Préface
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : La Muse de l’éphémère. Formes de la poésie de circonstance de l’Antiquité à la Renaissance
- Auteurs : Delattre (Aurélie), Lionetto (Adeline)
- Pages : 7 à 9
- Collection : Rencontres, n° 266
- Série : Lectures de la Renaissance latine, n° 5
Article de collectif : 1/32 Suivant
Préface
Motivée par un élément extérieur au sujet, la « poésie de circonstance » est, depuis le xixe siècle1, largement soupçonnée d’hypocrisie, d’affectation, de fugitivité, voire de vénalité. Si beaux que puissent paraître ces vers fruits de l’éphémère, ils restent en effet, d’après Baudelaire, « marqué[s] du misérable caractère de la circonstance et de la mode2 ». Cette méfiance à l’encontre de ce qui constitue pourtant la majeure partie de la production poétique antique, médiévale3 et renaissante nous fait parfois oublier que « la célébration de l’événement est [pourtant] une des plus anciennes fonctions que la collectivité assigne à la poésie4 », comme le rappelle Nicole Masson dans son ouvrage sur La Poésie fugitive au xviiie siècle.
Depuis plusieurs décennies, la critique a tendance à reconsidérer ces produits de l’instant pour tenter de comprendre non seulement les ressorts de ce que Guy Demerson appelle un « lyrisme d’admiration5 »,
mais aussi le lien du texte à l’événement qui le suscite, la vision que les auteurs tendent à y donner de l’Histoire, ou encore leur désir non pas tant de transmettre des informations que de faire naître une forme d’enthousiasme et un consensus.
Il nous a paru important d’organiser une rencontre de spécialistes afin de dresser un bilan de ces récentes inflexions critiques tout en apportant des éléments de compréhension de ces œuvres de circonstance.
Le présent ouvrage rassemble donc les communications qui ont été proposées lors de ce colloque « “Sint Maecenates, non deerunt, Flacce, Marones”. Formes de la poésie de circonstance de l’Antiquité à la Renaissance », qui s’est tenu les 9 et 10 décembre 2010 en Sorbonne. Aux communications qui ont pu être entendues lors de ces journées s’ajoutent celles d’Ilaria Pierini6, Nicolle Lopomo7, John Nassichuk8 et Nicoletta Lepri9. La communication qu’avait proposée Vincent Zarini sur « l’éloge de Justin II et de Sophie chez Corippe et chez Fortunat » a trouvé place entre temps dans les actes du colloque de Ligugé consacré à Fortunat et édités par Sylvie Labarre dans le numéro 11, d’avril 2012, de la revue Camenae10.
Nous avons souhaité proposer une organisation thématique et non chronologique des différents articles dans le but de mettre en avant une interrogation diachronique sur le concept même de « poésie de circonstance ». Cet ouvrage comporte ainsi cinq parties. La première s’attache à la question de la définition de la poésie de circonstance ; elle pose la question de l’appartenance ou non d’une œuvre au supra-genre de la poésie de circonstance et des critères qui permettent de déterminer cette appartenance. La deuxième partie porte sur les commanditaires et les destinataires de la poésie de circonstance. Si celle-ci est en effet
intrinsèquement liée à un événement et se conçoit dans sa relation au présent (la « circonstance » qui commande l’écriture), elle ne peut être détachée d’un rapport à l’autre, car elle est fondamentalement adresse ou réponse – à une commande dans certains cas. La troisième partie porte sur la question du lien au politique. Parmi les différents genres qui participent de la poésie de circonstance, certains, comme le panégyrique, ne se conçoivent que dans le cadre d’une poésie officielle. La quatrième partie s’intéresse à la place du poète dans la poésie de circonstance. Alors que le sujet même de la poésie de circonstance pourrait laisser penser qu’aucune place n’est laissée au lyrisme, l’on constate que le « je » y occupe diverses places, comme prête-voix, mais aussi sous la forme d’une réelle expression personnelle. Enfin, la cinquième partie porte sur les supports de la poésie de circonstance et sur ses modes de diffusion : l’épigraphie y occupe une place importante, mais la question de la mise en recueil et de ses conséquences est aussi abordée. Nous espérons ainsi permettre le rapprochement des différentes époques et la confrontation des méthodes d’approche.
