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Classiques Garnier

Traités d’artillerie et écoles d’artilleurs

  • Auteur lauréat du Prix Turriano 2017 de l’International Committee for the History of Technology et du Prix d’histoire militaire 2017 du ministère des Armées
  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Les Artilleurs et la Monarchie hispanique (1560-1610). Guerre, savoirs techniques, État
  • Pages : 507 à 577
  • Collection : Histoire des techniques, n° 21
  • Thème CLIL : 3378 -- HISTOIRE -- Histoire générale et thématique
  • EAN : 9782406115564
  • ISBN : 978-2-406-11556-4
  • ISSN : 2264-458X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11556-4.p.0507
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 11/08/2021
  • Langue : Français
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Traités dartillerie
et écoles dartilleurs

El principal intento de la escuela no ha de ser el tirar y gastar pólvora, que esso como cosa que poco le cuesta, cada uno lo haze de buena gana. Pero está la importancia toda en que al gusto y golosina del tirar se aprenda la theórica que es saber tratar, hazer y manejar las cosas del artillería y instrumentos anexos a ella, las cuales son infinitas, como en mi libro se hallan especificadas1.

Luis Collado, ingénieur du roi en Lombardie et auteur du Plática Manual de artillería (1592).

Introduction

Cest ainsi que Luis Collado, auteur de lun des plus célèbres traités dartillerie de lépoque, expliquait le but principal dune école dartilleurs. Ses mots distinguaient parfaitement les deux composantes de lenseignement dispensé dans ces institutions à la fin du xvie siècle : les exercices pratiques de tir dune part, lapprentissage de la « théorie » dautre part. Selon Collado, le bon maître était celui qui parvenait à user du « goût sucré » des exercices de tir pour masquer « lamertume de létude2 ». Non seulement Collado 508marquait-il la préséance de la théorie sur la pratique, mais il prétendait que son livre couvrait le champ théorique de la formation des artilleurs, dressant par là une relation directe entre limprimé, les connaissances de mathématiques appliquées quil exposait et les programmes denseignement des écoles dartilleurs.

Sagissait-il dune prétention exagérée visant à promouvoir lutilité de ses écrits ? Rien nest moins certain. Comme la seconde partie de ce livre la mis en évidence, lenseignement de lartillerie dans les écoles incluait très souvent une dimension théorique qui, dans le cas de Séville notamment, fut séparée spatialement des exercices de tir et fit même temporairement intervenir un enseignant distinct, le mathématicien Julián Ferrofino. De plus, la pratique extrêmement répandue de lexamen dartilleur donnait bien, dans les faits, la préséance à la théorie puisque lors de cette épreuve, les aspirants artilleurs étaient jugés non pas sur leur habileté au tir mais sur leur capacité à répondre oralement à des questions posées par dautres individus de la profession. Les systèmes denseignement et dexamen qui étaient alors en cours de construction et dinstitutionnalisation sappuyaient sur des savoirs quil devenait urgent de formaliser. Tous ces éléments indiquent quil est légitime de questionner plus en profondeur la prétention de Luis Collado à rédiger un traité pour la formation des artilleurs dans les écoles.

Sinterroger sur le lien entre les traités dartillerie et les écoles dartilleurs, cest poser la question des savoirs possédés par des individus de milieux sociaux relativement modestes. Les savoirs présentés dans les traités dartillerie de lépoque reposaient principalement sur lapplication de la géométrie et de larithmétique au maniement du canon. Ils mettaient en jeu des instruments de mesure, des tables de calcul et des théories issues de la philosophie naturelle aristotélicienne. Lintroduction du chapitre précédent a insisté sur le fait que lhistoriographie des sciences a généralement associé ces savoirs à une culture érudite, savante, humaniste voire courtisane et aristocratique. Toutefois, le troisième chapitre a montré que la plupart des artilleurs au service de la Monarchie hispanique étaient des artisans, des soldats ou des marins, cest-à-dire des hommes occupant une position plutôt humble dans la société de la Renaissance. Dans quelle mesure ces hommes étaient-ils préparés intellectuellement à 509assimiler les savoirs décrits dans les traités ? Étaient-ils tous capables de lire ces textes ? Existaient-ils dautres modes dappropriation de ces savoirs formalisés ? Lanalyse suivante poursuit en quelque sorte le projet de Roger Chartier dune étude des lecteurs « populaires » en se concentrant sur un groupe professionnel précis, les artilleurs3. Dune certaine manière, lenquête que ce chapitre sapprête à livrer pose une question similaire à celle de Carlo Ginzburg quant à la participation des milieux sociaux les plus modestes à la propagation de grands courants didées de la Renaissance4. De même que les procès détaillés de Menocchio par lInquisition ont permis à Ginzburg dobserver les mécanismes de propagation des idées réformées dans les campagnes, linstitutionnalisation des pratiques denseignement et dexamen des artilleurs, grâce à labondante documentation quelle généra, permet de questionner la diffusion dune culture mathématique renaissante parmi les marins, soldats, maçons et charpentiers désireux de devenir artilleurs5.

Poser la question du lien entre apprentissage technique, livres imprimés et culture mathématique, cest aussi contribuer à abattre cette cloison artificielle que lhistoriographie des sciences a bâtie entre monde savant et monde artisan. Depuis quelques années, les historiens des sciences multiplient les injonctions à réévaluer positivement linfluence des artisans dans les transformations des pratiques scientifiques de lépoque moderne6. Néanmoins, en dépit de ce programme, un certain scepticisme persiste, même chez ces historiens, quant à lexistence dune culture textuelle et mathématique au sein des milieux artisans. Or, ce doute est alimenté en partie par la délicate question du lectorat 510des traités techniques. Ainsi, limplication des artisans dans létude de la nature est un engagement souvent plus corporel que textuel chez Pamela Smith7. Pour Pamela Long, les techniciens et artisans de la Renaissance furent souvent impliqués dans la production des imprimés, mais les destinataires de ces textes sont clairement assimilés à lélite socioculturelle de lépoque8. De même, dans sa classification des différents régimes de pensées opératoires du fait technique, Anne-Françoise Garçon associe étroitement au travail artisanal le « régime de la pratique », informel et oral, opposé au « régime de la technique », écrit et formalisé, apanage de lingénieur9. Pour sa part, Hélène Vérin considère que le processus de « réduction en art » fut réalisé par une élite liée à lexercice du pouvoir, en confrontation avec le monde des métiers10. Les mêmes doutes sappliquent précisément au lectorat des traités dartillerie souvent dépeint comme un univers social fait daristocrates et de hauts officiers militaires11. Lusage des instruments décrits par ces traités est lui-même coupé de toute vocation applicative avant dêtre réduit à un rôle rhétorique, celui délever le statut social de lofficier militaire et du gentilhomme en le rapprochant du mathématicien12.

Ce scepticisme est par ailleurs construit sur la conviction que lapprentissage technique était avant tout oral et gestuel. Selon Epstein, les savoirs techniques étaient, à lépoque moderne, systématiquement transférés « en chair et en os », dune personne à une autre, « de la tête et des mains du maître » vers celles de lapprenti13. Lépreuve pour devenir 511maître, la réalisation dun chef-dœuvre, renforçait cette prépondérance du savoir informel puisquelle était de nature strictement manuelle14. Les pratiques au sein de ce système dapprentissage rendaient donc lauteur de traités techniques totalement superflu15. Pourtant, certains historiens des techniques remarquent des sortes danomalies : ainsi, sappuyant sur les recherches de Lon Shelby16, Marteen Prak souligne les connaissances en géométrie des maçons du Moyen Âge, mais il les fait néanmoins entrer dans la catégorie du « pratique » par opposition à un « théorique » indéfini qui évite de bousculer lordre historiographique préétabli – artisan/pratique contre géomètre/théorique17.

Ce dernier chapitre se veut être une invitation à reconsidérer le rôle des traités en lien avec le développement de certaines composantes théoriques des systèmes dapprentissage techniques de lépoque moderne. Létude détaillée de la formation des artilleurs, et en particulier de lécole de Séville, a permis de mettre en évidence ces composantes théoriques dans le cas de lartillerie. Or, la pratique de lexamen sous forme de questions, épreuve non manuelle et forçant à produire un discours sur une activité, existait au sein dautres professions de la Renaissance, ce qui signifie que les questionnements au cœur du développement suivant mériteraient dêtre étendus à dautres activités professionnelles et dautres espaces de lépoque moderne18. Ce chapitre entend principalement démontrer la pertinence de létude du triptyque livre-enseignement-artilleur à la fin du xvie siècle. Cette relation sera abordée sous de multiples angles danalyse. Dabord, létude du projet de publication dun traité par un maître artilleur de Sicile montrera que les contemporains considéraient les écoles comme un marché potentiel de limprimé tout à fait stratégique pour la Monarchie. Consciente de cette réalité, la littérature technique, souvent rédigée par des agents du roi déjà impliqués dans lenseignement, revendiqua son insertion dans les systèmes émergents de formation des artilleurs. Dans un second temps, il sagira danalyser 512le contenu de certains programmes denseignement des écoles et de les comparer aux traités publiés à lépoque afin de mettre en évidence leurs nombreuses similitudes. Enfin, la dernière partie de ce chapitre portera sur létude des livres comme objets matériels, analysant les annotations manuscrites de dizaines dexemplaires de traités à la recherche dindices de lecture laissés par des artilleurs.

Les écoles dartilleurs,
un marché pour limprimé

En 1589, Alonso de Salamanca, maître artilleur à lécole de Trapani en Sicile, soumit aux membres du conseil de guerre un projet de publication dun livre imprimé à destination des écoles dartilleurs de tout lempire. Lapprofondissement de ce cas détude démontrera que les écoles dartilleurs étaient considérées par le commandement militaire espagnol comme un marché stratégique pour les livres imprimés. Ce cas permet également de saisir quelques-uns des mécanismes conduisant à la publication dun traité dartillerie. Par ailleurs, un passage en revue des rhétoriques utilisées par les auteurs de lépoque montrera les nombreuses revendications des traités à former les artilleurs et à servir de socles et dexemples à la pratique de lexamen. Labondante production de traités dartillerie sinséra en ce sens dans la dynamique dinstitutionnalisation de lenseignement de lartillerie, tâchant de construire la norme de ce système socioprofessionnel et sattribuant de la sorte un double public, celui des artilleurs et celui de leurs commandants.

La production dun traité dartillerie :
le cas dAlonso de Salamanca

Létude du cas dAlonso de Salamanca est sans aucun doute le meilleur moyen de mettre en évidence le marché que représentaient les écoles dartilleurs pour les traités dartillerie imprimés et, réciproquement, le besoin quavaient ces écoles dun effort de formalisation des savoirs. La proposition que ce maître artilleur fit devant le conseil de guerre, en 1589, de faire imprimer un traité dartillerie, lança une série de discussions 513permettant à lhistorien de cerner bon nombre denjeux politiques, militaires et sociaux autour de la publication des traités dartillerie. Cependant, une brève présentation du personnage est nécessaire avant dentrer plus en détail dans le contenu de ces discussions.

La vie tumultueuse de cet individu est révélatrice du type dexpériences que pouvaient alors avoir vécues certains auteurs vétérans. Né en Castille vers 1523, Alonso de Salamanca entra au service de la Monarchie hispanique en tant quartilleur à lâge denviron 25 ans19. Au début des années 1570, il était installé avec sa famille dans la forteresse de la Goulette, près de Tunis, où il cumulait les postes dartilleurs de la garnison et de majordome de lhôpital, pour un salaire de 18 ducats par mois, chiffre très élevé pour la profession et qui manifestait le statut exceptionnel de cet artilleur20. En juillet 1574, cette place forte fut assiégée par une gigantesque armée ottomane. Pour rappel, cest précisément ce moment de crise qui poussa le duc de Terranova à créer la première école dartilleurs en Sicile21. En tant quartilleur de La Goulette, Alonso de Salamanca participa activement à la défense du site pendant plus de 40 jours. Il fut lun des rares survivants de lhécatombe des artilleurs décrite dans les rapports envoyés à Terranova. Lorsque La Goulette fut prise le 25 août 1574, Salamanca fut capturé et emmené avec deux de ses filles à Constantinople22.

Ses mésaventures sont en partie connues grâce à un manuscrit quil rédigea lors de sa captivité23. Il sagit dun récit dans lequel Alonso de Salamanca raconte les grands faits dont il fut témoin, depuis le siège de la Goulette jusquà la mort du sultan Sélim II, survenue peu de temps après son arrivée à Constantinople. Rédigé en vers dans un castillan littéraire très correct, ce document démontre que certains artilleurs 514possédaient de toute évidence une grande affinité avec la culture de lécrit et la littérature. Par ailleurs, le ton désespéré de lauteur laisse entendre quil écrivit ce poème épique lors de sa captivité, peut-être même clandestinement puisquil choisit de cacher son nom, le codant dans les initiales dune certaine strophe. Le dernier chant, qui révélait le secret de lidentité de lauteur, rompait avec le reste de lœuvre puisque, rédigé plus tard, il racontait son évasion tout à fait romanesque. Après son séjour à Constantinople, Salamanca était finalement devenu esclave rameur dans lescadron des galères dAlexandrie. À lautomne 1576, tandis que les galères hivernaient au port dAlexandrie, Salamanca et quelques autres esclaves chrétiens résolurent de mettre au point un plan dévasion. Après quelques préparatifs réalisés avec laide de complices extérieurs, ils convainquirent près de 300 esclaves de les suivre dans leur entreprise. Par une nuit de décembre 1576, ils se dirigèrent vers le port, se frayèrent un chemin à travers les gardes turcs au prix des vies de quelques dizaines des leurs, puis ils parvinrent à sembarquer dans la galère amirale de la flotte, senfuyant rapidement dAlexandrie. Au début du mois de janvier 1577, ils abordèrent le port de Gallipoli, au sud de lItalie. Lexploit fut alors salué dans le royaume de Naples et la galère dérobée aux Ottomans fut intégrée à lescadron napolitain24. Sans doute à la suite de ce retour triomphal et en récompense de ses services au siège de la Goulette, Alonso de Salamanca obtint quelques temps plus tard la direction de lécole dartilleurs nouvellement créé à Trapani, avec une capacité de 70 individus25.

À la fin de lannée 1588, à lâge de 65 ans, Alonso de Salamanca entreprit un long voyage depuis la Sicile pour se rendre auprès des têtes de ladministration militaire à Madrid. Deux affaires importantes motivèrent son déplacement. Dabord, comme il avait contracté des dettes pour payer la rançon de ses deux filles captives à Constantinople, il souhaitait récupérer larriéré de ses paies (atteignant la rondelette somme de 980 escudos) de lépoque où il servait à la Goulette26. En outre, à loccasion de cette requête quil soumit au conseil de guerre en 515février 1589, il présenta un manuscrit quil avait composé, à partir de ses quarante années dexpérience de lartillerie, afin de former – le verbe employé est abilitar, caractéristique de lenseignement – les artilleurs27. Le moment était parfaitement choisi. En effet, au lendemain du désastre de lInvincible Armada, les préoccupations du haut commandement militaire quant à la formation des artilleurs étaient à leur apogée28. La démarche de Salamanca coïncida précisément avec lépoque où lexpression escuela de artilleros devint soudain dun usage courant dans les documents du conseil de guerre.

Or, les sources identifiaient clairement les écoles dartilleurs comme le marché principal dune version imprimée de ce manuscrit. Ce débouché avait sans doute été initialement suggéré aux membres du conseil de guerre par Alonso de Salamanca lui-même, dans la mesure où son activité principale denseignant à lécole dartilleurs de Trapani le plaçait dans une position idéale pour savoir ce que nécessitaient les apprentis29. Le maître artilleur expliquait ainsi quil avait composé cet ouvrage pour que quiconque pût apprendre loffice dartilleur aussi bien quil le connaissait lui-même30. Cest exactement cette idée qui séduisit le conseil de guerre dès la première présentation du manuscrit : « en ce qui concerne le livre, [] le conseil comprend quil sera utile pour les écoles dartilleurs quil y a dans nos royaumes31 ». Les diverses notes de plusieurs consultes du conseil de guerre répètent que ce livre devait constituer une aide précieuse à la formation des artilleurs : « une fois ce livre imprimé, on pourra bien mieux enseigner aux artilleurs à se servir de lartillerie32 » ; « avec seulement son livre, il sera possible dorénavant denseigner aux artilleurs espagnols33 ».

En outre, lun des principaux intérêts de ce manuel résidait dans sa langue décriture, le castillan, grande rareté à une époque (1589) où la quasi-totalité des traités dartillerie avaient été publiés en italien. 516Les membres du conseil de guerre étaient parfaitement conscients du caractère exceptionnel du projet pour lépoque :

Le livre écrit et composé en langue espagnole par un maître espagnol [est] ce qui importe le plus car il ny a aucun livre qui traite en espagnol de ne serait-ce quun cinquième de ce que traite celui-ci34.

Pour cette raison, les têtes de ladministration militaire reconnaissaient lutilité potentielle de faire imprimer ce livre pour le diffuser auprès des artilleurs hispanophones dans les nombreux territoires de lempire. Ainsi, au sujet du livre de Salamanca, une note probablement écrite par le secrétaire du conseil de guerre, Andrés de Prada, à ladresse du roi expliquait que :

Si lon y regarde bien, après lavoir imprimé, il semble que, pour Vos Royaumes dEspagne et des Indes, ainsi que tous les territoires où lon comprend bien la langue espagnole dans laquelle il est écrit, ce livre sera de toute limportance nécessaire pour que lartillerie de Votre Majesté soit bien servie35.

On estimait que le marché était dune taille tout à fait respectable. Les premiers documents évoquent un projet de tirage à 600 exemplaires36, tandis que lannée suivante, promesse avait été donnée de produire 1 200 exemplaires37. Daprès les spécialistes de lhistoire du livre, ces chiffres correspondaient à des tirages courants au xvie siècle, le second étant déjà un signe dune diffusion relativement large, ce qui ne manque pas de surprendre compte tenu de la thématique très spécialisée de louvrage38.

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Le projet traina néanmoins en longueur pendant près de dix-huit mois. Au début du projet, en février 1589, le capitaine général de lartillerie, don Juan de Acuña Vela, donna son opinion sur le livre :

à propos de donner la licence pour imprimer le livre, le capitaine en a lu une partie et il lui semble si long que, pour certains aspects, cela le rend peu intelligible et il est davis quon ne donne pas [à Alonso de Salamanca] la licence pour limprimer avant quil ne le corrige et modifie et quon le lise de nouveau39.

Par conséquent, le maître artilleur fut obligé daméliorer son manuscrit, jugé trop long et manquant par moment de clarté. En juin de la même année, cétait chose faite : le nouveau manuscrit, « mis en perfection », reçut enfin alors lapprobation du capitaine général de lartillerie40. Cependant, le processus de validation était loin dêtre terminé. Malgré lavis positif du général, la décision du conseil fut de soumettre louvrage à lopinion du docteur Julián Ferrofino41. Pour rappel des chapitres précédents, ce mathématicien italien enseigna lartillerie dans plusieurs villes de la péninsule ibérique, mais, en juin 1589, il venait seulement de proposer ses services au conseil de guerre, avant dêtre envoyé à Burgos42. Il jouissait néanmoins déjà dune autorité scientifique suffisante pour servir de juge de la qualité du manuscrit de maître Salamanca. Toutefois, son avis ne suffit pas. On recourut finalement à lautorité scientifique suprême de la cour de Philippe II : le mathématicien, architecte de lEscurial et fondateur de lacadémie de mathématiques de Madrid, Juan de Herrera43. Puis, suite à leurs avis positifs, le manuscrit dut passer devant le conseil dÉtat au début de lannée 1590 afin dobtenir le privilège dimpression44.

Ce long délai de près dun an savéra fatal pour la publication du livre. Hormis lorsquil fut envoyé inspecter quelque temps lartillerie de Castille45, Alonso de Salamanca resta tout ce temps à Madrid, dabord 518pour corriger son texte, puis pour préparer la future impression de louvrage. Cependant, à force dattente, en avril 1590, il écrivit avec amertume une lettre au roi dans laquelle il annonçait renoncer à son projet46. Pour payer limpression, le conseil de guerre lui avait semble-t-il promis la somme de 150 ducats dont il navait en réalité touché quà peine un tiers. Entretemps, le prix du papier avait considérablement augmenté et les libraires lui demandaient davancer limportante somme de 300 ducats, quil navait plus puisque son séjour madrilène de plus dun an lui avait coûté très cher. Par conséquent, aucun imprimeur ne souhaitait plus passer de contrat avec lui. Cependant, la raison sous-jacente de ce retournement de situation, expliquant à la fois les lenteurs du conseil de guerre et le refus dengagement des imprimeurs, est perceptible à travers ces quelques mots plein daigreur du maître artilleur :

Je suis sur le point de le faire imprimer, comme convenu, comme discours pour enseigner aux artilleurs, car il na pas son semblable en langue castillane, et même si certains livres militaires traitent en partie de ce sujet, et plus particulièrement le Perfeto Capitán qui vient de paraître, il est certain quon ny trouve pas de raisonnements issus de maître ayant servi lartillerie47.

