Chronologie
- Publication type: Book chapter
- Book: La Pédagogie dans le boudoir. Heurs et malheurs de Félicité de Genlis
- Pages: 187 to 209
- Collection: Masculine/ Feminine in Modern Europe, n° 32
- Series: xviiie siècle, n° 14
CHRONOLOGIE
25 janvier 1746
Naissance de Caroline-Stéphanie-Félicité Ducrest (parfois écrit « Ducrest ») au manoir familial de Champcery, situé sur la commune d’Issy-l’Évêque, près d’Autun. Elle est fille de Pierre-César Ducrest, Seigneur de Champcery et de Marie-Françoise-Félicité de Mauguet de Mézières. Elle est également la sœur aînée de Charles-Louis1, né le 23 avril 1747.
Entre 1748 et 1751
Opérations d’investissement foncier de Pierre-César Ducrest : vente de Champcery, achat de la baronnie de Bourbon-Lancy et du fief de Saint-Aubin-sur-Loire. Ces démarches spéculatives déraisonnables entraînent par la suite de graves difficultés économiques pour la famille.
1752
Les Ducrest ne s’occupent pas trop de l’éducation de leurs enfants. Ce n’est qu’à cette époque que Félicité Ducrest et son frère sont confiés à leur première maîtresse, mademoiselle Dugon, l’institutrice du village. Peu après, Charles-Louis Ducrest est envoyé dans l’un de meilleurs internats de Paris pour sa formation, la pension du Roule, dirigée par M. Bertaud.
1753
La mère et la fille se rendent à Paris et fréquentent Charles-Guillaume-Borromée Lenormant d’Étioles, le mari de celle qui est devenue Madame de Pompadour, pour, subrepticement, faire financer 188les achats immobiliers de la famille. Lenormant d’Étioles vit avec une charmante veuve, cousine de Pierre-César Ducrest, Catherine Chaussin d’Hurly, marquise de Bellevaux, ce qui leur donnait un alibi parfait pour les fréquenter. Madame de Bellevaux aurait eu avec Lenormant d’Étioles les deux filles qu’elle éleva et qu’elle fit adopter par des cousins pour éviter le scandale.
Pendant son séjour à Paris, Félicité Ducrest reçoit des leçons de maintien, elle est baptisée à Saint-Eustache, assiste à l’opéra et joue, avec grand succès, des comédies devant Lenormant. Tels sont les débuts en société de la jeune Félicité et ses premiers apprentissages des usages du monde, avec ses lumières et ses ombres. Le financier accepte finalement de payer l’emprunt de Pierre-César Ducrest ; la médiation de celui-ci dans l’adoption des filles illégitimes de Lenomant et de la marquise de Bellevaux, auxquelles il a été fait allusion ci-dessus, favorise sans doute l’obtention de ces avantages.
Automne 1753
Quittant Paris pour Saint-Aubin, la fille aînée de madame de Bellevaux, de même que Félicité Ducrest, sont reçues chanoinesses au chapitre noble de Saint-Denis d’Alix, dans le Lyonnais. La jeune Ducrest porte à partir de ce moment-là le titre de comtesse de Lancy, qu’elle garde jusqu’à son mariage. Les nombreux passages par des couvents vont fonctionner dans la biographie genlisienne comme des moments de renaissance à une nouvelle vie, des périodes de changement radical.
De retour au vieux château, on donne à la nouvelle comtesse une institutrice bretonne, Mlle de Mars, fille de l’organiste de Vannes. Ayant des connaissances réduites, la jeune enseignante se limitera à révéler à son élève les charmes de la religion, de la musique ainsi que ceux de l’amitié.
1756
Les dettes de la famille empêchent les travaux à Saint-Aubin qui menace de ruine. Il devient nécessaire d’abandonner les lieux. À la fin de l’été, mère et fille se rendent de nouveau à Paris chez la cousine Bellevaux, où Félicité, une fois de plus, brillera par ses talents. La jeune fille, consciente de ses diverses capacités et de l’importance de les développer, travaille de manière autodidacte à sa formation, jusqu’à l’exténuation, pour essayer de calmer son immense soif d’apprendre.
1891757-1758
Vente de la seigneurie de Saint-Aubin et de la baronnie de Bourbon-Lancy à Lenormant d’Étioles. Il fait une excellente affaire mais a la générosité de permettre à Pierre-César Ducrest de conserver la jouissance des titres nobiliaires. La famille s’installe rue Traversière Saint-Honoré.
1759
La mère et la fille commencent à fréquenter le fermier général Alexandre-Jean-Joseph Le Riche de La Popelinière, âgé de soixante-sept ans, qui tombe amoureux de la jeune fille de treize ans. Félicité de Lancy ne semble pas choquée par ses approches (même quand elle les évoque du haut de ses quatre-vingts ans, dans ses Mémoires), mais elle est encore trop jeune pour l’épouser. Les deux femmes finissent par s’installer chez lui, et Félicité profite de la sympathie et de la générosité du bon vivant pour continuer sa formation. À cette époque, La Popelinière est entouré de parasites et quémandeurs, qui se pressent dans ses demeures de la rue de Richelieu ou de Passy2, car sa prodigalité est devenue légendaire. C’est dans la résidence du fermier général, à Passy, que la comtesse de Lancy entend jouer de la harpe pour la première fois, et qu’elle reçoit ses premières leçons de la main de George-Adam Goepfert (qu’elle appelle « Gaiffre »). Le mariage de l’hôte avec Marie-Thérèse Mondran, fille de l’urbaniste de Toulouse, le 31 juillet 1759 pousse les femmes Ducrest à s’installer rue Neuve-Saint-Paul. Mère et fille y ouvrent un salon littéraire et musical, où elles reçoivent, entre autres, Marmontel, Rameau, Vanloo, Riccoboni ou Bertin. Dans cette société choisie, la jeune comtesse déploie ses talents musicaux : clavecin, musette, guitare et, par-dessus tout, harpe. Stimulée par ces succès, Félicité de Lancy travaille et répète sans relâche.
Pierre-César Ducrest part pour Saint-Domingue dans un effort pour redresser sa fortune, mais il est pris par les Anglais avec tous ses gains : la guerre de Sept Ans bat son plein. Conduit à la prison anglaise de Launceston, il y rencontre un jeune officier de la Marine appelé Charles-Alexis Brûlart, comte de Genlis, également pris par les Britanniques lorsqu’il revenait de Pondichéry, où il a commandé un régiment. Pendant leur captivité, le comte de Genlis voit un petit portrait de la fille de son compagnon de prison et il en tombe amoureux immédiatement.
1901763
Charles-Alexis Brûlart, libéré par l’intervention de son oncle, Monsieur de Puisieux, ministre des affaires étrangères de Louis xv, s’occupe, dès son arrivée à Paris, de la délivrance de Pierre-César Ducrest, qui, grâce à lui, se produira peu après. À son arrivée, ne pouvant répondre aux demandes de ses créanciers, Pierre-César Ducrest est enfermé à la prison parisienne de For-l’Évêque. Sa famille (et en particulier madame de Montesson3, sœur de la mère de madame de Genlis qui est priée d’intervenir), ne lui vient pas en aide. Il est finalement libéré, probablement parce que ses dettes furent payées par son futur gendre ; mais le patriarche des Ducrest meurt la même année.
