus théoriques du corpus.
D’abord, il faut noter que Villanueva se montrait extrêmement à l’aise en arithmétique et en géométrie, comme l’illustre l’exemple suivant. Dans la partie que Diego de Álava dédia à la mesure des distances, il consacra plusieurs pages à une technique particulière de mesure à partir de la figure ci-dessous. L’idée était que, connaissant la distance AB du lieu où se tenaient les batteries de canons, et les six angles ayant pour sommet les points A et B, l’utilisateur de cette technique devait être capable de calculer toutes les autres distances des points C, D et E, représentant la muraille d’une forteresse. Ce calcul, relativement complexe, faisait appel à des règles de la géométrie euclidienne, à la règle de trois et à des tables de sinus des angles. Or, dans son exemplaire, Pedro de Villanueva reprit ce problème tout en modifiant certaines valeurs190. Il se révèle parfaitement à l’aise dans l’usage de la table des sinus et des différents calculs avec des fractions à cinq chiffres (par exemple 12 754 sur 53 927), barrant les résultats de Diego de Álava et les remplaçant, d’une main assurée, par les fruits de ses propres calculs qu’il sut mener à bien à travers plusieurs pages de l’exposé imprimé. Cet homme était parfaitement capable de comprendre la longue démonstration de cette technique de géomètre et il savait manifestement calculer des distances à partir de données théoriques en proposant des résultats précis au centième de pas près191.
569Fig. 61 – Annotations par Pedro de Villanueva d’un schéma du Perfeto capitán
de D. de Álava y Viamont, Madrid, 1590. Document appartenant aux collections de la bibliothèque de l’Académie d’artillerie de Ségovie.
Ce souci extrême de Villanueva pour la précision est perceptible à divers endroits de son exemplaire. L’un des plus notables intervient là où l’auteur du livre, Diego de Álava, a construit une table permettant de représenter la variation des diamètres des boulets en fonction de leur poids, sujet classique des traités d’artillerie192. Dans le but de pouvoir vérifier la justesse des colibres, ces instruments utilisés par les artilleurs pour connaître le poids des boulets à partir de leur diamètre, Álava proposait de montrer comment variait ce diamètre en fonction du poids. La table se lisait donc de cette manière : en considérant que le diamètre d’un boulet d’une livre se divisait en dix parts, alors le diamètre du boulet de deux livres vaudra douze parts, 35 minutes 24 secondes193. Le reste de la table présentait les résultats pour des boulets de trois, quatre, cinq livres, jusqu’à 64 livres. Or, Villanueva se montra manifestement insatisfait de la précision des données calculées par Álava. Il traça sa propre table en marge de celle imprimée sur le livre, recalcula pour chaque poids de boulet, le diamètre correspondant et trouva des résultats qui, bien que très proches de ceux d’Álava, divergeaient souvent au niveau des secondes. Assurément, cet individu avait de sérieuses compétences en mathématiques. Cerise sur le gâteau, il intitula son annotation « table calculée par Pedro J. de Villanueva », permettant à l’historien d’établir un lien sans équivoque entre le nom de l’ex-libris et les nombreuses annotations du livre.
570Fig. 62 – Table annotée par Pedro de Villanueva dans son exemplaire
du Perfeto capitán de D. de Álava y Viamont, Madrid, 1590. Document appartenant aux collections de la bibliothèque de l’Académie d’artillerie de Ségovie.
En outre, Villanueva inscrivit également dans le livre le résultat de ses propres expériences. Il ne se fia pas à l’auteur du Perfeto Capitán lorsque ce dernier fournit des chiffres sur les différences de poids des divers matériaux dont pouvaient être fabriqués les boulets – la pierre, le fer, le plomb. Dans la marge du texte il écrivit :
Proportion de divers boulets les uns par rapport aux autres-expérimenté
5 livres de marbre sont tout juste 14 livres de fer
2 livres de fer sont 3 livres de plomb194.
Il avait préféré inscrire ses propres chiffres obtenus à partir de boulets qu’il avait pesés lui-même, plutôt que de se fier à l’autorité de Diego de Álava. Le traité, loin d’être l’objet d’une lecture passive, devenait en réalité un outil de travail avec lequel Pedro de Villanueva interagissait pour formaliser des connaissances les plus fiables possibles.
De plus, il n’y a aucun doute sur le fait que Villanueva avait lu et digéré la Nova Scientia de Tartaglia. Comme cela a été évoqué dans le chapitre précédent, Diego de Álava chercha à asseoir son autorité en s’attaquant à la Nova Scientia et en prétendant y lire des affirmations qui n’y étaient absolument pas. Toutefois, cette ruse n’échappa point à la lecture critique et attentive de Pedro de Villanueva. L’argumentation de Diego de Álava s’appuyait sur deux propositions de Tartaglia. La première, affirmant que la portée pour un angle de hausse de 45o valait dix fois celle d’un tir le long de l’horizon, se trouvait effectivement dans la Nova Scientia. C’est exactement ce que remarqua Villanueva, écrivant dans la marge : « dans la lettre du premier livre de la Nova Scientia et dans la proposition 9 du second195 ». Cette note qui situait avec justesse l’information dans la Nova Scientia, prouve que Villanueva avait lu avec attention le traité de Tartaglia, livre complexe, recourant abondamment à Euclide et Aristote, mais aussi texte écrit non pas en castillan, mais en italien. Qui plus est, pour fournir une référence aussi précise, il faut supposer qu’il avait la possibilité de consulter la Nova Scientia en parallèle de sa lecture du Perfeto Capitán. Quant à la seconde proposition qu’Álava attribuait à Tartaglia – la variation linéaire de la portée en fonction de l’angle de hausse – Villanueva remarquait avec pertinence qu’elle ne se trouvait nulle part dans l’œuvre 572du mathématicien italien196. Cette remarque révélait que Villanueva avait non seulement lu Tartaglia mais qu’il en maîtrisait le contenu, évitant d’être dupe de l’artifice rhétorique de Diego de Álava.
Villanueva portait plus généralement un grand intérêt à l’étude géométrique des trajectoires. Quelques pages plus loin, il écrivit en effet une note défendant une proposition de Tartaglia sur la variation des trajectoires contre les attaques répétées de Diego de Álava197. Pour mieux suivre les démonstrations de l’auteur, il reproduisit d’une page sur l’autre les figures géométriques représentant les trajectoires198. Il s’immisça même dans les calculs d’Álava portant sur les proportions des différentes parties de ces trajectoires et corrigea ainsi une approximation de l’auteur qui, dans le calcul de multiplication de dix par deux tiers, recourut à la valeur approchée de sept. Remplaçant ce chiffre par la valeur exacte de six et deux tiers, Villanueva refit méticuleusement tous les calculs des pages suivantes, sans doute plus par jeu que par nécessité car l’assimilation des trajectoires à des figures géométriques était en soi une approximation convenue.