Ce qui avait changé entre le début du projet, en février 1589, et cette lettre du mois davril 1590, cétait que, soudain, le manuel dAlonso de Salamanca nétait plus le seul traité dartillerie en castillan. En effet, au début de lannée 1590, fut publié à Madrid le Perfeto Capitán, ouvrage dédié à lart militaire en général mais avec une insistance particulièrement importante sur lartillerie48. Son auteur, Diego de Álava y Viamont, était un adversaire avec lequel Alonso de Salamanca pouvait difficilement rivaliser. Fils naturel, légitimé sur le tard, de don Francés de Álava, défunt capitaine général de lartillerie, Diego de Álava descendait de lune des plus importantes familles aristocratiques de Navarre49. À la cour, où il séjournait depuis la mort de don Francés en 1586, il bénéficiait 519encore du prestige de la figure paternelle, ex-ambassadeur de Philipe II en France et lun des principaux chefs militaires de la Monarchie. Il pouvait compter sur le soutien personnel de certains membres du gouvernement, tels que le secrétaire du conseil dÉtat Gabriel de Zayas, grand ami de don Francés, et qui avait pris en charge léducation du jeune Diego pendant la longue absence de son père en France dans les années 156050. Il nest dailleurs pas à exclure quune partie des retards et tergiversations autour du projet dAlonso de Salamanca fut orchestrée par des amis et complices de Diego de Álava.

Ce qui est certain, cest quil fut sans aucun doute plus aisé à cet aristocrate de faire publier son ouvrage. Tandis quà lautomne 1589, le manuscrit de Salamanca était lentement examiné par larchitecte Juan de Herrera, Diego de Álava obtenait lapprobation de son livre et, un mois plus tard, le privilège royal dimpression51. Au début de lannée 1590, alors quAlonso de Salamanca attendait dobtenir un prêt du conseil de guerre pour avancer les frais dimpression de son traité, Diego de Álava put lancer limpression chez Pedro Madrigal grâce aux importants moyens financiers dont il disposait personnellement et par ses réseaux sociaux. Le tirage dut dailleurs être grand compte tenu du nombre dexemplaires encore survivants à lheure actuelle52.

Par conséquent, le maître artilleur Alonso de Salamanca sétait fait devancer dans son projet de publier le premier grand traité dartillerie en langue castillane. Il eut beau critiquer le manque dexpérience de lauteur du Perfeto Capitán dans sa lettre au roi du mois davril 1590, il était trop tard. Après plus dun an et demi de séjour en Castille, Alonso de Salamanca manquait dargent et devait retourner former les artilleurs de Trapani. Avant de quitter la cour, il parvint à obtenir – moyennant le passage dun « examen » devant le lieutenant du capitaine général de lartillerie – une augmentation de trois ducats sur son salaire53. Il proposa également de confier son manuscrit à quelque serviteur du roi pour quon le fît imprimer plus tard54. Toutefois, le devenir de cet 520ouvrage reste un mystère car aucun historien na, à ma connaissance, été capable de le retrouver dans quelque collection que ce soit.

Que contenait ce mystérieux manuscrit que le conseil de guerre souhaitait utiliser dans les écoles dartilleurs ? Les sources sy référaient souvent sous lexpression « livre du service de lartillerie55 ». Il sagissait manifestement dun ouvrage expliquant comment se servir de lartillerie mais qui traitait aussi de la fabrication de la poudre et des artifices de feu56, thématiques également abordées par les auteurs italiens qui précédèrent Alonso de Salamanca, tels que Tartaglia, Cataneo et Ruscelli. Dailleurs, le vieil artilleur de Trapani ne niait pas recourir à lautorité dautres auteurs, dans un travail de compilation quil avait étalé sur une quinzaine dannées57. Par conséquent, cet ouvrage destiné aux écoles dartilleurs semblait sintégrer à ce champ de savoir en construction quétait la nouvelle science de lartillerie.

Toutefois les sources semblent indiquer une certaine divergence des positions dAlonso de Salamanca par rapport aux méthodes de ce champ de savoir sur lartillerie recourant abondamment aux mathématiques. Ainsi, lorsquil critiqua le Perfeto Capitán, le maître artilleur de Trapani écrivit :

Ce qui y est déclaré a été tiré de papiers mal compris et dun livre de langue toscane sappuyant sur la géométrie, les mathématiques et les proportions, qui est une science mal comprise de la plupart des artilleurs58.

Ce livre de langue toscane était sans doute la Nova Scientia de Tartaglia59 car, en effet, une partie du Perfeto Capitán visait à critiquer le contenu de cet ouvrage, premier traité dartillerie imprimé et grande autorité du champ60. Le traité de Tartaglia relevait sans nul doute dun niveau dabstraction supérieur à celui de ses successeurs Cataneo, Ruscelli et autres. Cest probablement cet aspect spéculatif de lœuvre de Tartaglia, 521repris par Diego de Álava, auquel Alonso de Salamanca sattaquait. Néanmoins, cette position du vieux maître artilleur sur la géométrie, les mathématiques et les proportions ne reflétait sans doute quune ultime tentative, désespérée, de promouvoir ses écrits contre ceux de Diego de Álava.

Plusieurs indices permettent de supposer que le manuel de Salamanca reposait en partie, comme tous les autres traités dartillerie, sur ces mêmes mathématiques, géométrie, proportions dont il critiquait la présence chez Diego de Álava. Dabord, daprès Alonso de Salamanca lui-même, loffice dartilleur consistait à savoir manier « la règle et le compas, les poids et les mesures61 ». En outre, il faut rappeler que lapprobation de son manuscrit fut confiée non pas à des militaires dexpérience mais à deux individus, Ferrofino et Herrera, reconnus pour leurs compétences en tant que mathématiciens. Enfin, le fait même que Salamanca identifia le Perfeto Capitán comme principale menace à son projet démontre quils avaient, malgré quelques différences, suffisamment de similitudes pour se concurrencer lun lautre. Il faut rappeler ici que, si le livre de Diego de Álava spéculait sur la science de Tartaglia, il sappuyait aussi, dans ses aspects les plus techniques, sur des ouvrages dartilleurs praticiens, notamment le premier traité, en italien, de Luis Collado62 ainsi que le manuscrit dit « Alvaradina » offert par lartilleur Cristóbal de Espinosa à don Francés de Álava, père de lauteur du Perfeto Capitán63.

Quelles conclusions tirer de cette étude de cas quant à la relation entre traités dartillerie et écoles dartilleurs ? Cette affaire démontre que, aux yeux du conseil de guerre tout comme aux yeux dun maître enseignant lartillerie, les écoles dartilleurs nécessitaient la publication douvrages formalisant les savoirs. Les écoles dartilleurs constituaient donc indubitablement un débouché potentiel des imprimés traitant dartillerie. De plus, le manuscrit de Salamanca ne fut finalement jamais imprimé malgré lintérêt évident quil avait éveillé parmi les membres du conseil de guerre. Il est par conséquent possible démettre lhypothèse que, dans une certaine mesure, le livre de Diego de Álava se substitua à celui de Salamanca dans son rôle espéré de support à la formation des 522artilleurs. Pourtant, le titre de cet ouvrage, « Le Parfait Capitaine », sadressait a priori à un public constitué de commandants plutôt que dartilleurs. Peut-être faut-il, pour concilier les explications, admettre différents types de publics visés par cette œuvre complexe ? Dune part, les capitaines, instruits de cette nouvelle science de lartillerie, devenant capables dévaluer le degré de compétences de leurs artilleurs ; dautre part, les artilleurs, obligés de sadapter aux nouvelles normes exigées par leurs commandants.

Rhétorique et normes pour lenseignement
et les examens

Le projet du maître artilleur Alonso de Salamanca de publier un traité dartillerie pour la formation des artilleurs fut loin dêtre un cas isolé. Le livre de Diego de Álava, le Perfeto Capitán, qui le suppléa dans ce rôle est sans doute lun des traités dartillerie de lépoque qui revendiquait le moins son insertion dans les pratiques et systèmes de formation des artilleurs alors émergents. Toutefois, même sils furent publiés à Venise, lieu de mise en place des premières écoles dartilleurs64, les premiers traités dartillerie sinscrivirent de manière moins évidente dans le système des écoles et des examens dartilleurs. Dans leur rhétorique, ces auteurs jouèrent plutôt sur la corde de la relation privilégiée avec le Prince, auquel promesse était donnée de livrer des inventions secrètes. Ainsi en alla-t-il du mathématicien Tartaglia qui garda sa loi reliant langle de hausse à la portée pour la seule oreille du duc dUrbino65. De même, lhumaniste Girolamo Ruscelli souhaitait faire connaître à son dédicataire, le prince Alexandre Farnèse, les « inventions, moyens et secrets de la manière de guerroyer66 ». Cette rhétorique se retrouvait dans lun des plus anciens manuscrits dartillerie écrit en castillan, celui de lartilleur Hernando del Castillo, qui présentait « ses inventions diverses67 ». La tendance changea dans le dernier tiers du xvie siècle, 523avec linstitutionnalisation des pratiques denseignement et dexamens des artilleurs dans les péninsules italienne et ibérique. Il sagit alors de définir la norme des savoirs dun artilleur.

Dabord, il faut remarquer quAlonso de Salamanca ne fut pas le seul auteur de traités à être impliqué dans les institutions de formation des artilleurs. Luis Collado, lauteur du Plática Manual de artillería cité en introduction de ce chapitre, assumait, en sus de son office dingénieur du duché de Milan, le rôle d« examinateur des artilleurs68 ». Lazaro de la Isla, qui publia un traité en 159569, avait obtenu laccord du roi pour « enseigner lart de lartillerie, la géométrie et les artifices de feu » sur les galères de Lisbonne70. Après cette publication, il obtint un poste denseignement dans les écoles dartilleurs de Burgos puis de Cadix71, rééditant son ouvrage à Valladolid en 160372. Le capitaine Cristóbal Lechuga73 avait été le principal responsable de la réforme des écoles dartilleurs du duché de Milan, ordonnée par le comte de Fuentes en 160474. Lartillero mayor de Séville Andrés Muñoz el Bueno publia lui-aussi un traité en 162775. La nouvelle science de lartillerie était par conséquent construite en grande partie par des individus pleinement intégrés dans les systèmes de formation des artilleurs.

Par ailleurs, certains traités revendiquèrent un lien explicite avec les pratiques denseignement et dexamen. Ainsi, Luis Collado inséra dans son traité un développement expliquant comment mettre en place une école dartilleurs76. La citation en introduction de ce chapitre montre sa proposition de fournir, par son livre, un support intégral à lenseignement théorique des écoles dartilleurs. En outre, la fin de louvrage mettait en scène un examen dartilleur lors duquel un individu rescapé du naufrage de son navire en Écosse lors de la Grande Armada de 1588, 524sollicitait un poste dartilleur au château de Milan77. La mise en scène se voulait de toute évidence réaliste, correspondant aux pratiques en vigueur au sein de ladministration militaire. Lexamen réunissait le capitaine général de lartillerie de Milan, son lieutenant, ainsi que le chef artilleur du château et trois artilleurs vétérans. Lindividu examiné avait, disait-il, été formé par le maître artilleur de lîle de Malte mais, aussi et surtout, par la lecture du livre de Luis Collado78. Aussi répondait-il aux questions qui lui étaient posées en se référant aux passages du livre traitant du sujet. Autrement dit, les artilleurs étaient invités par Collado, alors examinateur des artilleurs du duché, à apprendre le contenu de son ouvrage afin dêtre capables de répondre aux questions de lexamen. Au cas où le lien entre le livre et les examens dartilleurs eût échappé aux lecteurs les moins attentifs, Luis Collado précisait dans sa dédicace au roi Philippe II :

Et à la fin se trouve, en dialogue, un très copieux examen dartilleur, par lequel les officiers de Votre Majesté pourront parfaitement tous les examiner79.

Il y avait, dans ces mots de la dédicace, tout comme dans la mise en scène de lexamen, plus quune simple rhétorique. Fixant ce que devait demander lexaminateur et ce que devait répondre lexaminé dans un contexte général dinstitutionnalisation des pratiques dexamens, la publication de ce traité participait dun vaste projet délaboration dune norme des connaissances sur lartillerie au sein de ladministration militaire de lempire espagnol.

De nombreux traités dartillerie de lépoque revendiquaient plus ou moins explicitement leur insertion dans les systèmes émergents de formation et de contrôle des connaissances des artilleurs. Ainsi en 1564, lingénieur militaire novarais Girolamo Cataneo inséra à la fin de son livre de fortification, « un traité des examens de bombardiers80 ». Trois ans plus tard, il publia un livre entièrement consacré à lartillerie qui non seulement reprenait le titre des « examens » (essamini) mais encore dont la structure était en partie divisée en « examinations » 525(essaminationi)81. Le traité de lingénieur lombard Gabriel Busca, publié en 1584, sintitulait quant à lui « linstruction des bombardiers82 ». Huit ans plus tard, Eugenio Gentilini publia pour la Sérénissime un traité reprenant exactement ce même titre et présentant lexamen de bombardier pratiqué par Zaccaria Schiavina, chef artilleur et capitaine dartillerie à Venise, lœuvre étant censée « instruire les artilleurs et chefs artilleurs de tout ce qui était nécessaire à leur profession83 ». La réédition de 1606, augmentée de dizaines de pages, incluait une préface aux lecteurs dans laquelle Gentilini sadressait directement aux artilleurs et employait le vocable scolaro, caractéristique des écoles dartilleurs, pour désigner les cibles de son instruction84.

La production manuscrite, elle aussi, sancrait dans ces systèmes décoles et dexamens dartilleurs. Ainsi le manuscrit que rédigea en 1591 le lieutenant dartillerie Diego de Prado mettait en scène un chef artilleur proposant « denseigner lart de lartillerie » à un soldat souhaitant devenir artilleur85. La mise en contexte se voulait très précise et réaliste, le soldat étant invité à assister aux leçons données par le maître tous les jours entre une heure et trois heures de laprès-midi86. Lapprenti devait même prendre des notes avec la plume, la règle et le compas, afin de pouvoir étudier et réviser les leçons chez lui87. Dautres manuscrits se concentraient plutôt sur la pratique de lexamen. Ainsi par exemple, une œuvre anonyme écrite au tournant des xvie et xviie siècles portait le titre d« examen dartilleur dans lequel on traite de tout ce quest obligé de demander celui qui serait juge de cet art à celui qui souhaiterait être examiné pour devenir artilleur88 ». Un tel intitulé orientait lœuvre 526plutôt vers le public des examinateurs et des officiers, mais la définition de la norme de lexamen proposée par ce manuscrit conduisait de facto à lobligation pour les artilleurs examinés dacquérir les connaissances qui y étaient décrites et formalisées. La meilleure description de ce jeu de miroir induit par la pratique de lexamen, définissant un double public examinateurs-examinés, est formulée par lartilleur Espinel de Alvarado, à propos de son œuvre manuscrite :

[Ce livre] est très utile et profitable, tant pour les capitaines généraux de lartillerie, les lieutenants, gouverneurs, capitaines, chefs artilleurs ainsi que toute personne qui se trouverait en charge de lexamen des artilleurs, que pour les artilleurs eux-mêmes, afin quils sachent ce quils doivent faire dans leurs opérations et quils soient mieux préparés pour passer leurs examens89.

Incontestablement, les auteurs de traités dartillerie jouèrent sur ce double public de lecteurs dans leurs projets de définition et de formalisation des connaissances sur lartillerie. Ainsi, la structure du traité de Diego Ufano laissait clairement apparaître les deux principaux publics destinataires de lœuvre90. La première partie du traité était consacrée à la classification des différents types de pièces dartillerie, chaque chapitre étant introduit par des expressions génériques et indéfinies de type se declara, se muestra, se trata. Lauteur considérait vraisemblablement cette partie comme constitutive dun socle commun de connaissances. La seconde partie changeait quant à elle de rhétorique puisquelle mettait en scène, dans un style qui se prétendait élégant, un dialogue entre un général de lartillerie et un capitaine vétéran91. Ce passage du traité visait clairement les commandants de lartillerie non seulement dans la forme du texte mais aussi dans son contenu. Il sagissait de définir 527les devoirs et charges des capitaines et officiers, savoir positionner les différentes pièces dartillerie lors dun siège et dune bataille rangée ou encore connaître lexistence de techniques de siège particulières telles que les mines.

Il ne faudrait toutefois pas en déduire que cet ouvrage visait uniquement le public du haut commandement. En effet, la troisième et dernière partie du livre traitait :

de certaines choses touchant à lusage et à la doctrine militaire de son école, dans le but de générer, au moyen de la théorie et de la pratique, des artilleurs dextres et experts, intelligents et parfaits dans le ministère de leur art92.

Cette partie était donc consacrée à définir ce qui devait être enseigné aux artilleurs. La rhétorique de louvrage sadaptait au contexte de lécole dartilleurs : en choisissant de dénommer chacun des 32 chapitres de cette partie par le terme de lición (leçon), Diego Ufano se mettait dans la peau du professeur sadressant à ses élèves-artilleurs. Il y montrait comment connaître lanatomie des pièces, le calibre, la qualité de la poudre, comment tirer selon les différents angles de hausse, comment fabriquer des artifices de feu et autres bombes pour la guerre et pour les fêtes. Enfin, lœuvre se concluait par la mise en scène dun examen. Toutefois, grande originalité, cette fois-ci il ne sagissait plus de contrôler les connaissances de lartilleur mais celles du condestable, le chef artilleur, poste qui était, selon Ufano, absolument fondamental dans le système de formation à lartillerie puisque cétait cet individu qui devait « instruire et enseigner lart aux artilleurs93 ».

La multiplication des pratiques de contrôle des connaissances au sein des administrations militaires – quil sagît de Venise ou de la Monarchie hispanique – représenta pour bon nombre dauteurs de traités, une opportunité de proposer une norme médiatrice de léchange. Or, pour constituer cette norme, les auteurs impliquèrent les potentiels examinateurs autant, si ce nest plus, que les examinés. Cest sans doute ce qui explique la 528présence fréquente, dans les traités dartillerie, de discours à destination des officiers. Cest ainsi que lon peut interpréter la structure composite du Perfeto Capitán. Comment comprendre autrement que cette œuvre, qui décrivait en détail les qualités, devoirs et charges du « parfait capitaine » put en même temps évincer le projet dAlonso de Salamanca de publier un manuel à destination des écoles dartilleurs ? Il devait sagir dun discours à de multiples destinataires, sadressant aux officiers mais aussi aux artilleurs devant se plier à leur contrôle des connaissances. Il en allait sans doute de même des nombreuses associations entre traités dartillerie et traités de fortification94. Non seulement la compréhension du fonctionnement de lartillerie était indispensable aux ingénieurs militaires pour bien concevoir une forteresse, mais ces derniers prenaient aussi souvent part aux pratiques de formation et de contrôle des connaissances des artilleurs. Ainsi, lorsque Julián Ferrofino proposa au conseil de guerre de former des artilleurs espagnols, il se présenta comme ingénieur militaire à Milan95. Autre ingénieur militaire du duché de Lombardie, Luis Collado y jouait aussi le rôle dexaminateur des artilleurs, comme cela a déjà été montré. Lexpertise technique de certains ingénieurs sétendait donc couramment à lévaluation du niveau de connaissances des artilleurs et il était par conséquent pertinent de grouper dans une même publication des savoirs sur lartillerie et sur la fortification.