8 novembre 1763
Mariage secret à l’église de Saint-André-des-Arts de Félicité de Lancy et Charles-Alexis Brûlart de Sillery. La nouvelle fait scandale dans le tout-Paris, car le neveu du ministre était destiné à un mariage avec une fille d’une famille plus titrée et fortunée. La famille de l’officier, de même qu’une bonne partie de la société de l’époque, ferment leurs portes au jeune couple. La seule exception est le marquis de Genlis, frère du marié, qui les accueille au château familial de Genlis (actuellement Villequier-Aumont4), dans le département de l’Aisne. Les nouveaux mariés y passent une longue période. Félicité Brûlart en profite pour s’initier au dessin, jouer de la harpe, s’exercer à l’écriture, lire les ouvrages de la bibliothèque du château et continuer sa formation en réalisant des résumés de ses lectures.
Le mariage du marquis de Genlis avec la jeune Mlle Villemeur (Jeanne-Maurice-Pulchérie de Riotor de Villemur5), de quinze ans, permet un premier contact, bien que distant, de la comtesse avec les autres membres de la famille de son mari (notamment Monsieur de Puisieux, l’oncle de son mari). Une vive amitié lie la nouvelle marquise à sa belle-sœur. Leurs contemporains, et la postérité, ont souvent confondu les comtes et les marquis de Genlis, ce qui a provoqué de grandes équivoques6.
1911765
Le ménage de Charles-Alexis et Félicité Brûlart s’installe, avec les marquis de Genlis, à Paris, rue Saint-Dominique, et il s’ouvre au monde. Le comte et la comtesse fréquentent, entre autres, Jean-Jacques Rousseau, qui finit par se brouiller avec le jeune couple par une mauvaise interprétation de leur générosité. Félicité Brûlart écrit Confessions d’une mère de vingt ans7, repris dans Adèle et Théodore, et un roman intitulé Les Dangers de la célébrité, aujourd’hui disparu. Le 4 septembre, Genlis accouche de son premier enfant, Caroline Brûlart. Grâce à cet heureux événement, les portes de sa belle-famille s’ouvrent définitivement et elle est même présentée à Louis xv et Marie Leszczynska : la présentation à la cour aurait dû avoir lieu lors du mariage, mais la mésentente avec la famille de son mari la retarda de deux ans.
1767
Naissance de la deuxième fille du comte et de la comtesse de Genlis, Pulchérie Brûlart. Le cercle des relations de Félicité de Genlis s’élargit grâce à sa singulière liaison avec sa tante, madame de Montesson, qui la présente aux grandes dames parisiennes. Tante et nièce brillent ensemble sur les scènes des théâtres de société du moment, au point que Nicolas de Chamfort les situe l’une et l’autre parmi les huit plus grandes comédiennes du siècle. Genlis contribue aux jeux de séduction de sa tante et de Louis-Philippe, duc d’Orléans, dit « le Gros », notamment à Villers-Cotterêts ; elle y rencontre le fils de son hôte, le duc de Chartres, futur Philippe-Égalité. D’un premier sentiment d’animadversion envers cet homme qui est réputé libertin, elle évolue vers l’amitié et, de là, à un amour caché.
1921768
Naissance de Casimir, troisième enfant de Genlis.
Juin 1772
Genlis entre au Palais-Royal comme « dame pour accompagner » la duchesse de Chartres, née Louise-Marie-Adélaïde de Bourbon-Penthièvre. Son mari est nommé capitaine des Gardes du duc de Chartres. Bientôt la jeune duchesse ne peut plus se passer de sa dame de compagnie, qui, par ses talents, exerce sur elle un contrôle absolu. En même temps, la relation avec le duc prend forme et bientôt Genlis va également maîtriser le galant, qui était un des hommes les plus séduisants de son temps. Le témoignage de cette passion est resté sous la forme de lettres amoureuses échangées par le couple entre 1772 et 1773 (lors d’un séjour de Genlis à Forges-les-Eaux, où elle accompagnait la duchesse de Chartres8) et publiées par Gaston Maugras en 1904. Ces lettres évoluent au fur et à mesure que les amoureux prennent conscience d’être espionnés par la police secrète du roi. L’écriture de Genlis reste pour toujours marquée par cette sensation d’être toujours observée, d’être « publique » et d’avoir des ennemis toujours aux aguets (une perception certainement justifiée, d’ailleurs).
1772-1773
Genlis prend parti ardemment pour Gluck dans la grande querelle entre gluckistes et piccinistes, ce qui lui coûte des amitiés, mais la consacre comme autorité dans le domaine de la musique. Mort de son fils Casimir. À cette époque elle prend congé pour réaliser un voyage à Bruxelles ; à juger par la durée de celui-ci et par la tenue en « pet en l’air » qu’elle-même avoue avoir utilisé en public, elle aurait pu en profiter pour cacher une possible grossesse, sûrement celle de la fille qui par la suite sera connue sous le nom de Paméla.
1773
Mariage morganatique du duc d’Orléans, « le gros », avec Madame de Montesson. La nouvelle secoue la maison d’Orléans et la cour. Le duc de Chartres exprime son mécontentement face à cette union dans sa correspondance avec Genlis, qui le conseille sur les démarches à suivre.
1935 octobre 1773
Naissance du duc de Valois, le futur roi Louis-Philippe, fils du duc et de la duchesse de Chartres.
1774
Genlis, soucieuse de préserver son influence au Palais-Royal, décline l’invitation de Marie Antoinette de venir jouer de la harpe dans ses concerts particuliers de Versailles9.
1775
Suite à une maladie (elle prétend avoir, pour la deuxième fois, la rougeole) Félicité de Genlis se retire à Spa, ville d’eau à la mode située dans l’actuelle Belgique. On ignore si effectivement elle a été à l’article de la mort comme elle le prétend, ou si elle a accouché à Spa à la fin du mois de juillet 1775. Elle réalise par la suite un voyage en Suisse à l’occasion duquel elle fait étape à Ferney et rencontre Voltaire ; si, plus tard, elle renie opiniâtrement ses liaisons avec les philosophes, ces échanges s’avèrent très amicaux à leurs débuts.
Parallèlement, la duchesse de Chartres met au monde un deuxième fils, le duc de Montpensier, le 3 juillet.
1776
Genlis entre dans la franc-maçonnerie, dans la maison de la Folie Titon, à l’instigation du duc de Chartres. Voyage en Italie de Louise-Marie-Adélaïde de Bourbon, duchesse de Chartres, accompagnée par Genlis, la comtesse de Rully et les comtes de Genlis et de Foissy. Ce voyage est entrepris sans la permission royale qui était de rigueur pour les voyages des Princes. Tout semble être parti d’une impulsion de Genlis, désireuse de connaître l’Italie. La duchesse de Chartres, sous le nom de comtesse de Joinville, visite entre autres, avec sa suite, les villes de Gênes, Rome, Naples et Parme. Ce voyage inattendu provoque des cabales quelques années plus tard.