Fig. 63 – Figure géométrique de trajectoire reproduite par Pedro de Villanueva dans son exemplaire du Perfeto capitán de D. de Álava y Viamont, Madrid, 1590. Document appartenant aux collections de la bibliothèque
de l’Académie d’artillerie de Ségovie.
Ces deux exemplaires, en particulier le second, mettent en évidence les traces d’une lecture critique et en profondeur des traités par certains artilleurs. Ces individus étaient-ils représentatifs de leur profession ? Probablement pas, car, plusieurs indices permettent de supposer qu’il s’agissait de maîtres en charge de la formation d’autres artilleurs. Ce statut particulier allait de pair avec des compétences et des savoirs qui n’étaient sans doute pas communs à toute la profession. Ces deux hommes possédaient de solides connaissances en mathématiques, une certaine expérience technique, l’un d’eux comprenait l’italien, mais surtout, ils savaient tous deux parfaitement bien lire et écrire. Alors, les artilleurs ont-ils lu les traités d’artillerie ?
La réponse à cette question se heurte à un premier problème : quel était le niveau d’alphabétisation parmi les artilleurs ? Certains manuscrits d’artillerie ont été rédigés par des individus se réclamant artillero et qui entretenaient clairement une relation aisée avec l’écriture199. Cependant, ces artilleurs capables de rédiger des traités jouissaient d’un statut privilégié, à l’image de Cristóbal de Espinosa qui, à Milan, était reconnu comme un expert et touchait une paie plus élevée200. Par ailleurs, les auteurs de traités présentaient parfois les artilleurs comme ayant une étroite relation avec l’écrit. Ainsi, dans son manuscrit, le lieutenant Diego de Prado mettait en scène un élève artilleur prenant des notes sur la leçon du maître201. Dans cette même perspective, Girolamo Cataneo considérait que tout artilleur devait savoir lire, écrire et compter202. S’agissait-il d’une réalité ou d’un simple vœu pieux ? D’après les statistiques de Perez-Mallaína, sur les navires de la carrera de Indias, un peu plus de la moitié des artilleurs (55 %) étaient capables de signer203. Ce chiffre, relativement élevé, en faisait la troisième profession la plus alphabétisée du navire après les capitaines (83 %) et les pilotes (74 %). Ces individus entretenaient donc, pour l’époque, un rapport à l’écrit privilégié par rapport à leur statut social somme toute fort modeste. 574Cependant, ce rapport à l’écrit restait insuffisant pour faire de tous les artilleurs des lecteurs attentifs de Tartaglia et Álava.
Certaines remarques de Roger Chartier sur les modes d’appropriation des livres à l’époque moderne fournissent quelques pistes d’interprétation de cette situation. D’abord, il est nécessaire de souligner que, pour la période d’Ancien Régime, la capacité des individus à signer représente mal l’alphabétisation car elle ne reflète pas directement la capacité à lire204. D’après les travaux de Margaret Spufford sur l’Angleterre du xviie siècle, les apprentissages de la lecture et de l’écriture étaient alors bien distingués et séparés205. Tandis que bon nombre d’enfants apprenaient les rudiments de la lecture vers six ans, dans le cercle familial, l’apprentissage de l’écriture passait par l’école de grammaire à partir de huit ans, âge auquel l’enfant commençait à avoir la capacité de travailler et de constituer un apport économique pour les familles les plus modestes. Ces personnes – nombreuses – qui, obligées de travailler dès le plus jeune âge, avaient manqué l’apprentissage de l’écriture dans l’école de grammaire, étaient donc incapables de signer, mais certaines d’entre elles pouvaient tout de même disposer de capacités basiques de lecture acquises entre 6 et 8 ans et leur permettant au moins de lire les caractères imprimés.
De plus, comme le formule Roger Chartier, « aux xvie et xviie siècles, sans doute plus qu’avant, le rapport à l’écrit n’implique pas forcément une lecture individuelle206 ». En effet, les imprimés étaient régulièrement consultés de manière collective, lors de lectures à voix haute au sein d’un groupe. Chartier identifie ainsi dans la ville quelques espaces sociaux privilégiés tels que les ateliers d’artisans et les confréries au sein desquels avaient lieu de telles pratiques207. Ne serait-ce pas là l’un des rôles joués par les écoles d’artilleurs ? Après tout, les sources le disent sans détour : que faisait le mathématicien Julián Ferrofino à l’école d’artilleurs de Séville si ce n’est la mission que lui avait confiée le conseil de guerre de « lire et montrer la matière et l’art de l’artillerie208 ». Ainsi, un homme 575tel que le charpentier Juan Ruiz de Baltodano, pourtant incapable de signer sa déposition devant les juges de la casa de la contratación209, pouvait accéder aux textes de Tartaglia, Collado et Álava par la médiation du cours de Ferrofino qu’il fréquentait assidument210.
Conclusion
Tout un faisceau d’indices converge vers l’idée que les écoles d’artilleurs furent l’un des principaux débouchés des traités d’artillerie. Le maître artilleur Alonso de Salamanca, tout comme le conseil de guerre du roi, les percevaient comme un marché potentiellement important de l’imprimé ainsi que comme un enjeu stratégique pour la Monarchie hispanique. De plus, ces traités ont été élaborés par des individus pour la plupart impliqués dans le milieu des écoles et des pratiques d’examen. Leurs écrits revendiquaient différents lectorats parmi lesquels figuraient bien souvent de manière explicite les artilleurs et apprentis. En outre, comme l’analyse des programmes d’enseignement l’a mis en évidence, le contenu des traités, même ceux plus théoriques de Tartaglia et Álava, couvrait en grande partie les thèmes enseignés dans les écoles d’artilleurs. Par conséquent, même lorsque les traités n’étaient pas explicitement dédiés au public des artilleurs, ils fournissaient de facto un support potentiel d’enseignement dans les écoles. Enfin, l’étude sérielle des exemplaires de traités d’artillerie a révélé leur lecture et correction par des artilleurs, selon toute probabilité des maîtres qui utilisaient ce genre de supports pour donner des lectures collectives au sein des écoles et des communautés d’artilleurs.