Lorsque les auteurs de cette littérature technique discutaient du contenu de la nouvelle science de lartillerie, ils exprimaient également leurs divergences quant à la définition de la norme de lexamen et de lenseignement qui en découlait. Certains auteurs se montraient relativement exigeants vis-à-vis des artilleurs. Lexamen dartilleur proposé par Luis Collado était dense et ambitieux, reprenant point par point lensemble du traité96. Selon Girolamo Cataneo, tout artilleur devait savoir « lire, écrire et avoir un bon abaque, de sorte quil puisse mesurer les hauteurs, profondeurs et distances97 ». Dautres auteurs affichaient 529cependant des prétentions plus faibles quant au niveau de connaissances des artilleurs. Gabriel Busca écrivit, probablement en réponse à Cataneo, « quil ne partageait pas lavis de certains qui veulent que le bombardier soit géomètre et mathématicien, sachant mesurer toutes les distances98 ». Enfin le capitaine Cristóbal Lechuga avait pour sa part des exigences encore plus faibles puisquil écrivit, lorsquil reprit une partie du traité de Busca dans son propre livre :

Gabriel Busca a écrit son traité pour tous les artilleurs, moi je lai mis pour les plus curieux dentre eux, et pour que le sachent ceux qui commandent lartillerie, même le général, de sorte quils puissent lenseigner et résoudre tous les doutes qui pourraient se manifester, car en ce qui me concerne, je ne demande rien de plus à un artilleur que de savoir faire les cuillères de chargement, entretenir les brosses de nettoyage, fabriquer les gabions de protection, constuire les esplanades et les embrasures de tir, charger et bien pointer les pièces ainsi que connaître les boulets99.

Ainsi, se dessinaient les contours, non pas dune norme, mais dune pluralité de normes formalisant les connaissances à exiger des artilleurs et de leurs commandants. Toutefois, même si les traités eurent vocation à sinsérer dans les systèmes de formation des artilleurs, encore reste-t-il à vérifier quils y parvinrent. Dans quelle mesure les prétentions de ces traités furent-elles en phase avec les programmes denseignement des écoles dartilleurs ?

530

Les savoirs enseignés
dans les écoles dartilleurs

Les auteurs de traités dartillerie cherchèrent manifestement à proposer aux écoles des programmes denseignement de lartillerie. En outre, de grandes divergences dopinion existaient entre les différents auteurs quant aux savoirs que devait posséder lartilleur. Par conséquent, il convient de poser la question de ce qui était réellement exposé dans les écoles dartilleurs. Le cas de la garnison de Perpignan dans les années 1560-1570 offre un exemple de ce qui pouvait être enseigné aux artilleurs avant la mise en place des écoles dartilleurs à proprement parler. Certaines sources révèlent notamment une forme de réception des ouvrages de Niccolò Tartaglia, le premier auteur de traités dartillerie. Dans un second temps, il sagira de sintéresser à lenseignement dans sa forme institutionnalisée, à travers létude de deux programmes, lun concernant lécole de Palerme en 1575, lautre sappliquant à lécole de Séville en 1595. Enfin, en comparant le contenu de ces programmes aux plans des principaux traités dartillerie de lépoque, il est possible de mettre en évidence de nombreuses similitudes ainsi que quelques différences entre les formations proposées par les écoles et celles proposées par les livres.

Avant lécole dartilleurs :
Tartaglia dans la garnison de Perpignan

Les archives de Simancas ont conservé tout un ensemble de documents relatifs aux artilleurs de la place forte de Perpignan des années 1560 et 1570100. Capitale du comté de Roussillon et porte dentrée de la péninsule ibérique du côté des Pyrénées orientales, Perpignan était lune des plus grandes forteresses de la Monarchie hispanique. Pour servir ses quelques 119 pièces dartillerie, cette ville possédait une des plus grandes garnisons dartilleurs de lépoque, ses effectifs sétablissant autour de 35 individus101. Il sagissait dune de ces places fortes qui, comme Burgos, Pampelune ou Saint-Sébastien, intégraient un entraînement des artilleurs sur un terrain avec des sessions de tirs sur cible.

531

Par chance, la liasse de Simancas évoquée précédemment a conservé, parmi de nombreux documents comptables évoquant les paiements des artilleurs, quelques documents relatifs à ces sessions dentraînement. Dabord, il sy trouve des comptes de la poudre dépensée lors de certaines sessions de tir. Ils sont suivis de quelques informations normatives quant au programme de formation des artilleurs. Ainsi, une ordonnance royale datant de 1560 réglait les pratiques dentraînement sur le terrain de tir102. En plus détablir ce qui devait être financé par la Monarchie et ce que les artilleurs devaient eux-mêmes payer, cette ordonnance précisait que les artilleurs devaient sentraîner à fabriquer la poudre et à tirer avec différents dosages de poudre et différents types de pièces, tels que des petits falconetes mais aussi des pièces de plus gros calibres et des mortiers. Sous la supervision de leur capitaine, ils étaient également autorisés à utiliser de la poudre pour sentraîner à faire des mines de sape des murailles, technique classiquement exposée dans les traités dartillerie103. Autrement dit, ces documents décrivent un programme de formation pratique relativement complet.

Cette ordonnance sur la formation pratique des artilleurs est accompagnée, dans la liasse, par un document de plusieurs folios reliés entre eux et portant le titre de « Recommandations des choses touchant à lartillerie104 ». Derrière cet intitulé très générique se cache en réalité un bref manuel dartillerie, formalisant des connaissances à la manière des traités dartillerie. Sa présence au cœur dune documentation relative à lentraînement des artilleurs permet de supposer que son contenu fut utilisé afin de former les artilleurs. Ce manuel commençait par une section sur les différentes pièces dartillerie, leurs proportions et leurs usages. Pour chaque type de pièces, lauteur anonyme avait indiqué comment variait la portée selon langle de hausse, exprimé en « doigts105 ». Lusage de cette unité laisse supposer que ces connaissances furent formalisées avant que les ouvrages de Tartaglia et de son équerre à douze points ne simposent comme autorité dominante. De plus, ce passage montre que le thème du lien entre angle de hausse et portée dont sempara Tartaglia intéressait le milieu des artilleurs.

532

La suite du manuscrit abordait quelques-uns des thèmes qui devinrent plus tard des classiques de tous les traités dartillerie. Le texte décrivait des modes opératoires permettant de connaître lépaisseur de métal dune pièce dartillerie à laide dun compas, de la charger avec une quantité de poudre convenable ou encore de viser une cible. Il expliquait les risques quil y avait à enchaîner les tirs sans faire refroidir la pièce, invitait lartilleur à vérifier la qualité des affûts et de la poudre. Sans exposer les détails de la technique, il précisait que lartilleur devait savoir mesurer et calculer les distances sur terre106. Leffort de formalisation des savoirs sur lartillerie nen était quà ses balbutiements, mais lexistence de ce document révèle les préoccupations quant à cette formalisation des savoirs au sein dun centre de formation tel que la garnison de Perpignan. Autrement dit, la demande semble avoir précédé loffre dans lémergence du marché des traités dartillerie.

Mieux encore, dans ce même feuillet figurait à la fin de ce court manuel, séparé de deux pages vierges, un autre document, écrit postérieurement, portant en titre « La substance des arguments touchant à lartillerie du livre de Niccolò Tartaglia le Brescian107 ». Il sagissait dun résumé, en quelques points, de la doctrine de Tartaglia qui était envisagée comme un ensemble de « règles dartillerie » – mention écrite au dos du document – probablement apprises et discutées parmi les artilleurs de la garnison. Quavaient-ils retenus de leur lecture de Tartaglia ? De la Nova Scientia, figurait uniquement léquerre de lartilleur divisée en douze points ainsi que la règle de la portée maximum atteinte avec un angle de 45o108. Les démonstrations théoriques sur la géométrie des trajectoires ne répondaient vraisemblablement pas aux attentes des artilleurs de Perpignan.

Il en allait tout autrement du second opus de Tartaglia, les Quesiti et Inventioni Diverse, qui les avait manifestement intéressés puisque le document répertoriait vingt-et-un points provenant de ce traité. Des aspects les plus spéculatifs des Quesiti, les artilleurs de Perpignan avaient 533retenu que la trajectoire dun boulet de canon nétait jamais rectiligne109. Lessentiel des autres points portait sur des conclusions plus concrètes permettant daméliorer le service de lartillerie en offrant des modes opératoires et des instruments. Certains points étaient dailleurs déjà abordés dans le précédent manuel, comme par exemple la description des différentes pièces110 ainsi que la charge de poudre convenant à chacune111. De nombreux autres aspects pratiques avaient été jugés dignes dintérêt, comme par exemple cet instrument de Tartaglia permettant de vérifier la rectitude de lâme dune pièce112. Lanalyse des lignes de visée et de tir figurait également dans cette liste, sans schémas113. Dune manière générale, ce bref résumé restait extrêmement superficiel, même sil témoignait dune lecture détaillée des Quesiti. De même, les artilleurs navaient conservé que la conclusion principale de la réflexion de Tartaglia quant à lefficacité des tirs sur un château en hauteur114. Enfin, le document contenait certaines anecdotes marquantes de Tartaglia, telle cette histoire du petit chien happé par les vapeurs dun canon encore très chaud115. Il est aisé dimaginer leffet de mise en garde amusante que ce genre dhistoires pouvait avoir sur les apprentis artilleurs.

Ce document permet de mieux comprendre la construction de lautorité de Niccoló Tartaglia au sein des artilleurs praticiens. Les traités 534de Tartaglia, en particulier les Quesiti et Inventioni Diverse, donnaient un accès facile à une importante quantité de connaissances formalisées quil était possible de discuter et de transmettre aux nouvelles recrues à une époque où ces mêmes connaissances formalisées étaient loin dêtre abondantes. Nul doute que, dans les années 1560-1570, les idées, les schémas et les anecdotes de Tartaglia furent enseignées aux apprentis artilleurs de la garnison de Perpignan. Il faut noter à ce titre une curiosité de lhistoire. Dans cette liasse de Simancas traitant des artilleurs de Perpignan figure le contrat dembauche pour une place dartilleur de

Luis Collado, natif de Jerez de la Frontera [] qui, dici quatre mois, doit devenir capable et apte dans tout ce qui convient pour servir le dit poste116.

Il y a de fortes chances que ce Luis Collado fût le même individu qui publia, une vingtaine dannées plus tard, lun des traités dartillerie les plus lus de lépoque117. Si tel est le cas, cela signifie que le célèbre auteur et ingénieur reçut sa formation dartilleur dans la garnison de Perpignan en 1570. Il dut sans doute assister aux leçons du maître artilleur qui rédigea le résumé de la doctrine de Tartaglia.

Il ny a alors rien détonnant à ce que, lorsque Collado prit la plume et devint à son tour auteur, il sattacha particulièrement à saper lautorité du maître dans la science duquel il avait été lui-même instruit à Perpignan118. Lanecdote du chien de Tartaglia figurant dans le livret de formation de Perpignan navait pas eu, chez lélève Collado, leffet de plaisanterie ou dépouvante escompté puisque ce dernier se montra assez critique, à cet égard, dans son traité de 1592 :

En témoignage de quoi Niccolò Tartagla dit quun canon de batterie fut un jour attiré au sol après avoir tiré vers le bas et quil happa un petit chien lorsque ce dernier sapprocha trop près de la bouche du canon, [] lesquels miracles ne surviennent plus de nos jours119.

535

Dans les années 1590, face à la multiplication des écoles dartilleurs, les livres de Tartaglia paraissaient à Collado trop détachés des réalités et, par conséquent, inadaptés à un véritable programme de formation des artilleurs de la Monarchie hispanique. Il était devenu nécessaire de publier un nouveau livre, mieux adapté à ce qui était enseigné dans les écoles.

Programmes denseignement des écoles
de Palerme et de Séville

Le contenu de lenseignement théorique des écoles dartilleurs peut être saisi à travers la lecture de deux documents importants. Le premier est le programme denseignement accompagnant les contrats de deux maîtres artilleurs de Palerme, lorsque lécole y fut ouverte en 1575 par le duc de Terranova120. Le second document est un programme denseignement que fit imprimer vers 1595 lartillero mayor de Séville Andrés Muñoz el Bueno121. Envoyé par le maître artilleur au conseil des Indes, ce programme fut sans doute imprimé pour être diffusé parmi les élèves de lécole de Séville. Par ailleurs, dautres sources intéressantes ont été écartées de cette analyse, notamment un manuscrit attribué à Julián Ferrofino122. Cet individu fut pourtant enseignant aux écoles dartilleurs de Burgos et de Séville mais, dune part, le manuscrit date de 1599, époque à laquelle Ferrofino enseignait à la cour et, dautre part, ce document nest vraisemblablement pas de la main du maître mais dun tiers ayant recopié les notes de brouillon de Ferrofino123. Autre source potentielle détude ayant été écartée, les questions posées lors de lexamen dartilleur par lartillero mayor Andrés de Espinosa ont été recopiées par Fernández Duro il y a près dun siècle et demi124. Ayant été incapable de retrouver loriginal dans les archives, il mest par conséquent difficile 536de replacer ce document dans son contexte délaboration. Cest la raison pour laquelle les deux programmes denseignement cités précédemment ont été considérés comme les sources les plus proches de la réalité de lenseignement dans les écoles dartilleurs.

Malgré les 20 années et les 2 000 kilomètres qui les séparent, les programmes des écoles de Palerme et de Séville présentent de nombreuses ressemblances quant à leur contenu. Certes, il est possible de remarquer quelques différences. Le programme de Palerme est notamment plus succinct et moins détaillé que celui imprimé par Andrés Muñoz el Bueno. En outre, les débouchés nautiques de la carrera de Indias apparaissent clairement dans certains points spécifiques du programme sévillan. Aucun des deux textes ne prétendait néanmoins être exhaustif et ils laissent même entendre que lenseignement allait parfois au-delà125. Cependant, malgré ces quelques divergences, il est possible de retrouver la plupart des points de celui de Palerme dans celui de Séville126. Autrement dit, à des degrés de précisions légèrement différents, ces deux documents présentaient des programmes denseignement relativement semblables. Cela laisse supposer quune sorte de consensus sétait établi à propos des connaissances que devaient acquérir les apprentis au sein dune école dartilleurs.

Lenseignement de lartillerie revêtait une grande part de savoir-faire, énoncés sous la forme de modes opératoires et de recettes à connaître. Cela nétonnera guère ; le maniement dune pièce dartillerie se situait après tout dans le registre de laction. Néanmoins, les actions que devaient apprendre les artilleurs sétendaient au-delà de savoir simplement charger une pièce. Les programmes comprenaient tout un ensemble de modes opératoires, de techniques et dappareils pour manœuvrer lartillerie, la monter sur ses affûts et la transporter. Il sagissait également de montrer comment fabriquer tout un ensemble daccessoires nécessaires à lartillerie, tels que les gargousses contenant une charge de poudre, les cuillères de chargement ou lanternes, ainsi que les gabions et autres 537protections contre les tirs ennemis, qui étaient enseignés de pair avec la réalisation des tranchées et des plateformes de tir pour disposer les pièces. En outre, les artilleurs de lécole devaient apprendre à tester les pièces dartillerie à leur sortie de la fonderie. Le programme de Palerme affichait même lambition de montrer à ses artilleurs les techniques de fabrication de pièces dartillerie dans la fonderie.

Les plans denseignement détaillaient aussi tout un ensemble de savoir-faire relatifs à la fabrication de la poudre noire et à ses différents usages. On apprenait aux artilleurs à trouver le salpêtre et raffiner les différents composants de la poudre. Même si la fabrication de la poudre relevait, au sein des États de la Monarchie hispanique, de lactivité du polvorista, il était jugé important que lartilleur fût capable den préparer lui-même en cas durgence, ou de la raviver si elle était gâtée par leau. Par ailleurs, ces documents prévoyaient denseigner des usages de la poudre noire en dehors des pièces dartillerie. Ainsi, les apprentis artilleurs devaient savoir fabriquer et utiliser les « artifices de feu », cest-à-dire les bombes, explosifs et autres feux inextinguibles. En outre, ils devaient également être instruits sur les techniques de construction de mines que lon remplissait de barils dexplosifs dans le but de saper les murailles lors dun siège, ainsi que sur les manières de prévenir ce genre dattaques lorsque les artilleurs étaient amenés à défendre une place forte.

Les connaissances inscrites dans ces programmes dépassaient toutefois le niveau des savoir-faire. Il faut rappeler lhétérogénéité du matériel que les artilleurs étaient amenés à utiliser à cette époque où il nexistait pas de standards dans la fabrication des pièces. Cest la raison pour laquelle les programmes prévoyaient de former les apprentis à la nomenclature du matériel et aux systèmes de classification. La meilleure évocation de ce type de connaissances se trouve dans le plan denseignement de Séville à propos de la classification des pièces dartillerie :

Quelle artillerie est en usage à présent en Europe, tant sur mer que sur terre, et en combien de genres elle est répartie, et combien de pièces différentes appartiennent à chaque genre, et quel est le nom de chacune127.

538

Dans les deux écoles, ces connaissances de classification sétendaient aux affûts adaptés à ces différentes pièces ainsi quaux différents usages que lon pouvait en avoir sur terre ou sur mer. Ce type de savoirs est néanmoins plus présent dans le programme sévillan où se trouve également une référence à la classification des différents artifices de feu.

Ce document met clairement en évidence le fait que les apprentis artilleurs devaient acquérir tout le jargon technique de la profession. Par exemple, à propos des différentes manières de viser et de tirer avec une pièce dartillerie, le programme dAndrés Muñoz el Bueno fournissait tout en ensemble dexpressions peu aisées à déchiffrer pour les non-initiés128. La possession de ce vocabulaire spécifique tenait en quelque sorte le rôle de regalia immatérielle de la profession, participant, au même titre que lexamen, au processus de distinction sociale entre lartilleur et le profane. Les allusions plus nombreuses à ce type de savoirs dans le cas sévillan peuvent être expliquées par le niveau de détails plus élevé de ce document, mais aussi, peut-être, par les vingt années qui le séparent de son équivalent sicilien. Il est tout à fait possible que limportance accordée au jargon technique augmenta durant ces années cruciales pour le développement des pratiques denseignement et la publication des traités dartillerie.

Par ailleurs, de nombreux indices montrent que la transmission de ces savoir-faire et classifications passait par des procédés de formalisation dans lesquels le nombre et la mesure constituaient des éléments essentiels de léchange. La présence de ces chiffres, bien que discrète dans le programme de Palerme, est visible à travers lemploi répété des mots regola (règle) et quantità (quantité) comme, par exemple : « La règle pour savoir quelles pièces ont une quantité suffisante de métal et lesquelles en manquent129 ». Dans le programme de Séville, nombres et proportions étaient systématiquement utilisés comme bases didentification au sein du système de classification du matériel. Ainsi, la reconnaissance des pièces passait par la mesure de ses proportions entre la longueur, le diamètre de la bouche, lépaisseur et la répartition du métal. Puis, cétait en rapport avec ces proportions que les artilleurs étaient instruits sur la taille du boulet à charger, ainsi que sur la quantité de poudre, qui elle-même 539dépendait de la qualité de la poudre, cest-à-dire des quantités de chacun des ingrédients entrant dans sa composition. Par conséquent le niveau de détails du programme sévillan permet de prendre conscience du fait que lécole formait lartilleur à tout un système articulé de savoirs opératoires, classificatoires et quantitatifs permettant de maîtriser les différents paramètres en jeu dans un tir dartillerie, particulièrement nombreux du fait de la grande variabilité du matériel. Autrement dit, il sagissait ni plus ni moins que du programme épistémologique de la plupart des traités dartillerie de lépoque.

En outre, si les problématiques de balistique interne étaient omniprésentes dans ces programmes, la balistique externe nen était pas pour autant oubliée. Le « tir par la raison » prôné par Tartaglia contre le tir au hasard entrait, au moins partiellement, dans la formation des artilleurs. Dabord, il faut remarquer que les deux programmes incluaient un apprentissage des techniques de géomètres pour mesurer les distances. Cela devait permettre aux apprentis de calculer la distance qui les séparait de leur cible. De plus, le programme de Muñoz el Bueno proposait précisément denseigner aux artilleurs lusage de léquerre de Tartaglia divisée en douze points, ainsi que la relation existant entre la variation de langle de hausse dune pièce dartillerie et sa portée :

Combien atteindra [le boulet] pour chaque point de léquerre depuis le tir au niveau du plan de lhorizon jusquà la hauteur du plus grand tir possible, qui est à 45 degrés, cest-à-dire au sixième point de léquerre. De même, pour les mortiers, à quelle distance ils tirent depuis le point de 45 degrés et aux six autres points jusquau zénith, au point le plus haut130.