25 août 1777
La duchesse de Chartres accouche de deux jumelles, Mlle d’Orléans et Mlle de Blois. Il est convenu que Genlis prendra en main l’éducation des filles du duc et de la duchesse dès qu’elles quitteront le berceau et que, pour 194ce faire, elle s’installera avec elles dans un couvent. Le duc fait construire un petit bâtiment appelé pavillon de Chartres ou pavillon de Bellechasse, sur le terrain des chanoinesses du Saint-Sépulcre, au Faubourg Saint-Germain. Il est érigé par Bernard Poyet dans un style néo-classique, et dessiné et décoré, à des fins pédagogiques, par Félicité de Genlis, laquelle s’y installe avec les deux fillettes en avril 1779. La gouvernante des jeunes princesses, d’après ses déclarations, est la première femme à avoir un bureau dans ce pavillon, ce qui choque ses contemporains et la transforme en cible de mille railleries. Avec sa « claustration », suivant les pas de son modèle, Madame de Maintenon, elle prétend mettre un terme à l’étape mondaine de sa vie.
Jusqu’à son entrée à Bellechasse, cherchant à consolider la réputation de ses talents, Genlis démultiplie ses interventions sur les scènes des théâtres de société, souvent dans des pièces écrites par elle-même. Diderot, d’Alembert, La Harpe et Marmontel, entre autres, demandent à assister à ces représentations. Elle expose de même son esprit dans les soupers intimes du Palais-Royal, s’érigeant en figure de proue de cette société. D’autre part, ses petits gestes politiques la rendent de plus en plus opposée à Versailles, et en particulier à Marie-Antoinette.
En cette même année, Laclos apparaît dans le milieu des lettres parisien sans beaucoup de succès, en adaptant à la scène Ernestine, une histoire tirée d’un roman de Marie-Jeanne Riccoboni, sous forme d’opéra-comique.
Juillet 1779
Genlis fait paraître son Théâtre à l’usage des jeunes personnes, un ensemble de pièces à fin didactique et morale. Tout Paris lit l’œuvre, qui est célébrée par Grimm et D’Alembert.
7 octobre 1779
Naissance du troisième garçon des ducs de Chartres, le comte de Beaujolais.
17 avril 1780
Arrivée de la jeune Caroline-Stéphanie-Anne Syms, prétendument Anglaise (celle qu’on allait baptiser sous le nom de Paméla Sims Seymour, par allusion au roman de Richardson), pour apprendre aux jumelles d’Orléans la langue anglaise de façon vivante. Des lettres antérieures à cette époque, rédigées par Genlis et signées par le duc, voulant laisser de fausses traces 195de supposées démarches réalisées pour engager d’autres filles auprès des deux sœurs d’Orléans ont été retrouvées : le tout avait été imaginé pour tromper l’opinion publique avant l’arrivée de Paméla. L’esprit romanesque de Genlis déploie toutes ses armes pour cacher l’origine de Paméla. Car, bien qu’on la dise née en 1773 dans l’île de Fogo, près de Terre-Neuve, cette jeune personne est certainement la fille naturelle de Genlis et du duc, « leur petit bijou », née au moment du voyage de Genlis à Spa.
Deux ans plus tard une autre petite Anglaise, Hermine (on trouve parfois « Herminie ») de Compton, arrive au Palais-Royal dans des circonstances tout aussi étranges : sa date de naissance correspond également à un voyage de Genlis à Spa. Une dame de chambre de Bellechasse notait dans son journal : « Elle ressemble[ait] beaucoup à Mlle de Genlis [pour Pulchérie], surtout lorsqu’elle devint plus grande10 ». Cette fille ne reçoit pas pour autant, les mêmes attentions que Paméla de la part de Genlis ; on prétend que c’est pour dissimuler leur lien de parenté ; la femme de lettres assure que cette fille est destinée à éveiller le sens de la maternité chez sa fille Pulchérie, qui effectivement reste pour toujours très liée à cette enfant plus jeune. La Correspondance secrète du 24 mai 1785 affirme : « Un évènement assez extraordinaire fait en ce moment la matière de toutes les conversations. Une jeune personne, élevée en Angleterre sous le nom de Paméla, est arrivée chez madame de Genlis, au Palais-Royal, et a été bientôt suivie d’une seconde, nommée Hermine. Il se trouve aujourd’hui qu’elles sont l’une et l’autre filles de madame de Genlis, qui les a fait élever sous des noms supposés, afin d’éprouver les effets d’une pareille éducation, qui au reste a fort bien réussi. Ces demoiselles se croyaient orphelines, lorsque tout à coup elles ont été rendues à leurs parents. Il est question maintenant de leur procurer un établissement. Les deux demoiselles de Genlis, déjà mariées, l’une à M. de Valence, l’autre à M. de la Woestine (ou Voëstine), trouvent cet évènement un peu bizarre, et le public en glose beaucoup. Mais madame de Genlis se dispose à écrire l’histoire de ces deux demoiselles, et elle ne manquera pas d’éclaircir beaucoup de choses qui paraissent obscures dans ce projet singulier11. »
196Fin de 1781
Parution des Annales de la Vertu, ou cours d’histoire à l’usage des jeunes personnes par l’auteur du Théâtre d’Éducation en deux volumes, un recueil d’épisodes historiques interprétés sous l’angle d’un prisme pieux.
6 janvier 1782
Genlis est nommée « Gouverneur » des enfants des ducs de Chartres, au nombre desquels Louis-Philippe, futur roi des Français. Les pensionnaires de Bellechasse sont non seulement les enfants des ducs (les deux sœurs jumelles avec leurs frères les ducs de Valois, Montpensier et Beaujolais), mais aussi César Ducrest, fils du frère du gouverneur, Rose-Henriette Peronne de Sercey12 et les deux jeunes « Anglaises ». Plus tard arriveront également la petite Victorine de Chastenay et Mlle de Montault-Navailles (future duchesse de Gontaut). Genlis dispense une éducation qui confond les classes sociales et, bizarrerie supplémentaire, mélange les sexes, puisqu’elle est mixte, au grand étonnement des contemporains13. Il faut souligner tout de même que les princes ne couchent jamais à Bellechasse : ils rentrent tous les soirs au Palais-Royal.
Genlis fait croire que la décision de sa nomination a été prise à l’improviste quelques jours avant, mais il paraît, d’après ses journaux, qu’il s’agissait en réalité d’un choix longuement médité. La nouvelle secoue la capitale car la nouvelle titulaire est la première femme à occuper un tel poste. La littérature diffamatoire sur sa personne se multiplie, mais elle reste inébranlable.
Genlis publie le même mois de janvier, coup de théâtre bien orchestré, Adèle et Théodore ou Lettres sur l’éducation qui remporte un formidable succès de vente.