L’hypothèse que les écoles d’artilleurs furent des lieux privilégiés de lecture collective des traités laisse supposer l’organisation de tout un microcosme. D’abord, ces communautés d’apprentissage facilitaient aux artilleurs l’accès aux livres, leur épargnant la nécessité de posséder des 576exemplaires en propre. Le maître enseignant, ou bien peut-être parfois d’autres officiers locaux impliqués dans la pratique de l’examen tels que l’ingénieur militaire, le comptable ou le commandant, pouvaient fournir leurs exemplaires à la communauté d’artilleurs. D’ailleurs, à Séville, comme probablement ailleurs, certains capitaines et officiers n’hésitaient pas à assister aux leçons d’artillerie211. Par ailleurs, en décuplant, par le biais de la presse, les efforts de formalisation des savoirs réalisés par une poignée d’experts, les livres imprimés rendaient possible l’enseignement de l’artillerie à grande échelle. N’importe quel maître bénéficiait ainsi de fondements solides pour ses leçons grâce à ces livres qu’il lui suffisait de lire attentivement, de corriger et de compléter. Les nombreuses gravures de ces traités offraient également tout autant d’images que, grâce à leurs grands formats d’in-folio et d’in-4o, l’enseignant pouvait montrer au groupe d’artilleurs réuni autour de lui. Il est même possible d’imaginer certains maîtres enseignant et commentant diverses doctrines et divers auteurs puisque Pedro de Villanueva pouvait tout aussi bien discuter du Perfeto Capitán que de la Nova Scientia. C’est sans doute à travers ces multiples dynamiques locales que se construisit cette nouvelle science de l’artillerie discutée au sein de tout un empire et au-delà.
L’école d’artilleurs, institutionnalisée par l’État, constituait non seulement une opportunité d’accès au texte mais aussi un contrôle de son interprétation. La lecture pouvait se faire, pour quelques privilégiés sans doute, directement à partir de l’exemplaire corrigé et annoté du maître, ou bien, pour la grande majorité des apprentis, collectivement à l’oral, lors des leçons. Dans les deux cas, l’accès au texte se faisait par la médiation de ce maître qui fournissait aux apprentis les clés d’une bonne interprétation. Le groupe d’artilleurs rassemblés autour de cette figure du cabo maestro était donc une de ces « communautés d’interprétation » constitutives, comme le dit Chartier, du « monde des lecteurs212 ». L’idée de cette expression était d’ailleurs venue à son inventeur, Stanley Fish, à propos du fonctionnement d’une classe d‘étudiants à l’université213. Dans cet univers des artilleurs de la Monarchie hispanique, les traités 577d’artillerie devenaient en quelque sorte instaurateurs d’un ordre social, participant, d’une part, à la définition d’une norme d’entrée dans la profession (l’examen) qui impliquait les supérieurs hiérarchiques, mais servant aussi, d’autre part, d’instruments de distinction entre ceux qui savaient et qui publiaient – les auteurs – ceux qui savaient et qui transmettaient – les maîtres – ceux qui savaient suffisamment pour passer l’examen – les artilleurs – et enfin ceux qui ne savaient pas encore – les apprentis.
1 Collado, Luis Plática manual de artillería, op. cit., fol. 104r. « Le principal objectif de l’école ne doit pas être de tirer et de gâcher de la poudre, car comme cela plaît à tout le monde, chacun le fait de bon gré. Mais toute l’importance réside dans le fait qu’à travers le désir et l’envie de tirer, on apprenne la théorie qui consiste à savoir traiter, faire et manier les choses de l’artillerie et les instruments qui lui sont annexes, lesquelles sont infinies, comme elles sont spécifiées dans mon livre. »
2 « Verdad es que el artillero discipulo, conviene cebarle del un gusto y del otro, y a vueltas del dulce del tirar, darle del amargo de el estudio, y assi se hara en la Escuela grandissimo provecho », ibid.
3 Il s’agit d’un leitmotiv du projet intellectuel de Chartier depuis plusieurs décennies. Voir Chartier, Roger, « Lectures et lecteurs “populaires” de la Renaissance à l’âge classique » dans Histoire de la lecture dans le monde occidental, Guglielmo Cavallo et Roger Chartier (éd.), Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 315-330. Chartier, Roger, Culture écrite et société : l’ordre des livres (xive-xviiie siècles), Paris, Albin Michel, 1996. Chartier, Roger, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, Paris, Éditions du Seuil, 1987.
4 Ginzburg, Carlo, Il formaggio e i vermi : il cosmo di un mugnaio del ’500, Turin, G. Einaudi, 1976.
5 La nécessité d’étudier les pratiques de lecture des livres scientifiques a été particulièrement soulignée par Johns, Adrian, The Nature of the Book : Print and Knowledge in the Making, Chicago, University of Chicago Press, 1998.
6 Smith, Pamela H., The Body of the Artisan, op. cit. Roberts, Lissa, Schaffer, Simon, Dear Peter (éd.), The Mindful Hand, op. cit. Harkness, Deborah E., The Jewel House, op. cit. Long, Pamela O., Artisan/Practitioners and the Rise of the New Sciences, op. cit.
7 Smith, Pamela H., The Body of the Artisan, op. cit.
8 Long, Pamela O, Artisan/Practitioners and the Rise of the New Sciences, op. cit. p. 103 et 112.
9 Garçon, Anne-Françoise, L’imaginaire et la pensée technique. Une approche historique, xvie-xxe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 25-26.
10 Vérin, Hélène, « Rédiger et réduire en art : un projet de rationalisation des pratiques », dans Réduire en art : la technologie de la Renaissance aux Lumières, Pascal Dubourg Glatigny et Hélène Vérin, (éd.) Paris, éditions de la maison des Sciences de l’homme, 2008, p. 17-58.
11 Henninger-Voss, Mary, « Comets and Cannonballs : Reading Technology in a Sixteenth Century Library », dans Lissa Roberts, Simon Schaffer, Peter Dear (éd.), The Mindful Hand, op. cit., p. 11-34. González de León, Fernando, « “Doctors of the Military Discipline” », op. cit.
12 Bennett, Jim, « Practical Geometry and Operative Knowledge », Configurations : a journal of literature, science and technology, vol. 6, 1998, p. 195-222. Walton, Steven A., « Mathematical Instruments and the Creation of the Scientific Military Gentleman », op. cit.
13 Epstein, Stephan R., « Transferring Technical Knowledge and Innovation in Europe, c. 1200-c. 1800 », dans Technology, Skills and the Pre-Modern Economy in the East and the West, Marteen Prak, Jan L. Van Zanden (éd.),Leiden ; Boston, Brill, 2013, p. 25-67.