Cette technique pouvait non seulement servir pour un tir offensif de précision mais elle était également sollicitée lors des tests de pièces dartillerie « pour vérifier si lon pouvait sen servir dans nimporte quelle situation131 ». Autrement dit, lenseignement dans les écoles dartilleurs incluait indubitablement une part darithmétique et de géométrie appliquées à lartillerie.

540

Enfin, il est par ailleurs intéressant dobserver les différences de programme induites par la vocation nautique de lécole dartilleurs de Séville. Dabord, il faut remarquer un point particulier du programme de Palerme absent de celui de Séville ; à Palerme, on enseignait aux artilleurs quelques notions darchitecture militaire. Toutefois, cela ne signifiait nullement que les artilleurs de Séville nétaient pas formés à lusage terrestre de lartillerie. Daprès le texte de Muñoz el Bueno, il convenait à lartilleur de « savoir user de lart en campagne ou en forteresse132 », dêtre capable de préparer la défense dune place forte, de savoir battre une muraille de nuit, ou encore tirer sur un escadron de soldats lors dune bataille. Les savoirs spécifiques à lartillerie navale concernaient la disposition des hommes et des pièces sur un navire, ainsi que des techniques particulières de transport de pièces lors des tempêtes. Des spécificités de lusage de lartillerie dans une bataille navale, peu était dit, en dépit de la grande technicité du tir en mer induite par les mouvements permanents du navire133. Il était simplement précisé que le chef des artilleurs devait prendre quelques précautions (inconnues) en préparation dun tel évènement. On enseignait également la manière de transporter la poudre lors dun engagement, pour éviter les risques dexplosion. Lartillero mayor proposait denseigner à ses apprentis les raisons pour lesquelles les tirs en mer étaient plus incertains, ainsi que les solutions pour y remédier au mieux. Il sagissait également dapprendre comment mettre le feu aux voiles ennemies. Enfin, dernière situation de tir spécifiquement envisagée, on apprenait aux artilleurs à utiliser des types particuliers de munitions lors dun abordage. Pour le reste, peu de différences étaient faites entre services terrestre et naval. Dailleurs, la distinction entre ces deux milieux nétait pas une priorité de lenseignement car elle affectait peu le contrôle des paramètres de balistique interne, principale problématique de lartilleur du xvie siècle. Cest sans doute la raison pour laquelle ladministration militaire espagnole nhésitait pas à recourir aux services des mêmes individus, tantôt sur mer, tantôt sur terre134. Cest certainement aussi pour cela que le thème de lartillerie navale est si peu abordé par les traités.

541

École de Palerme

(1575)

École de Séville

(1595)

Tartaglia

(1537/1546)

Álava

(1590)

Collado

(1592)

Lechuga

(1611)

Proportion totale du traité dédiée aux différents points de ces programmes

Nova Sci. 100 %

90/90 p.

Quesiti 37 %

98/264 p.

46 %

236/516 p.

77 %

172/224 p.

93 %

259/279 p.

Règle de la fonderie de métal pour faire des pièces dartillerie de toutes sortes.

De quelle artillerie on use à présent en Europe, sur mer et sur terre, et en combien de genres elle se divise, et quels types de pièces contient chaque genre, quel est le nom de chacune delles et quelle proportion de métal il convient de leur donner en fonction du diamètre de leur âme.

Quesiti 4 %

fol. 19r-20v

4 %

fol. 153r-155r

159r-162v

13 %

fol. 7v-12r

17v-18r

27v-32r

34r/37r

29 %

p. 1-53

56-69

73-77

175-177

et 238

(Les deux aspects sentremêlent)

Règle pour savoir si les pièces ont une quantité suffisante de métal, afin que lartilleur sache comment il peut faire feu avec sans risque de rupture.

Quel ordre avoir afin de reconnaître chaque pièce et savoir si elle possède des proportions adéquates, tant dans sa longueur que dans la répartition de son métal, et dans quelles proportions le métal doit être réparti en fonction du diamètre de lâme et du type de pièce, et savoir si lâme dune pièce est bien centrée au milieu, droite et non de travers, et si la lumière et les tourillons sont positionnés au bon endroit.

Quesiti 4 %

fol. 27r-28v

7 %

fol. 155r-157v

162v-168r

9 %

fol. 14r-17v

18v-19r

28r

29r-30r

35r-36v

Règle pour connaître la qualité et la forme des affûts et autre matériel utilisés en campagne, dans les forteresses et en mer.

Comment il convient de donner à chaque pièce laffût qui lui correspond, la différence quil y a entre les affûts de mer et de terre et, au cas où il serait nécessaire den fabriquer de nouveaux, la taille et proportions quil faut leur donner, lépaisseur de bois quils doivent posséder selon le poids de la pièce ainsi que la taille et la forme que doit avoir le ferrage et, enfin, tous les appareils nécessaires pour monter lartillerie sur son affût et lembarquer sur un navire ou la débarquer.

6 %

fol. 19r-22r

33r-v

70r-v

15 %

p. 78-118

542

Règle pour charger les pièces de toutes sortes avec des boulets de fer, de pierre ou de plomb, et même sans cuillère à poudre.

Quelle quantité de poudre il convient de donner à chaque pièce selon le poids du boulet, la répartition de son métal et la qualité de la poudre.

Quel poids pèse chaque boulet quune pièce requiert en fonction du diamètre de son âme.

Combien de types de boulet il y a, comment il faut les utiliser pour ne pas endommager les pièces. Dans quelles circonstances il faut user de chaque type de boulets.

Quelle quantité de vent il faut donner à chaque boulet en fonction de son poids et comment cela peut se faire de manière précise.

Quesiti 20 %

fol. 18v

20v-21r/22v

24r-25v

34r-39v

7 %

fol. 168r-172r

180v-83v

187v

10 %

fol. 12r-14r

36v/38r

43r-44v

45v-46v

60r-61v

69v-70r

3 %

p. 151-155

170-172

Règle pour connaître les cuillères et tous les autres instruments dartillerie.

Comment fabriquer les cuillères de chargement afin quelles contiennent précisément ce quil faut de poudre pour chaque pièce, quels sont les outils nécessaires à lusage de lartillerie et à quoi sert chacun deux.

6 %

fol. 22r-26v

32r-v

1,5 %

p. 142-145

Règle des distances et autres mesures.

Savoir connaître la distance quil y a entre le lieu où lon nous ordonne dinstaller lartillerie et la cible sur laquelle on doit tirer, afin que, en conformité à la distance, on sache leffet que les boulets peuvent avoir depuis le lieu en question.

N.S.(1550)
35 %

fol. 23r-32v

30 %

fol. 189r-223v

1,5 %

fol. 68r-69r et 81v

Règle des batteries

Quesiti 10 %

fol. 7v-11r

24r-v

1 %

fol. 53r-54r

0,5 %

p. 183

Lart de la mine et de la contremine.

La manière de mettre le feu à une mine sans échec.

1,5 %

fol. 256r-258r

7 %

fol. 62r-68r

543

Les mixtures et artifices de feu

Quelles armes dartifices de feu il faut utiliser en défense dune forteresse et comment on peut les préparer et sen servir.

Comment il faut utiliser les armes dartifices de feu en combat naval et comment on les prépare.

10 %

fol. 94r-104r

176v

10 %

fol. 61r

80r-88v

1,5 %

p. 149-151

Connaissances suffisantes en matière de fortifications.

Quesiti 12 %

fol. 69r-75v

15 %

p. 239-279

Lavantage quil y a à lattaque et à la défense dune place forte.

Les préparatifs que doit entreprendre le chef artilleur dune place forte assiégée par lennemi, dans la situation où un assaut semble imminent, de quelles pièces dartillerie il faut se servir dans ce type dactions, avec quelles munitions il faut les charger pour causer le plus de dommages [] comment il faut garder la poudre dans une forteresse pour quelle soit protégée de tous dangers et trahisons [] et si la victoire ennemie paraît très proche, ce quil faut faire pour rompre les pièces dartillerie et brûler le matériel et les munitions afin que lennemi ne puisse sen servir.

Comment battre une muraille de nuit afin que les boulets atteignent précisément lendroit que lon souhaite, comment tirer sur des escadrons de soldats et quelles munitions il faut utiliser pour causer le plus de dégâts.

Quesiti 3 %

fol. 24r-25r

1,5 %

fol. 92v-94r

3 %

fol. 49r-v

53r-54r et 55r

4 %

p. 54-55 174

206-208

212-217

Faire des balles de plomb sans moule.

544

Enseigner à charger les pièces de toutes sortes avec des petits sacs de poudre pré-remplis.

Comment se font les gargousses afin quelles contiennent précisément la quantité de poudre quil convient à la pièce dartillerie. Comment il faut les marquer, les identifier et les conserver pour que, lors dun combat, on puisse facilement prendre la cartouche adéquate pour chaque pièce.

1 %

fol. 46v-47v

Le test des pièces dartillerie qui se fabriquent à la fonderie.

Comment procéder au test et à lexamen de lartillerie, et avec quelle quantité de poudre et quel boulet il faut réaliser le test. À quel point de léquerre il faut faire tirer les pièces, et toutes les autres choses qui doivent se faire durant ce test, afin de vérifier que les pièces sont capables de servir dans nimporte quelle occasion. Les causes habituelles pour lesquelles les pièces se rompent, même si elles sont renforcées et possèdent toutes les qualités requises.

Quesiti 3 %

fol 26r-27r

1,5 %

fol. 158r-v

184v-85v

2 %

fol. 12v-13r

44v-45r

1,5 %

p. 185-187

Si lartillerie se retrouve enclouée du fait dune trahison ou dune action de lennemi, comment on peut tout de même sen servir en cas durgence en attendant de la désenclouer. Comment désenclouer une pièce dartillerie.

0,5 %

fol. 186r

0,5 %

fol. 56r

0,5 %

p. 183

Ramasser et faire du salpêtre et le raffiner pour obtenir diverses qualités. Connaître la bonté du salpêtre.

La manière de raffiner les ingrédients de la poudre noire.

2 %

fol. 178r-180v

1 %

fol. 77r et v

545

Composer et raffiner les poudres de toutes sortes. Connaître la bonté et la puissance de la poudre.

Quelle quantité il faut de chaque ingrédient pour fabriquer de la poudre noire en conformité avec ce que Sa Majesté requiert pour le service de ses armadas, comment il est possible de savoir si la composition a été respectée et si la poudre a plus ou moins de force.

Quesiti 9 %

fol 41v-46r

3 %

fol. 173r-176r

177r

2,5 %

fol. 77r et 78r-80r

1,5 %

p. 146-148

Raffiner la poudre sans ajouter ni salpêtre ni soufre ni charbon, au cas où lon nen aurait plus. Savoir sécher la poudre sans soleil, par tout temps.

La manière de raffiner la poudre qui a pris lhumidité de la mer ou qui est mauvaise. Comment on peut rapidement sécher lhumidité même de nuit et en pleine mer.

0,5 %

fol. 177v

(Poudre gâtée)

0,5 %

fol. 79r

Faire des tranchées et des gabions en campagne et en forteresse.

Comment faire des plateformes et comment on les nivèle pour quelles résistent au poids, et quelle importance cela peut avoir. Comment fabriquer les gabions et autres protections, et comment les installer afin de protéger des tirs ennemis les personnes qui servent lartillerie.

2,5 %

fol. 56v-58r et 92r

1,5 %

p. 182 209-211

La règle pour déplacer, soulever, descendre et conduire lartillerie, ainsi que la quantité et qualité des instruments nécessaires, des bœufs, mules et hommes.

Connaître et nommer tous les appareils et objets nécessaires au déplacement de lartillerie et savoir les utiliser, et sil en manque certains, comment on peut les fabriquer. Combien dartilleurs et de sapeurs il faut pour chaque pièce, et le nombre de bœufs ou de mules que chaque pièce requiert pour être déplacée en fonction de son poids. Comment il est possible de se sortir de mauvais pas, ou de gravir plus facilement des montagnes avec lartillerie.

Quesiti 2 %

fol 19v-20r

0,5 %

fol. 186v

11 %

fol. 71r-76v

89r-92v

9 %

p. 119-141

192-195

546

Quelle portée est atteinte par des tirs à chaque point de léquerre, depuis le niveau du plan de lhorizon jusquau point de la plus grande portée qui est à 45 degrés, cest-à-dire au sixième point de léquerre. Et de même pour les mortiers qui tirent quant à eux depuis langle de 45 degrés jusquau zénith.

Nova Sci. >50 %

Dédicace

Livres I et II
en partie

Quesiti 5 %

fol. 5r-7r

27 %

fol 225r-256r

8 %

fol. 26v-27v

38v-41r

48v

49v-50r

51r-v

5 %

p. 70-72

155-159

161-162

164-165

168-169

Savoir ce que veut dire lexpression “sacar el vivo” (ligne de visée), et comment on lobtient avec précision et à quelle distance on peut sen servir. Comment on peut modifier la visée, et labaisser en cherchant les points le plus élevés de la culasse et de la bouche de la pièce. Comment on peut positionner la pièce pour un tir bien horizontal. Lart du tir de démonstration, et que le second tir permette de déterminer lemplacement des mires et de réajuster la pièce afin que le tir suivant donne précisément sur la cible visée. Quelles sont les différences entre les tirs “por el raso de los metales”, “de punto a dentro”, “de punto a fuera”, “de punto en blanco”.

Quesiti 18 %

fol. 14v-18v

28v-33v

2,5 %

fol. 156r-157v

224r-v

8 %

fol. 38r

41r-43v

(+2 car numéro 42
en double)

48r-v

50r

54r

52r-v

2,5 %

p. 159-160

163

178-181

Combien de pièces il convient de donner à chaque navire en fonction de sa taille et de son rôle, de quels types de pièces il sagit, à quels emplacements elles doivent être installées et comment il faut ouvrir les sabords. Comment il faut faire les plateformes dartillerie sur les navires, comment les pièces doivent sy attacher en cas de forte tempête, afin quelles ne bougent pas, et les appareils qui y sont annexes.

547

Quelles sont les causes expliquant pourquoi les tirs sur mer sont incertains, comment y remédier, comment il est possible de mettre le feu aux voiles ennemies, et si lon a épuisé toutes les munitions durant un long combat, comment tirer avec des pierres, des clous, des dés métalliques et autres choses courantes sur les navires. Avec quelles munitions il faut tirer sur lennemi lors dun abordage pour faire le plus de dégâts possibles.

Quesiti 1 %

fol. 23r et v

1,5 %

fol. 184r-v

188r-v

1 %

fol. 50v et 84v

Quels préparatifs le chef artilleur dun navire doit entreprendre avant un combat naval. Comment les artilleurs et les aides se répartissent et comment la poudre doit être amenée à lartillerie afin dêtre protégée du danger du feu.

Fig. 58 – Comparaison des programmes denseignement des écoles dartilleurs de Palerme (1575) et de Séville (1595).
Sources : AGS EST leg. 1144/4 et AGI IG leg. 2007. Cette table met aussi en relation ces programmes
avec le contenu des principaux traités de lépoque.

548

Comparaison entre programmes denseignement
et traités dartillerie

Le meilleur moyen de mettre en évidence le potentiel débouché que représentaient les écoles dartilleurs pour les auteurs de traités est de comparer ces deux programmes denseignement aux contenus de quelques-uns des principaux traités de lépoque. Cinq imprimés, parmi les plus démonstratifs, ont été retenus mais lexercice aurait mené à des résultats similaires avec la plupart des autres ouvrages de lépoque. La construction de la table de comparaison de la figure 58 mérite quelques explications. Dabord, elle met en relation les différents points du programme de Palerme avec ceux correspondants (et souvent plus détaillés) du programme de Séville. Ensuite elle montre quelle proportion de chaque ouvrage a été consacrée à aborder les différentes questions des deux programmes. Ainsi, par exemple, Collado dédia près des trois-quarts de son livre à traiter de points figurant aux programmes de ces écoles dartilleurs, tandis que dans ses Quesiti et Inventioni Diverse, Tartaglia visa une audience bien moins spécifique, ne consacrant quun peu plus dun tiers de son ouvrage à ces mêmes points. Enfin, le reste de la table de comparaison identifie, pour chaque point des programmes, les passages correspondants de chacun des livres. Cela permet de montrer dans quelle mesure chacun de ces livres traite des diverses problématiques inhérentes à lapprentissage de lartilleur. Le poids du traitement de chacune de ces problématiques au sein des livres en question peut être visualisé à partir des valeurs en pourcentage, exprimées non pas par rapport au nombre de pages de lensemble de lœuvre mais seulement en comparaison du volume consacré exclusivement à lartillerie.

Cette table de comparaison permet de montrer que la plupart des points figurant dans les programmes denseignement étaient abordés dans les livres dartillerie. Certes le degré de spécialisation variait énormément dun ouvrage à lautre, certains se focalisant sur lartillerie tandis que dautres étaient plus généralement dédiés à lart militaire (Perfeto Capitán) ou aux mathématiques (Quesiti). Néanmoins, force est de constater que cette littérature technique couvrait presque intégralement les programmes denseignement des écoles. Bien que les insistances fussent variables dun auteur à lautre, certaines thématiques bénéficiaient presque toujours dune place privilégiée. Ainsi, par exemple, la classification des différents types de pièces et les techniques permettant de mesurer leurs proportions 549occupaient systématiquement un volume important, de 10 à 30 % selon les auteurs. De même, dans chaque traité, la problématique de la variation de la portée dun tir en fonction de langle de hausse de la pièce – élément essentiel du « tir par la raison » – obtenait toujours au moins quelques pages de discours, voire des chapitres entiers. Par ailleurs, il faut noter que le traitement de certaines questions pouvait aisément glisser dune thématique à lautre. Ainsi, la question, systématiquement importante, de savoir quelle quantité de poudre mettre dans les différents types de pièces empiétait parfois sur celle de la fabrication des cuillères de chargement de poudre. En effet, plutôt que de proposer comme Tartaglia et Álava, des poids de poudre à charger, Collado et Lechuga intégraient ce paramètre, à laide de la géométrie, dans la fabrication des cuillères, instruments bien plus commodes à utiliser en combat que les balances. Enfin, il faut noter que quelques points des programmes étaient systématiquement ignorés par les traités. Il sagissait en particulier des aspects spécifiques à lusage naval de lartillerie, présents dans le programme sévillan. Le processus de formalisation des savoirs était manifestement encore incomplet. Cependant, malgré ces quelques lacunes, il apparaît clairement que ces livres formalisant les savoirs sur lartillerie pouvaient effectivement servir de bases à lenseignement dans les écoles dartilleurs de Palerme et de Séville.

Le plus ancien de ces traités, la Nova Scientia, fut publié en 1537, à Venise, cest-à-dire dans un contexte où les premières écoles dartilleurs étaient apparues135. Or, la composition de cet ouvrage constitue une exception paradoxale du corpus. Létrangeté réside dans le fait quil sagit dun livre entièrement consacré à lartillerie, mais qui ne développe que deux points de la formation de lartilleur : dune part, il exposait les différentes techniques de géomètre pour mesurer les distances et, dautre part, il investiguait en profondeur la relation entre langle de hausse dune pièce dartillerie et la portée de ses tirs. Bien quil soit difficile de laffirmer puisque les programmes denseignement datent dune époque postérieure, ce livre de Tartaglia présentait probablement de nombreuses lacunes pour servir réellement de support au sein des écoles dartilleurs vénitiennes. Cependant, le système denseignement émergeait tout juste à Venise et il sagissait de la première tentative de formalisation des savoirs sur lartillerie ayant connu une version imprimée.

550

Publiées par le même auteur neuf ans plus tard, les Quesiti et Inventioni Diverse répondaient quant à elles beaucoup mieux aux nécessités de la formation dun artilleur telles que les présentaient les programmes de Séville et de Palerme. Néanmoins, cette fois-ci, Tartaglia avait visé un spectre de lecteurs bien plus large. À peine plus dun tiers du traité était consacré aux questions dartillerie tandis que le reste abordait des questions de mathématiques appliquées à des activités aussi diverses que la mise en forme des régiments dinfanterie, la comptabilité marchande ou encore la mécanique. Encore peu institutionnalisé, lenseignement de lartillerie ne représentait peut-être pas un marché assez grand aux yeux de lauteur pour mériter un ouvrage complet. Néanmoins, les chapitres consacrés à lartillerie couvraient, dans un volume de pages comparable à la Nova Scientia mais de manière plus exhaustive, les différentes problématiques auxquelles devaient faire face un artilleur. La fréquentation du milieu des artilleurs et fondeurs de larsenal (mise en scène dans le livre) avait peut-être permis à Tartaglia de mieux cerner leurs besoins réels. Il nest par conséquent pas étonnant que ce fut ce traité, et non la Nova Scientia, qui retint le plus lattention des artilleurs de la garnison de Perpignan.

