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Classiques Garnier

Définition de la littérature grecque moderne

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : La Littérature grecque moderne
  • Pages : 11 à 14
  • Collection : Perspectives comparatistes, n° 110
  • Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
  • EAN : 9782406120469
  • ISBN : 978-2-406-12046-9
  • ISSN : 2261-5709
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12046-9.p.0011
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 19/01/2022
  • Langue : Français
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DÉFINITION DE LA LITTÉRATURE
GRECQUE MODERNE

Une histoire littéraire grecque moderne est le récit de lévolution dun objet encore à définir : la littérature grecque moderne.

Dans le cas particulier des œuvres en grec moderne, il ne suffit pas de dire que lon va étudier toutes les œuvres à caractère littéraire – ce qui suppose toujours un travail sur la langue et le style et, très souvent, une élaboration personnelle de la réalité – en langue grecque moderne. Il faut encore préciser de quelle langue grecque moderne écrite lon parle et à partir de quelle époque il existe une littérature en langue grecque moderne.

Le problème de la langue
ou plutôt des états de la langue

On a du mal à définir très exactement ce quest la langue grecque moderne. Quand les Grecs se réfèrent à la langue quils parlent, ils disent tout naturellement le grec (taellinika). Pour la forme ancienne, ils précisent le grec ancien (ta archea).

Ce point, qui paraît une évidence, a son importance pour délimiter le domaine de la littérature grecque moderne. Ceci parce quil ny a pas eu de rupture nette, cest-à-dire de changement de système linguistique, entre ce quon nomme le grec ancien – qui est un ensemble de dialectes assez différents – et ce quon appelle le grec moderne – qui est aussi, à lorigine, une quantité de dialectes et de parlers qui seront supplantés, au milieu du xxe siècle, par un état de langue standardisé à lécrit et à loral. Labsence de coupure brutale entre grec ancien et grec moderne complique la définition de la littérature en grec moderne.

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Le grec moderne parlé est la forme évoluée dun des dialectes du grec ancien, la langue de lempire athénien devenu « langue commune » (koiné), considérablement appauvrie, puis artificiellement enrichie à partir de la fin du xviiie siècle et imparfaitement unifiée de 1880 à 1941, puis systématiquement standardisée à partir de cette date. Dans son état actuel, le grec écrit est un mélange déléments restés vivants au cours des siècles et de multiples emprunts au grec ancien. Cette langue, qui fonctionne parfaitement aujourdhui, est au fond très récente. On lappelle le démotique (i dimotiki). Elle nest la langue officielle de lÉtat grec que depuis 1976.

Si on limitait la littérature grecque aux œuvres écrites en démotique, on ne devrait étudier que les œuvres de la fin du xxe siècle et du xxie siècle.

Or lessentiel de la littérature grecque moderne a été rédigé du Moyen Âge à la fin du xixe siècle, bien avant la standardisation de la langue.

Langue archaïque, langue purifiée

Tout ce qui a été écrit à date récente en une forme quelconque de grec nappartient pas à la littérature grecque moderne. On écarte à juste titre des littératures européennes modernes les textes rédigés en latin au Moyen Âge et jusquau xviiie siècle. Il en est de même des textes médiévaux écrits dans un grec ancien ou qui se veut tel ; ils nappartiennent pas à la littérature grecque moderne mais à la littérature byzantine.

En revanche, font partie de plein droit de la littérature moderne les textes rédigés dans les dialectes (en particulier le crétois) et ceux qui sont écrits en langue purifiée (katharevousa). Il faut préciser pour le lecteur français ce quest la langue purifiée. Ce nest, en aucune façon, une forme même simplifiée de grec ancien. Cest du grec moderne archaïsé pour la morphologie mais dont la syntaxe reste pour lessentiel moderne, ce qui le rendait, jusquà une date récente, compréhensible pour des gens moyennement cultivés, comme le sont les lecteurs de journaux. Le vocabulaire de la langue purifiée est beaucoup enrichi par le recours au grec ancien ou aux racines grecques anciennes.

Cette forme de langue a été créée, dans sa variante simple, au tout début du xixe siècle par Adamance Coray (1748-1833) pour remédier au morcellement de la langue en dialectes, à la pauvreté du grec de la maison, à la nécessité dune langue nationale pour un peuple qui aspirait à lindépendance et aux besoins de la traduction à partir des langues européennes. Elle a ensuite évolué en sarchaïsant toujours davantage.