Cette même année, sans que nous connaissions la date précise de leur parution, sont publiées également Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos14.
197Au mois de décembre, une des jumelles, Mlle d’Orléans, meurt de la rougeole. Sa sœur, Eugène-Adélaïde-Louise, dite jusqu’alors Mlle de Chartres, prend le nom de Mlle d’Orléans.
La comtesse de Genlis devient marquise de Sillery lorsque son mari hérite du titre de son cousin aîné ; on la retrouve souvent sous ce nom dans les documents de l’époque.
1784
Publication des Veillées du château ou Cours de morale à l’usage des enfants (avec un conte, dans le troisième volume, qui vise directement les philosophes : Les Deux réputations).
1785
Mort de Louis-Philippe d’Orléans, dit « le Gros », époux de madame de Montesson. Louis-Philippe d’Orléans, futur Philippe-Égalité, devient le cinquième duc d’Orléans, et son fils Louis-Philippe, futur roi des Français, devient le nouveau duc de Chartres.
Décembre 1786
La fille aînée de Genlis, Caroline de la Woestine meurt en couches.
1787
Publication de La Religion considérée comme l’unique base du bonheur et de la philosophie composée par le gouverneur à l’occasion de la communion solennelle du duc de Chartres.
Laclos entre dans l’intimité du duc d’Orléans
1788
Suite à l’un des hivers les plus durs que la France ait subis, les ducs d’Orléans, éperonnés par Genlis, commencent une campagne de charité destinée à les mettre en valeur. Cette promotion dure jusqu’à la période révolutionnaire. Pareillement, les réunions de Bellechasse prennent une tournure de plus en plus politique. Genlis tient un salon, que fréquente le duc d’Orléans, et où se retrouvent Talleyrand, David et de jeunes hommes qui seront plus tard députés de l’Assemblée Constituante, comme Lameth, Barère15 ou Barnave.
1981789
Bien qu’on ait pu croire, à l’ouverture des États Généraux, qu’il y aurait peu de changements, tous les rapports de force changent, et en particulier au sein du cercle des orléanistes. On parle souvent du rapprochement entre Laclos et le duc d’Orléans, et de l’éloignement de Genlis, mais ils sont tous les trois au balcon de château seigneurial de Passy16, à contempler ensemble le spectacle qu’ils ont orchestré, lorsque la foule escorte le roi et les siens vers Paris.
Le départ pour l’Angleterre du duc d’Orléans en octobre, accompagné de Laclos, lui fait rater l’occasion de prendre le pouvoir. Genlis assure par la suite n’avoir été au courant du départ du duc que trop tard17. Pendant le voyage des deux hommes, Genlis a sur la progéniture du duc tous les pouvoirs in loco parentis ; voyant ses enfants devenir des « révolutionnaires », la duchesse se brouille avec elle. Encouragé par son gouverneur, le duc de Chartres se produit dans tous les milieux politiques républicains, se faisant recevoir notamment aux jacobins où il exerce la fonction de portier.
1791
La confrontation avec la duchesse devient insoutenable et Genlis quitte Bellechasse en compagnie de Paméla. La jeune Adélaïde d’Orléans, 199affligée par ce départ impromptu, fait une sorte de crise au point que l’on craint pour sa vie. Même la duchesse prie le gouverneur de rentrer.
Après l’arrestation du roi à Varennes (22 juin 1791) on s’attend à une prise de pouvoir du duc d’Orléans, mais conseillé par Genlis il rejette cette proposition. Rêve-t-elle de république ? Craint-elle, avec prévoyance, les dangers de la Révolution ? On connaît par ses lettres et les mémoires de ses contemporains son enthousiasme pour la constitution et, par les Mémoires de Louis-Philippe, la formation républicaine qu’elle donne à ses élèves. Plus tard, dans ses propres Mémoires, Félicité de Genlis feint une absence totale d’implication politique et un dévouement complet à la monarchie. La vérité reste difficile à cerner.
4 octobre 1791
Après la « Saint-Barthélemy des patriotes », les fusillades du Champs de Mars et la montée de la violence, Genlis quitte la France avec Mlle d’Orléans, sa nièce Henriette Peronne de Sercey, sa petite fille Églantine de la Woestine et Paméla, et part en Angleterre, officiellement pour prendre les eaux à Bath. Jérôme Pétion, futur maire de Paris, escorte le groupe jusqu’à Londres. Dans un premier temps, ne voulant pas être confondue avec les royalistes, Genlis se donne le rôle d’« émigrante jacobine », puis ses propos changent ; tout le long de cette période de fuite elle a des embrouilles avec les différents camps de l’émigration.
Septembre 1792
Mlle d’Orléans est inscrite sur la liste d’émigrés et le duc demande au gouverneur de la ramener en France avant que la loi sur les émigrés n’entre en vigueur. Genlis, lucide, ne voit que les dangers, et prolonge le séjour à l’étranger jusqu’en novembre.
Novembre 1792
Genlis et sa pupille arrivent au moment même de l’application de la loi. Genlis veut démissionner, mais elle doit repartir avec Mademoiselle d’Orléans pour attendre en Belgique une mesure d’exception en faveur de la jeune fille du duc.
Décembre 1792
Mariage de Paméla avec Lord FitzGérald ; ils se sont rencontrés lors d’un bref séjour à Paris le mois précédent. La cérémonie réunit Genlis et le duc d’Orléans pour la dernière fois. Cette union ouvre une nouvelle 200période de cabales politiques assez obscures pour toute la famille, car Edward FitzGerald était un ambassadeur de l’organisation clandestine, catholique et progressiste « Society of United Irishmen » qui avait pour objectif de mettre fin à la domination britannique sur l’Irlande et de créer une république irlandaise indépendante. Lord FitzGerald tente de se mettre en contact avec quelques figures politiques de la France révolutionnaire pour demander leur appui pour cette cause. Valence, Talleyrand et certainement aussi Genlis soutiennent le mouvement et aident le Lord irlandais. Le Directoire lui fournira une flotte et des troupes en 1796.
Janvier 1793
Les votes sur le sort de Louis xvi ont eu lieu à partir du 15 janvier 1793, et il est guillotiné le 21. Genlis apprend la nouvelle de la condamnation du roi en Belgique. Lors de la conspiration et la défection de Dumouriez au commencement du mois d’avril 1793, le duc de Chartres et Genlis sont avec lui à Tournai
Genlis décide de fuir en Allemagne, elle essaie de laisser Mlle d’Orléans avec son frère le duc de Chartres, cependant celui-ci lui demande de garder encore sa jeune sœur. Les deux femmes s’installent à Schaffhouse, en Suisse, toutefois les autorités les obligent à partir. Après plusieurs tentatives elles s’installent dans le couvent de Sainte-Claire, à Bremgarten, près de Zoug, assurant qu’elles sont de famille irlandaise, et que la guerre et la crainte des corsaires les empêche de retourner dans leur pays.
31 octobre 1793
Sillery meurt guillotiné au nombre des vingt-et-un girondins.