Le Perfeto Capitán fut lun des premiers livres à proposer une formalisation des savoirs de lartilleur en castillan. Toutefois, plus de la moitié de cet ouvrage était consacrée à la formation du parfait capitaine, qui devait constituer, pour lhomme de cour quétait lauteur, le public de premier choix de lœuvre. Pourtant, la comparaison de ce traité avec les programmes de Séville et de Palerme tend bien à confirmer lhypothèse selon laquelle il déroba au maître artilleur de Trapani (Alonso de Salamanca) le marché des écoles dartilleurs. En effet, élargissant encore un peu le spectre des problématiques par rapport aux Quesiti de Tartaglia, louvrage de Diego de Álava couvrait une grande partie des programmes denseignement. Que ce soit ou non une conséquence de la volonté propre de lauteur, ce livre largement diffusé intéressait de facto les écoles dartilleurs. Néanmoins il y a dans cet imprimé un certain déséquilibre dans le traitement des problématiques, les questions des mesures de distance et des angles de hausse représentant à elles seules plus de la moitié du volume consacré à lartillerie. La cause en était quÁlava souhaitait bâtir son autorité contre lauteur de la Nova Scientia et quil reprenait donc de manière détaillée les mêmes problématiques. 551En outre, ce choix était, de la part de lauteur, une tactique permettant de mettre en avant ses points forts – sa virtuosité en mathématiques – au détriment de ses faiblesses – son manque total dexpérience de lartillerie. Les aspects les plus techniques de son livre, concernant la classification des pièces ou encore la réalisation dartifices de feu, provenaient dautres ouvrages, notamment le manuscrit que lartilleur Cristóbal de Espinosa avait dédié à son père en 1584, ainsi que le premier ouvrage de Luis Collado, publié en italien et dont Álava traduisit certains passages en castillan136.

Parmi le corpus de traités dartillerie écrits en castillan, le Plática Manual de Luis Collado fut sans doute le plus proche des programmes denseignement en place au sein des écoles dartilleurs. Louvrage était aux trois quarts consacré à ce type de problématiques, le reste étant dédié à lhistoire de lartillerie, à la mise en scène dun examen dartilleur, ainsi quà quelques indications destinées aux capitaines dartillerie. De tous les ouvrages analysés, il était le plus exhaustif dans son traitement des différentes problématiques figurant dans les programmes sicilien et sévillan. Il est important de rappeler que son auteur, qui était en charge de lexamen des artilleurs à Milan, avait la prétention davoir écrit un livre servant de modèle pour la formation des artilleurs au sein des écoles. On peut raisonnablement considérer ce traité comme le plus proche de ce qui devait être enseigné aux artilleurs lors des leçons théoriques à la fin du xvie siècle.

Le traité rédigé par Cristóbal Lechuga, bien que relativement proche des programmes denseignement, était moins exhaustif que celui de Collado. Il insistait particulièrement sur certains aspects peu ou mal traités par la littérature technique publiée jusqualors. Ainsi, il intégrait des descriptions techniques détaillées des affûts, sujet généralement peu approfondi par les auteurs du xvie siècle. De même, il décrivait des méthodes très précises de mesure des proportions des pièces dartillerie et développait plusieurs pages sur leur fabrication à la fonderie. À eux seuls, ces trois aspects techniques représentaient près de la moitié de louvrage. Dailleurs, pour la plupart des autres aspects, le capitaine Lechuga ne daignait même pas rédiger lui-même. Il sétait contenté de recopier, en les traduisant en castillan, des passages issus du livre de 552Gabriel Busca137. En 1611, lorsquil publia son traité, un vaste processus de formalisation des savoirs avait déjà alimenté les demandes des écoles dartilleurs. Il ne sagissait plus dêtre exhaustif, mais de compléter et améliorer ce qui avait été abordé trop superficiellement par les auteurs précédents.

Les artilleurs ont-ils lu
les traités dartillerie ?

Comme ce chapitre vient de lexposer, de multiples indices tendent à prouver que les traités dartillerie servaient de supports à la formation et à lexamen des artilleurs. Néanmoins, une dernière question reste en suspens : dans quelle mesure ces artilleurs, issus pour la plupart de milieux modestes, ont-ils pu lire des traités dartillerie appliquant la géométrie, larithmétique et la philosophie naturelle dAristote à lart du tir au canon ? À la recherche de preuves directes de la lecture de ces ouvrages par les artilleurs, je propose daborder ce thème fascinant de la lecture à travers une étude sur la matérialité des livres et sur les traces que certains lecteurs ont pu y laisser. Après un aperçu général des résultats trouvés suite à la consultation de plusieurs dizaines dexemplaires de traités, la fin du chapitre exposera ce que deux lecteurs-artilleurs ont annoté et commenté dans leurs exemplaires de Collado et Álava.

Matérialité des traités et traces de lecture

Dans les trois dernières décennies, lhistoriographie du livre a démontré combien sintéresser à la matérialité du texte était pertinent lorsquil sagit détudier la lecture et les modes dappropriation des livres138. Cette dernière partie sappuie donc sur lanalyse dun échantillon dexemplaires 553de traités consultés dans six grandes bibliothèques de Madrid et de ses environs139. Létude a porté sur un total de 67 exemplaires comprenant 20 éditions différentes des principaux traités dartillerie depuis la Nova Scientia de 1537 jusquà lédition du traité dUfano de 1613140. De même que lexemplaire de la Nova Scientia, édition 1558, du Musée Galileo de Florence, contient un ex-libris de Giorgio Vasari et des annotations de Galilée lui-même141, ces nombreux exemplaires madrilènes ont été consultés dans le but de trouver des ex-libris et des annotations manuscrites fournissant des informations sur les propriétaires de ces livres et sur la lecture quils ont pu en faire.

Le format de ces traités invite tout dabord à quelques commentaires. La grande majorité des éditions adoptèrent comme format lin-4o mais il faut noter que certains des traités les plus célèbres – ceux de Collado, Álava et Lechuga – furent publiés en grand format in-folio. La forte présence dans ce corpus des exemplaires de ces trois auteurs sexplique sans doute autant par le nombre important de tirages que par leur grand format favorisant la conservation. Il faut également noter que ces exemplaires, quils fussent in-folio ou, dans une moindre mesure, in-4o, avaient un format peu propice, a priori, à une diffusion auprès des artilleurs. À lexception des livres de Lazaro de la Isla publiés en format de poche in-8o, ces traités étaient tous encombrants et par conséquent, il est difficile de les imaginer côtoyant les champs de bataille, que ce soit dans un navire ou dans une armée. De plus, les moyens et grands formats constituaient des objets relativement coûteux. En tenant compte également des nombreuses gravures dont ils sont tous ornés, il faut en déduire que le prix dacquisition de ces œuvres nétait sans doute pas à la portée de tous les apprentis des écoles dartilleurs.

À qui ces livres ont-ils donc appartenu ? Des ex-libris situés en début douvrage fournissent parfois des informations à ce sujet. Néanmoins, 554la pratique dinscrire le nom du propriétaire du livre était loin dêtre systématique. Un tiers, seulement, des exemplaires consultés présentent au moins un ex-libris. Les informations quils apportent à cette analyse sont, en outre, très irrégulières. Ainsi, dans certains cas, seul un nom apparaît, rendant lex-libris difficilement utilisable. Dautres fois, le nom est accompagné dune date, parfois dun titre, voire dun petit texte permettant desquisser un contexte dacquisition ou de lecture. Enfin un certain nombre de ces ex-libris napparaissent quà une période tardive de lhistoire de ces exemplaires, à limage de ce Plática Manual de Collado, dont la succession des propriétaires a été soigneusement enregistrée seulement à partir du xviiie siècle142. Néanmoins, il est possible de déduire de ces ex-libris de nombreuses informations sur la possession et la circulation des livres.

Ces ex-libris mettent dabord en évidence les multiples changements de mains de certains de ces livres dans les décennies qui suivirent leur publication. Ce marché du livre doccasion apparaît clairement dans lex-libris dun exemplaire du Plática Manual de Collado :

Ce petit livre est à Estefano de Salas, recamatore (brodeur ?) et architecte, et je lai acheté à Naples, place de lOlmo, en lannée 1610, il ma coûté 38 carlines dargent chez Antonio Pescarelo143.

Ainsi, en 1610, cet individu acheta doccasion à Naples, un traité qui avait été publié à Milan dix huit ans plus tôt. Le livre lui avait coûté 38 carlines dargent ce qui, sans être véritablement bon marché, restait un investissement à la portée dun artilleur, équivalent à un peu moins dun mois de salaire144. Dautres traces de ces ventes doccasion apparaissent dans certains ouvrages. Ainsi, le frontispice dun autre exemplaire du Plática 555Manual montre toute une superposition de retouches. Dun côté, se trouve un ex-libris portant un nom et une date (1606 ?) extrêmement difficiles à déchiffrer car quelquun a pris la peine de les recouvrir intégralement de rayures à lencre. Après avoir effacé la marque du propriétaire précédent, cette personne, probablement un vendeur de livres doccasion, a écrit de lautre côté « Il est à qui lachètera145 », afin de remettre lexemplaire en vente. Cette courte phrase est quant à elle recouverte dun bout de papier – rajouté par lacheteur ? – tentant de masquer cette trace du rachat du livre. Seule une lecture à la loupe avec une source de lumière derrière la page permet de révéler ces indices de changement de mains.

Par ailleurs, le changement de propriétaires pouvait seffectuer au sein de certains milieux sans lintermédiaire dun vendeur. Ainsi, en novembre 1595, un certain Glateson, anglophone, acheta un exemplaire du Perfeto Capitán146. Cet ex-libris rédigé dans un castillan maladroit et erroné montre que son propriétaire évoluait dans un espace hispanophone. Lhistoire ne dit pas ce quil y faisait, mais ce qui est certain, cest que le livre passa à un autre anglophone, six ans plus tard, en mars 1601, lui aussi capable décrire en castillan147. Lexemplaire avait manifestement circulé au sein dun milieu anglophone probablement établi en Espagne. Dailleurs, les annotations manuscrites quil contient montrent un usage tout à fait original de ce livre : lun des lecteurs, vraisemblablement Glateson, chaque fois quil rencontrait un mot castillan quil ne connaissait pas, en cherchait la traduction anglaise et lécrivait à côté du mot imprimé148. La lecture de ce Perfeto Capitán en résultait plus aisée pour un public damis anglophones ayant une certaine familiarité avec le castillan, mais nétant pas parfaitement bilingues. Le cas nétait pas une exception car dautres ex-libris témoignent, avec moins déloquence, de la circulation fréquente de ces livres auprès de lecteurs dautres langues maternelles149.

556

Les propriétaires de ces livres représentent un ensemble social relativement hétérogène. Parmi les noms, figurent trois hauts aristocrates identifiés par la particule don, mais un seul dentre eux, don Diego Hurtado de Mendoza, vécut à lépoque étudiée150. Dautres noms castillans très simples et sans particules apparaissent, preuve que la possession de ces ouvrages nétait absolument pas lapanage de la noblesse151. Des religieux firent même lacquisition de ces livres pourtant à première vue destinés à un public militaire152. Lexemple cité plus haut mettait en scène, à Naples, en 1610, un éclectique recamatore (brodeur ?) et architecte portant un nom à consonance hispanique (Estefano de Salas) achetant le traité in-folio de Collado. Enfin, malgré labsence dex-libris, il est possible démettre des hypothèses quand à lactivité de certains propriétaires. Ainsi, par exemple, un exemplaire du Perfeto Capitán contient encore une feuille manuscrite de reçus et dépenses (cargo y data) dont la structure et lécriture sont typiques des documents comptables de ladministration militaire espagnole de la fin du xvie siècle et du début du xviie siècle153. Découpé et inséré au milieu du livre, ce document semble avoir servi de marque-page à un lecteur faisant probablement partie des nombreux comptables militaires de la Monarchie. De même, à la fin dun exemplaire du traité de Lechuga, se trouvent plusieurs pages de notes comptables de lannée 1619, relatives à la mine de mercure dAlmadén, exploitée par des agents de la Monarchie154. Le propriétaire du livre était selon toute vraisemblance un des administrateurs ou des comptables de cette mine. En ce sens, les traités dartillerie suivent la tendance générale des autres livres qui, comme le formule Roger Chartier, « circulent dans la totalité du monde social155 ».

557

Les autres annotations manuscrites constituent quant à elles de véritables indices de lecture. Dabord, un premier chiffre peut surprendre : 43 % des exemplaires de léchantillon ont traversé, vierges de toute annotation, les 400 années séparant leur publication de lépoque actuelle. Deux remarques simposent à ce sujet. Dabord, il faut observer quune grande proportion de ces livres sans notes est issue des grandes collections de la haute aristocratie. Ainsi, par exemple, don Diego Hurtado de Mendoza na absolument pas annoté lexemplaire de la Nova Scientia que Tartaglia lui a vraisemblablement offert lorsquil était ambassadeur de Charles Quint à Venise156. De même, les nombreux exemplaires provenant de la bibliothèque du comte de Gondomar, ambassadeur de Philippe III à Londres, sont tout autant immaculés157. La lecture et lusage de ces livres par les aristocrates bibliophiles se distinguaient donc de ceux des autres propriétaires. Ce fait invite même à se demander dans quelle mesure la possession de ces livres relevait pour ces hommes dun intérêt de lecture spécifique ou plutôt de la constitution dune collection allant de pair avec la construction dune identité nobiliaire et érudite particulière. La deuxième remarque qui simpose est que ces exemplaires sont surreprésentés dans léchantillon car leur conservation a été favorisée par rapport à ceux qui vécurent une existence plus tourmentée, passant entre de nombreuses mains. En effet, la bibliothèque de don Diego de Mendoza fut incorporée, après sa mort en 1576, à la bibliothèque de lEscurial, et ses ouvrages ont donc été préservés sans altérations pendant près de 450 ans158. De même, la bibliothèque du comte de Gondomar fut conservée par ses héritiers, puis transmise à la Monarchie en 1785, à la mort du dernier de la lignée159.

558

Titre

Auteur

Date

Format

Aucune note

Ex-libris

Signes

Mots/phrases

Calculs/schémas

Nova Scientia

Tartaglia

1537

4o

1

BNE R/1307(2)

1

BNE R/1307(2)

Nova Scientia con una gionta…

Tartaglia

1550

4o

2

Es Mesa 11-II-21(2)

PR X/4405(2)

Nova Scientia con una gionta…

Tartaglia

1558

4o

1

AS 39-2-41(1)

Nova Scientia con una gionta…

Tartaglia

1583

4o

1

BNE R/23125(1)

Quesiti et Inventioni Diverse

Tartaglia

1546

4o

1

BNE R/23125(2)

1

BNE R/23125(2)

1

BNE R/23125(2)

Quesiti et Inventioni Diverse

Tartaglia

1554

4o

2

Es Mesa 11-II-21(1)

PR IX/
4405(1)

Quesiti et Inventioni Diverse

Tartaglia

1562

4o

1

AS 39-2-41(2)

Opera nuova de fortificare

Cataneo

1564

4o

1

Es Mesa 9-II-11

Avvertimenti
… a un bombardiero

Cataneo

1567

4o

1

PR IX/8333

1

PR IX/8333

1

PR IX/8333

559

Avvertimenti
… a un bombardiero

Cataneo

1571

4o

1

PR PAS/
ARM1/105

Avvertimenti
… a un bombardiero

Cataneo

1582

4o

2

BNE 2/28753(2)

Es 49-II-19

Dellarte militare…

Cataneo

1584

4o

1

PR VIII/398

1

BNE 2/28753(1)

1

PR VIII/
19388

Pratica manuale di arteglieria

Collado

1586

Fol

1

PR IX/9081

1

BNE R/4299

Plática manual de artillería

Collado

1592

Fol

1

PR VIII/579

6

AS 39-4-61

BCM V-70-1-17

BNE R/6376

PR III/1677

PR VIII/
16121

PR X/359

11

AS 39-4-60

AS 39-4-61

BCM V-70-1-17

BNE R/4298

BNE R/6376

BNE R/10531

BNE R/15048

MN CF 443

PR III/1677

PR VIII/
16121

PR X/359

8

BNE R/5176

BNE R/6376 BNE R/10531

BNE R/15048

MN CF 443

PR III/1677

PR VIII/
16121

PR X/359

3

AS 39-4-61

BNE R/6376

PR VIII/
16121

560

El Perfeto Capitán

Álava y Viamont

1590

Fol

8

AS 42-15-34188

BCM 1590/2

BNE R/2062

BNE R/6715

Es 34-I-5

PR VII/29

PR VIII/4702

PR VIII/4703

5

AS 39-4-68

AS 42-15-34186

BCM 1590/1

BNE R/7658

MN CF-19

5

AS 39-4-68

AS 39-4-69

AS 42-15-34187

BCM 1590/1

BNE R/7666

8

AS 39-4-68

AS 39-4-69

AS 42-15-34187

BCM 1590/1

BNE R/7658

BNE R/7666

BNE R/11672

MN CF-19

3

AS 39-4-68

BCM 1590/1

BNE R/7666

Breve tratado de artillería…

De la Isla

1595

8o

1

Es 14-VI-16

1

BCM 1595/1

Breve tratado de artillería…

De la Isla

1603

8o

1

PR IX/4887

Discurso que trata de la artillería

Lechuga

1611

Fol

3

AS 39-4-76

BNE R/15049

PR XIV/1009

1

BNE R/10535

4

BCM 1611/1

BNE R/10535

BNE R/15055

PR XIV/
1623

3

BCM 1611/1

BNE R/10535

BNE R/15055

Tratado de la artillería y uso della

Ufano

1612

4o

2

AS 39-2-21

BNE R/3006

2

PR PAS/ARM 4/28

PR XIV/43

561

Tratado de la artillería y uso della

Ufano

1613

4o

1

PR IX/6909

1

BNE R/594

1

BNE R/4828

2

BNE R/594

BNE R/4828

TOTAL (sur 67 exemplaires)

29

20

22

24

10

Pourcentage de léchantillon

43 %

30 %

33 %

36 %

15 %

Fig. 59 – Annotations manuscrites rencontrées dans 67 exemplaires de traités dartillerie.
Chaque exemplaire est référencé par la bibliothèque où il se trouve ainsi que par sa cote bibliothécaire.
Abbréviations : AS pour lacademie dartillerie de Ségovie, BCM pour la Biblioteca Central Militar,
BNE pour la Bibliothèque Nationale dEspagne, Es pour lEscurial, MN pour le Museo Naval,
PR pour le Palacio Real.

562

Malgré cette surreprésentation des exemplaires daristocrates bibliophiles, la majorité des exemplaires consultés possèdent des annotations manuscrites quil convient de caractériser et commenter. Dabord, type dannotations les plus discrètes, les signes se rencontrent dans un peu moins dun tiers des exemplaires. Ces signes présentent une grande diversité de formes : il peut sagir de passages soulignés, de croix, de traits ou de points dans la marge. Parfois, un signe plus élaboré était dessiné, comme ces mains avec un doigt pointant vers une ligne, qui figurent dans deux exemplaires160. Quelquefois, un même lecteur utilisait différents signes marginaux, sans quil soit possible de savoir si ces différences revêtaient une signification particulière ou bien si elles nétaient que le fruit dune fantaisie161. Ces traces mettent en avant lintérêt dun lecteur pour certains passages spécifiques. Elles préparaient potentiellement une relecture rapide permettant dattirer visuellement lattention sur les passages que le lecteur considérait comme importants. Ces exemplaires étaient donc lus avec une certaine attention puis éventuellement consultés de nouveau pour sen remémorer certains aspects.

