![La Revue des lettres modernes. 2024 – 6. Le Rire de Claude Simon - Avant-propos](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/SimMS09b.png)
Avant-propos
- Type de publication : Article de revue
- Revue : La Revue des lettres modernes
2024 – 6. Le Rire de Claude Simon - Auteur : Laurichesse (Jean-Yves)
- Pages : 11 à 13
- Revue : La Revue des lettres modernes
- Série : Claude Simon, n° 9
avant-propos
Claude Simon, comme Proust qu’il admirait, a la réputation d’être un auteur profondément « sérieux », quand il n’est pas jugé « ennuyeux », voire « illisible » par certains1. Formellement, la résistance que le texte simonien, par la densité et la complexité de son écriture, offre au lecteur, pourrait tendre en effet à inhiber le rire, qui nécessite une certaine détente, un abandon. Thématiquement, la vie de l’auteur a été jalonnée de drames (deuil des parents, épreuves de la guerre, suicide de sa première épouse, maladies), ce qui ne peut qu’assombrir une œuvre écrite pour une large part « à base de vécu ». Et pourtant, quel lecteur familier de Claude Simon n’a pas ri à la lecture de telle scène confinant au burlesque, de tel portrait en forme de caricature, de tel jugement d’une ironie féroce ? Et quiconque a assisté à des lectures publiques de textes de Claude Simon a pu remarquer que les rires fusent d’autant plus volontiers que la diction du lecteur libère les auditeurs de l’effort de lire, favorisant l’extériorisation du rire et créant une connivence avec le public.
Il n’en reste pas moins que le rire a été assez peu étudié par la critique simonienne. On citera cependant l’étude globale d’Alastair Duncan, « Satire, Burlesque and Comedy in Claude Simon2 », quelques articles consacrés à des œuvres particulières, comme celui de Didier Alexandre, « Rire, humour, ironie dans La Route des Flandres de Claude Simon3 », celui de Maurice Roelens, « Figures de la gouaille et de la raillerie dans Le Jardin des Plantes4 », ou mon propre article sur « Le rire du voyageur. 12Claude Simon en URSS5 », les analyses de Bérénice Bonhomme sur Claude Simon et le cinéma burlesque6, ainsi que la notice « Ironie » de Pierre Schoentjes dans le Dictionnaire Claude Simon7. Mais, malgré ces travaux qui ouvrent de nombreuses pistes, le sujet est loin d’être épuisé.
Ce nouveau numéro de la série Claude Simon vise donc à élargir et approfondir la compréhension des formes, des ressorts, mais aussi des effets et des enjeux du rire dans l’ensemble de l’œuvre, en englobant sous ce terme toutes les modalités discursives et génériques qu’il conviendra bien entendu ensuite de distinguer, qu’il s’agisse d’humour, d’ironie, de comique, de satire, de burlesque, de caricature, de raillerie, etc. On s’y intéressera aussi aux sources extérieures qui nourrissent le rire simonien : comédie, cirque, cinéma, caricature, ainsi qu’à la manière dont le rire se mêle ou se confronte constamment à d’autres registres, plus graves, voire tragiques, multipliant ainsi les variations tonales. On espère ainsi faire (re)connaître davantage un aspect de l’œuvre de Claude Simon qui contribue, bien plus qu’on ne le pense habituellement, au plaisir du lecteur.
Les deux premiers articles s’attachent à la dimension à la fois poétique et éthique (« poéthique ») du rire simonien. Alain Froidevaux montre comment l’écrivain, confronté au tragique de l’existence et de l’Histoire, fait de la dérision, très présente dans toute son œuvre, « une puissance de vie », débarrassée de ses connotations morales. Quant à Marie Hartmann, c’est autour d’une autre notion centrale, la facétie, qu’elle organise sa lecture du Jardin des Plantes, roman dans lequel elle perçoit une inflexion plus ludique du rire simonien, privilégiant l’humour.
