![La Représentation contre la démocratie. De Thomas Hobbes à John Stuart Mill - [Introduction à la deuxième partie]](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/UlnMS01b.png)
[Introduction à la deuxième partie]
- Publication type: Book chapter
- Book: La Représentation contre la démocratie. De Thomas Hobbes à John Stuart Mill
- Pages: 135 to 136
- Collection: The Ancient and Modern - Studies in Philosophy, n° 62
Chez Hobbes, nous l’avons vu, la représentation se présente à la fois comme un concept opératoire et comme un concept stratégique. Opératoire, parce qu’il permet d’articuler le peuple et le souverain de sorte que le premier n’existe que par sa mise en représentation dans le second. Stratégique, parce que la passivité à laquelle il réduit le peuple lui permet de rendre contradictoire l’idée de « souveraineté populaire ». Le xviiie reconduit cet usage opératoire et stratégique du concept de représentation. Mais le contexte politique et théorique a changé. Et s’il s’agit toujours d’utiliser la représentation contre la possibilité d’un peuple qui soit un acteur politique authentique, il devient difficile de n’accorder aucune place au « peuple souverain ». Le modèle de Hobbes, ne serait-ce que parce qu’il soutient l’absolutisme royal, n’est donc pas directement mobilisable par les fondateurs des régimes représentatifs. Quant à la philosophie rousseauiste, en dépit des appropriations dont elle fera l’objet, elle ne saurait permettre de penser l’association de la représentation et de la souveraineté du peuple, puisque c’est précisément sur celle-ci que porte l’interdit.
D’autres modèles se développent toutefois, qui permettent de penser conjointement la souveraineté du peuple comme consentement au pouvoir politique, et la mise en sommeil de tout pouvoir populaire réel par le recours au dispositif représentatif. Cette manière de concevoir le recours à la représentation politique, qui se diffuse largement au sein des écrits des fondateurs des régimes représentatifs, se rencontre d’abord dans l’œuvre de Montesquieu. Le premier en effet, il fait du gouvernement représentatif le régime des Modernes – renvoyant la démocratie à l’Antiquité. C’est que la découverte enthousiaste de l’Angleterre et de son modèle constitutionnel marque profondément son appréhension des questions politiques, alors même son séjour dans les Républiques italiennes le conduit à contredire la vertu qu’il leur prêtait dans les huit premiers livres de l’Esprit des lois1. Sa pensée, en retour, agira de manière déterminante sur les acteurs de la Révolution américaine. La manière dont il articule représentation et démocratie dans l’Esprit des 136lois possède par conséquent une postérité considérable. Aussi importe-t-il d’abord de s’arrêter sur la façon dont il a rendu pensable un régime de souveraineté du peuple tel que son articulation à la représentation exclut toute référence au gouvernement démocratique, comme toute référence à un peuple actif.
Conçu comme un mécanisme politique d’une grande efficacité, le concept de représentation ne fait pourtant pas l’objet d’une élaboration conceptuelle serrée chez Montesquieu. Il n’en reste pas moins un concept opératoire, qui permet de désigner le peuple comme l’origine d’un pouvoir qu’il n’exerce pas. C’est son coup de maître : faire du peuple le fondement d’un pouvoir qu’il ne lui appartient pas d’exercer. Autrement dit, alors que Hobbes s’attachait à rendre impossible jusqu’à l’idée de « souveraineté du peuple », celle-ci devient possible chez Montesquieu, à condition que le pouvoir qu’elle désigne ait perdu toute effectivité – ce que rend possible le dispositif représentatif. Ainsi assiste-t-on à une nouvelle articulation des idées de souveraineté du peuple2, de démocratie et de représentation, qui isole la démocratie et lui oppose un pouvoir du peuple dont l’exercice est médiatisé par la représentation. En outre, en normalisant le recours à la représentation, Montesquieu participe à l’inscription durable de l’idée que ce n’est pas le rôle du peuple que de participer au pouvoir politique. De la sorte, il contribue à enraciner le rejet du gouvernement démocratique comme impropre aux nations modernes. C’est dans ce vocabulaire que se déploiera ensuite la tradition du gouvernement représentatif. Comprendre le mouvement qui part du xviie siècle anglais et qui aboutit, au xixe siècle, à la stabilisation des gouvernements représentatifs, passe donc par l’élucidation de ce moment charnière d’élaboration pratique et théorique des gouvernements représentatifs.
1 Joseph Dedieu, Montesquieu et la tradition politique anglaise en France : les sources anglaises de l’Esprit des lois, op. cit.
2 Il serait toutefois plus correct de parler de « pouvoir du peuple », ou de « puissance souveraine », car Montesquieu, qui se méfie de l’idée de souveraineté, limite par conséquent grandement l’usage qu’il fait de la notion.
- CLIL theme: 3916 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Histoire de la philosophie
- ISBN: 978-2-406-16849-2
- EAN: 9782406168492
- ISSN: 2260-8311
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-16849-2.p.0135
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-12-2024
- Language: French