Par ailleurs, un peu plus dun tiers des exemplaires consultés possédaient des mots ou des phrases manuscrites de natures extrêmement variables. Dans certains cas, seul un ou deux mots avaient été écrits dans tout le livre162. Régulièrement, ces notes manuscrites visaient à corriger certains mots ou certaines phrases163. Quelques-unes de ces notes avaient également une fonction de soutien à la relecture similaire aux signes. Il en va ainsi dun exemplaire des Quesiti de Tartaglia, dans lequel un lecteur a trouvé judicieux dajouter des titres en marges des questions164. Certains lecteurs ajoutèrent leurs commentaires comme dans cet exemplaire du Perfeto Capitán où se trouve précisé à côté du nom de Syracusa quil sagit dune ville qui « sappelle de nos jours Saragosse de Sicile165 ». Intéressé par le contexte décriture de cette œuvre, ce même lecteur a dailleurs copié 563une biographie de Gerónimo Muñoz, le maître de Diego de Álava166. De tels ajouts se rencontrent dans quelques ouvrages à propos dinformations techniques sur lartillerie. Ainsi, dans la partie du traité de Collado portant sur la description des différentes pièces dartillerie, un lecteur a considéré important dajouter un passage manuscrit intitulé « Chapitre qui traite des pétards, de leur fabrication et de la raison pour laquelle ils furent inventés167 ». Ce bref chapitre de quelques phrases venait compléter la classification de Collado, qui avait effectivement omis de mentionner ce type darmes destinées à « détruire les portes » et qui, faut-il le mentionner au passage, figurait au programme de lécole de Séville168. Ajout encore plus conséquent, un exemplaire de Diego Ufano contient un supplément manuscrit de plusieurs pages, divisé en différents chapitres, portant principalement sur la confection des grenades et artifices de feu169.

Enfin, le dernier type dannotations présent dans ces livres renvoie à tout ce qui est matériel mathématique, quil sagisse de figures géométriques ou de calculs. Notamment, en marge des tables de Diego de Álava ou bien encore à côté des techniques de géométrie appliquées à la mesure des pièces et à la fabrication des cuillères chez Collado et Lechuga, des chiffres se retrouvent empilés, traces dun calcul réalisé par un lecteur170. Malheureusement, le sens en est souvent difficile à percer. Ces notes montrent au moins laffinité aux mathématiques de certains lecteurs des traités dartillerie. Cependant, ils ne sont pas très nombreux à laisser de tels indices : à peine 15 % des exemplaires consultés en possèdent. Lidentité de leurs auteurs est méconnue. Des noms simples apparaissent, tels que Iànelo171 et Gab Lopez172. Leur profession est pour la plupart dentre eux inconnue, hormis pour cet individu qui semblait travailler dans ladministration des mines de mercure dAlmadén173. En tout cas, ces hommes ont un usage plus 564intensif du traité que la plupart des autres lecteurs. Ils refont les calculs des auteurs, ou bien les adaptent à leur propre situation. Ils dessinent des schémas, sappropriant les figures de ces livres174.

Comment interpréter cette diversité de cas ? Ces objets révèlent une multitude de lectures. Certains préservent et collectionnent, dautres interagissent et marquent leur passage. Louvrage intéresse, alors on annote le texte, on souligne les passages mémorables, on prépare une future relecture. On nhésite pas, parfois, à adapter le texte. Il sagit de corriger une faute dorthographe due à limpression, ou bien de compléter le texte selon ses propres attentes. Les lecteurs compétents en mathématiques vérifient les calculs des auteurs, appliquent les méthodes à leurs propres problématiques ou bien sentraînent en refaisant. Finalement, ce qui a été recensé ici, ce sont les rares traces visibles de ce « braconnage » quest la lecture – pour reprendre lexpression de Michel de Certeau175 – pratique qui reste en grande partie silencieuse face à lhistorien. À ces divers usages correspondent une multitude de braconniers difficiles à identifier. Dailleurs, il faut noter que, du fait des nombreux changements de mains de certains ouvrages, il nest pas toujours évident dattribuer ces notes à lindividu en ex-libris, ni même de dater précisément les annotations176. Les notes révèlent par ailleurs des intérêts particuliers de certains individus. Ainsi, langlophone Glateson nannota que la partie du Perfeto Capitán traitant de lart militaire, délaissant les chapitres sur lartillerie177. Dans un autre exemplaire du même traité, deux écritures différentes révèlent les intérêts distincts de deux lecteurs successifs, lun intéressé par la première partie de lœuvre, commentant les récits que fait Diego de Álava à propos de lhistoire militaire antique, et lautre, amateur de calculs, annotant les tables de la partie sur lartillerie178. La pluralité des lectorats, comme celle des lectures, apparaît évidente à travers cette brève analyse des livres dans leur matérialité. Mais alors, quen-est-il du public des artilleurs ?

565

Ces artilleurs qui ont lu Collado et Álava

Sur les 67 exemplaires consultés, il a été possible den identifier seulement deux ayant été annotés par des artilleurs. Le résultat pourrait paraître décevant, mais il na rien de surprenant car, comme cela vient dêtre expliqué, lidentification des lecteurs nest pas aisée. Dune part, la pratique de lex-libris était loin dêtre systématique et, dautre part, les informations inscrites permettent dobtenir un nom mais rarement une profession. Il est par conséquent fort probable que dautres artilleurs se cachent parmi les lecteurs des exemplaires de ce corpus.

Le premier exemplaire ayant appartenu à un artilleur est un Plática Manual de Luis Collado179. Cet objet a dailleurs déjà été évoqué précédemment lorsqua été présenté le marché de loccasion des traités dartillerie. Il sagit de ce livre possédant un ex-libris rayé par un vendeur de livres afin de supprimer lidentité du propriétaire précédent. À laide dune lumière placée derrière la page, le déchiffrement, bien que difficile, permet clairement didentifier le mot artillero, voire lexpression artillero mayor rappelant le poste denseignant de lécole de Séville. Le reste de lex-libris est véritablement sujet à interprétations tant la lecture en est délicate. Une date y figure : août de lannée 1596, ou 1606 ou encore 1696, impossible de le savoir plus précisément sans un outillage technique plus performant que lœil humain. Néanmoins, malgré ces incertitudes, lobjet a manifestement appartenu à un artilleur hispanophone moins dun siècle après sa sortie des presses.

Il faut dores et déjà annoncer que ce livre contient une quantité hors norme dannotations. Dabord, cet artilleur lecteur souhaita corriger certains passages de Luis Collado quil jugeait erronés. Ainsi, il commenta quune certaine remarque de Collado sur le réglage des mires était fausse180. Un peu plus loin, il nota que la gravure dun tonneau explosif était mal réalisée, la mèche devant être placée différemment181. Il corrigea également certaines réponses de lexamen dartilleur à propos des types de poudre à utiliser ainsi que dautres instruments dartilleur182. Il ajouta aussi des informations, par exemple sur des types de boulets 566particuliers appelés angeles183. Il est certainement inutile de multiplier à lexcès ces remarques : manifestement, ce lecteur avait non seulement réalisé une lecture attentive et en profondeur de lœuvre de Collado, mais il disposait dassez de connaissances techniques pour en discuter les moindres détails. Loin daccepter le rôle de disciple passif absorbant la science de Collado, cet artilleur avait lattitude du maître passant au crible de sa critique la doctrine dun autre maître. Cette attitude, ainsi que lex-libris faisant (peut-être) référence à un artillero mayor laissent supposer quil pouvait sagir dun homme en charge de la formation des artilleurs à Séville ou dans quelque autre lieu de lempire espagnol.

Autre élément intéressant, il faut souligner les compétences en mathématiques de lindividu. Ce dernier nhésita pas à reprendre les calculs de proportions de Luis Collado à propos du positionnement des anses sur les pièces dartillerie184. Quelques pages plus loin, il remarqua avec justesse que Collado, voulant diviser « cinq et un quart par trois » avait obtenu un résultat erroné de « un et un quart185 ». Il remplaça cette valeur par le résultat correct de « un et trois quarts ». Certes, il sagit de mathématiques très basiques, mais il faut reconnaître que non seulement cet individu connaissait le maniement des proportions et des divisions, mais également quil vérifiait avec précaution les informations numériques contenues dans louvrage. Pourquoi corriger ces erreurs dans le texte ? Peut-être lexemplaire-t-il était amené à circuler dans un cercle élargi de lecteurs (des disciples ?) que le propriétaire de lobjet souhaitait prémunir contre les erreurs du texte. Malheureusement, les informations quant à cet individu et au contexte dans lequel il évolua demeure incertaines.

Il en va tout autrement du second exemplaire portant les traces dun artilleur-lecteur. Il sagit dun Perfeto Capitán présentant sur son frontispice un ex-libris (barré ultéreurement) dun certain « Pedro J. de Villanueva186 ». Or, lannée où fut publié le traité de Diego de Álava, le caporal des artilleurs de la ville de Pampelune se prénommait justement Pedro de Villanueva187. Il servait alors en tant quartilleur depuis douze 567années et le capitaine général de lartillerie don Juan de Acuña Vela avait manifestement une bonne opinion de sa personne :

Pedro de Villanueva a bien servi Votre Majesté comme il le prétend, ayant toujours accompli son devoir et, pour cette raison et parce quil est bon artilleur et fait bien attention, on lui a donné le poste de chef des artilleurs, pour quil enseigne aux autres artilleurs et les encadre188.

Autrement dit, Pedro de Villanueva était chargé de la formation des artilleurs – une quarantaine selon ce même document – de la garnison/école de Pampelune en Navarre. Venu à Madrid réclamer de largent au conseil de guerre en octobre 1590, juste après la publication dans cette même ville du Perfeto Capitán, il y a fort à parier quil repartit en Navarre avec cet exemplaire sous le bras. Seconde hypothèse, si Pedro de Villanueva et Pedro J. de Villanueva ne furent pas les mêmes individus, le second fut sans doute fils ou neveu du premier. En effet, le chef des artilleurs de Pampelune, Pedro, avait un frère nommé Juan de Villanueva, lui aussi artilleur de cette garnison, qui décéda à bord dun navire parti de Pasajes en 1589189. Pedro J. (Pedro Juan ?) pourrait en ce sens être le fils de lun ou de lautre.

Fig. 60 – Ex-libris (barré) de Pedro J. de Villanueva sur un exemplaire
du Perfeto capitán de D. de Álava y Viamont, Madrid, 1590. Document appartenant
aux collections de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

568

Quil fût un proche du maître ou le maître lui-même, ce Pedro J. de Villanueva disposait manifestement de solides connaissances en artillerie et en mathématiques. Son livre est incontestablement le plus abondant en annotations des 67 exemplaires consultés. Labsence de notes dans la première partie du traité montre que lintérêt de ce lecteur fut circonscrit aux chapitres de la seconde moitié du Perfeto Capitán, exclusivement dédiés à lartillerie. En outre, cet exemplaire présente un caractère exceptionnel autant pour la quantité des annotations manuscrites que pour leur qualité qui témoigne dune lecture minutieuse, critique et intelligente, voire experte. Pedro J. de Villanueva disposait de toute évidence de loutillage intellectuel suffisant pour comprendre dans ses moindres détails ce traité, pourtant lun des plus théoriques du corpus.

Dabord, il faut noter que Villanueva se montrait extrêmement à laise en arithmétique et en géométrie, comme lillustre lexemple suivant. Dans la partie que Diego de Álava dédia à la mesure des distances, il consacra plusieurs pages à une technique particulière de mesure à partir de la figure ci-dessous. Lidée était que, connaissant la distance AB du lieu où se tenaient les batteries de canons, et les six angles ayant pour sommet les points A et B, lutilisateur de cette technique devait être capable de calculer toutes les autres distances des points C, D et E, représentant la muraille dune forteresse. Ce calcul, relativement complexe, faisait appel à des règles de la géométrie euclidienne, à la règle de trois et à des tables de sinus des angles. Or, dans son exemplaire, Pedro de Villanueva reprit ce problème tout en modifiant certaines valeurs190. Il se révèle parfaitement à laise dans lusage de la table des sinus et des différents calculs avec des fractions à cinq chiffres (par exemple 12 754 sur 53 927), barrant les résultats de Diego de Álava et les remplaçant, dune main assurée, par les fruits de ses propres calculs quil sut mener à bien à travers plusieurs pages de lexposé imprimé. Cet homme était parfaitement capable de comprendre la longue démonstration de cette technique de géomètre et il savait manifestement calculer des distances à partir de données théoriques en proposant des résultats précis au centième de pas près191.

569

Fig. 61 – Annotations par Pedro de Villanueva dun schéma du Perfeto capitán
de D. de Álava y Viamont, Madrid, 1590. Document appartenant aux collections de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

Ce souci extrême de Villanueva pour la précision est perceptible à divers endroits de son exemplaire. Lun des plus notables intervient là où lauteur du livre, Diego de Álava, a construit une table permettant de représenter la variation des diamètres des boulets en fonction de leur poids, sujet classique des traités dartillerie192. Dans le but de pouvoir vérifier la justesse des colibres, ces instruments utilisés par les artilleurs pour connaître le poids des boulets à partir de leur diamètre, Álava proposait de montrer comment variait ce diamètre en fonction du poids. La table se lisait donc de cette manière : en considérant que le diamètre dun boulet dune livre se divisait en dix parts, alors le diamètre du boulet de deux livres vaudra douze parts, 35 minutes 24 secondes193. Le reste de la table présentait les résultats pour des boulets de trois, quatre, cinq livres, jusquà 64 livres. Or, Villanueva se montra manifestement insatisfait de la précision des données calculées par Álava. Il traça sa propre table en marge de celle imprimée sur le livre, recalcula pour chaque poids de boulet, le diamètre correspondant et trouva des résultats qui, bien que très proches de ceux dÁlava, divergeaient souvent au niveau des secondes. Assurément, cet individu avait de sérieuses compétences en mathématiques. Cerise sur le gâteau, il intitula son annotation « table calculée par Pedro J. de Villanueva », permettant à lhistorien détablir un lien sans équivoque entre le nom de lex-libris et les nombreuses annotations du livre.

570

Fig. 62 – Table annotée par Pedro de Villanueva dans son exemplaire
du Perfeto capitán de D. de Álava y Viamont, Madrid, 1590. Document appartenant aux collections de la bibliothèque de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

571

En outre, Villanueva inscrivit également dans le livre le résultat de ses propres expériences. Il ne se fia pas à lauteur du Perfeto Capitán lorsque ce dernier fournit des chiffres sur les différences de poids des divers matériaux dont pouvaient être fabriqués les boulets – la pierre, le fer, le plomb. Dans la marge du texte il écrivit :

Proportion de divers boulets les uns par rapport aux autres-expérimenté

5 livres de marbre sont tout juste 14 livres de fer

2 livres de fer sont 3 livres de plomb194.

Il avait préféré inscrire ses propres chiffres obtenus à partir de boulets quil avait pesés lui-même, plutôt que de se fier à lautorité de Diego de Álava. Le traité, loin dêtre lobjet dune lecture passive, devenait en réalité un outil de travail avec lequel Pedro de Villanueva interagissait pour formaliser des connaissances les plus fiables possibles.

De plus, il ny a aucun doute sur le fait que Villanueva avait lu et digéré la Nova Scientia de Tartaglia. Comme cela a été évoqué dans le chapitre précédent, Diego de Álava chercha à asseoir son autorité en sattaquant à la Nova Scientia et en prétendant y lire des affirmations qui ny étaient absolument pas. Toutefois, cette ruse néchappa point à la lecture critique et attentive de Pedro de Villanueva. Largumentation de Diego de Álava sappuyait sur deux propositions de Tartaglia. La première, affirmant que la portée pour un angle de hausse de 45o valait dix fois celle dun tir le long de lhorizon, se trouvait effectivement dans la Nova Scientia. Cest exactement ce que remarqua Villanueva, écrivant dans la marge : « dans la lettre du premier livre de la Nova Scientia et dans la proposition 9 du second195 ». Cette note qui situait avec justesse linformation dans la Nova Scientia, prouve que Villanueva avait lu avec attention le traité de Tartaglia, livre complexe, recourant abondamment à Euclide et Aristote, mais aussi texte écrit non pas en castillan, mais en italien. Qui plus est, pour fournir une référence aussi précise, il faut supposer quil avait la possibilité de consulter la Nova Scientia en parallèle de sa lecture du Perfeto Capitán. Quant à la seconde proposition quÁlava attribuait à Tartaglia – la variation linéaire de la portée en fonction de langle de hausse – Villanueva remarquait avec pertinence quelle ne se trouvait nulle part dans lœuvre 572du mathématicien italien196. Cette remarque révélait que Villanueva avait non seulement lu Tartaglia mais quil en maîtrisait le contenu, évitant dêtre dupe de lartifice rhétorique de Diego de Álava.

Villanueva portait plus généralement un grand intérêt à létude géométrique des trajectoires. Quelques pages plus loin, il écrivit en effet une note défendant une proposition de Tartaglia sur la variation des trajectoires contre les attaques répétées de Diego de Álava197. Pour mieux suivre les démonstrations de lauteur, il reproduisit dune page sur lautre les figures géométriques représentant les trajectoires198. Il simmisça même dans les calculs dÁlava portant sur les proportions des différentes parties de ces trajectoires et corrigea ainsi une approximation de lauteur qui, dans le calcul de multiplication de dix par deux tiers, recourut à la valeur approchée de sept. Remplaçant ce chiffre par la valeur exacte de six et deux tiers, Villanueva refit méticuleusement tous les calculs des pages suivantes, sans doute plus par jeu que par nécessité car lassimilation des trajectoires à des figures géométriques était en soi une approximation convenue.

Fig. 63 – Figure géométrique de trajectoire reproduite par Pedro de Villanueva dans son exemplaire du Perfeto capitán de D. de Álava y Viamont, Madrid, 1590. Document appartenant aux collections de la bibliothèque
de lAcadémie dartillerie de Ségovie.

573

Ces deux exemplaires, en particulier le second, mettent en évidence les traces dune lecture critique et en profondeur des traités par certains artilleurs. Ces individus étaient-ils représentatifs de leur profession ? Probablement pas, car, plusieurs indices permettent de supposer quil sagissait de maîtres en charge de la formation dautres artilleurs. Ce statut particulier allait de pair avec des compétences et des savoirs qui nétaient sans doute pas communs à toute la profession. Ces deux hommes possédaient de solides connaissances en mathématiques, une certaine expérience technique, lun deux comprenait litalien, mais surtout, ils savaient tous deux parfaitement bien lire et écrire. Alors, les artilleurs ont-ils lu les traités dartillerie ?

La réponse à cette question se heurte à un premier problème : quel était le niveau dalphabétisation parmi les artilleurs ? Certains manuscrits dartillerie ont été rédigés par des individus se réclamant artillero et qui entretenaient clairement une relation aisée avec lécriture199. Cependant, ces artilleurs capables de rédiger des traités jouissaient dun statut privilégié, à limage de Cristóbal de Espinosa qui, à Milan, était reconnu comme un expert et touchait une paie plus élevée200. Par ailleurs, les auteurs de traités présentaient parfois les artilleurs comme ayant une étroite relation avec lécrit. Ainsi, dans son manuscrit, le lieutenant Diego de Prado mettait en scène un élève artilleur prenant des notes sur la leçon du maître201. Dans cette même perspective, Girolamo Cataneo considérait que tout artilleur devait savoir lire, écrire et compter202. Sagissait-il dune réalité ou dun simple vœu pieux ? Daprès les statistiques de Perez-Mallaína, sur les navires de la carrera de Indias, un peu plus de la moitié des artilleurs (55 %) étaient capables de signer203. Ce chiffre, relativement élevé, en faisait la troisième profession la plus alphabétisée du navire après les capitaines (83 %) et les pilotes (74 %). Ces individus entretenaient donc, pour lépoque, un rapport à lécrit privilégié par rapport à leur statut social somme toute fort modeste. 574Cependant, ce rapport à lécrit restait insuffisant pour faire de tous les artilleurs des lecteurs attentifs de Tartaglia et Álava.

Certaines remarques de Roger Chartier sur les modes dappropriation des livres à lépoque moderne fournissent quelques pistes dinterprétation de cette situation. Dabord, il est nécessaire de souligner que, pour la période dAncien Régime, la capacité des individus à signer représente mal lalphabétisation car elle ne reflète pas directement la capacité à lire204. Daprès les travaux de Margaret Spufford sur lAngleterre du xviie siècle, les apprentissages de la lecture et de lécriture étaient alors bien distingués et séparés205. Tandis que bon nombre denfants apprenaient les rudiments de la lecture vers six ans, dans le cercle familial, lapprentissage de lécriture passait par lécole de grammaire à partir de huit ans, âge auquel lenfant commençait à avoir la capacité de travailler et de constituer un apport économique pour les familles les plus modestes. Ces personnes – nombreuses – qui, obligées de travailler dès le plus jeune âge, avaient manqué lapprentissage de lécriture dans lécole de grammaire, étaient donc incapables de signer, mais certaines dentre elles pouvaient tout de même disposer de capacités basiques de lecture acquises entre 6 et 8 ans et leur permettant au moins de lire les caractères imprimés.

