Résumés
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : La Personne, fortunes d’une antique singularité juridique
- Pages : 251 à 255
- Collection : POLEN - Pouvoirs, lettres, normes, n° 25
Résumés
Alain Le Gallo, « La notion de personne. Un parcours »
La notion de personne a une histoire dont ce colloque a exploré quelques étapes, depuis ses lointaines origines romaines jusqu’à sa sacralisation contemporaine, notamment sous la forme des droits de l’homme, en passant par la laborieuse constitution de la personne divine, puis humaine, dans son essence, puis en acte, dans son extension et dans ses limites. Ce parcours se prolonge et se complique encore de la contestation même de cette notion, à l’intérieur ou hors de sa culture d’origine.
François Saint-Bonnet, « Propos liminaire »
Certaines cérémonies de vœux religieux s’apparentent à un rite mortuaire, au cours duquel le voile fonctionne comme un symbole d’effacement et de renaissance, un changement de masque qui rappelle l’ancienne multiplicité des rôles assumés par la personne. Mais la personne contemporaine s’affranchit de toute pression collective, verticale ou horizontale, lignée ou clan, de toute mascarade – du moins le croit-elle, car les nouveaux réseaux sociaux les voient ressurgir sous d’autres formes.
Michèle Ducos, « Personne et droit dans le monde romain »
Persona désigne d’abord au théâtre le masque, puis le personnage et le rôle. Appliqué à la vie politique romaine, il indique ensuite le rôle assumé par un personnage d’autorité. Dès la République, il désigne chez les juristes l’être humain intervenant dans une affaire, puis chez les philosophes, le caractère propre de l’être humain. Enfin, sous le principat, se développe la notion de ius humanum qui conduit à respecter autrui en tant qu’homme. Ainsi évolue dans le temps cette notion complexe.
252Émilia Ndiaye, « Le barbare bégayeur et l’orateur romain. Évolution d’une identité fondée sur l’altérité »
Les notions d’altérité et d’identité dans la constitution de la personne à Rome sont complexes. Les Romains passent de la dualité Grecs – ennemis perses à une opposition ternaire, accentuant la différence entre eux et le « bégayeur » sur tous les plans, linguistique, politique, moral… Cette altérité radicale se trouble par la suite, le Romain pouvant se révéler barbare dans ses comportements, les barbares de l’Empire devenant citoyens romains – sans oublier la nouvelle donne du christianisme.
François Ploton-Nicollet, « Sacralité et mise en scène de la personne impériale à Rome »
Médiateur entre hommes et dieux comme Pontifex maximus, l’empereur est un personnage à part dans la société romaine, et ce dès les débuts du principat. S’il n’est pas dieu lui-même, il peut être fils de dieu, devenir dieu après sa mort, et faire de son vivant l’objet de célébrations rituelles dans les provinces. Cette contradiction se résout dans la cohérence d’une sacralité multiple, variable selon les circonstances, mais toujours mise en scène dans l’iconographie et la littérature.
Arnaud Perrot, « La Trinité avec ou sans Personnes ? La mobilité du vocabulaire trinitaire chez Basile de Césarée »
Si dans le langage théologique Père, Fils et Saint-Esprit sont traditionnellement désignés comme les Personnes de la Trinité, l’expression occulte les débats suscités par les multiples solutions lexicales proposées pour exprimer la pluralité en Dieu. On reconnaît habituellement à Basile de Césarée le mérite d’avoir, face à cette profusion de formules, proposé une solution technique fixant l’expression du mystère trinitaire, et ainsi purifié le langage doctrinal de son temps.
Matthieu Cassin, « Comment définir l’être humain – nature, individu, personne ? Recherche à partir des textes grecs chrétiens de l’Antiquité tardive »
Grégoire de Nysse situe la nature au niveau de l’universel, tandis que la personne se limite au niveau d’un atome individuel de cet universel, défini 253par un faisceau de propriétés ; les personnes divines, paradoxalement, peuvent être délimitées de manière plus complète, parce qu’elles sont stables et sans changement, contrairement à la nature humaine. La réflexion sur la relation entre les personnes divines conduit également à une réflexion sur les modalités de la filiation de l’homme à Dieu.
Pierre Magnard, « La notion de personne en théologie »
La « personne », point de fuite de la grammaire, serait une présence par défaut, le visage absent d’Ulysse, « présence en défaut ». Derrière le rôle, se donne en profondeur à lire le modèle trinitaire qui traduit la vie en Dieu. La lecture de saint Augustin informe ce désir en l’homme de ce qui est « sans visage, sans forme et sans nom : personne » (Christian Bobin).
Bénédicte Mathonat, « Personne et nature humaine chez Thomas d’Aquin »
La perfection de l’individualité dans la nature rationnelle caractérisant la « personne » peut-elle s’appliquer à l’homme en tant que tel ? Le parti pris par Thomas d’Aquin dans la dispute médiévale sur l’intellect séparé répond à ce questionnement : si la nature rationnelle en l’homme permet de lui donner le titre de personne, c’est en raison de son unité substantielle de corps et d’âme. Prise de position capitale pour l’anthropologie, excluant toute mise à l’écart de l’ordre corporel humain.