14 De Munck, Bert, Technologies of Learning, op. cit., p. 79.
15 Epstein, Stephan R., « Transferring Technical Knowledge and Innovation in Europe, c. 1200-c. 1800 », op. cit.
16 Shelby, Lon R., « The Geometrical Knowledge of Mediaeval Master Masons », Speculum, vol. 47, no 3, 1972, p. 395-421.
17 Prak, Marteen, « Mega-structures of the Middle-Ages : the Construction of Religious Buildings in Europe and Asia, c. 1000-1500 » dans Technology, Skills and the Pre-Modern Economy in the East and the West, Marteen Prak et Jan L. Van Zanden (éd.), Leiden ; Boston, Brill, 2013, p. 131-159.
18 Sur la pratique de l’examen à la Renaissance, voir p. 394-402.
19 En 1590, il affirmait être âgé de 66 ans et avoir servi 40 ans, AGS GYM leg. 313/122 (18/02/1590). L’origine castillane de ce personnage est confirmé par le conseil de guerre, AGS GYM leg. 276/231 (18/06/1589).
20 AGS EST leg. 1156/289 (année 1589). Le salaire de Salamanca est mentionné dans une note du secrétaire du conseil de guerre Andrés de Prada, AGS GYM leg. 313/121 (07/01/1590).
21 Pour une description de ce siège, voir p. 376.
22 AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589) et leg. 313/122 (18/02/1590).
23 Salamanca, Alonso de, Manuscrit II/1330, Palacio Real de Madrid. Voir les analyses de : Gonzàlez Castrillo, Ricardo, « La perdida de la Goleta y Túnez en 1574 », op. cit. ; Martínez, Miguel, Front Lines. Soldiers’ Writing in the Early Modern Hispanic World, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2016, p. 101-123. Je remercie Cecilia Tarruell pour cette seconde référence.
24 AGS EST leg. 1075/51 (28/02/1577).
25 AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589). et leg. 313/121 (18/02/1590). Il obtint cette position sous la vice-royauté de Marco Antonio Colonna, donc entre 1577 et son décès en 1584, d’après une note du secrétaire du conseil de guerre Andrés de Prada : AGS GYM leg. 313/121 (07/01/1590).
26 AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589) et AGS EST leg. 1156/289 (année 1589).
27 « Un libro quel ha compuesto para havilitar artilleros », AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589).
28 Voir p. 403-408.
29 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).
30 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).
31 « En quanto al libro, […] se entiende será de provecho para las escuelas que en estos Reynos ay de artilleros », AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589).
32 « Despues de hecho y estampado el libro […] se podran enseñar artilleros y serbir la artilleria muy mejor », AGS GYM leg. 268/155 (14/03/1589).
33 « Con solo su libro se podra de aqui adelante enseñar artilleros españoles », AGS GYM leg. 313/122 (18/02/1590).
34 « El libro escripto y compuesto en lengua española y por maestro español, [es] lo que más importa a caussa de no aver, como no ay, libro alguno que ni con la quinta parte de la que declara trate de lo mismo », AGS GYM leg. 276/231 (18/06/1589). La seule exception notable était celle du traité de García de Palacio, publié à Mexico en 1583, mais dont la diffusion avait été limitée puisqu’il était manifestement méconnu du conseil de guerre : García de Palacio, Diego, Dialogos Militares, op. cit.
35 « Si bien se mira en ello después de estampado parescera que para estos Vuestros Reynos de España y las Indias y demás partes que se entienda bien la lengua española en que va escrito, será de toda la importancia necesaria para ser bien servida la artillería de Vuestra Majestad », AGS GYM leg. 276/231 (18/06/1589).
36 AGS GYM leg. 268/155 (14/03/1589).
37 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).
38 Veyrin-Forrer, Jeanne, « Fabriquer un livre au xvie siècle » dans Histoire de l’édition française, volume 1 : le livre conquérant, Henri-Jean Martin, Roger Chartier (éd.), Promodis, Paris, 1982, p. 278-301.
39 « En quanto a darle licencia para imprimir el libro que ha hecho, a visto parte del y parescele tan largo que en algunas cossas le haze menos intelegible y que hasta que le corrija y enmiende y se vea de nuevo, no se le deve dar licencia para imprimirlo », AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589).
40 AGS GYM leg. 276/231 (18/06/1589).
41 Voir la note : « Que lo vea Ferrofino » dans ibid.
42 Voir p. 308-311 pour une biographie de ce personnage.
43 Sur Juan de Herrera et l’académie de mathématiques, voir Vicente Maroto, Maria Isabel, Esteban Piñeiro, Mariano, Aspectos de la ciencia aplicada en la España del Siglo de Oro, op. cit.
44 AGS GYM leg. 313/121 (07/01/1590).
45 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).
46 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).
47 « Tengo para imprimirlo como discurso para lo dicho de enseñar artilleros no hay en lengua castellana su semejante ni tal parecerá porque si bien en los libros militares se trata algo desto y más en particular por uno del Perfecto Capitán que de presente a salido, es cossa cierta que no ay en ellos razón de maestro que aya servido de artillería », ibid.
48 Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit. Voir p. 451-454.
49 Pour une biographie du père et du fils, voir Rodríguez Pedro, Rodríguez, Justina, Don Francés de Álava y Beamonte, op. cit.
50 Ibid., p. 82.
51 Voir l’approbation par Luis de Barrientos (11/09/1589) et le privilège d’impression (10/10/1589) au début du livre de Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit.
52 Voir p. 454 et annexe III.
53 Pour un compte rendu de l’examen, voir AGS GYM leg. 313/121 (18/02/1590). Pour l’augmentation de salaire, voir AGS GYM leg. 309/103 (26/06/1590).
54 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).
55 « Libro del servicio de artillería » dans AGS GYM leg. 268/155 (14/03/1589), leg. 313/121 (07/01/1590) 122 (18/02/1590) et leg. 306/123 (29/04/1590).
56 AGS GYM leg. 268/155 (14/03/1589) et leg. 276/231 (18/06/1589).
57 AGS GYM leg. 276/231 (18/06/1589).
58 « Lo que declaran a sido sacado de papeles mal entendidos y de un libro de lengua toscana fundada en geometría y mathemática, proporción que es ciencia mal entendida de los más artilleros », AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).
59 Tartaglia, Niccolò, Nova scientia inventa da Nicolò Tartalea, op. cit.
60 « Libro sexto en que se reprueba la dotrina de Nicolo Tartalla, y se enseña la verdadera… », Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit. fol. 245r.
61 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).
