Introduction à la troisième partie
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : L’Impératif de la voix, de Paul Éluard à Jacques Ancet
- Pages : 151 à 151
- Collection : Études de littérature des xxe et xxie siècles, n° 80
On ne saurait assigner les œuvres littéraires à des genres : du poème à l’essai, du conte à la fable, du soliloque au chœur, ce sont toujours des proses en action, des rythmes en résonance, des gestes continués. Ce présent des œuvres tient à ce qu’elles répondent d’expériences toujours en cours : elles n’expriment ni des antériorités ni des intériorités autrement qu’en les réénonçant au présent d’une relation ; elles ne métaphorisent ou n’allégorisent voire ne fictionnalisent des situations ou des sentiments qu’en les historicisant au présent d’un dire. Le test de ce présent des œuvres qu’on peut aussi considérer comme un don de langage, c’est celui de la vie dans ses moindres gestes. Si certains discours de la maîtrise et de la domination vocales empêchent l’écoute, y compris des plus grands silences, c’est bien parce qu’ils refusent ce que les œuvres réussissent : faire entendre les sans-voix et faire entendre ce qui est sans voix dans les voix qui semblent se faire entendre. Aussi, la définition et la valeur des œuvres littéraires sont-elles prises dans une réciprocité et une intensité conjointes : plus elles redonnent voix, y compris silencieuses, plus elles œuvrent et montrent ainsi ce que nous ne savons pas toujours voir comme des gestes1 où la vie continue. De Walter Benjamin (1892-1940) à Bernard Vargaftig (1934-2012) et David Diop (né en 1966), en passant par Henri Meschonnic (1932-2009) et Kateb Yacine (1929-1989), il y aurait comme un prophétisme de l’écriture qui n’est en rien un discours surplombant sur l’époque, ses événements ou son avenir, mais l’invention forte de gestes de vivants quand les assignations font tout pour empêcher les voix de vivre.
1 Sur la notion de geste, je me permets de renvoyer au chapitre 4 (« Les gestes du poème-relation ») de Langage et relation Poétique de l’amour, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 143-176. On peut également consulter les actes du colloque « Les gestes du poèmes » (Rouen, 2015), en ligne à cette adresse : http://ceredi.labos.univ-rouen.fr/public/?les-gestes-du-poeme.html. Et on ne manquera pas de référer au livre de Dominique Rabaté, Gestes lyriques, déjà cité.