5 novembre 1793
Condamné à mort, Philippe-Égalité est exécuté.
1794
Marie-Fortunée d’Este, princesse de Conti, se trouvant à Fribourg, décide de prendre sa nièce Adélaïde avec elle. La jeune élève ne revoit Genlis que vingt ans plus tard.
Passant par Schaffhouse, Stuttgart, Mayence, Cologne et Utrecht, Genlis s’installe finalement à Altona, ville séparée de Hambourg par une promenade de quelques kilomètres, alors sous domination danoise, chez un aubergiste nommé M. Plock.
2011795
Genlis apprend la mort de Robespierre et, optimiste, rejoint son beau-fils, Monsieur de Valence, et sa nièce Henriette Peronne de Sercey. Elle quitte l’auberge d’Altona pour s’installer avec Henriette dans le centre de Hambourg pour une courte période. Parution de son roman Les Chevaliers du Cygne.
Mai-juin 1796
Genlis tente inopinément de se rendre à Berlin, certainement motivée par une mission liée à l’intrigue irlandaise, mais aussi pour surveiller la distribution de son Précis de la conduite de Madame de Genlis depuis la Révolution et la Lettre de Silk (Lettre de madame de Genlis à M. de Chartres, à Silk, pays de Holstein) qui le suivait. L’épître, rééditée à plusieurs reprises au cours du siècle suivant (notamment la veille de l’arrivée sur le trône de Louis-Philippe), est adressée à son élève ; Genlis l’exhorte à ne pas aspirer à régner à un moment particulièrement compliqué de l’histoire de France18, et en même temps elle avoue vouloir se mettre à l’abri des diverses attaques souffertes19. Le texte est mal reçu dans tous les camps, aussi bien par les orléanistes que les monarchistes ou les républicains.
De son côté, Frédéric-Guillaume ii ne voit pas d’un bon œil l’entrée de Genlis en Prusse et il lui demande de partir : « Je n’exilerai pas madame de Genlis de ma bibliothèque, mais je ne la souffrirai point dans mes États20. » Genlis doit quitter la Prusse à la hâte et regagner le Holstein.
À son retour dans le Schleswig-Holstein, presque sans ressources, Genlis est hébergée par la comtesse Cordelia (Cordélie) Maria Charlotta 202von Wedderkop (1774-1841), dans un manoir de Dollrott, situé entre Süderbrarup et Kappeln. Après ce séjour, elle décide de s’installer dans une ferme à la campagne près du manoir, à Brevel, pour y vivre selon son goût et renoncer au grand monde ; elle compte uniquement sur la compagnie de Jenny, une orpheline berlinoise de seize ans qu’elle a adoptée, et ses hôtes, les Peterson. Genlis y travaille sans relâche pendant tout l’hiver de 1796 à la rédaction d’une pièce de théâtre, Le Libraire, ainsi qu’à son Manuel du Voyageur. Dialogues à l’usage des Français en Allemagne et des Allemands en France (premier guide touristique moderne écrit notamment à l’usage des émigrés), à son herbier historique et littéraire intitulé Herbier Moral, et aussi à ses romans Les Vœux téméraires, Les Petits Émigrésou Correspondance de quelques enfants (où elle représentait Adélaïde d’Orléans sous son vrai prénom21), Le Jupon Vert, Le Maillot Sensible, ou La Galatée (continuation du Pygmalion de Rousseau). Elle continue également sa lecture de l’Encyclopédie (qu’elle envisage, une fois finie, de réécrire, en corrigeant les erreurs, en supprimant les parties désapprouvées par l’Église), et ses activités artistiques, notamment la peinture et la musique.
1797
La tournure des événements d’Irlande (une bonne partie des révolutionnaires sont découverts et Napoléon ne veut pas débarquer dans l’île, lui préférant la campagne égyptienne) de même que les différents malheurs familiaux, font sombrer Genlis dans la folie : elle se met à parler tout haut et entretient des conversations imaginaires ; elle souffre d’une fièvre nerveuse qui fait craindre pour sa vie, et qui lui fait rester deux mois alitée.
Mai 1798
À la mort de Frédéric-Guillaume ii, Genlis obtient de son successeur, le libéral Frédéric-Guillaume iii, la permission de s’établir à Berlin. Elle s’établit premièrement dans la pension de Mlle Bocquet et plus tard à Charlottenbourg dans un appartement de son amie Mlle Itzig ; l’auteure fréquente une compagnie très animée culturellement. Habituée de la société juive de la capitale, elle s’y installe et brille de tous ses talents. 203Genlis donne même des cours de littérature pour gagner de l’argent. Elle profite également de son séjour en Prusse pour y publier ses dernières créations : en deux ans elle fait paraître dans la capitale huit ouvrages en douze volumes (entre autres Les Petits Émigrés et Les Vœux téméraires) ; et pour finir celui qu’on appelle souvent son premier « vrai » roman, Les Mères Rivales, où la pédagogie disparaît au profit de l’histoire. C’est à Berlin qu’elle apprend la mort d’Edward FitzGerald dans la prison de Newgate à Londres.
1799
Joséphine Bonaparte, liée à madame de Montesson et à Pulchérie de Valence, parle en faveur de Genlis au Premier Consul.
22 mars 1800
Pulchérie de Valence annonce à sa mère qu’elle est radié des listes des émigrés et qu’elle peut rentrer. La décision officielle arrive à Berlin le 29 mai et Genlis quitte la ville le 12 juillet. Jenny et Casimir Baecker, le fils de sa logeuse berlinoise, l’accompagnent. L’auteure passe par Hambourg pour voir Henriette et Paméla, et elle y assiste au mariage de cette dernière avec Joseph Pitcairn, consul des États-Unis dans la ville hanséatique, dans la chapelle de l’ambassade d’Espagne. La veille de cette union, elle surprend tout le monde par une action fort inattendue, comme en témoigne le comte de Neuilly dans ses Mémoires : « Madame de Genlis, après avoir fait la momerie de se confesser, et avoir communié à la chapelle d’Espagne, a assemblé tous ses amis, parents et connaissances chez madame Mattiesen. Là, elle leur a dit, qu’après l’acte religieux qu’elle venait de faire, elle se devait à elle-même et au public, de rendre hommage à la vérité en déclarant que Paméla n’était point sa fille et celle de M. le duc d’Orléans ; mais la fille d’une pauvre blanchisseuse qu’elle avait achetée à beaux deniers comptant. Paméla s’est pâmée à cette belle déclaration ; son amant, le consul américain, en a presque fait autant : et après bien des larmes et des scènes de roman, chacun s’est essuyé les yeux ; et dame Genlis est partie pour Paris, avec un nouvel enfant d’adoption, fils d’un tailleur, qu’elle a nommé Cazimir22. »
204Août 1800
Accompagnée par sa fille Pulchérie de Valence et par César Ducrest, qu’elle a rencontrés à Bruxelles, Genlis fait son entrée à Paris. Elle s’installe pour six mois rue Papillon, dans le quartier de la Chaussée d’Antin. Ses premiers contacts avec le Paris postrévolutionnaire sont décevants : sa tante Madame de Montesson, qui jouit d’une bonne situation, lui rapporte de maigres profits des ventes de ses propriétés, et les changements sociaux ne laissent pas de la surprendre désagréablement. Commence alors une nouvelle période de travail acharné, pour reconquérir sa célébrité : Genlis publie Le Malencontreux et puis LesHermites des Marais Pontins, dans lequel elle plaide la cause de la duchesse d’Orléans. Celle-ci réside en Espagne avec son amant Jean-Marie Rouzet, mais elle rêve de rentrer. Genlis lance également, chez Maradan, une réédition générale de ses œuvres et, dès l’année suivante, elle collabore de façon régulière à la Bibliothèque des Romans de cet éditeur.