De plus, comme le formule Roger Chartier, « aux xvie et xviie siècles, sans doute plus quavant, le rapport à lécrit nimplique pas forcément une lecture individuelle206 ». En effet, les imprimés étaient régulièrement consultés de manière collective, lors de lectures à voix haute au sein dun groupe. Chartier identifie ainsi dans la ville quelques espaces sociaux privilégiés tels que les ateliers dartisans et les confréries au sein desquels avaient lieu de telles pratiques207. Ne serait-ce pas là lun des rôles joués par les écoles dartilleurs ? Après tout, les sources le disent sans détour : que faisait le mathématicien Julián Ferrofino à lécole dartilleurs de Séville si ce nest la mission que lui avait confiée le conseil de guerre de « lire et montrer la matière et lart de lartillerie208 ». Ainsi, un homme 575tel que le charpentier Juan Ruiz de Baltodano, pourtant incapable de signer sa déposition devant les juges de la casa de la contratación209, pouvait accéder aux textes de Tartaglia, Collado et Álava par la médiation du cours de Ferrofino quil fréquentait assidument210.

Conclusion

Tout un faisceau dindices converge vers lidée que les écoles dartilleurs furent lun des principaux débouchés des traités dartillerie. Le maître artilleur Alonso de Salamanca, tout comme le conseil de guerre du roi, les percevaient comme un marché potentiellement important de limprimé ainsi que comme un enjeu stratégique pour la Monarchie hispanique. De plus, ces traités ont été élaborés par des individus pour la plupart impliqués dans le milieu des écoles et des pratiques dexamen. Leurs écrits revendiquaient différents lectorats parmi lesquels figuraient bien souvent de manière explicite les artilleurs et apprentis. En outre, comme lanalyse des programmes denseignement la mis en évidence, le contenu des traités, même ceux plus théoriques de Tartaglia et Álava, couvrait en grande partie les thèmes enseignés dans les écoles dartilleurs. Par conséquent, même lorsque les traités nétaient pas explicitement dédiés au public des artilleurs, ils fournissaient de facto un support potentiel denseignement dans les écoles. Enfin, létude sérielle des exemplaires de traités dartillerie a révélé leur lecture et correction par des artilleurs, selon toute probabilité des maîtres qui utilisaient ce genre de supports pour donner des lectures collectives au sein des écoles et des communautés dartilleurs.

Lhypothèse que les écoles dartilleurs furent des lieux privilégiés de lecture collective des traités laisse supposer lorganisation de tout un microcosme. Dabord, ces communautés dapprentissage facilitaient aux artilleurs laccès aux livres, leur épargnant la nécessité de posséder des 576exemplaires en propre. Le maître enseignant, ou bien peut-être parfois dautres officiers locaux impliqués dans la pratique de lexamen tels que lingénieur militaire, le comptable ou le commandant, pouvaient fournir leurs exemplaires à la communauté dartilleurs. Dailleurs, à Séville, comme probablement ailleurs, certains capitaines et officiers nhésitaient pas à assister aux leçons dartillerie211. Par ailleurs, en décuplant, par le biais de la presse, les efforts de formalisation des savoirs réalisés par une poignée dexperts, les livres imprimés rendaient possible lenseignement de lartillerie à grande échelle. Nimporte quel maître bénéficiait ainsi de fondements solides pour ses leçons grâce à ces livres quil lui suffisait de lire attentivement, de corriger et de compléter. Les nombreuses gravures de ces traités offraient également tout autant dimages que, grâce à leurs grands formats din-folio et din-4o, lenseignant pouvait montrer au groupe dartilleurs réuni autour de lui. Il est même possible dimaginer certains maîtres enseignant et commentant diverses doctrines et divers auteurs puisque Pedro de Villanueva pouvait tout aussi bien discuter du Perfeto Capitán que de la Nova Scientia. Cest sans doute à travers ces multiples dynamiques locales que se construisit cette nouvelle science de lartillerie discutée au sein de tout un empire et au-delà.

Lécole dartilleurs, institutionnalisée par lÉtat, constituait non seulement une opportunité daccès au texte mais aussi un contrôle de son interprétation. La lecture pouvait se faire, pour quelques privilégiés sans doute, directement à partir de lexemplaire corrigé et annoté du maître, ou bien, pour la grande majorité des apprentis, collectivement à loral, lors des leçons. Dans les deux cas, laccès au texte se faisait par la médiation de ce maître qui fournissait aux apprentis les clés dune bonne interprétation. Le groupe dartilleurs rassemblés autour de cette figure du cabo maestro était donc une de ces « communautés dinterprétation » constitutives, comme le dit Chartier, du « monde des lecteurs212 ». Lidée de cette expression était dailleurs venue à son inventeur, Stanley Fish, à propos du fonctionnement dune classe détudiants à luniversité213. Dans cet univers des artilleurs de la Monarchie hispanique, les traités 577dartillerie devenaient en quelque sorte instaurateurs dun ordre social, participant, dune part, à la définition dune norme dentrée dans la profession (lexamen) qui impliquait les supérieurs hiérarchiques, mais servant aussi, dautre part, dinstruments de distinction entre ceux qui savaient et qui publiaient – les auteurs – ceux qui savaient et qui transmettaient – les maîtres – ceux qui savaient suffisamment pour passer lexamen – les artilleurs – et enfin ceux qui ne savaient pas encore – les apprentis.

1 Collado, Luis Plática manual de artillería, op. cit., fol. 104r. « Le principal objectif de lécole ne doit pas être de tirer et de gâcher de la poudre, car comme cela plaît à tout le monde, chacun le fait de bon gré. Mais toute limportance réside dans le fait quà travers le désir et lenvie de tirer, on apprenne la théorie qui consiste à savoir traiter, faire et manier les choses de lartillerie et les instruments qui lui sont annexes, lesquelles sont infinies, comme elles sont spécifiées dans mon livre. »

2 « Verdad es que el artillero discipulo, conviene cebarle del un gusto y del otro, y a vueltas del dulce del tirar, darle del amargo de el estudio, y assi se hara en la Escuela grandissimo provecho », ibid.

3 Il sagit dun leitmotiv du projet intellectuel de Chartier depuis plusieurs décennies. Voir Chartier, Roger, « Lectures et lecteurs “populaires” de la Renaissance à lâge classique » dans Histoire de la lecture dans le monde occidental, Guglielmo Cavallo et Roger Chartier (éd.), Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 315-330. Chartier, Roger, Culture écrite et société : lordre des livres (xive-xviiie siècles), Paris, Albin Michel, 1996. Chartier, Roger, Lectures et lecteurs dans la France dAncien Régime, Paris, Éditions du Seuil, 1987.

4 Ginzburg, Carlo, Il formaggio e i vermi : il cosmo di un mugnaio del 500, Turin, G. Einaudi, 1976.

5 La nécessité détudier les pratiques de lecture des livres scientifiques a été particulièrement soulignée par Johns, Adrian, The Nature of the Book : Print and Knowledge in the Making, Chicago, University of Chicago Press, 1998.

6 Smith, Pamela H., The Body of the Artisan, op. cit. Roberts, Lissa, Schaffer, Simon, Dear Peter (éd.), The Mindful Hand, op. cit. Harkness, Deborah E., The Jewel House, op. cit. Long, Pamela O., Artisan/Practitioners and the Rise of the New Sciences, op. cit.

7 Smith, Pamela H., The Body of the Artisan, op. cit.

8 Long, Pamela O, Artisan/Practitioners and the Rise of the New Sciences, op. cit. p. 103 et 112.

9 Garçon, Anne-Françoise, Limaginaire et la pensée technique. Une approche historique, xvie-xxe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2012, p. 25-26.

10 Vérin, Hélène, « Rédiger et réduire en art : un projet de rationalisation des pratiques », dans Réduire en art : la technologie de la Renaissance aux Lumières, Pascal Dubourg Glatigny et Hélène Vérin, (éd.) Paris, éditions de la maison des Sciences de lhomme, 2008, p. 17-58.

11 Henninger-Voss, Mary, « Comets and Cannonballs : Reading Technology in a Sixteenth Century Library », dans Lissa Roberts, Simon Schaffer, Peter Dear (éd.), The Mindful Hand, op. cit., p. 11-34. González de León, Fernando, « “Doctors of the Military Discipline” », op. cit.

12 Bennett, Jim, « Practical Geometry and Operative Knowledge », Configurations : a journal of literature, science and technology, vol. 6, 1998, p. 195-222. Walton, Steven A., « Mathematical Instruments and the Creation of the Scientific Military Gentleman », op. cit.

13 Epstein, Stephan R., « Transferring Technical Knowledge and Innovation in Europe, c. 1200-c. 1800 », dans Technology, Skills and the Pre-Modern Economy in the East and the West, Marteen Prak, Jan L. Van Zanden (éd.),Leiden ; Boston, Brill, 2013, p. 25-67.

14 De Munck, Bert, Technologies of Learning, op. cit., p. 79.

15 Epstein, Stephan R., « Transferring Technical Knowledge and Innovation in Europe, c. 1200-c. 1800 », op. cit.

16 Shelby, Lon R., « The Geometrical Knowledge of Mediaeval Master Masons », Speculum, vol. 47, no 3, 1972, p. 395-421.

17 Prak, Marteen, « Mega-structures of the Middle-Ages : the Construction of Religious Buildings in Europe and Asia, c. 1000-1500 » dans Technology, Skills and the Pre-Modern Economy in the East and the West, Marteen Prak et Jan L. Van Zanden (éd.), Leiden ; Boston, Brill, 2013, p. 131-159.

18 Sur la pratique de lexamen à la Renaissance, voir p. 394-402.

19 En 1590, il affirmait être âgé de 66 ans et avoir servi 40 ans, AGS GYM leg. 313/122 (18/02/1590). Lorigine castillane de ce personnage est confirmé par le conseil de guerre, AGS GYM leg. 276/231 (18/06/1589).

20 AGS EST leg. 1156/289 (année 1589). Le salaire de Salamanca est mentionné dans une note du secrétaire du conseil de guerre Andrés de Prada, AGS GYM leg. 313/121 (07/01/1590).

21 Pour une description de ce siège, voir p. 376.

22 AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589) et leg. 313/122 (18/02/1590).

23 Salamanca, Alonso de, Manuscrit II/1330, Palacio Real de Madrid. Voir les analyses de : Gonzàlez Castrillo, Ricardo, « La perdida de la Goleta y Túnez en 1574 », op. cit. ; Martínez, Miguel, Front Lines. Soldiers Writing in the Early Modern Hispanic World, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2016, p. 101-123. Je remercie Cecilia Tarruell pour cette seconde référence.

24 AGS EST leg. 1075/51 (28/02/1577).

25 AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589). et leg. 313/121 (18/02/1590). Il obtint cette position sous la vice-royauté de Marco Antonio Colonna, donc entre 1577 et son décès en 1584, daprès une note du secrétaire du conseil de guerre Andrés de Prada : AGS GYM leg. 313/121 (07/01/1590).

26 AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589) et AGS EST leg. 1156/289 (année 1589).

27 « Un libro quel ha compuesto para havilitar artilleros », AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589).

28 Voir p. 403-408.

29 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).

30 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).

31 « En quanto al libro, [] se entiende será de provecho para las escuelas que en estos Reynos ay de artilleros », AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589).

32 « Despues de hecho y estampado el libro [] se podran enseñar artilleros y serbir la artilleria muy mejor », AGS GYM leg. 268/155 (14/03/1589).

33 « Con solo su libro se podra de aqui adelante enseñar artilleros españoles », AGS GYM leg. 313/122 (18/02/1590).

34 « El libro escripto y compuesto en lengua española y por maestro español, [es] lo que más importa a caussa de no aver, como no ay, libro alguno que ni con la quinta parte de la que declara trate de lo mismo », AGS GYM leg. 276/231 (18/06/1589). La seule exception notable était celle du traité de García de Palacio, publié à Mexico en 1583, mais dont la diffusion avait été limitée puisquil était manifestement méconnu du conseil de guerre : García de Palacio, Diego, Dialogos Militares, op. cit.

35 « Si bien se mira en ello después de estampado parescera que para estos Vuestros Reynos de España y las Indias y demás partes que se entienda bien la lengua española en que va escrito, será de toda la importancia necesaria para ser bien servida la artillería de Vuestra Majestad », AGS GYM leg. 276/231 (18/06/1589).

36 AGS GYM leg. 268/155 (14/03/1589).

37 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).

38 Veyrin-Forrer, Jeanne, « Fabriquer un livre au xvie siècle » dans Histoire de lédition française, volume 1 : le livre conquérant, Henri-Jean Martin, Roger Chartier (éd.), Promodis, Paris, 1982, p. 278-301.

39 « En quanto a darle licencia para imprimir el libro que ha hecho, a visto parte del y parescele tan largo que en algunas cossas le haze menos intelegible y que hasta que le corrija y enmiende y se vea de nuevo, no se le deve dar licencia para imprimirlo », AGS GYM leg. 262/51 (10/02/1589).

40 AGS GYM leg. 276/231 (18/06/1589).

41 Voir la note : « Que lo vea Ferrofino » dans ibid.

42 Voir p. 308-311 pour une biographie de ce personnage.

43 Sur Juan de Herrera et lacadémie de mathématiques, voir Vicente Maroto, Maria Isabel, Esteban Piñeiro, Mariano, Aspectos de la ciencia aplicada en la España del Siglo de Oro, op. cit.

44 AGS GYM leg. 313/121 (07/01/1590).

45 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).

46 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).

47 « Tengo para imprimirlo como discurso para lo dicho de enseñar artilleros no hay en lengua castellana su semejante ni tal parecerá porque si bien en los libros militares se trata algo desto y más en particular por uno del Perfecto Capitán que de presente a salido, es cossa cierta que no ay en ellos razón de maestro que aya servido de artillería », ibid.

48 Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit. Voir p. 451-454.

49 Pour une biographie du père et du fils, voir Rodríguez Pedro, Rodríguez, Justina, Don Francés de Álava y Beamonte, op. cit.

50 Ibid., p. 82.

51 Voir lapprobation par Luis de Barrientos (11/09/1589) et le privilège dimpression (10/10/1589) au début du livre de Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit.

52 Voir p. 454 et annexe III.

53 Pour un compte rendu de lexamen, voir AGS GYM leg. 313/121 (18/02/1590). Pour laugmentation de salaire, voir AGS GYM leg. 309/103 (26/06/1590).

54 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).

55 « Libro del servicio de artillería » dans AGS GYM leg. 268/155 (14/03/1589), leg. 313/121 (07/01/1590) 122 (18/02/1590) et leg. 306/123 (29/04/1590).

56 AGS GYM leg. 268/155 (14/03/1589) et leg. 276/231 (18/06/1589).

57 AGS GYM leg. 276/231 (18/06/1589).

58 « Lo que declaran a sido sacado de papeles mal entendidos y de un libro de lengua toscana fundada en geometría y mathemática, proporción que es ciencia mal entendida de los más artilleros », AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).

59 Tartaglia, Niccolò, Nova scientia inventa da Nicolò Tartalea, op. cit.

60 « Libro sexto en que se reprueba la dotrina de Nicolo Tartalla, y se enseña la verdadera… », Alava y Viamont, Diego de, El perfeto capitán, op. cit. fol. 245r.

61 AGS GYM leg. 306/123 (29/04/1590).

62 Collado, Luis, Pratica Manuale di arteglieria, Venise, Pietro Dufinelli, 1586.

63 Espinosa, Cristobal de, « Alvaradina : Dialogo de artillería », Milan, 1584, manuscrit de la bibliothèque de lacadémie dartillerie de Ségovie.

64 Ce thème est abordé p. 366-371. Voir aussi Mallett, Michael E., Hale, John R., The Military Organisation of a Renaissance State, op. cit., p. 403-407.

65 Le secret est évoqué dans la dédicace au duc dUrbino, Tartaglia, Niccolò Nova scientia, op. cit.

66 Voir la dédicace de Ruscelli, Girolamo, Precetti della militia moderna tanto per mare quanto per terra, op. cit.

67 « Libro segundo de artillería de las invenciones diversas de Hernando del Castillo », Castillo, Hernando del, « Libro muy curioso y utilísimo de artillería », BNE mss 9034, c. 1560, fol. 32r.

68 AGS EST leg. 1704/266 (10/08/1604).

69 Isla, Lazaro de la, Breve tratado de artillería, geometría y artificios de fuegos, op. cit.

70 « Darle licencia que pueda enseñar el arte de artillería, geometría, fuegos artificiales », AGS GYM leg. 316/117 (année 1590).

71 AGS GYM leg. 627/126 (16/06/1604).

72 Isla, Lazaro de la, Breve tratado de artillería, y fundición della, y artificios de fuego, Valladolid, Luis Sanchez, 1603.

73 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit.

74 AGS EST leg. 1293/23 (16/05/1604).

75 Muñoz el Bueno, Andrés, Instrucción y Regimiento para que los marineros sepan usar de la artillería, op. cit.

76 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit. fol. 103-104.

77 Ibid. fol. 105-112.

78 Ibid. fol. 105r.

79 « Y finalmente se halla en dialogo un copiosíssimo examen de artilleros, por el qual los ministros de Vuestra Magestad podrán perfectamente examinarlos todos », ibid. dédicace.

80 Cataneo, Girolamo, Opera nuova de fortificare, offendere et difendere, op. cit.

81 Cataneo, Girolamo, Avvertimenti et essamini intorno a quelle cose che richiede a un bombardiero, op. cit. Noter que le titre raccourci utilisé en tête de chaque page est « examens de bombardiers » (essamini de bombardieri) et que le contenu est très proche de louvrage précédemment cité.

82 Busca, Gabriel, Instruttione de bombardieri, op. cit.

83 Gentilini, Eugenio, Instruttione de bombardieri, Venise, Francesco dei Franceschi, 1592. En sous-titre : « che si contiene lessamina usata dallo strenuo Zaccaria Schiavina… Dalle quali ogni bombardiero e capi maestri vengono a pieno instrutti di ciò challa lor professione appartiene ».

84 Voir la préface aux lecteurs, Gentilini, Eugenio, La real instruttione di artiglieri, Venise, Giovan Antonio et Giacomo dei Franceschi, 1606.

85 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit.

86 Ibid. p 8-10.

87 Ibid. p. 10.

88 « Desame de artillero en el qual se trata de todo lo que es obligado a preguntar el que fuere juez de la dicha arte al que se va a desaminar para ser artillero », c. 1600, BNE, mss. 12723. Le catalogue de la BNE indique que ce manuscrit faisait partie de la collection du duc de Frías, Juan Fernández de Velasco, gouverneur du duché de Milan de 1595 à 1600. Lœuvre pourrait par conséquent être liée au contexte de la Lombardie à lépoque de Collado.

89 « Es muy útil y provechosa tanto para los señores generales della como para los tenientes, gobernadores, capitanes, cabos maestros, y otras qualesquier persona aquien tocare el examen de los artilleros como también aún para los mesmos artilleros para que sepan lo que an de hazer en sus operaciones y esten más previstos para subir sus examenes », Alvarado, Espinel de, « Alvaradina : la cual contiene en sí muchos muy necesarios avisos de las cosas tocantes al Artilleria », Milan, c. 1595, BNE, mss. 8895, fol. VIr. Hormis son introduction, ce traité est une copie dun traité de 1584 : Espinosa, Cristobal de, « Alvaradina : Dialogo de artillería », op. cit.

90 Ufano, Diego, Tratado de la artillería y uso, op. cit.

91 « Segunda parte del libro de artillería militar en la qual por muy breve y elegante estillo se declaran [] », ibid. p. 69-282.

92 « De algunas cosas tocantes al uso y militar dotrina de su escuela para, por medio de su theórica y prática, sacar práticos y diestros artilleros inteligentes y perfetos en el ministerio de su arte », ibid. p. 283-423.

93 « Lición 32 : en que evidentemente en breve pratica se muestra el examen que se haze a un curioso y buen artillero que pretende la plaza de condestable [] porque quien pretende ser condestable la a de tener en todo y juntamente escuela y dotrina militar para poder enseñar he instruyr en el arte a sus artilleros », ibid. p. 404-423.

94 Les exemples douvrages composites de ce genre sont relativement nombreux : Cataneo, Girolamo, Opera nuova de fortificare, offendere et difendere, op. cit. Busca, Gabriel, Della espugnatione et difesa delle fortezze, op. cit. Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga, op. cit.

95 AGS GYM leg. 262/284 (27/06/1589).

96 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit. fol. 105r-112v.