62 Collado, Luis, Pratica Manuale di arteglieria, Venise, Pietro Dufinelli, 1586.
63 Espinosa, Cristobal de, « Alvaradina : Dialogo de artillería », Milan, 1584, manuscrit de la bibliothèque de l’académie d’artillerie de Ségovie.
64 Ce thème est abordé p. 366-371. Voir aussi Mallett, Michael E., Hale, John R., The Military Organisation of a Renaissance State, op. cit., p. 403-407.
65 Le secret est évoqué dans la dédicace au duc d’Urbino, Tartaglia, Niccolò Nova scientia, op. cit.
66 Voir la dédicace de Ruscelli, Girolamo, Precetti della militia moderna tanto per mare quanto per terra, op. cit.
67 « Libro segundo de artillería de las invenciones diversas de Hernando del Castillo », Castillo, Hernando del, « Libro muy curioso y utilísimo de artillería », BNE mss 9034, c. 1560, fol. 32r.
68 AGS EST leg. 1704/266 (10/08/1604).
69 Isla, Lazaro de la, Breve tratado de artillería, geometría y artificios de fuegos, op. cit.
70 « Darle licencia que pueda enseñar el arte de artillería, geometría, fuegos artificiales », AGS GYM leg. 316/117 (année 1590).
71 AGS GYM leg. 627/126 (16/06/1604).
72 Isla, Lazaro de la, Breve tratado de artillería, y fundición della, y artificios de fuego, Valladolid, Luis Sanchez, 1603.
73 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit.
74 AGS EST leg. 1293/23 (16/05/1604).
75 Muñoz el Bueno, Andrés, Instrucción y Regimiento para que los marineros sepan usar de la artillería, op. cit.
76 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit. fol. 103-104.
77 Ibid. fol. 105-112.
78 Ibid. fol. 105r.
79 « Y finalmente se halla en dialogo un copiosíssimo examen de artilleros, por el qual los ministros de Vuestra Magestad podrán perfectamente examinarlos todos », ibid. dédicace.
80 Cataneo, Girolamo, Opera nuova de fortificare, offendere et difendere, op. cit.
81 Cataneo, Girolamo, Avvertimenti et essamini intorno a quelle cose che richiede a un bombardiero, op. cit. Noter que le titre raccourci utilisé en tête de chaque page est « examens de bombardiers » (essamini de’ bombardieri) et que le contenu est très proche de l’ouvrage précédemment cité.
82 Busca, Gabriel, Instruttione de’ bombardieri, op. cit.
83 Gentilini, Eugenio, Instruttione de’ bombardieri, Venise, Francesco dei Franceschi, 1592. En sous-titre : « che si contiene l’essamina usata dallo strenuo Zaccaria Schiavina… Dalle quali ogni bombardiero e capi maestri vengono a pieno instrutti di ciò ch’alla lor professione appartiene ».
84 Voir la préface aux lecteurs, Gentilini, Eugenio, La real instruttione di artiglieri, Venise, Giovan Antonio et Giacomo dei Franceschi, 1606.
85 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit.
86 Ibid. p 8-10.
87 Ibid. p. 10.
88 « Desame de artillero en el qual se trata de todo lo que es obligado a preguntar el que fuere juez de la dicha arte al que se va a desaminar para ser artillero », c. 1600, BNE, mss. 12723. Le catalogue de la BNE indique que ce manuscrit faisait partie de la collection du duc de Frías, Juan Fernández de Velasco, gouverneur du duché de Milan de 1595 à 1600. L’œuvre pourrait par conséquent être liée au contexte de la Lombardie à l’époque de Collado.
89 « Es muy útil y provechosa tanto para los señores generales della como para los tenientes, gobernadores, capitanes, cabos maestros, y otras qualesquier persona aquien tocare el examen de los artilleros como también aún para los mesmos artilleros para que sepan lo que an de hazer en sus operaciones y esten más previstos para subir sus examenes », Alvarado, Espinel de, « Alvaradina : la cual contiene en sí muchos muy necesarios avisos de las cosas tocantes al Artilleria », Milan, c. 1595, BNE, mss. 8895, fol. VIr. Hormis son introduction, ce traité est une copie d’un traité de 1584 : Espinosa, Cristobal de, « Alvaradina : Dialogo de artillería », op. cit.
90 Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso, op. cit.
91 « Segunda parte del libro de artillería militar en la qual por muy breve y elegante estillo se declaran […] », ibid. p. 69-282.
92 « De algunas cosas tocantes al uso y militar dotrina de su escuela para, por medio de su theórica y prática, sacar práticos y diestros artilleros inteligentes y perfetos en el ministerio de su arte », ibid. p. 283-423.
93 « Lición 32 : en que evidentemente en breve pratica se muestra el examen que se haze a un curioso y buen artillero que pretende la plaza de condestable […] porque quien pretende ser condestable la a de tener en todo y juntamente escuela y dotrina militar para poder enseñar he instruyr en el arte a sus artilleros », ibid. p. 404-423.
94 Les exemples d’ouvrages composites de ce genre sont relativement nombreux : Cataneo, Girolamo, Opera nuova de fortificare, offendere et difendere, op. cit. Busca, Gabriel, Della espugnatione et difesa delle fortezze, op. cit. Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga, op. cit.
95 AGS GYM leg. 262/284 (27/06/1589).
96 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit. fol. 105r-112v.
97 « Bisogna ancora che ogni bombardiero sappia leggere, scrivere, et haver buon abbaco, accioche possa misurare altezze, profondità et distanze », Cataneo, Girolamo, Avvertimenti et essamini intorno a quelle cose che richiede a un bombardiero, op. cit. fol. 1r.
98 « Ne sono io del parere di conloro, i quali vogliono che egli [il bombardiero] sia Geometra et Matematico et convengali sapere misurare tutte le lontananze », Busca, Gabriel, Instruttione de’ bombardieri, op. cit. p. 6.
99 « Gabriel Busca hizo el tratado para todos los artilleros, yo lo e puesto para los curiosos, y para que lo sepan los que mandaren la artillería, y el general de ella, de manera que lo puedan enseñar, y resolver quantas dudas en él se pueden ofrecer, porque para mí, con que sepa el artillero hazer las cucharas, cubrir los limpiadores con pellejos, hazer cestones y carzos, hazer las esplanadas, y las troneras, cargar y apuntar bien las piecas, y conocer las balas, no le pediré más », Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit. p. 184.
100 AGS CSU 2a epoca leg. 91, sans num.
101 Voir p. 66.
102 « La horden que se ha de tener en la abilitación y exercicio de los artilleros conforme a lo que su Mag tiene mandado en esta manera », (12/03/1560), AGS CSU 2a epoca leg. 91.