1801
La femme de lettres s’installe pour une courte période rue d’Enfer, mais « elle avait une maison plus considérable qu’elle ne la pouvait supporter23 » : Casimir, Stéphanie Alyon (fille de Pierre-Philippe Alyon, chimiste attaché à l’éducation de Bellechasse), une autre Allemande connue sous le surnom de Helmina (l’écrivaine, poétesse et journaliste Wilhelmine Christiane von Chézy) et un autre garçon orphelin de cinq ans, Alfred Lemaire. Elle doit quitter la capitale et s’installer à Versailles, avenue de Paris, dans une petite maison au loyer moins onéreux. Durant ce séjour, elle perd son neveu, César Ducrest, lors du feu d’artifice de la fête nationale du premier vendémiaire de l’an X, anniversaire de la fondation de la république ; le jeune homme de vingt-huit ans monte sur un bateau avec M. de Valence et M. Pont pour mieux voir le spectacle, et une bombe d’artifice tombe sur eux. Les autres spectateurs sortent indemnes de l’incident, mais César décède immédiatement. Les émotions ressenties à cette occasion poussent Genlis à vouloir quitter sa résidence. Nombre de ses contemporains se montrent surpris de cette décision puisque l’accident a lieu à Paris, et qu’elle vit à Versailles.
2051802
Finalement, par la médiation de Fiévée, qu’elle a aidé à sortir de prison, Genlis obtient le plus beau logement de la bibliothèque de l’Arsenal, un appartement jusqu’alors occupé par le grand érudit Hubert-Pascal Ameilhon, bibliothécaire et conservateur des lieux. La cohabitation entre la femme de lettres et le savant à l’Arsenal n’est pas facile. Cet aménagement lui donne beaucoup de commodités mais surtout du prestige : elle crée un large cercle littéraire favorable au Premier Consul, qui se réunit dans le salon qu’elle tient les samedis. C’est à l’Arsenal qu’elle écrit Mademoiselle de Clermont, Madame de Maintenon, La Princesse des Ursins, La Duchesse de la Vallière (qui émeut le Premier Consul jusqu’aux larmes), Madame de Montespan, Le Comte de Corke, Alphonsine ou la Tendresse Maternelle, Le Siège de La Rochelle, Le Palais de la Vérité, Le Mari Instituteur, Bélisaire, Alphonse ou le Fils Naturel, Les Souvenirs de Félicie (et leur suite), La Femme Auteur, La Botanique historique et Littéraire, L’Étude du Cœur humain… D’après ses visiteurs, son logis se caractérise par un désordre malpropre où s’entassent livres et papiers, poussières et toiles d’araignée.
1804
L’empereur accorde à Genlis une pension de six mille livres en échange d’une correspondance régulière sur des sujets moraux, politiques ou pieux ; certains prétendent qu’elle était également indicatrice de police. La femme de lettres devient aussi « conseillère » d’étiquette de la famille Bonaparte et elle a même failli être gouvernante des filles de Joseph, roi de Naples, puis d’Espagne. Elle rédige un Dictionnaire Critique et Raisonné des Étiquettes de la Cour, des usages du monde, des amusements, des modes, des mœurs, etc., des Français, depuis la mort de Louis xiii jusqu’à nos jours, quine sera mis en circulation publique qu’en 1818.
C’est à cette époque que Genlis est nommée dame d’inspection des écoles de son arrondissement et qu’elle compose un mémoire pour en dénoncer les abus. Ses rapports ont eu un tel succès qu’elle faillit devenir responsable de l’institution d’inspection.
1811
Face à l’insalubrité et à l’humidité de l’Arsenal, Genlis se voit obligée, avec beaucoup de peine, de déménager dans un appartement très inconfortable rue des Lions-Saint-Paul.
2061812
Genlis s’installe rue Helvétius. Elle réussira lors de la Première Restauration à faire changer le nom de la rue pour celui qu’elle avait avant la Révolution : rue Sainte-Anne. Casimir s’y marie l’année suivante.
1814
La chute de l’Empire laisse Genlis sans ressources et elle se tourne du côté de Talleyrand et des Orléans mais, malgré l’amitié qui les lie, sans beaucoup de succès. Elle se lance dans la rédaction de l’Histoire d’Henri le Grand. Fâcheusement, l’ouvrage paraît en librairie le jour même du retour de l’empereur. Pendant les Cent jours, Genlis est dangereusement malade et sa convalescence se prolonge, entraînant de grands coûts.
1816
L’écrivaine s’installe rue Vaugirard, dans un appartement extérieur de la maison des Carmélites où elle travaille sans arrêt. De cette époque datent Les Battuecas, Inès de Castro, Zénéide ou la perfection idéale, Zuma ou Jeanne de France.
3 février 1817
Mort de Madame de Montesson ; à la surprise de tous, le gros de son héritage va à Monsieur de Valence, ex-mari de Pulchérie Brûlart et amant déclaré de la défunte (l’union de Pulchérie et le comte de Valence n’avait été orchestré que pour cacher leur passion aux yeux du « Gros » duc d’Orléans). Genlis passe un temps à Écouen chez Casimir et sa femme, ensuite elle s’installe rue du Faubourg Saint-Honoré et puis rue Neuve des Petits-Champs.
1819
Au début de l’année, Genlis donne Les Parvenus ; et en octobre Pétrarque et Laure qui connaît une grande diffusion. L’auteure est au sommet de sa renommée littéraire et en pleine santé : « Je me porte à merveille, je dors, je marche, je mange, je ris, je travaille et j’aime comme à vingt ans, car je n’ai jamais connu qu’une manière d’aimer que l’on peut conserver toujours24. »
207Abandonnée de tous ses protégés (Baecker, Lemaire et Alyon se marient ou se placent convenablement), la septuagénaire s’installe avec son ex-gendre sexagénaire, dans l’hôtel que celui-ci possède au 9 rue Pigalle. Valence, dont la santé s’affaiblit, est nommé pair de France et il joue un rôle important dans la politique de la Restauration. Genlis semble avoir contribué à la rédaction de ses rapports et discours présentés à la Chambre des pairs. L’auteure joue le rôle de maîtresse de maison et tient son salon, où se confondent deux univers, le littéraire et le politique.
