[Introduction à la seconde partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Mythe et l’Exactitude. L’ordonnance de Villers-Cotterêts à l’époque moderne
- Pages : 315 à 316
- Collection : Bibliothèque d’histoire de la Renaissance, n° 23
Le programme législatif de la royauté était, selon les termes mêmes du préambule, de « pourvoir au bien de nostre justice, abbreviation des procès et soulaigement de noz subjectz ». La réforme de la justice lancée en 1539 s’accompagnait d’une volonté de remédier aux lenteurs judiciaires et à l’encombrement des cours. L’exigence de célérité, inscrite au frontispice de l’ordonnance de François Ier, se traduit par l’édiction de règles qui bouleversent l’ordre du procès tant civil que criminel1. La majeure part des dispositions peut en effet parfaitement être lue dans l’ordre que le législateur lui a assigné et qui, suivant chaque étape du procès – à l’exception notable de la phase de jugement en matière pénale –, forme un véritable code de droit processuel au sein de la structure d’ensemble2. Il s’agit des articles 5 à 128 et, pour le seul procès criminel, des articles 145 à 167. S’agissant du volet pénal du texte, un auteur anglais l’a d’ailleurs assimilé « à [l’un de] ces codes de procédures par lesquels les États européens modernes s’armaient » au début du xvie siècle3.
Remédier aux lenteurs de la justice est une exigence séculaire, qu’on trouve formulée tout au long de la période. Il n’est qu’à songer aux députés du tiers réunis à Orléans, qui réclamaient la mise en œuvre des moyens nécessaires pour « couper le chemin à toute longueur et affluence des procès4 ». On peut aussi renvoyer aux cinquante-deux mémoires qu’on a conservés de la consultation, en 1665, des conseillers d’État et de certains avocats par Louis XIV sur les réformes à apporter à la justice : la durée des litiges s’y révèle comme une source de préoccupation majeure5. Le 316titre XVII de l’ordonnance de 1667, intitulé « Des matières sommaires », entreprenait ainsi, en ses articles 6 à 11, de rendre la procédure civile « plus prompte, plus facile et plus sûre » par une simplification des procédures d’instruction6. Faciliter le cours de la justice fut donc une quête perpétuelle du législateur royal, et l’ordonnance de Villers-Cotterêts ne fit pas exception.
Tout au long de l’époque moderne, les juristes ont ainsi approuvé la nécessité d’une justice plus rapide. Ils ont crédité le législateur de 1539 d’avoir pour la première fois consacré l’exigence de célérité dans un acte royal. L’ordonnance révèle toutefois les risques de procès trop prompts au regard des garanties des droits de la défense inhérentes à l’expression même de la justice. Si le texte de François Ier assurait les conditions d’un débat contradictoire en matière civile, une célérité excessive au « grand criminel7 » comportait le risque de limiter trop drastiquement voire de porter atteinte aux droits de la défense. Le contradictoire supposait en effet que le procès fût gouverné par une véritable contestabilité8, et le volet pénal du texte fit l’objet d’une réception particulièrement mitigée tout au long de l’époque moderne, qui contribua à ternir durablement son image.
1 F. Roumy, « Les origines pénales et canoniques de l’idée moderne d’ordre judiciaire », op. cit., p. 314.
2 Le terme même de « code » reste évidemment sujet à débat pour la période. Sur cette notion, voir Y. Castan, « Les codifications pénales d’Ancien Régime », Le pénal dans tous ses états, op. cit., p. 279-286.
3 « those new and effective codes of procedure with which the modern European States were arming themselves ». V. Holdsworth, cité par J. Langbein,Prosecuting Crime in the Renaissance England, Germany, France, Harvard, 1974, p. 130. Holdsworth ne précisait pas quels étaient ces autres « codes de procédure », mais il s’agit sans doute, au moins, de la Caroline de 1532.
4 A. Rousselet-Pimont, op. cit., p. 331, note 220.
5 O. Chaline, Le règne de Louis XIV, op. cit., p. 495.
6 B. Garnot (dir.),La justice et l’histoire. Sources judiciaires à l’époque moderne (xvie, xviie, xviiie siècles), Paris, 2006, p. 182.
7 Les grandes ordonnances du xvie siècle ne sont en effet consacrées qu’à la procédure extraordinaire, le « petit criminel » n’étant évoqué que de façon indirecte, au travers de la possibilité de civiliser le procès. J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, Paris, 2000 ; 3e éd., Paris, 2014, p. 212.
8 M.-A. Frison-Roche, Généralités sur le principe du contradictoire. Droit processuel, Paris, 2014, p. 10-15. Nous distinguons dans cette partie le contradictoire des droits de la défense. En effet, comme l’écrit Marie-Anne Frison-Roche, une doctrine pénaliste majoritaire retient une succession dans le temps comme critère de détermination entre les deux notions : les droits de la défense régissent l’instruction préparatoire, le contradictoire domine quant à lui l’instruction définitive. Le volet criminel de l’ordonnance de 1539 n’ayant trait qu’à la phase d’instruction préalable, nous réservons donc au deuxième chapitre qui lui est consacré l’expression de « droits de la défense ». Par ailleurs, cette dernière est investie d’une force évocatoire qui la rattache presque nécessairement à la matière pénale.
- Thème CLIL : 3387 -- HISTOIRE -- Renaissance
- ISBN : 978-2-406-17016-7
- EAN : 9782406170167
- ISSN : 2264-4296
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-17016-7.p.0315
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 26/06/2024
- Langue : Français