Introduction à la première partie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Surréalisme au grand air. Tome II. Penser la nature
- Pages : 29 à 31
- Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 117
Introduction
à la première partie
En examinant dans le premier volume de cette étude les différentes manières dont les surréalistes ont tenu la nature à distance et les motifs de son incroyable plasticité dans le discours et les œuvres du groupe (Première Partie, « La nature sous contrainte »), nous avons vu qu’avant de la réactiver, il s’est d’abord agi de défigurer une idée qui, transformée en valeur, a d’abord suscité un violent rejet. Parce que faire place à une nature, quelle qu’elle soit – paysages ensauvagés de la cité moderne, paysages de l’inconscient ou paysages d’idées – suppose d’accepter certains codes de la représentation, nous avons également montré à quelles tensions obéissait l’écriture surréaliste, farouchement opposée au descriptif, au roman et pourtant désireuse de rendre compte des découvertes du rêve et de l’inconscient. Il s’agit moins désormais de s’interroger sur les conditions de possibilité d’une écriture de la nature, sur les reliefs et les contours de ces paysages tantôt inventés, tantôt découverts, par l’imagination ou par le contact direct, que de s’interroger sur les conditions de possibilité d’une connaissance de la nature, selon un angle d’abord philosophique et esthétique.
Plutôt que de penser la nature en termes d’identité ou de valeur, il s’agit de l’envisager en termes relationnels, afin d’étudier l’appréhension immédiate du sujet qui s’y trouve confronté et, de manière plus déterminante, les conditions de possibilité d’une telle relation. Qu’en est-il en effet du statut accordé à la nature dans la démarche surréaliste ? Puisque la recherche surréaliste entend ne pas se départir du sensible – du point de vue des moyens qu’elle se donne comme des fins qu’elle s’assigne – la nature doit-elle être considérée comme un objet de connaissance privilégié, susceptible de fournir une série de clés interprétatives ou comme un écran interposé entre le monde et le sujet, condamné à n’appréhender que de vaines surfaces ? La réponse semble avoir varié selon les circonstances 30et les champs dans lesquels s’est exercée la réflexion surréaliste, champ poétique, esthétique ou éthique. La pensée de Breton, qui paraît s’être chargée au sein du groupe de poser les termes du débat et d’y répondre – en acceptant de s’y essayer plutôt que de s’y résoudre1 – est à cet égard exemplaire, aussi lui accorderons-nous dans le chapitre qui suit un intérêt tout particulier.
Nous voudrions déterminer ici la place que les surréalistes attribuent au sensible et plus particulièrement au visible, dans la mesure où la vue constitue le premier mode d’accès à la nature – une nature qui demeure, avant d’être transformée en concept ou en représentation, une matière sensible. L’enjeu est d’arriver à comprendre comment la suspicion généralisée à l’égard de la vue fonde, dans les années vingt, le rejet de la nature pour examiner ensuite comment une telle méfiance peut s’accorder avec l’éloge des sens réitéré dans le combat contre le rationalisme et la logique. Une fois exposée l’ambiguïté de la position surréaliste à l’égard du visible, nous envisagerons les médiations qui permettent aux surréalistes d’accéder à une autre nature, par la voie du merveilleux, médiations qui contribuent souvent à nuancer leur position de principe. Parmi les discours et les médiations qui informent cette nature au second degré, nous montrerons que les surréalistes se livrent ici comme ailleurs à un travail de discrimination : les genres lus pendant l’enfance et les mythes génésiaques empruntés aux cultures primitives bénéficient ainsi d’un effort de légitimation, tandis que les représentations et les pratiques culturelles des années vingt et trente largement marquées par un imaginaire colonial sont violemment rejetées, en vertu de considérations éthiques et politiques. Enfin, puisque la perception demande à être dépassée et que l’enregistrement passif de la pensée caractéristique de l’automatisme 31est peu à peu concurrencé, avec l’évolution du mouvement, par la mise en œuvre d’un décryptage actif apte à favoriser la révélation2, nous étudierons les nombreuses déclinaisons du paradigme herméneutique et les dessous de la nature.
1 Il n’est pas rare de voir Breton concéder certaines contradictions, apparentes ou réelles, dans l’évolution de sa pensée, une pensée qu’il tient résolument à placer sous le signe du devenir. De telles concessions peuvent se faire sur un mode ironique, comme c’est le cas dans l’« Introduction au discours sur le peu de réalité », dans laquelle Breton s’amuse à anticiper en le pastichant le discours de ses détracteurs : « L’auteur de ces pages n’ayant pas encore vingt-neuf ans et s’étant, du 7 au 10 janvier 1925, date où nous sommes, contredit cent fois sur un point capital, à savoir la valeur qui mérite d’être accordée à la réalité […] on demande dans quelle mesure il sera plus affirmatif au bout de onze ans et quarante jours ». Point du jour, OC, t. II, p. 273. La concession peut également se transformer en revendication éthique comme dans la préface de Position politique du surréalisme. OC, t. II, p. 414.
2 Entendons par « révélation » un mode d’apparition semblable à la dynamique de l’illumination, mais aussi l’intentionnalité d’une opération patiente de déchiffrement.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-14352-9
- EAN : 9782406143529
- ISSN : 2260-7498
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14352-9.p.0029
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/03/2023
- Langue : Français