Mars 1820
Genlis crée le journal littéraire L’Intrépide. Ses critiques, notamment contre les romantiques, ne sont pas très clairvoyantes, car sa conception de la littérature est avant tout morale : pour elle la création littéraire doit obéir à des devoirs de vulgarisation et de prosélytisme. Son journal ne dépasse pas la fin de l’année. À cette même époque son projet de corriger et réécrire l’Encyclopédie reprend force parce qu’elle ressent une résurgence de l’esprit philosophique. D’après ses plans, Chateaubriand devait rédiger le discours préliminaire, comme l’avait fait d’Alembert pour la première.
1822
La santé de Valence empire et, atteint de gangrène, il expire le 4 février après s’être confessé et avoir reçu l’extrême-onction. À la fin de sa vie, Genlis se vante d’avoir ramené à la religion ce dissolu convaincu.
Genlis doit quitter la rue Pigalle et part s’établir une année aux Bains de Tivoli de la rue Saint-Lazare. Cette même année paraissent Les Dîners du baron d’Holbach qu’elle prépare depuis son exil et qu’elle finit aux Bains.
1823
À cette époque s’ouvre une période folle de déménagements pour l’auteure, et ses proches plaisantent sur le sujet : premièrement elle s’installe sur la place Royale (aujourd’hui place des Vosges), puis au couvent des Missions étrangères rue du Bac, après le couvent des Dames du Saint-Sacrement, rue Taranne, et puis le presbytère de Saint-Roch, rue neuve Saint-Roch, avec Casimir. Victor Hugo, qui s’inspire du couvent des Dames du Saint-Sacrement pour le couvent du Petit-Picpus des Misérables, ne manque pas de citer le séjour de Genlis dans l’institution (bien qu’il triche 208ou se trompe sur les dates) : « Vers 1820 ou 1821, madame de Genlis, qui rédigeait à cette époque un petit recueil périodique intitulé L’Intrépide, demanda à entrer dame en chambre au couvent du Petit-Picpus. M. le duc d’Orléans la recommandait. Rumeur dans la ruche ; les mères vocales étaient toutes tremblantes. Madame de Genlis avait fait des romans. Mais elle déclara qu’elle était la première à les détester, et puis elle était arrivée à sa phase de dévotion farouche. Dieu aidant, et le prince aussi, elle entra. Elle s’en alla au bout de six ou huit mois, donnant pour raison que le jardin n’avait pas d’ombre. Les religieuses en furent ravies. Quoique très vieille, elle jouait encore de la harpe, et fort bien. En s’en allant, elle laissa sa marque à sa cellule. Madame de Genlis était superstitieuse et latiniste. Ces deux mots donnent d’elle un assez bon profil. On voyait encore, il y a quelques années, collés dans l’intérieur d’une petite armoire de sa cellule où elle serrait son argent et ses bijoux, ces cinq vers latins écrits de sa main à l’encre rouge sur papier jaune, et qui, dans son opinion, avaient la vertu d’effaroucher les voleurs :
Imparibus meritis pendent tria corpora ramis :
Dismas et Gesmas, media est divina potestas ;
Alta petit Dismas, infelix, infima, Gesmas.
Nos et res nostras conservet summa potestas.
Hos versus dicas, ne tu furto tua perdas.
Ces vers, en latin du sixième siècle, soulèvent la question de savoir si les deux larrons du calvaire s’appelaient, comme on le croit communément, Dimas et Gestas ou Dismas et Gesmas25. »
Genlis passe la belle saison à Mantes. La liste de ses différents domiciles continue, car de cette maison de santé, elle passe la même année au couvent des Dames de Saint-Michel, rue Saint-Jacques, puis dans une maison d’éducation pour jeunes filles au 6 rue Neuve-de-Berry au Faubourg du Roule. De là, elle se rend à la pension de Madame Aubert au 28 passage Sendrier, près de la Madeleine, puis chez sa fille au 7 rue Sainte-Croix d’Antin. Ces changements ne l’empêchent pas de maintenir son rythme effréné de travail : elle peint, découpe, joue de la musique et, surtout, continue d’écrire et de publier. Ainsi elle donne Les Veillées de la chaumière en 1823 ou De l’Emploi du temps l’année suivante.
2091827
Genlis prend ses quartiers dans la pension de Madame Afforty, au 24 rue du Faubourg du Roule.
1825-1826
En juillet 1824 on annonce la prochaine publication des Mémoires de madame de Genlis, ce qui provoque une énorme attente, car on n’a pas encore l’habitude de voir une femme livrer ses souvenirs intimes de son vivant. Ladvocat publie les dix volumes, dont les droits d’auteur reviennent en grande partie à Casimir ; on considère que les six premiers volumes sont les plus intéressants, les quatre restants n’étant qu’un remplissage pour augmenter ces droits. Malgré le mécontentement de sa famille et de la maison d’Orléans, l’œuvre de Genlis eut un énorme succès. Même le roi Charles x apprécia son contenu.
Pour le reste, à quatre-vingts ans, l’auteure se porte bien et se vante d’avoir une bonne vue et de travailler sans relâche. Elle finit ses derniers ouvrages : Le La Bruyère des domestiques, Les Soupers de la Maréchale de Luxembourg, Le Dernier Voyage de Nelgis ou Mémoires d’un Vieillard et son Manuel de la Jeune Femme.
1830
Les Trois Glorieuses entraînent le onzième régime politique sous lequel vit l’auteure. Genlis voit son ancien élève accéder au trône et devenir roi des Français, ce qui la consacre définitivement pour l’histoire et donne forme, en quelque sorte, à son destin.
Le dernier jour de l’an elle s’éteint. Ses obsèques solennelles sont célébrées le 4 janvier à Saint-Philippe du Roule, d’après les ordres du roi. Elle est inhumée au cimetière aristocratique du Calvaire, au Mont-Valérien. Ses restes sont transférés le 21 décembre 1842 au cimetière du Père-Lachaise.
Comme dira Broglie « Après l’avoir accompagnée dans ses actes et dans ses œuvres il reste à percer le secret de son caractère26 »…
1 Le frère de Genlis est appelé l’inventeur du Palais-Royal. Comme chancelier de la maison du duc de Chartres il conseilla à celui-ci une grandiose opération immobilière conduite par l’architecte Victor Louis : la construction du nouveau Palais-Royal, encadrant le jardin de galeries avec des cafés, salons des jeux et magasins. En 1787 il présenta au roi (par l’entremise du duc), un mémoire prétendant rétablir les finances du royaume. Ce projet provoqua les plus cruelles plaisanteries des chansonniers.
2 La Popelinière avait loué à vie le château de Passy (ou de Boulainvilliers) à Anne-Gabriel-Henri de Boulainvilliers.
3 Charlotte-Jeanne Béraud de La Haye de Riou.
4 Il ne faut pas confondre avec la commune de Genlis, située dans le département de la Côte-d’Or en région Bourgogne-Franche-Comté.