103 « Si algun día con parecer del dicho capitán quisieren hazer espiriencia de alguna mina para aprender a hazerlas », ibid.
104 « Avisos de cosas tocantes al artillería », ibid.
105 « Dedos de caça », ibid.
106 « Ha de conocer el artillero la distancia de la tierra y esto se alcança con buen conoscimiento y discrición y todo lo demás tocante », ibid.
107 « La sustancia de los argumentos tocantes al artillería del libro de Nicolo Tartalea Briçiano », ibid.
108 « Una pieça tiene 12 grados de caça o de puntería que son minutos 44 y desde el primo hasta los seis grados va siempre tirando más por efeto de la cayda de la bala, y de aquí arriba ira siempre tirando menos », ibid. La démonstration se trouve dans Tartaglia, Niccolò, Nova scientia, op. cit. livre II, proposition VIII.
109 « Nunca la pelota va en línea reta sino hazia el cielo o hazia el centro de la tierra ». Il s’agit d’une référence à la démonstration de Tartaglia face au duc d’Urbino, Tartaglia, Niccolò, Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 12r.
110 « Pone ad lungo el memorial del peso de las piezas cantidad de metal y polvora y longitudo de cada una en su numero ». Le passage décrivant les différentes pièces se trouve dans Tartaglia, Niccolò, Quesiti, fol. 19v-20v.
111 « Que cuanto más larga una pieza tanto más tira por que es de mas metal y llevar mas polvora y que al cañon le [cargan ?] 2 partes de 3 de su bala de polvora y a li culebrini 4 quintos ». Ce texte résume Tartaglia, Niccolò Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 18v-19r.
112 « Como se podrá conocer si una artillería tirara retamente sus tiros ». L’instrument est décrit dans Tartaglia, Niccolò, Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 27r-28v.
113 « Cuando que el punto de la pieza está más alto en la boca del cañon siempre la bala va a buscar el centro que es hazia bajo y con esto viene a igualar el punto con el centro de la pieza y al respecto quando está más alta o baja de lo que ha de estar » Puis point suivant : « El efecto que haze el artillería estando baja de punto o alta », à comparer avec Tartaglia, Niccolò Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 14 à 18.
114 « Una pieza haze mayor tiro desde baxo que desde arriba… » le texte du manuscrit est malheureusement coupé. Mais il semble renvoyer à l’étude de cas exposée par Tartaglia dans Tartaglia, Niccolò, Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 7v-8r.
115 « Que es la causa que la boca de una pieza atrae assí un cagnolino y es que pues en la pieza se va escalentando atrae assí ». L’épisode est narré dans Tartaglia, Niccolò, Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 26r.
116 « Luis Collado, natural de Xerez de la Frontera […] que dentro de cuatro meses primeros siguientes a de estar hábil y suficiente en todo lo que conviene para servir la dicha plaza » (15/10/1570), AGS CSU 2a epoca leg. 91.
117 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit. L’auteur s’y dit originaire de Lebrija, petit village proche de la ville de Jerez de la Frontera.
118 Sur la forte critique de Tartaglia par Collado, voir p. 451.
119 « En testimonio de lo qual dize Nicolao Tartalla que un cañon de batería que se aboco en tierra disparando hazia abajo y que se sorvio un perrillo que se le acerco a la boca […] los quales milagros non succeden ya en aquestos tiempos », Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit. fol. 55v.
120 AGS EST leg. 1144/4 (Janvier 1575).
121 Document intitulé : « Lo que Andrés Muñoz el Bueno enseña en Sevilla en su escuela a los artilleros que habilita para el servicio de su Magestad es lo siguiente », AGI IG leg. 2007, sans num. Ce feuillet accompagne un document du 03/11/1595, raison pour laquelle je le date aux environs de 1595.
122 Silva Suárez, Manuel, Técnica e ingeniería en España – Tomo 1, op. cit., p. 589-590.
123 Le manuscrit porte en titre la mention « tiré de son brouillon » (sacado de su borrador), Ferrofino, Julián, « Descrizión y tratado muy breve lo más probechoso de Artillería », op. cit.
124 Fernández Duro, Cesáreo, Disquisiciones náuticas, op. cit., livre 6, p. 440-456.
125 L’introduction du programme de Palerme montre qu’il s’agit d’une liste de points principaux : « Che li detti mastri […] sian tenuti di […] publicamente insegnare […] la professione et dottrina di buon artigliero, et particolarmente le cose seguenti » AGS EST leg. 1144/4 (janvier 1575). Le programme de Muñoz el Bueno se termine de cette manière : « además de todo lo susodicho se les enseñan otras muchas advertencias y particularidades muy necesarias para la buena inteligencia y uso del arte del artillería », AGI IG leg. 2007.
126 Voir la figure 58, table de comparaison des programmes, ci-après.
127 « De que artillería se usa al presente en la Europa, ansí por mar como por tierra, y en quantos generos está repartida y quantas piezas contiene en sí cada genero y qual es su propio nombre de cada una dellas », L’équivalent dans le programme de Palerme : « La regola […] per far pezzi d’artiglieria du qualunque sorte ».
128 « Saber que cosa es sacar el vivo a las pieças de artillería […] qual es el tiro que se haze por el raso de los metales y qual se llama tiro de punto a dentro, y qual de punto afuera, y qual de punto en blanco ». AGI IG leg. 2007.
129 « La regola per conoscere quei pezzi che hanno quantità bastante o mancamento di metallo » AGS EST leg. 1144/4 (janvier 1575).
130 « Quanto alcançara [la bala] por cada punto de la escuadra desde el tiro a nivel que es el que se haze por el plano del Orizonte hasta el altura de su mayor tiro que es en los 45 grados, y sexto punto de la escuadra. Y ansi mismo los trabucos y morteretes que tanto es lo que tiran y alcançan desde el dicho punto de 45 grados por otros seis puntos hasta el cenit o punto más alto », AGI IG leg. 2007.
131 « En que punto de la escuadra se han de poner las pieças para dispararlas y las demás diligencias que en la dicha prueba y examen se han de hazer, para ver si las dichas piezas son capaces para poderse servir dellas en cualquiera ocasión », ibid.
132 « Conviene saber al artillero para usar su arte en campaña y presidios », ibid.
133 Sur ce thème voir le travail de Jubelin, Alexandre, « Par le fer et par le feu. Pratiques de l’abordage et du combat rapproché dans l’Atlantique du début de l’époque moderne (début du xvie siècle – 1653) », thèse de l’université Sorbonne, Paris, 2019.
