Définition de la littérature grecque moderne
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : La Littérature grecque moderne
- Pages : 11 à 14
- Collection : Perspectives comparatistes, n° 110
DÉFINITION DE LA LITTÉRATURE
GRECQUE MODERNE
Une histoire littéraire grecque moderne est le récit de l’évolution d’un objet encore à définir : la littérature grecque moderne.
Dans le cas particulier des œuvres en grec moderne, il ne suffit pas de dire que l’on va étudier toutes les œuvres à caractère littéraire – ce qui suppose toujours un travail sur la langue et le style et, très souvent, une élaboration personnelle de la réalité – en langue grecque moderne. Il faut encore préciser de quelle langue grecque moderne écrite l’on parle et à partir de quelle époque il existe une littérature en langue grecque moderne.
Le problème de la langue
ou plutôt des états de la langue
On a du mal à définir très exactement ce qu’est la langue grecque moderne. Quand les Grecs se réfèrent à la langue qu’ils parlent, ils disent tout naturellement le grec (taellinika). Pour la forme ancienne, ils précisent le grec ancien (ta archea).
Ce point, qui paraît une évidence, a son importance pour délimiter le domaine de la littérature grecque moderne. Ceci parce qu’il n’y a pas eu de rupture nette, c’est-à-dire de changement de système linguistique, entre ce qu’on nomme le grec ancien – qui est un ensemble de dialectes assez différents – et ce qu’on appelle le grec moderne – qui est aussi, à l’origine, une quantité de dialectes et de parlers qui seront supplantés, au milieu du xxe siècle, par un état de langue standardisé à l’écrit et à l’oral. L’absence de coupure brutale entre grec ancien et grec moderne complique la définition de la littérature en grec moderne.
12Le grec moderne parlé est la forme évoluée d’un des dialectes du grec ancien, la langue de l’empire athénien devenu « langue commune » (koiné), considérablement appauvrie, puis artificiellement enrichie à partir de la fin du xviiie siècle et imparfaitement unifiée de 1880 à 1941, puis systématiquement standardisée à partir de cette date. Dans son état actuel, le grec écrit est un mélange d’éléments restés vivants au cours des siècles et de multiples emprunts au grec ancien. Cette langue, qui fonctionne parfaitement aujourd’hui, est au fond très récente. On l’appelle le démotique (i dimotiki). Elle n’est la langue officielle de l’État grec que depuis 1976.
Si on limitait la littérature grecque aux œuvres écrites en démotique, on ne devrait étudier que les œuvres de la fin du xxe siècle et du xxie siècle.
Or l’essentiel de la littérature grecque moderne a été rédigé du Moyen Âge à la fin du xixe siècle, bien avant la standardisation de la langue.
Langue archaïque, langue purifiée
Tout ce qui a été écrit à date récente en une forme quelconque de grec n’appartient pas à la littérature grecque moderne. On écarte à juste titre des littératures européennes modernes les textes rédigés en latin au Moyen Âge et jusqu’au xviiie siècle. Il en est de même des textes médiévaux écrits dans un grec ancien ou qui se veut tel ; ils n’appartiennent pas à la littérature grecque moderne mais à la littérature byzantine.
En revanche, font partie de plein droit de la littérature moderne les textes rédigés dans les dialectes (en particulier le crétois) et ceux qui sont écrits en langue purifiée (katharevousa). Il faut préciser pour le lecteur français ce qu’est la langue purifiée. Ce n’est, en aucune façon, une forme même simplifiée de grec ancien. C’est du grec moderne archaïsé pour la morphologie mais dont la syntaxe reste pour l’essentiel moderne, ce qui le rendait, jusqu’à une date récente, compréhensible pour des gens moyennement cultivés, comme le sont les lecteurs de journaux. Le vocabulaire de la langue purifiée est beaucoup enrichi par le recours au grec ancien ou aux racines grecques anciennes.
Cette forme de langue a été créée, dans sa variante simple, au tout début du xixe siècle par Adamance Coray (1748-1833) pour remédier au morcellement de la langue en dialectes, à la pauvreté du grec de la maison, à la nécessité d’une langue nationale pour un peuple qui aspirait à l’indépendance et aux besoins de la traduction à partir des langues européennes. Elle a ensuite évolué en s’archaïsant toujours davantage.
13Les dialectes
À la veille de l’Indépendance hellénique (1830), on parlait toutes sortes de langues et dialectes sur le territoire actuel de la Grèce. Citons, pour les langues étrangères, le turc, le judéo-espagnol, l’arvanite, l’aroumain et des dialectes slaves proches du bulgare.