L’organisation du colloque a été rendue possible grâce au soutien financier du conseil scientifique de l’université Paris-Sorbonne, du centre Saulnier et du centre pluridisciplinaire « Textes et cultures » de l’université de Bourgogne, ainsi que de deux mécènes privés, le cabinet d’études notariales Bruyerre et l’entreprise Hobas. Nous souhaitons remercier Sylvie Laigneau-Fontaine, Frank Lestringant et Vincent Zarini, qui ont dirigé nos recherches, pour leur soutien et leurs conseils, ainsi que les participants, qui ont les premiers contribué à la richesse des deux journées du colloque.
Aurélie Delattre
et Adeline Lionetto
1 Voir J.-M. Maulpoix, « Poésie et circonstance » dans La Circonstance, A.-Y. Julien et J.-M. Salanskis (dir.), Nanterre, 2008, p. 55 : « Si la poésie de circonstance fut le plus souvent objet de mépris pour les modernes, c’est que depuis le milieu du xixe siècle, la poésie s’est définie négativement, par soustraction de ces éléments parasites que lui sont la description et le récit, l’enseignement et la morale ».
2 C. Baudelaire, « Auguste Barbier », dans Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains (1861), Écrits sur la littérature, J.-L. Steinmetz (éd.), Paris, 2005, p. 341 : « [s]es poésies […] étaient adaptées à des circonstances, et, si belles qu’elles soient, elles sont marquées du misérable caractère de la circonstance et de la mode ».
3 Songeons à toute la poésie religieuse produite à l’époque « au fil des jours et des fêtes liturgiques » (P. Bourgain, Poésie lyrique latine du Moyen Âge, Paris, 2000, p. 11) ou encore aux ditiers proclamés par les hérauts d’armes à l’occasion de mariages. Sur ce sujet, voir la thèse d’H. Simonneau, Grandeur et décadence d’une institution aulique. Les hérauts d’armes dans les Pays-Bas bourguignons (1467-1519), sous la direction de Bertrand Schnerb, université de Lille 3 Charles de Gaulle, 2010.
4 N. Masson, La Poésie fugitive au xviiie siècle, Paris, 2002, p. 145.
5 Introduction de Guy Demerson aux Œuvres poétiques de Rémy Belleau, Paris, 1998, t. III, p. 9 : « La critique d’hier a eu tendance à considérer trop rapidement les louanges décernées aux Grands comme des productions stipendiées ou dictées par l’intérêt, sans chercher à comprendre ce qu’étaient pour les contemporains de Ronsard un lyrisme d’admiration et la ferveur du dévouement des écrivains français pour les protecteurs de la culture nationale ».
6 « L’occasionalità nella poesia di Carlo Marsuppini. Il caso dei carmi indirizzati a Tommaso Pontano », p. 37-57.
7 « “Accipe nugarum munus”, Percorsi occasionali e intenti autopropositivi in Maffeo Vegio », p. 135-150.
8 « Le panégyrique d’Henri III par Jean Bonnefons (1575) et la poésie de circonstance à l’époque du dernier Valois », p. 241-261.
9 « Poesia di circostanza e apparati festivi nelle nozze fiorentine di Francesco de’ Medici e Giovanna d’Austria (1565) », p. 375-390.
10 On trouvera ce volume de la revue à l’adresse suivante : http://www.paris-sorbonne.fr/la-recherche/les-unites-de-recherche/mondes-anciens-et-medievaux-ed1/rome-et-ses-renaissances-art-3625/revue-en-ligne-camenae/article/camenae-11.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-8124-2123-5
- EAN : 9782812421235
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-2123-5.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 21/01/2015
- Langue : Français