134 Voir p. 224-225, 380 et 383-386.
135 Voir p. 366-371.
136 Collado, Luis, Pratica Manuale di arteglieria, op. cit. Espinosa, Cristobal de, « Alvaradina : Dialogo de artillería », op. cit. Le procédé de reprise est expliqué plus en détail p. 454.
137 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit. p. 148. Pour plus d’informations, voir p. 460.
138 Chartier, Roger, Culture écrite et société : l’ordre des livres (xive-xviiie siècles), op. cit. Cavallo, Guglielmo, Chartier, Roger, Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Éditions du Seuil, 1997. McKenzie, D. F. Bibliography and the Sociology of Texts, Cambridge, U.K. ; New York, Cambridge University Press, 1999.
139 Bibliothèques consultées : BNE, Palacio Real, Museo Naval, Académie d’artillerie de Ségovie, Biblioteca del Monasterio del Escorial, Biblioteca Central Militar.
140 Voir la figure 59, ci-dessous. Pour plus de clarté, la suite des notes se réfèrera aux différents exemplaires par la cote bibliothécaire puis entre parenthèses le nom de l’auteur et la date de l’édition.
141 Tartaglia, Niccolò, Nova scientia inventada da Nicolò Tartaglia con una gionta al terzo libro, Venise, 1558, Collection Galilée du Musée Galileo de Florence, MED 0976/01. Pour l’attribution des notes à Galilée, voir Favaro, Antonio, La libreria di Galileo Galilei descritta ed illustrata da Antonio Favaro, Tipografia della scienze matematiche e fisiche, 1887.
142 Exemplaire de l’académie de Ségovie, 39-4-61 (Collado, 1592). Quatre propriétaires y sont identifiés de 1710 à 1888, des officiers d’artillerie à Badajoz puis à l’académie d’artillerie de Ségovie et à Madrid.
143 « Este libreto es de Estefano de Salas, recamatore i arquiteto, i le tene comprato en Napoles en la piasa del Olmo, el año de 1610 años i me tene costato 38 carlines en piata en casa de Antonio Pescarelo », Exemplaire du Palacio Real, X/359 (Collado, 1592). L’ex-libris est à la fin de la dédicace à Philippe II.
144 D’après une œuvre presque contemporaine, 9 carlines = 8 reales. Ochoa de Samaniego, Francisco, Arismetica guarisma : en la qual se muestra el vso manual de las siete reglas maestras de saber hazer todas las que se reduzen a cuenta, por Pedro Micheli, y Nicolao Françisco Russo, 1644, p. 116. Pour calculer les équivalences, il faut repasser en unités de compte : 1 real = 34 maravedis donc 1 carlin = environ 30,22 maravedis. Cela signifie que 38 carlines valaient environ 1 148 maravedis, c’est-à-dire un peu plus de 3 ducats. Le salaire mensuel des artilleurs tournait autour de 4 à 5 ducats (voir p. 240).
145 « Es de quien lo comprará », exemplaire du Palacio Real, VIII/16 121 (Collado, 1592).
146 « Glateson : Esta mi dueño y mi compré en el mes de Novembre 1595 », exemplaire du Museo Naval, CF-19 (Álava, 1590).
147 « 25 Marzo 1601, Walter Powist », ibid.
148 Voir par exemple le folio 1v : desbaratado = put to fighte ; atronadas = astonished ; ardides = stratigems ; acometimientos = assaylinges ; derribar = overthrowe ; acometio = attempted ; atropello = trode under flote.
149 Des noms à consonances germaniques : « Michalis Fuster » dans BNE, 2/28 753 (1) (Cataneo, 1584). « Jacobus Fether » dans Biblioteca Central Militar, 1595/1 (Isla, 1595).
150 Exemplaire de la bibliothèque de l’Escurial, Mesa 3-II-25 (1), portant l’ex-libris de don Diego de Mendoza. Biblioteca Central Militar, 1590/1 (Álava, 1590) avec ex-libris de don Joseph Antonio, année 1686. Académie de Ségovie, 42-15-34 186 (Álava, 1590), ayant appartenu à don Francisco de Porres y Silva Cano, devenu chevalier de l’ordre de Santiago en mai 1704 (Voir AHN, OM, Expedientillos, N.6383).
151 « Domingo Ant[onez ?] en 7 días de noviembre 1630 », dans BNE, R/7658 (Álava, 1590). ex-libris rayé de « Gab Lopez » dans BNE, R/594 (Ufano, 1613).
152 Ex-libris barré d’un « canonigo » dont le nom est difficile à déchiffrer, dans Biblioteca Central Militar, 1590/1 (Álava, 1590). « Es de la librería del Dotor Joseph Ausina, canonigo de Segorve » dans Académie de Ségovie, 39-4-68 (Álava, 1590),
153 BNE, R/7666 (Álava, 1590), fol. 92r.
154 BNE, R/10535 (Lechuga, 1611).
155 Cavallo, Guglielmo, Chartier, Roger, Histoire de la lecture dans le monde occidental, op. cit., p. 321.
156 Exemplaire de la bibliothèque de l’Escurial, Mesa 3-II-25 (1), portant l’ex-libris de don Diego de Mendoza. Rappelons par ailleurs que Tartaglia met en scène plusieurs dialogues entre lui-même et ce grand aristocrate dans les Quesiti. Voir p. 444 pour plus de détails.
157 Cinq exemplaires dans la bibliothèque du Palacio Real : IX/9081 (Collado, 1586), VIII/4702 (Álava, 1590), IX/ 4405 (1) (Tartaglia, 1554), VIII/19 388 (Cataneo, 1584), Palacio Real VIII/398 (Cataneo, 1584).
158 Documentos Para La Historia Del Monasterio De San Lorenzo El Real De El Escorial, op. cit., p. 239.
159 Catálogo de la Real Biblioteca, tomo XIII : Correspondencia del conde de Gondomar, vols. I-IV, Madrid, Patrimonio Nacional, 1999-2003.
160 BNE, R/7666 (Álava, 1590), fol. 10r et 11r. Ainsi que Palacio Real, VIII/16 121 (Collado, 1592), fol. 94v.
161 Voir Académie de Ségovie 39-4-69 (Álava, 1590). Cet exemplaire combine des « + », « ++ », « x », « °° », « S » et « Si ».
162 BNE, R/15048 (Collado, 1592), Seulement « 366 lirbros » fol. 12r et « Comparar Gen » fol. 110v.
163 Pour des exemples de ce type de corrections, voir BNE, R/10531 (Collado, 1592), fol. 63v et 69v. Museo Naval, CF 443, (Collado, 1592) fol. 80v.
