Hommage à Alberto Postigliola (1942-2021)
- Type de publication : Article de revue
- Revue : La Lettre clandestine n° 30
2022. Émilie Du Châtelet et la littérature philosophique clandestine - Auteur : Bianchi (Lorenzo)
- Pages : 293 à 296
- Revue : La Lettre clandestine
Hommage à Alberto Postigliola
(1942-2021)
Alberto Postigliola, notre ami et collègue, nous a quittés le 13 août 2021 à Rome, où il était né le 1er juillet 1942. Il a été professeur d’Histoire de la philosophie à l’Université de Naples « L’Orientale » pendant environ trente-cinq ans jusqu’à sa retraite en 2012, et son nom et ses recherches resteront liés à la philosophie française du xviiie siècle, tout particulièrement à la pensée de Montesquieu. Dans son volume La città della ragione (La cité de la raison), il se propose de reconstituer une « histoire philosophique du xviiie siècle français ». Analysant des ouvrages fondamentaux du siècle des Lumières – comme L’Esprit des lois de Montesquieu, De l’esprit d’Helvétius ou le Contrat social de Rousseau – il redéfinit la « cité de la raison » comme une « cité des hommes », dans laquelle « se multiplient les formes de rationalité1 ». Parallèlement, il a traduit en 294italien De l’esprit d’Helvétius2 et publié une riche anthologie de la pensée de Montesquieu : Le leggi della politica (Les lois de la politique)3. Cette anthologie présente au lecteur italien de la fin des années soixante-dix du siècle dernier un Montesquieu nouveau et différent : non seulement l’auteur des Lettres Persanes ou de L’Esprit des lois, mais aussi celui d’écrits importants tels que les Considérations sur les Romains ou les Réflexions sur la monarchie universelle, ainsi que des textes « mineurs » – mais non moins révélateurs – comme la Dissertation sur la politique des Romains dans la religion, le Discours sur Cicéron ou l’Essai sur les causes qui peuvent affecter les esprits et les caractères. Ce recueil de textes restitue finalement en Italie une image unitaire et complète de la pensée du Président, où coexistent l’historien et l’homme politique, le philosophe et l’analyste des sciences sociales4.
C’est notamment à Montesquieu qu’Alberto Postigliola a consacré ses recherches au fil des années. Ainsi, en 1984, il a organisé à Naples un colloque international consacré aux Considérations sur les Romains deux cent cinquante ans après la publication de cet écrit (1734)5. Deux ans après ce colloque, qui a ouvert une nouvelle époque d’études sur Montesquieu, s’est constituée la « Société Montesquieu » qui s’est chargée de la nouvelle édition critique des Œuvres Complètes de Montesquieu, et dont Alberto fut l’un des membres fondateurs – avec d’autres collègues tels que Jean Ehrard, Cecil P. Courtney et Catherine Volpilhac-Auger. Il a collaboré à cette édition en particulier pour la Correspondance I (Lettres 1-364, 1700 – mars 1731), pour les Œuvres et écrits divers et pour L’Esprit des lois, dont l’édition est toujours en cours.
La figure d’Alberto est aussi étroitement associée à la « Società Italiana di Studi sul Secolo xviii », dont il a été secrétaire général pendant de nombreuses années, puis secrétaire général honoraire, et dans laquelle il a constamment soutenu la place de l’histoire de la philosophie. Au 295sein de cette Société, il a été un point de référence fondamental et il a contribué généreusement aux initiatives culturelles et scientifiques ainsi qu’à l’organisation des colloques qui se tiennent annuellement en Italie. Parmi les nombreuses publications qu’il a éditées au sein de la « Società Italiana di Studi sul Secolo xviii », il faut citer en particulier le volume sur la philosophie clandestine et sur les minorités religieuses au xviiie siècle6.
En 1999 à Dublin, à l’occasion du dixième Congrès de la SIEDS – la « Société Internationale d’Étude du Dix-huitième Siècle » –, il en fut élu secrétaire général pour le mandat de 1999 à 2003 ; malheureusement, au même moment il fut atteint d’une grave maladie qui allait l’accompagner sa vie durant et qui l’a obligé d’arrêter toute activité pendant plusieurs mois.
Parallèlement à cette activité internationale au sein de la SIEDS, Alberto Postigliola cultivait de profitables échanges culturels internationaux, notamment entre l’Italie et la France. Ainsi, il a été le promoteur de la coédition des onze premiers volumes des Œuvres Complètes de Montesquieu entre la Voltaire Foundation d’Oxford et l’« Istituto Italiano per gli Studi Filosofici » de Naples. Il a coordonné aussi pendant vingt ans la convention scientifique entre l’Université de Naples « L’Orientale » et l’Université de Bourgogne, qui a produit de nombreux volumes sur la philosophie moderne et sur la pensée des Lumières. Pour ses recherches sur Montesquieu et la philosophie française du xviiie siècle, l’Université de Bordeaux 3 lui a conféré en 1998 un doctorat honoris causa.
Pendant sa retraite, Alberto a poursuivi ses recherches sur les Lumières et sa collaboration à l’édition critique de Montesquieu, ainsi que son travail au sein de la revue Studi filosofici (Naples, Bibliopolis), à laquelle il collaborait depuis le premier numéro en 1978 et dont il a été le directeur à partir de 2011. Ces dernières années, il a aussi tenu bénévolement des cours de philosophie à la prison de Rebibbia à Rome, ce qui témoigne de son engagement culturel et politique dans le sillage de l’esprit des Lumières.
296La silhouette haute et maigre d’Alberto Postigliola nous manquera. Nous retiendrons de lui et de ses qualités humaines, l’ouverture culturelle, l’attitude philosophique et la détermination face à la maladie, ainsi que la sociabilité, l’humour indomptable et le goût des calembours.
Lorenzo Bianchi
1 A. Postigliola, La città della ragione. Per una storia filosofica del Settecento francese, Rome, Bulzoni, 1992, p. 41.
2 C.A. Helvétius, Dello spirito, éd. A. Postigliola, Rome, Editori Riuniti, 1970 (réed. 1976, 1994, 2019).
3 Montesquieu, Le leggi della politica, éd. A. Postigliola, Rome, Editori Riuniti, 1979 (réed. 2020).
4 Voir A. Postigliola, Politica, storia e scienza della società, dans Montesquieu, introduction à Montesquieu, Le leggi della politica, cité, p. 11-139.
5 Voir les actes de ce colloque : A. Postigliola (éd.), Storia e ragione. Les considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence di Montesquieu nel 250o della pubblicazione, Naples, Liguori, 1987.
6 Voir M. Formica et A. Postigliola (éd.), Diversità e minoranze nel Settecento, Atti del seminario di S. Margherita Ligure (2-4 juin 2003), Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 2006.
- Thème CLIL : 3129 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie moderne
- ISBN : 978-2-406-13258-5
- EAN : 9782406132585
- ISSN : 2271-720X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13258-5.p.0293
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 25/05/2022
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français