Remarques sur les variantes du texte
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Concept d’organisation chez Saint-Simon
- Pages : 129 à 130
- Collection : Bibliothèque de l'économiste, n° 48
- Série : 1, n° 26
REMARQUES SUR LES VARIANTES
DU TEXTE
Rappelons que des textes sont au nombre de trois : Lettres d’un habitant de Genève à l’humanité, probablement antérieur au texte que nous venons d’étudier ; Lettre aux Européens, petit manuscrit non daté ; Essai sur l’organisation sociale – Extrait d’un ouvrage sur l’organisation sociale. Le texte intégral dont cet essai n’est qu’un résumé, a existé et a été retenu par la censure. Saint-Simon précisait que cet ouvrage avait pour « but d’utiliser l’idée produite par Condorcet1. »
Le contenu de ces trois textes ajoute-t-il quelque chose à celui des Lettres d’un habitant de Genève à ses contemporains ? Saint-Simon semble surtout insister sur le caractère politique du message qu’il prétend apporter à l’humanité. L’intervention des hommes de génie doit faire apparaître l’intérêt commun des gouvernés et des gouvernants. Il insiste également sur la liaison fonctionnelle qui lie les gouvernants et les propriétaires, ainsi que sur le « jeu de forces » qui maintient la société.
Les sociétés comme tout dans l’univers ne se conservent que par le jeu de forces qui se combattent, or l’opposition entre les gouvernants et les gouvernés ou ce qui est la même chose entre les propriétaires et les non-propriétaires, est le résultat de cette grande loi de la nature2.
Ce contexte explique le recours à la science, à la connaissance objective, pour résoudre les difficultés politiques. Les hommes de génie n’ont pas à jouer un rôle de moralistes, leur action est indirecte. C’est par la mise en évidence et par la diffusion des lois de la réalité qu’ils feront 130prendre conscience aux hommes des attitudes nécessaires. La morale ne peut pas prétendre à l’autonomie, elle ne peut prétendre dicter ses règles aux hommes, sans que ces règles soient en accord avec la réalité physique et sociale des hommes.
N’est-il pas raisonnable de conclure de tout ce qui vient d’être dit, qu’il n’a pu exister encore de bon système de morale et que toutes les conceptions d’organisation sociale, formées antérieurement à l’époque à laquelle les sciences particulières seront liées par un système général, ne pourront être qu’extrêmement vicieuses3.
Si ces variantes n’ajoutent pas d’éléments nouveaux au contenu des délires d’un habitant de Genève à ses contemporains, elles en concrétisent parfois les intentions. Saint-Simon y dégage l’idée d’une société obéissant à une loi immanente qui se manifeste à travers les forces qui se combattent au sein de la société, et à une histoire, l’une et l’autre échappant au pouvoir des hommes qui trouvent cependant dans la connaissance scientifique le moyen d’en comprendre la réalité et les bienfaits et d’en favoriser l’action.
1 La Lettre aux Européens ainsi que l’Essai sur l’organisation sociale, ont été publiés par A. Pereire, en même temps que les Lettres d’un habitant de Genève à ses contemporains, en 1925 chez Alcan. Pour la Lettre d’un habitant de Genève à l’humanité, on peut se reporter à l’étude de Paul E. Martin, « Saint-Simon et sa lettre d’un habitant de Genève à l’humanité » (1802-1803), Étude bibliographique, Revue d’histoire suisse, 1925.
2 Lettre aux Européens, I, p. 138.
3 Lettres d ’ un habitant de Genève à l ’ humanité, cité par P. E. Martin, Revue suisse, 1925, p. 496 [in Œuvres complètes, 2012, I, p. 966].