164 BNE, R/23 125 (2) (Tartaglia, 1546), par exemple fol. 10v : « las balas no van por el camino recto ».
165 « Agora en nuestro tiempo se llama çaragoça de Sicilia », Biblioteca Central Militar, 1590/1, (Álava, 1590), préface « de los admirables efectos de la arithmetica y geometria ».
166 Ibid. Voir prologue.
167 « Capitulo que trata de los petardos, y de su fundición y formación y para que se inventaron ». Palacio Real, III/1677 (Collado, 1592), fol. 37r.
168 « Y el modo y orden del uso de los petardes, que agora se usan para arruinar las puertas de las fortalezas », AGI IG leg. 2007.
169 BNE, R/4828 (Ufano, 1613).
170 Des exemples de ces traces de calculs : Académie Ségovie, 39-4-61 (Collado, 1592), fol. 41r (au dos du schéma de l’équerre), 47r et 59r. Biblioteca Central Militar, 1590/1 (Álava, 1590), fol. 167v, 169v, 203v, 230r et 249r. BNE R/15055 (Lechuga, 1611), p. 113 et 142.
171 Palacio Real, IX/8333 (Cataneo 1567).
172 BNE, R/594 (Ufano, 1613).
173 BNE, R/10535 (Lechuga, 1611).
174 BNE, R/7666 (Álava, 1590), des schémas de triangles et cercles avec des chiffres à la fin du traité. Bib. Central Militar 1611/1 (Lechuga, 1611), p. 166 : schéma d’un canon avec des points A, B et C, lecture difficile.
175 Certeau, Michel de, « Lire : un braconnage », dans L’invention du quotidien. 1/ Arts de Faire, Paris, Union Générale d’éditions, 1980, p. 279-296.
176 Voir par exemple les croix au crayon dans l’exemplaire de l’Academie de Ségovie, 39-4-60 (Collado, 1592).
177 Museo Naval, CF-19 (Álava, 1590).
178 Biblioteca Central Militar, 1590/1 (Álava, 1590).
179 Palacio Real, VIII/16 121 (Collado, 1592).
180 Ibid. Deux dernières lignes du fol. 41v. Le commentaire a partiellement été coupé ce qui rend sa compréhension difficile. Le lecteur y exprime néanmoins une désapprobation.
181 Ibid. fol. 52v.
182 Ibid. fol. 106v.
183 Ibid. fol. 53r.
184 Ibid. fol. 18v.
185 Ibid. fol. 30r.
186 Académie de Ségovie, 39-4-68 (Álava, 1590).
187 D’après les documents comptables : « Pedro de Villanueva, cabo de los artilleros de Pamplona », AGS GYM lib. 57, fol. 56v (année 1590).
188 « Pedro de Villanueva ha servido como dice a Vuestra Magestad habiendo siempre hecho lo que debe en su oficio y por haberlo hecho así y ser de cuidado y buen artillero, se le dió plaza de cabo para que enseñase y tuviese cuenta con los demás artilleros », AGS GYM leg. 305/189 (05/10/1590).
189 Sur le départ de Juan de Villanueva dans l’armada de Pasajes, voir AGS GYM leg. 271/34 (année 1589). Sa mort se déduit du document suivant : AGS GYM leg. 305/189 (05/10/1590).
190 Toutes les valeurs sont écrites soient directement sur les schémas, soit dans les marges, Académie de Ségovie, 39-4-68 (Álava, 1590), fol. 204v-207r.
191 Résultat trouvé par Pedro de Villanueva : « La distancia DC […] es de 62 passos y 108/125 », ibid. fol. 207r.
192 Ibid. fol. 169r. Pour plus d’information sur le traitement de cette problématique, voir p. 499.
193 L’unité adoptée permet de contourner la valeur incalculable du nombre π.
194 « Proporción de diversas balas unas con otras / – Experimentado / 5 Libras de marmol son 14 libras de hierro escassas / 2 libras de hierro son 3 libras de plomo », ibid. fol. 187r.
195 « En la epistola del Primero Libro de la Nova Scientia y en la prop. 9 del 2o », ibid. fol. 230r.
196 « Este segundo principio no se halla en Tartalla », ibid. fol. 230r.
197 « No es falso », ibid. fol. 237r.
198 Figure du fol. 246r reproduite en haut du fol. 246v, ibid.
199 Castillo, Hernando del, « Libro muy curioso y utilísimo de artillería », op. cit. Espinosa, Cristobal de, « Alvaradina : Dialogo de artillería », op. cit. ; Alvarado, Espinel de, « Alvaradina : la cual contiene en si muchos muy necesarios avisos de las cosas tocantes al Artilleria », op. cit.
200 Voir AGS EST leg. 1260/126 (01/09/1583).
201 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit. p. 10.
202 Cataneo, Girolamo, Avvertimenti et essamini intorno a quelle cose che richiede a un bombardiero, op. cit. fol. 1r.
203 Perez-Mallaína, Pablo, Spain’s Men of the Sea, op. cit., p. 230.
204 Chartier, Roger, Pratiques de la lecture, Paris, Éditions Rivages, 1985, p. 82.
205 Spufford, Margaret, « First Steps in Literacy : The Reading and Writing Experiences of the Humblest Seventeenth-Century Spiritual Autobiographers », Social History, vol. 4, no 3, 1979, p. 407-435.
206 Chartier, Roger, Lectures et lecteurs dans la France d’Ancien Régime, op. cit., p. 94.
207 Ibid. p. 95.
208 « Leer y mostrar materia y arte de artillería », AGS GYM leg. 277/8 (22/11/1589).
209 Il fait partie des témoins interrogés à propos du dossier sur Muñoz el Bueno : « Andrés Muñoz el Bueno, artillero, sobre que se le haga merced del officio que está vaco por Andrés de Espinosa » AGI IG leg. 2007 (année 1593).
210 Il figure dans la liste des 74 inscrits à l’école d’artilleurs de Ferrofino, AGS GYM leg. 351/283 (06/03/1592).
211 Voir p. 344.
212 Cavallo, Guglielmo, Chartier, Roger, Histoire de la lecture dans le monde occidental, op. cit., p. 323.
213 Fish, Stanley E., Is There a Text in this Class ? : The Authority of Interpretive Communities, Cambridge, Mass, Harvard University Press, 1980.
- CLIL theme: 3378 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique
- ISBN: 978-2-406-11556-4
- EAN: 9782406115564
- ISSN: 2264-458X
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-11556-4.p.0507
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 08-11-2021
- Language: French