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Les dialectes

À la veille de lIndépendance hellénique (1830), on parlait toutes sortes de langues et dialectes sur le territoire actuel de la Grèce. Citons, pour les langues étrangères, le turc, le judéo-espagnol, larvanite, laroumain et des dialectes slaves proches du bulgare.

Malgré la survie de traits doriens dans le dialecte tsakonien, les multiples parlers néo-helléniques sont tous issus de la langue commune de lépoque hellénistique. Le grec parlé dans le nord-est du Péloponnèse et le grec urbain de Constantinople sont à la base de la langue standardisée actuelle

Rôle des Européens dans larchaïsation de la langue

Lidée que les Occidentaux se faisaient dune langue nationale a joué un rôle dans la création du grec moderne. La France révolutionnaire, qui voulait extirper les dialectes qualifiés de « patois », a imposé aux Grecs lidée que lexistence dune langue unique était le préalable à la constitution dune nation.

Par ailleurs, lengouement des Européens cultivés pour le grec ancien a inspiré aux Grecs le désir de rapprocher autant que possible leur langue écrite du grec ancien idéal. Certains, comme Panayotis Soutsos (Nouvelle École de la langue écrite / ΝέαΣχολήτοῦγραφομένουλόγου, 1853) ont même envisagé que le grec moderne écrit pouvait être un grec ancien simple, ce qui était chimérique. La langue purifiée a toujours été un dosage personnel des écrivains entre larchaïsme souhaitable et larchaïsme tolérable par le lecteur.

Malgré les affirmations des partisans inconditionnels de la langue populaire, les « démoticistes », lentreprise de constitution dune langue purifiée na pas été un échec total. Presque tout le vocabulaire de la langue daujourdhui et une partie de sa morphologie, en particulier les importants vestiges de la troisième déclinaison ancienne, sont dorigine savante.

On peut se faire une idée de leffort colossal de création lexicale des Grecs jusquà la fin du xixe siècle en consultant les 1145 pages du Recueil des nouveaux mots forgés par les lettrés depuis la Prise de Constantinople jusquà nos jours / ΣυναγωγὴνέωνλέξεωνὑπὸτῶνλογίωνπλασθεισῶνἀπὸτῆςἉλώσεωςμέχριτῶνκαθ᾽ἡμᾶςχρόνων, 1900, de Stephanos Koumanoudis.

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La question chronologique

LIndépendance a constitué une étape importante dans la prise de conscience du patrimoine littéraire. Les Grecs voulaient alors disposer de tout ce qui fait un État indépendant : une population homogène, une langue unique et une littérature nationale.

Or la situation grecque ne cadrait pas avec ce modèle. La population était hétéroclite, la plupart des Grecs vivaient encore hors du territoire national et lon mettait parfois en question à létranger lhellénicité1 des Grecs. Le paysage du pays (vestiges romains et byzantins, châteaux francs ou vénitiens, mosquées) témoignait doccupations étrangères successives et, peut-être, de brassages ethniques nombreux. Jacob Philipp Fallmerayer, dans son Histoire de la Péninsule de Morée au Moyen Âge, 1830-1836, posait le problème de la continuité de la population grecque quil supposait submergée par lélément slave, au moment des invasions du vie siècle.

Mettre en valeur la littérature populaire (cest-à-dire non byzantine) au Moyen Âge était un moyen daffirmer la permanence de loriginalité grecque, successivement antique, médiévale et moderne.

Quand la littérature grecque moderne commence-t-elle à exister ?

En France lapparition de la littérature nationale est un peu postérieure à la constitution de la langue (Cantilène de Sainte Eulalie, 881).

Dès quil y a du grec « moderne », il peut théoriquement y avoir de la littérature grecque moderne. Cela suppose que lon prenne position sur la question controversée de lépoque où apparaît la langue moderne.

Je considère que le grec moderne se détache de la langue commune dépoque tardive au xe siècle après J.-C. Cest le moment où dans la langue parlée disparaissent pratiquement le datif et linfinitif et où se créent des groupes rythmiques verbaux dans lesquels la place des mots est strictement déterminée ; cela donne à la langue son aspect actuel. On peut donc, je pense, faire débuter la littérature grecque moderne au xe siècle de notre ère2.

1 Jai choisi ce néologisme pour traduire ελληνικότητα qui est le caractère de ce qui est grec et plus spécialement grec moderne. On pourrait aussi employer « hellénité ».

2 Cette proposition, qui peut sembler abrupte, ne tient pas compte du fait que les textes en grec populaire médiéval sont souvent contaminés par de nombreux traits archaïques. Ce qui importe cest quà partir du xe siècle il existe un « grec médiéval ».