Malgré la survie de traits doriens dans le dialecte tsakonien, les multiples parlers néo-helléniques sont tous issus de la langue commune de l’époque hellénistique. Le grec parlé dans le nord-est du Péloponnèse et le grec urbain de Constantinople sont à la base de la langue standardisée actuelle
Rôle des Européens dans l’archaïsation de la langue
L’idée que les Occidentaux se faisaient d’une langue nationale a joué un rôle dans la création du grec moderne. La France révolutionnaire, qui voulait extirper les dialectes qualifiés de « patois », a imposé aux Grecs l’idée que l’existence d’une langue unique était le préalable à la constitution d’une nation.
Par ailleurs, l’engouement des Européens cultivés pour le grec ancien a inspiré aux Grecs le désir de rapprocher autant que possible leur langue écrite du grec ancien idéal. Certains, comme Panayotis Soutsos (Nouvelle École de la langue écrite / ΝέαΣχολήτοῦγραφομένουλόγου, 1853) ont même envisagé que le grec moderne écrit pouvait être un grec ancien simple, ce qui était chimérique. La langue purifiée a toujours été un dosage personnel des écrivains entre l’archaïsme souhaitable et l’archaïsme tolérable par le lecteur.
Malgré les affirmations des partisans inconditionnels de la langue populaire, les « démoticistes », l’entreprise de constitution d’une langue purifiée n’a pas été un échec total. Presque tout le vocabulaire de la langue d’aujourd’hui et une partie de sa morphologie, en particulier les importants vestiges de la troisième déclinaison ancienne, sont d’origine savante.
On peut se faire une idée de l’effort colossal de création lexicale des Grecs jusqu’à la fin du xixe siècle en consultant les 1145 pages du Recueil des nouveaux mots forgés par les lettrés depuis la Prise de Constantinople jusqu’à nos jours / ΣυναγωγὴνέωνλέξεωνὑπὸτῶνλογίωνπλασθεισῶνἀπὸτῆςἉλώσεωςμέχριτῶνκαθ᾽ἡμᾶςχρόνων, 1900, de Stephanos Koumanoudis.
14La question chronologique
L’Indépendance a constitué une étape importante dans la prise de conscience du patrimoine littéraire. Les Grecs voulaient alors disposer de tout ce qui fait un État indépendant : une population homogène, une langue unique et une littérature nationale.
Or la situation grecque ne cadrait pas avec ce modèle. La population était hétéroclite, la plupart des Grecs vivaient encore hors du territoire national et l’on mettait parfois en question à l’étranger l’hellénicité1 des Grecs. Le paysage du pays (vestiges romains et byzantins, châteaux francs ou vénitiens, mosquées) témoignait d’occupations étrangères successives et, peut-être, de brassages ethniques nombreux. Jacob Philipp Fallmerayer, dans son Histoire de la Péninsule de Morée au Moyen Âge, 1830-1836, posait le problème de la continuité de la population grecque qu’il supposait submergée par l’élément slave, au moment des invasions du vie siècle.
Mettre en valeur la littérature populaire (c’est-à-dire non byzantine) au Moyen Âge était un moyen d’affirmer la permanence de l’originalité grecque, successivement antique, médiévale et moderne.
Quand la littérature grecque moderne commence-t-elle à exister ?
En France l’apparition de la littérature nationale est un peu postérieure à la constitution de la langue (Cantilène de Sainte Eulalie, 881).
Dès qu’il y a du grec « moderne », il peut théoriquement y avoir de la littérature grecque moderne. Cela suppose que l’on prenne position sur la question controversée de l’époque où apparaît la langue moderne.
Je considère que le grec moderne se détache de la langue commune d’époque tardive au xe siècle après J.-C. C’est le moment où dans la langue parlée disparaissent pratiquement le datif et l’infinitif et où se créent des groupes rythmiques verbaux dans lesquels la place des mots est strictement déterminée ; cela donne à la langue son aspect actuel. On peut donc, je pense, faire débuter la littérature grecque moderne au xe siècle de notre ère2.
1 J’ai choisi ce néologisme pour traduire ελληνικότητα qui est le caractère de ce qui est grec et plus spécialement grec moderne. On pourrait aussi employer « hellénité ».
2 Cette proposition, qui peut sembler abrupte, ne tient pas compte du fait que les textes en grec populaire médiéval sont souvent contaminés par de nombreux traits archaïques. Ce qui importe c’est qu’à partir du xe siècle il existe un « grec médiéval ».
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN : 978-2-406-12046-9
- EAN : 9782406120469
- ISSN : 2261-5709
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12046-9.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 19/01/2022
- Langue : Français