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Classiques Garnier

Introduction à la première partie

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Le Surréalisme au grand air. Tome II. Penser la nature
  • Pages : 29 à 31
  • Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 117
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406143529
  • ISBN : 978-2-406-14352-9
  • ISSN : 2260-7498
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14352-9.p.0029
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 15/03/2023
  • Langue : Français
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Introduction
à la première partie

En examinant dans le premier volume de cette étude les différentes manières dont les surréalistes ont tenu la nature à distance et les motifs de son incroyable plasticité dans le discours et les œuvres du groupe (Première Partie, « La nature sous contrainte »), nous avons vu quavant de la réactiver, il sest dabord agi de défigurer une idée qui, transformée en valeur, a dabord suscité un violent rejet. Parce que faire place à une nature, quelle quelle soit – paysages ensauvagés de la cité moderne, paysages de linconscient ou paysages didées – suppose daccepter certains codes de la représentation, nous avons également montré à quelles tensions obéissait lécriture surréaliste, farouchement opposée au descriptif, au roman et pourtant désireuse de rendre compte des découvertes du rêve et de linconscient. Il sagit moins désormais de sinterroger sur les conditions de possibilité dune écriture de la nature, sur les reliefs et les contours de ces paysages tantôt inventés, tantôt découverts, par limagination ou par le contact direct, que de sinterroger sur les conditions de possibilité dune connaissance de la nature, selon un angle dabord philosophique et esthétique.

Plutôt que de penser la nature en termes didentité ou de valeur, il sagit de lenvisager en termes relationnels, afin détudier lappréhension immédiate du sujet qui sy trouve confronté et, de manière plus déterminante, les conditions de possibilité dune telle relation. Quen est-il en effet du statut accordé à la nature dans la démarche surréaliste ? Puisque la recherche surréaliste entend ne pas se départir du sensible – du point de vue des moyens quelle se donne comme des fins quelle sassigne – la nature doit-elle être considérée comme un objet de connaissance privilégié, susceptible de fournir une série de clés interprétatives ou comme un écran interposé entre le monde et le sujet, condamné à nappréhender que de vaines surfaces ? La réponse semble avoir varié selon les circonstances 30et les champs dans lesquels sest exercée la réflexion surréaliste, champ poétique, esthétique ou éthique. La pensée de Breton, qui paraît sêtre chargée au sein du groupe de poser les termes du débat et dy répondre – en acceptant de sy essayer plutôt que de sy résoudre1 – est à cet égard exemplaire, aussi lui accorderons-nous dans le chapitre qui suit un intérêt tout particulier.

Nous voudrions déterminer ici la place que les surréalistes attribuent au sensible et plus particulièrement au visible, dans la mesure où la vue constitue le premier mode daccès à la nature – une nature qui demeure, avant dêtre transformée en concept ou en représentation, une matière sensible. Lenjeu est darriver à comprendre comment la suspicion généralisée à légard de la vue fonde, dans les années vingt, le rejet de la nature pour examiner ensuite comment une telle méfiance peut saccorder avec léloge des sens réitéré dans le combat contre le rationalisme et la logique. Une fois exposée lambiguïté de la position surréaliste à légard du visible, nous envisagerons les médiations qui permettent aux surréalistes daccéder à une autre nature, par la voie du merveilleux, médiations qui contribuent souvent à nuancer leur position de principe. Parmi les discours et les médiations qui informent cette nature au second degré, nous montrerons que les surréalistes se livrent ici comme ailleurs à un travail de discrimination : les genres lus pendant lenfance et les mythes génésiaques empruntés aux cultures primitives bénéficient ainsi dun effort de légitimation, tandis que les représentations et les pratiques culturelles des années vingt et trente largement marquées par un imaginaire colonial sont violemment rejetées, en vertu de considérations éthiques et politiques. Enfin, puisque la perception demande à être dépassée et que lenregistrement passif de la pensée caractéristique de lautomatisme 31est peu à peu concurrencé, avec lévolution du mouvement, par la mise en œuvre dun décryptage actif apte à favoriser la révélation2, nous étudierons les nombreuses déclinaisons du paradigme herméneutique et les dessous de la nature.

1 Il nest pas rare de voir Breton concéder certaines contradictions, apparentes ou réelles, dans lévolution de sa pensée, une pensée quil tient résolument à placer sous le signe du devenir. De telles concessions peuvent se faire sur un mode ironique, comme cest le cas dans l« Introduction au discours sur le peu de réalité », dans laquelle Breton samuse à anticiper en le pastichant le discours de ses détracteurs : « Lauteur de ces pages nayant pas encore vingt-neuf ans et sétant, du 7 au 10 janvier 1925, date où nous sommes, contredit cent fois sur un point capital, à savoir la valeur qui mérite dêtre accordée à la réalité [] on demande dans quelle mesure il sera plus affirmatif au bout de onze ans et quarante jours ». Point du jour, OC, t. II, p. 273. La concession peut également se transformer en revendication éthique comme dans la préface de Position politique du surréalisme. OC, t. II, p. 414.

2 Entendons par « révélation » un mode dapparition semblable à la dynamique de lillumination, mais aussi lintentionnalité dune opération patiente de déchiffrement.