5 La graphie des noms a été variable, on trouve également « Riotot » et « Villemeur ».
6 Le marquis de Genlis était un grand joueur et libertin, souvent confondu avec son frère. Le marquis fut enfermé par lettre de cachet à cause de ses pertes de jeu et dilapida le reste de sa fortune avec ses maîtresses, notamment Mme Duthé (celle qui avait été « offerte » au duc de Chartres par son père comme initiatrice amoureuse). Dans l’exposition « Place Galante » de la Bibliothèque de Nancy on fait référence aux poèmes galants du comte de Tressan (1705-1783) adressés à la marquise de Genlis (c’est peut-être la belle-mère de Félicité, Louise-Charlotte-Françoise de Hallencourt-de-Dromesnil décédée en 1742 ?), mais on la confond avec l’auteure : « On notera le nombre élevé de poésies dédiées à la marquise de Genlis (1746-1830), qui, de fait, inspira pas mal de vieux beaux. D’autres égéries apparaissent comme La [sic.] Pompadour, de [sic.] duchesse de Villars, la marquise de Boufflers, la duchesse de Brancas. » https://epitome.hypotheses.org/2189 [consulté le 29/1/2019].
7 Genlis crut avoir perdu ce manuscrit, mais il se trouve dans les archives inédites laissées par Mme de Valence, sa fille. Broglie, Gabriel de, Op. cit., p. 42 et 499.
8 Anne d’Autriche était venue chercher dans la même station thermale un remède contre la stérilité.
9 « Mais j’avais assez de chaînes pour n’en pas désirer d’autres. » MCG, t. II, p. 290-291.
10 Journal d ’ Aimée, 2 volumes inédits. Archives du comte Xavier de Gontaut-Biron, dans Broglie, Gabriel de, Op. cit., p. 125.
11 Lescure, Adolphe, Correspondance secrète inédite sur Louis xvi, Marie-Antoinette, la cour et la ville de 1777 à 1792, t. I, Lettre XVI de l’année 1785, Paris, Plon, 1866, p. 565.
12 Fille de Guillaume-Antoine de Sercey et de Marie-Anne-Henriette Benech de Solon (originaire de Saint Domingue). Orpheline, elle sera prise en charge par Genlis, qui était cousine de son père. Henriette deviendra institutrice et gouvernante de la princesse Élisa Napoleone Baciocchi à Florence.
13 Cette mixité n’est en réalité qu’apparente car les répétiteurs qui secondaient la pédagogue (M. Lebrun, M. de Broval, l’abbé Guyot, M. Alyon, Mirys, etc.) séparent filles et garçons, grands et petits, etc.
14 Choderlos de Laclos, Pierre-Ambroise, Op. cit., p. 794.
15 Robespierre fit observer dans les Lettres à ses commettants (I, 486) que Bertrand Barère était le tuteur de la jeune Paméla, qui passait pour être la fille du duc d’Orléans et de Mme de Genlis. Robespierre, Maximilien, Œuvres de Maximilien Robespierre, t. IX, Paris, Presses Universitaires de France, 1958, p. 168.
16 En 1769, quelques années après la mort de La Popelinière, le duc de Penthièvre loue à vie le château de Passy (ou de Boulainvilliers) à Anne-Gabriel Henri de Boulainvilliers. Genlis s’y installe avec ses élèves le 1er septembre 1789 pour s’éloigner de la ville et se rapprocher de Versailles où ils se rendent aux séances de l’Assemblée. Julia, Dominique, « Princes et élèves : les études des princes d’Orléans sous l’autorité de Madame de Genlis (1782-1792) », dans Histoire de l’éducation, 2019/1, no 151, p. 63-121.
17 Un article du Journal des débats politiques et littéraires questionne le récit que Genlis propose dans ses Mémoires de cette période, de même que son prétendu royalisme antirévolutionnaire : « Elle nous dit, en effet, que dès que la révolution se fut annoncée par ses premiers excès, elle voulut quitter la France et partir avec ses élèves. Ce projet fut retardé par diverses circonstances impérieuses, mais enfin elle eut la promesse qu’il lui serait permis de partir dans l’automne de 1790. Elle était, dit-elle, à la veille ou à la surveille de son départ, lorsqu’un matin, M. de Valence vint lui dire que M. le duc d’Orléans était parti la nuit même pour l’Angleterre, où il demeura près d’une année. Tout cela est plus qu’inexact, c’est dans l’automne de 1789 que M. le duc d’Orléans partit pour Londres ; il était de retour à la fédération le 14 juillet 1790. Il demeura tout le reste de cette année, et les années suivantes à Paris : ce n’est donc pas son départ pour Londres, en 1790, qui empêcha celui de Mme de Genlis. Il faut donc qu’elle supprime ou réforme cette partie de son apologie, et cette preuve de son royalisme. » A., « Variétés », Journal des débats politiques et littéraires, 27 mai 1825, p. 4.
18 « Vous, prétendre à la royauté ! Devenir un usurpateur, pour abolir une république que vous avez reconnue, que vous avez chérie, et pour laquelle vous avez combattu vaillamment ! Et dans quel moment ! Quand la France s’organise, le gouvernement s’établit ; quand il paraît seconder sur les bases solides de la morale et de la justice ! » Et un peu plus tard « Vous avez de l’instruction, des lumières, et mille vertus ; mais chaque état demande des qualités particulières, et vous n’avez point celles qui font les grands rois. Vous êtes fait, par vos goûts et par votre caractère, pour la vie intérieure et privée, pour offrir le touchant exemple de toutes les vertus domestiquées, et non pour représenter avec éclat, pour agir avec une activité constante, et pour gouverner avec fermeté un grand empire. » Genlis, Lettre de madame de Genlis à M. de Chartres, à Silk, pays de Holstein (1796), Paris, J. Smith, 1829, p. 7 et 9.
19 « J’ai voulu aussi, en publiant cette Lettre, faire connaître à mes concitoyens des sentiments et une manière de penser qui puissent me mettre moi-même à l’abri de toute calomnie, et réfuter celles dont on a déjà voulu me noircir, ainsi que vous. » Ibid., p. 10.
20 Broglie, Gabriel de, Op. cit., p. 292.
21 Cf. Brucker, Nicolas, « Pédagogie de la violence : Mme de Genlis face aux révolutions », dans Révolutions au 19e siècle. Violence et identité (études réunies et présentées par François Marotin), Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2011, p. 45-55.
22 Neuilly, Ange-Achille-Charles de Brunet, comte de, Dix ans d’émigration, Paris, Charles Douniol, 1865, p. 140.
23 Junot d’Abrantès, Laure-Adélaïde-Constance, Op. cit., p. 140.
24 Genlis à Valence, lettre inédite, s.d., 1817. Archives Valence (coll. particulière). Cité par Broglie, Gabriel de, Madame de Genlis, Paris, Perrin, 1985, p. 413.
25 Hugo, Victor, Les Misérables, t. II, Paris, Émile Testard, 1890, p. 362-363.
26 Broglie, Gabriel de, Op. cit., p. 468.
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- ISSN: 2261-5741
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- Online publication: 12-29-2021
- Language: French