Enrique Martínez, « Le constitutif formel de la personne chez les commentateurs de saint Thomas d’Aquin »
Si la réflexion métaphysique et théologique sur l’être personnel développée par Thomas d’Aquin est reconnue comme élément structurant de la culture occidentale, déterminer ce qui constitue formellement chez lui la personne est tâche difficile. Il n’est donc pas étonnant de trouver des positions diverses chez ses commentateurs, Capréolus pour qui le constitutif est l’esse, Cajétan pour qui il s’agit de la subsistentia, enfin Johannes Baptist Lotz pour qui la conscience constitue la personne.
254Michel Boyancé, « Le personnalisme contemporain et la question du bien commun »
Face à la montée de l’individualisme puis du totalitarisme, les philosophes personnalistes ont souhaité parler de primauté de la personne plutôt que de primauté du bien commun. L’intention était de rappeler la nature spirituelle de la personne, son éminente dignité, sa destinée irréductible à l’univers matériel et au politique. Mais peut-on réduire le bien commun à une finalité secondaire, à l’heure où il revient dans la réflexion comme une solution à la domination de l’intérêt général ?
Jean-Marc Joubert, « Marxisme et théorie de la personnalité »
Le marxisme n’est pas tenu pour une « conception scientifique » du monde laissant beaucoup de place à l’individu. Marx écrivait : « L’essence humaine n’est pas une abstraction inhérente à l’individu pris à part ». Mais aussi : « Les individus sont toujours partis d’eux-mêmes […] dans le cadre de leurs rapports historiques donnés ». L’article présente la pensée de Lucien Sève qui a su investiguer à la fois les « formes historiques de la personnalité » et l’autonomie réelle des individus.
Marion Delavaud-Souchet, « Le dit et le dire. La personne et son acte de langage »
La personne est présente, en creux et en charme, séductrice, dans la pragmatique du dire. La grammaire permet de traquer ces indices de séduction, dans l’acte même du langage.
Laure Meesemaecker, « L’énonciation arborescente, le nouvel art poétique et la grammaire métaphysique de la personne chez l’orientaliste Louis Massignon »
L’autofiction mystique et romanesque de Louis Massignon est un modèle visionnaire et inconscient du biographique sans la biographie, qui le rapproche aussi bien des Goncourt que de Roland Barthes. Ce qu’elle a d’unique est emprunté à la fois aux écrivains de la Bible (Blaise Pascal et Léon Bloy) et à sa lecture amoureuse des mystiques arabes, composant une grammaire métaphysique de la Personne qui est, selon ses propres mots, « cohérente et coalescente ».
255Alain Le Gallo, « Soupçons sur le personnage littéraire. Le cas Sarraute »
Dans L’Ère du soupçon, en 1956, Sarraute a vigoureusement récusé la pertinence d’une incarnation romanesque de la personne, et contesté qu’elle puisse justifier une intrigue en forme d’étude de la personnalité. Mais dans sa pratique narrative elle a pour le moins pris des libertés avec ses principes. Ce « soupçon » que dans ses romans comme dans son œuvre critique Sarraute fait ainsi peser sur le personnage va-t-il, peut-il aller plus loin que la recherche d’une originalité formelle ?
Éric Pomès, « Actions et droits humanitaires »
La distinction personne/persona renouvelle le débat entre États appelant à un ordre international humanitaire et la majorité des autres, pour laquelle cette évolution constitue une nouvelle forme de colonialisme. En effet, l’avènement des droits de l’homme, parachevant l’introduction de la « personne » en droit des gens et justifiant sa protection au travers des actions humanitaires, implique un retour de la persona qui confirme le cheminement du droit international vers plus d’humanité.
François Saint-Bonnet, « Fichiers, données numériques, big data. L’absorption de l’individu par la personne »
La modernité postule un individu libre des contraintes non indispensables à sa sécurité : un être singulier, non une personne. Pourtant, l’utilisation généralisée du « fichage » par les États et les entreprises multinationales conduit à renverser ce paradigme. Le « fiché » est une personne, non un individu, l’appréhension sociale de son être précédant et supplantant l’appréciation de son impénétrable singularité. La post-modernité se montre ainsi moins hyper-individualiste qu’il n’y paraît.
Emmanuel Brochier, « Les robots pourraient-ils devenir des personnes responsables ? »
Peut-on étendre le terme de « personne » à des artefacts ? Puisqu’il a pu s’employer pour Dieu et pour l’homme, dont les intelligences sont sans commune mesure, pourquoi le support d’une intelligence artificielle responsable d’actions non programmées par l’homme ne serait-il pas lui aussi désigné comme une personne ? Une telle hypothèse engage cependant des positions transhumanistes, postule un matérialisme qui rend inconsistant le terme de « personne », et relève de l’abus de langage.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11452-9
- EAN : 9782406114529
- ISSN : 2492-0150
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11452-9.p.0251
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 28/07/2021
- Langue : Français