97 « Bisogna ancora che ogni bombardiero sappia leggere, scrivere, et haver buon abbaco, accioche possa misurare altezze, profondità et distanze », Cataneo, Girolamo, Avvertimenti et essamini intorno a quelle cose che richiede a un bombardiero, op. cit. fol. 1r.

98 « Ne sono io del parere di conloro, i quali vogliono che egli [il bombardiero] sia Geometra et Matematico et convengali sapere misurare tutte le lontananze », Busca, Gabriel, Instruttione de bombardieri, op. cit. p. 6.

99 « Gabriel Busca hizo el tratado para todos los artilleros, yo lo e puesto para los curiosos, y para que lo sepan los que mandaren la artillería, y el general de ella, de manera que lo puedan enseñar, y resolver quantas dudas en él se pueden ofrecer, porque para mí, con que sepa el artillero hazer las cucharas, cubrir los limpiadores con pellejos, hazer cestones y carzos, hazer las esplanadas, y las troneras, cargar y apuntar bien las piecas, y conocer las balas, no le pediré más », Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit. p. 184.

100 AGS CSU 2a epoca leg. 91, sans num.

101 Voir p. 66.

102 « La horden que se ha de tener en la abilitación y exercicio de los artilleros conforme a lo que su Mag tiene mandado en esta manera », (12/03/1560), AGS CSU 2a epoca leg. 91.

103 « Si algun día con parecer del dicho capitán quisieren hazer espiriencia de alguna mina para aprender a hazerlas », ibid.

104 « Avisos de cosas tocantes al artillería », ibid.

105 « Dedos de caça », ibid.

106 « Ha de conocer el artillero la distancia de la tierra y esto se alcança con buen conoscimiento y discrición y todo lo demás tocante », ibid.

107 « La sustancia de los argumentos tocantes al artillería del libro de Nicolo Tartalea Briçiano », ibid.

108 « Una pieça tiene 12 grados de caça o de puntería que son minutos 44 y desde el primo hasta los seis grados va siempre tirando más por efeto de la cayda de la bala, y de aquí arriba ira siempre tirando menos », ibid. La démonstration se trouve dans Tartaglia, Niccolò, Nova scientia, op. cit. livre II, proposition VIII.

109 « Nunca la pelota va en línea reta sino hazia el cielo o hazia el centro de la tierra ». Il sagit dune référence à la démonstration de Tartaglia face au duc dUrbino, Tartaglia, Niccolò, Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 12r.

110 « Pone ad lungo el memorial del peso de las piezas cantidad de metal y polvora y longitudo de cada una en su numero ». Le passage décrivant les différentes pièces se trouve dans Tartaglia, Niccolò, Quesiti, fol. 19v-20v.

111 « Que cuanto más larga una pieza tanto más tira por que es de mas metal y llevar mas polvora y que al cañon le [cargan ?] 2 partes de 3 de su bala de polvora y a li culebrini 4 quintos ». Ce texte résume Tartaglia, Niccolò Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 18v-19r.

112 « Como se podrá conocer si una artillería tirara retamente sus tiros ». Linstrument est décrit dans Tartaglia, Niccolò, Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 27r-28v.

113 « Cuando que el punto de la pieza está más alto en la boca del cañon siempre la bala va a buscar el centro que es hazia bajo y con esto viene a igualar el punto con el centro de la pieza y al respecto quando está más alta o baja de lo que ha de estar » Puis point suivant : « El efecto que haze el artillería estando baja de punto o alta », à comparer avec Tartaglia, Niccolò Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 14 à 18.

114 « Una pieza haze mayor tiro desde baxo que desde arriba… » le texte du manuscrit est malheureusement coupé. Mais il semble renvoyer à létude de cas exposée par Tartaglia dans Tartaglia, Niccolò, Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 7v-8r.

115 « Que es la causa que la boca de una pieza atrae assí un cagnolino y es que pues en la pieza se va escalentando atrae assí ». Lépisode est narré dans Tartaglia, Niccolò, Quesiti et inventioni diverse, op. cit., fol. 26r.

116 « Luis Collado, natural de Xerez de la Frontera [] que dentro de cuatro meses primeros siguientes a de estar hábil y suficiente en todo lo que conviene para servir la dicha plaza » (15/10/1570), AGS CSU 2a epoca leg. 91.

117 Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit. Lauteur sy dit originaire de Lebrija, petit village proche de la ville de Jerez de la Frontera.

118 Sur la forte critique de Tartaglia par Collado, voir p. 451.

119 « En testimonio de lo qual dize Nicolao Tartalla que un cañon de batería que se aboco en tierra disparando hazia abajo y que se sorvio un perrillo que se le acerco a la boca [] los quales milagros non succeden ya en aquestos tiempos », Collado, Luis, Plática manual de artillería, op. cit. fol. 55v.

120 AGS EST leg. 1144/4 (Janvier 1575).

121 Document intitulé : « Lo que Andrés Muñoz el Bueno enseña en Sevilla en su escuela a los artilleros que habilita para el servicio de su Magestad es lo siguiente », AGI IG leg. 2007, sans num. Ce feuillet accompagne un document du 03/11/1595, raison pour laquelle je le date aux environs de 1595.

122 Silva Suárez, Manuel, Técnica e ingeniería en España – Tomo 1, op. cit., p. 589-590.

123 Le manuscrit porte en titre la mention « tiré de son brouillon » (sacado de su borrador), Ferrofino, Julián, « Descrizión y tratado muy breve lo más probechoso de Artillería », op. cit.

124 Fernández Duro, Cesáreo, Disquisiciones náuticas, op. cit., livre 6, p. 440-456.

125 Lintroduction du programme de Palerme montre quil sagit dune liste de points principaux : « Che li detti mastri [] sian tenuti di [] publicamente insegnare [] la professione et dottrina di buon artigliero, et particolarmente le cose seguenti » AGS EST leg. 1144/4 (janvier 1575). Le programme de Muñoz el Bueno se termine de cette manière : « además de todo lo susodicho se les enseñan otras muchas advertencias y particularidades muy necesarias para la buena inteligencia y uso del arte del artillería », AGI IG leg. 2007.

126 Voir la figure 58, table de comparaison des programmes, ci-après.

127 « De que artillería se usa al presente en la Europa, ansí por mar como por tierra, y en quantos generos está repartida y quantas piezas contiene en sí cada genero y qual es su propio nombre de cada una dellas », Léquivalent dans le programme de Palerme : « La regola [] per far pezzi dartiglieria du qualunque sorte ».

128 « Saber que cosa es sacar el vivo a las pieças de artillería [] qual es el tiro que se haze por el raso de los metales y qual se llama tiro de punto a dentro, y qual de punto afuera, y qual de punto en blanco ». AGI IG leg. 2007.

129 « La regola per conoscere quei pezzi che hanno quantità bastante o mancamento di metallo » AGS EST leg. 1144/4 (janvier 1575).

130 « Quanto alcançara [la bala] por cada punto de la escuadra desde el tiro a nivel que es el que se haze por el plano del Orizonte hasta el altura de su mayor tiro que es en los 45 grados, y sexto punto de la escuadra. Y ansi mismo los trabucos y morteretes que tanto es lo que tiran y alcançan desde el dicho punto de 45 grados por otros seis puntos hasta el cenit o punto más alto », AGI IG leg. 2007.

131 « En que punto de la escuadra se han de poner las pieças para dispararlas y las demás diligencias que en la dicha prueba y examen se han de hazer, para ver si las dichas piezas son capaces para poderse servir dellas en cualquiera ocasión », ibid.

132 « Conviene saber al artillero para usar su arte en campaña y presidios », ibid.

133 Sur ce thème voir le travail de Jubelin, Alexandre, « Par le fer et par le feu. Pratiques de labordage et du combat rapproché dans lAtlantique du début de lépoque moderne (début du xvie siècle – 1653) », thèse de luniversité Sorbonne, Paris, 2019.

134 Voir p. 224-225, 380 et 383-386.

135 Voir p. 366-371.

136 Collado, Luis, Pratica Manuale di arteglieria, op. cit. Espinosa, Cristobal de, « Alvaradina : Dialogo de artillería », op. cit. Le procédé de reprise est expliqué plus en détail p. 454.

137 Lechuga, Cristóbal, Discurso del Capitán Cristoval Lechuga en que trata de la artillería, op. cit. p. 148. Pour plus dinformations, voir p. 460.

138 Chartier, Roger, Culture écrite et société : lordre des livres (xive-xviiie siècles), op. cit. Cavallo, Guglielmo, Chartier, Roger, Histoire de la lecture dans le monde occidental, Paris, Éditions du Seuil, 1997. McKenzie, D. F. Bibliography and the Sociology of Texts, Cambridge, U.K. ; New York, Cambridge University Press, 1999.

139 Bibliothèques consultées : BNE, Palacio Real, Museo Naval, Académie dartillerie de Ségovie, Biblioteca del Monasterio del Escorial, Biblioteca Central Militar.

140 Voir la figure 59, ci-dessous. Pour plus de clarté, la suite des notes se réfèrera aux différents exemplaires par la cote bibliothécaire puis entre parenthèses le nom de lauteur et la date de lédition.

141 Tartaglia, Niccolò, Nova scientia inventada da Nicolò Tartaglia con una gionta al terzo libro, Venise, 1558, Collection Galilée du Musée Galileo de Florence, MED 0976/01. Pour lattribution des notes à Galilée, voir Favaro, Antonio, La libreria di Galileo Galilei descritta ed illustrata da Antonio Favaro, Tipografia della scienze matematiche e fisiche, 1887.

142 Exemplaire de lacadémie de Ségovie, 39-4-61 (Collado, 1592). Quatre propriétaires y sont identifiés de 1710 à 1888, des officiers dartillerie à Badajoz puis à lacadémie dartillerie de Ségovie et à Madrid.

143 « Este libreto es de Estefano de Salas, recamatore i arquiteto, i le tene comprato en Napoles en la piasa del Olmo, el año de 1610 años i me tene costato 38 carlines en piata en casa de Antonio Pescarelo », Exemplaire du Palacio Real, X/359 (Collado, 1592). Lex-libris est à la fin de la dédicace à Philippe II.

144 Daprès une œuvre presque contemporaine, 9 carlines = 8 reales. Ochoa de Samaniego, Francisco, Arismetica guarisma : en la qual se muestra el vso manual de las siete reglas maestras de saber hazer todas las que se reduzen a cuenta, por Pedro Micheli, y Nicolao Françisco Russo, 1644, p. 116. Pour calculer les équivalences, il faut repasser en unités de compte : 1 real = 34 maravedis donc 1 carlin = environ 30,22 maravedis. Cela signifie que 38 carlines valaient environ 1 148 maravedis, cest-à-dire un peu plus de 3 ducats. Le salaire mensuel des artilleurs tournait autour de 4 à 5 ducats (voir p. 240).

145 « Es de quien lo comprará », exemplaire du Palacio Real, VIII/16 121 (Collado, 1592).

146 « Glateson : Esta mi dueño y mi compré en el mes de Novembre 1595 », exemplaire du Museo Naval, CF-19 (Álava, 1590).

147 « 25 Marzo 1601, Walter Powist », ibid.

148 Voir par exemple le folio 1v : desbaratado = put to fighte ; atronadas = astonished ; ardides = stratigems ; acometimientos = assaylinges ; derribar = overthrowe ; acometio = attempted ; atropello = trode under flote.

149 Des noms à consonances germaniques : « Michalis Fuster » dans BNE, 2/28 753 (1) (Cataneo, 1584). « Jacobus Fether » dans Biblioteca Central Militar, 1595/1 (Isla, 1595).

150 Exemplaire de la bibliothèque de lEscurial, Mesa 3-II-25 (1), portant lex-libris de don Diego de Mendoza. Biblioteca Central Militar, 1590/1 (Álava, 1590) avec ex-libris de don Joseph Antonio, année 1686. Académie de Ségovie, 42-15-34 186 (Álava, 1590), ayant appartenu à don Francisco de Porres y Silva Cano, devenu chevalier de lordre de Santiago en mai 1704 (Voir AHN, OM, Expedientillos, N.6383).

151 « Domingo Ant[onez ?] en 7 días de noviembre 1630 », dans BNE, R/7658 (Álava, 1590). ex-libris rayé de « Gab Lopez » dans BNE, R/594 (Ufano, 1613).

152 Ex-libris barré dun « canonigo » dont le nom est difficile à déchiffrer, dans Biblioteca Central Militar, 1590/1 (Álava, 1590). « Es de la librería del Dotor Joseph Ausina, canonigo de Segorve » dans Académie de Ségovie, 39-4-68 (Álava, 1590),

153 BNE, R/7666 (Álava, 1590), fol. 92r.

154 BNE, R/10535 (Lechuga, 1611).

155 Cavallo, Guglielmo, Chartier, Roger, Histoire de la lecture dans le monde occidental, op. cit., p. 321.

156 Exemplaire de la bibliothèque de lEscurial, Mesa 3-II-25 (1), portant lex-libris de don Diego de Mendoza. Rappelons par ailleurs que Tartaglia met en scène plusieurs dialogues entre lui-même et ce grand aristocrate dans les Quesiti. Voir p. 444 pour plus de détails.

157 Cinq exemplaires dans la bibliothèque du Palacio Real : IX/9081 (Collado, 1586), VIII/4702 (Álava, 1590), IX/ 4405 (1) (Tartaglia, 1554), VIII/19 388 (Cataneo, 1584), Palacio Real VIII/398 (Cataneo, 1584).

158 Documentos Para La Historia Del Monasterio De San Lorenzo El Real De El Escorial, op. cit., p. 239.

159 Catálogo de la Real Biblioteca, tomo XIII : Correspondencia del conde de Gondomar, vols. I-IV, Madrid, Patrimonio Nacional, 1999-2003.

160 BNE, R/7666 (Álava, 1590), fol. 10r et 11r. Ainsi que Palacio Real, VIII/16 121 (Collado, 1592), fol. 94v.

161 Voir Académie de Ségovie 39-4-69 (Álava, 1590). Cet exemplaire combine des « + », « ++ », « x », « °° », « S » et « Si ».

162 BNE, R/15048 (Collado, 1592), Seulement « 366 lirbros » fol. 12r et « Comparar Gen » fol. 110v.

163 Pour des exemples de ce type de corrections, voir BNE, R/10531 (Collado, 1592), fol. 63v et 69v. Museo Naval, CF 443, (Collado, 1592) fol. 80v.

164 BNE, R/23 125 (2) (Tartaglia, 1546), par exemple fol. 10v : « las balas no van por el camino recto ».

165 « Agora en nuestro tiempo se llama çaragoça de Sicilia », Biblioteca Central Militar, 1590/1, (Álava, 1590), préface « de los admirables efectos de la arithmetica y geometria ».

166 Ibid. Voir prologue.

167 « Capitulo que trata de los petardos, y de su fundición y formación y para que se inventaron ». Palacio Real, III/1677 (Collado, 1592), fol. 37r.

168 « Y el modo y orden del uso de los petardes, que agora se usan para arruinar las puertas de las fortalezas », AGI IG leg. 2007.

169 BNE, R/4828 (Ufano, 1613).

170 Des exemples de ces traces de calculs : Académie Ségovie, 39-4-61 (Collado, 1592), fol. 41r (au dos du schéma de léquerre), 47r et 59r. Biblioteca Central Militar, 1590/1 (Álava, 1590), fol. 167v, 169v, 203v, 230r et 249r. BNE R/15055 (Lechuga, 1611), p. 113 et 142.

171 Palacio Real, IX/8333 (Cataneo 1567).

172 BNE, R/594 (Ufano, 1613).

173 BNE, R/10535 (Lechuga, 1611).

174 BNE, R/7666 (Álava, 1590), des schémas de triangles et cercles avec des chiffres à la fin du traité. Bib. Central Militar 1611/1 (Lechuga, 1611), p. 166 : schéma dun canon avec des points A, B et C, lecture difficile.

175 Certeau, Michel de, « Lire : un braconnage », dans Linvention du quotidien. 1/ Arts de Faire, Paris, Union Générale déditions, 1980, p. 279-296.

176 Voir par exemple les croix au crayon dans lexemplaire de lAcademie de Ségovie, 39-4-60 (Collado, 1592).

177 Museo Naval, CF-19 (Álava, 1590).

178 Biblioteca Central Militar, 1590/1 (Álava, 1590).

179 Palacio Real, VIII/16 121 (Collado, 1592).

180 Ibid. Deux dernières lignes du fol. 41v. Le commentaire a partiellement été coupé ce qui rend sa compréhension difficile. Le lecteur y exprime néanmoins une désapprobation.

181 Ibid. fol. 52v.

182 Ibid. fol. 106v.

183 Ibid. fol. 53r.

184 Ibid. fol. 18v.

185 Ibid. fol. 30r.

186 Académie de Ségovie, 39-4-68 (Álava, 1590).

187 Daprès les documents comptables : « Pedro de Villanueva, cabo de los artilleros de Pamplona », AGS GYM lib. 57, fol. 56v (année 1590).

188 « Pedro de Villanueva ha servido como dice a Vuestra Magestad habiendo siempre hecho lo que debe en su oficio y por haberlo hecho así y ser de cuidado y buen artillero, se le dió plaza de cabo para que enseñase y tuviese cuenta con los demás artilleros », AGS GYM leg. 305/189 (05/10/1590).

189 Sur le départ de Juan de Villanueva dans larmada de Pasajes, voir AGS GYM leg. 271/34 (année 1589). Sa mort se déduit du document suivant : AGS GYM leg. 305/189 (05/10/1590).

190 Toutes les valeurs sont écrites soient directement sur les schémas, soit dans les marges, Académie de Ségovie, 39-4-68 (Álava, 1590), fol. 204v-207r.

191 Résultat trouvé par Pedro de Villanueva : « La distancia DC [] es de 62 passos y 108/125 », ibid. fol. 207r.

192 Ibid. fol. 169r. Pour plus dinformation sur le traitement de cette problématique, voir p. 499.

193 Lunité adoptée permet de contourner la valeur incalculable du nombre π.

194 « Proporción de diversas balas unas con otras / – Experimentado / 5 Libras de marmol son 14 libras de hierro escassas / 2 libras de hierro son 3 libras de plomo », ibid. fol. 187r.

195 « En la epistola del Primero Libro de la Nova Scientia y en la prop. 9 del 2o », ibid. fol. 230r.

196 « Este segundo principio no se halla en Tartalla », ibid. fol. 230r.

197 « No es falso », ibid. fol. 237r.

198 Figure du fol. 246r reproduite en haut du fol. 246v, ibid.

199 Castillo, Hernando del, « Libro muy curioso y utilísimo de artillería », op. cit. Espinosa, Cristobal de, « Alvaradina : Dialogo de artillería », op. cit. ; Alvarado, Espinel de, « Alvaradina : la cual contiene en si muchos muy necesarios avisos de las cosas tocantes al Artilleria », op. cit.

200 Voir AGS EST leg. 1260/126 (01/09/1583).

201 Prado, Diego de, « La obra manual y pláctica de artillería », op. cit. p. 10.

202 Cataneo, Girolamo, Avvertimenti et essamini intorno a quelle cose che richiede a un bombardiero, op. cit. fol. 1r.

203 Perez-Mallaína, Pablo, Spains Men of the Sea, op. cit., p. 230.

204 Chartier, Roger, Pratiques de la lecture, Paris, Éditions Rivages, 1985, p. 82.

205 Spufford, Margaret, « First Steps in Literacy : The Reading and Writing Experiences of the Humblest Seventeenth-Century Spiritual Autobiographers », Social History, vol. 4, no 3, 1979, p. 407-435.

206 Chartier, Roger, Lectures et lecteurs dans la France dAncien Régime, op. cit., p. 94.

207 Ibid. p. 95.

208 « Leer y mostrar materia y arte de artillería », AGS GYM leg. 277/8 (22/11/1589).

209 Il fait partie des témoins interrogés à propos du dossier sur Muñoz el Bueno : « Andrés Muñoz el Bueno, artillero, sobre que se le haga merced del officio que está vaco por Andrés de Espinosa » AGI IG leg. 2007 (année 1593).

210 Il figure dans la liste des 74 inscrits à lécole dartilleurs de Ferrofino, AGS GYM leg. 351/283 (06/03/1592).

211 Voir p. 344.

212 Cavallo, Guglielmo, Chartier, Roger, Histoire de la lecture dans le monde occidental, op. cit., p. 323.

213 Fish, Stanley E., Is There a Text in this Class ? : The Authority of Interpretive Communities, Cambridge, Mass, Harvard University Press, 1980.