Les deux articles suivants sont consacrés à un même roman, Triptyque, que l’on n’attendait pas forcément sur un tel sujet, tant il est réputé « formaliste », mais dans lequel apparaît de manière récurrente le thème du cirque. Michel Bertrand l’étudie sous l’angle de l’affiche, élément du vaste jeu d’images en quoi consiste le roman et qui, par sa matérialité comme par ses stéréotypes, dit le monde comme spectacle d’un comique empreint d’amertume. David Zemmour analyse quant à lui 13l’inscription de la « série des clowns » dans le dispositif du roman, avant de s’intéresser à la figure éminemment culturelle du clown et à ce qu’elle dit de la condition de l’homme, voire de l’artiste lui-même.
Les deux derniers articles du dossier concernent l’intertextualité et l’intermédialité. Partant des références balzaciennes avec lesquelles Claude Simon joue dans Le Vent, j’étudie pour ma part ce roman, ainsi que Le Tramway, comme « comédie humaine », satire théâtralisée de la « vie de province », avec dans le premier un clin d’œil supplémentaire vers la comédie baroque. Brigitte Ferrato-Combe s’interroge quant à elle sur un paradoxe apparent : Claude Simon, qui fut d’abord peintre et en garda toujours la nostalgie, tend la plupart du temps à faire rire des personnages de peintres, réels ou fictifs, par une forme indirecte d’autodérision.
Ces six études, si elles ne prétendent pas à l’exhaustivité, démontrent que le rire de Claude Simon, qui résonne en effet d’un bout à l’autre de l’œuvre selon des modulations variées, est indissociable d’une mélancolie largement étudiée par ailleurs, mais que, faute de pouvoir la guérir, il contribue à alléger, en une dialectique qui pourrait bien être l’un des moteurs de la création.
Le dossier sur « Le rire de Claude Simon » est suivi d’une section « Études et recherches », qui aborde deux aspects très différents, mais complémentaires, de l’œuvre simonienne. Joëlle Gleize s’intéresse à la manière dont Claude Simon, dans Les Géorgiques, travaille avec un matériau potentiellement « romanesque » pour créer une forme moderne, mais qui n’en reste pas moins hantée par ce romanesque même, pour le plus grand plaisir du lecteur. C’est au contraire le versant plus « formel » de l’œuvre qu’analyse Ilias Yocaris dans une étude très fouillée de La Bataille de Pharsale qui, à la lumière de la physique quantique et de la notion de « multistabilité », en déplie la fascinante complexité.
Jean-Yves Laurichesse
1 Claude Simon fait lui-même état de ces critiques, non sans humour, au début de son discours de prix Nobel : « Laissons de côté les griefs qui m’ont été faits d’être un auteur “difficile”, “ennuyeux”, “illisible” ou “confus” […] » (DS, 889).
2 In Jean Duffy et Alastair B. Duncan (dir.), Claude Simon. A Retrospective, Liverpool University Press, 2002.
3 Littératures contemporaines, no 3, « Claude Simon : autour de La Route des Flandres », 1997.
4 In Jean-Yves Laurichesse (dir.), « Le Jardin des Plantes » de Claude Simon, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, « Cahiers de l’Université de Perpignan », no 30, 2000.
5 In Anne Chamayou et Alastair B. Duncan (dir.), Le Rire européen, Perpignan, Presses Universitaires de Perpignan, 2010.
6 Bérénice Bonhomme, Claude Simon. La passion cinéma, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2011.
7 In Michel Bertrand (dir.), Dictionnaire Claude Simon, vol. I, Paris, Champion, 2013.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-17220-8
- EAN : 9782406172208
- ISSN : 0035-2136
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-17220-8.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 17/07/2024
- Périodicité : Mensuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : littérature française du XXe siècle, Nouveau Roman, comique, humour, ironie, satire, burlesque, caricature, cirque