Préface
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : L’Homme entier. Conceptions anthropologiques classiques et contemporaines
- Auteurs : Fabbianelli (Faustino), Goubet (Jean-François)
- Pages : 7 à 9
- Collection : Constitution de la modernité, n° 7
Article de collectif : 1/19 Suivant
Préface
Ce volume est consacré à la notion d’« homme entier », telle qu’elle a été définie et diffusée par quelques-uns des principaux philosophes de l’âge moderne et de l’époque contemporaine. Le but poursuivi par cette publication est double. Sur le plan historiographique, elle enregistre les étapes les plus importantes d’un débat, trace les lignes de fond d’une discussion vive, quoique fragmentée dans le temps, au cours de laquelle les auteurs tantôt se rencontrèrent tacitement, tantôt s’apostrophèrent l’un l’autre explicitement. D’un autre côté, elle propose à l’attention du lecteur et de la recherche contemporaine différents modèles anthropologiques passés qui, en fournissant une image holistique de l’homme, contribuent à dépasser certaines formes de réduction théorique implicite avancées par des recherches de type naturaliste, scientiste (neurosciences, biologisme, etc.) ou par des modèles d’enquête analytico-linguistiques.
Même si la thématique du ganzer Mensch, chère à la philosophie classique allemande et souvent remise à l’honneur par la recherche actuelle, occupe une place de choix dans cet ouvrage, un équilibre a été souhaité entre les époques et les aires géographiques. Plutôt que de se cantonner à explorer l’Aufklärung tardive et son réinvestissement dans l’idéalisme allemand, cet ouvrage débute volontairement avec des analyses portant sur l’âge classique et se clôt sur questions de phénoménologie ou d’historiographie contemporaines. Les domaines anglais, néerlandais, italien, français sont également mis à contribution dans les articles édités ici. La scène allemande, si elle fait figurer les classiques Kant, Schiller et Hegel, jette aussi des regards à l’un des grands noms des Lumières allemandes en leur période médiane, Wolff, ainsi qu’à des figures demeurées importantes jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, Herbart et Lotze. Le ganzer Mensch de la philosophie classique allemande ne porte par suite nullement l’humanité entière ; il cesse encore plus d’aller de soi lorsque la dernière contribution retrace les présupposés de sa mise en vedette par la critique actuelle.
8Le présent volume réunit les actes du colloque L’homme entier. Conceptions anthropologiques classiques et contemporaines / L’uomo intero. Concezioni antropologiche classiche e contemporanee, qui s’est tenu à l’École Normale Supérieure de Lyon le 5-6 février 2015. Cette rencontre a été rendue possible par la collaboration de deux projets scientifiques convergents, l’un français, l’autre italien : respectivement l’ANR « Anthropos (Vers une physique de l’âme. La constitution d’une science de l’homme) » et le PRIN « La riflessione morale di fronte al mind/body problem. Problemi storici e prospettive teoriche ». La conjonction des deux projets a justement permis de parcourir un large spectre historique, ainsi que de toucher des sujets variés, au nombre desquels figurent, outre l’anthropologie, l’esthétique ou la médecine, la politique ou l’éducation.
Le projet d’intérêt national PRIN, consacré au thème de la réflexion morale confrontée au problème corps/esprit, a été mené par l’Unité de recherche de l’Université de Parme. Il a mis en lumière la réflexion autonome, par rapport aux neurosciences, que l’éthique a su développer en soulignant l’importance des fonctions qui, dans le « système homme », se différencient comme « conscience » et « esprit ». Certaines attitudes, pour être conditionnées par le corps, montrent la capacité de conditionner en retour les mouvements du corps humain lui-même ainsi que le milieu social et naturel, de même qu’à déterminer les formations d’une « autre » nature, typique de l’homme seulement. Les sciences humaines, les sciences de la culture, l’éthique comme partie de la philosophie demeurent ainsi nécessaires pour pouvoir étudier l’homme, non seulement comme objet des sciences de la nature, mais aussi comme sujet culturel qui se comprend et se transforme lui-même. La capacité humaine à assumer des attitudes réglées par des valeurs représente un problème pour la philosophie de l’esprit elle-même, lequel a imposé la réflexion sur les résultats des sciences cognitives et de la neurophysiologie comme mind/body problem. L’Unité de recherche de l’Université de Parme a travaillé sur le positionnement de ce problème, pour préciser la façon dont la réflexion morale peut contribuer à l’affronter dans une perspective non-réductionniste et de considération adéquate des rapports entre nature et culture.
L’axe 4 du projet Anthropos piloté par l’École Normale Supérieure de Lyon avait trait au tournant anthropologique constaté dès le xviiie siècle dans la constitution d’une science de l’homme. Il s’agissait de montrer 9que la systématisation d’une science de l’homme dans le cadre des anthropologies à l’articulation entre le xviiie et le xixe siècles ne naît pas ex nihilo, mais dans un rapport avec des polémiques d’origine cartésienne (comme pour Vico et sa « science nouvelle » ou pour l’anthropologie développée à la suite de Wolff). On voulait également exhiber comment, dans la psychologie empirique puis dans l’anthropologie, on assiste à une revalorisation de l’expérience, à une mise en avant de la connaissance dite « historique », quand bien même le discours savant se présenterait comme explicitement rationnel ; chez l’homme entier, c’était la large base de l’homme tel qu’on le découvre dans des figures diverses qui demandait à être exploitée. On désirait enfin montrer comment l’anthropologie, à l’origine prise dans le débat matérialisme/idéalisme, relativement à l’harmonie locale entre le corps et l’âme, se débarrasse progressivement de ce legs de la psychologie rationnelle. Au travers de la mise en avant d’éléments culturels, comme chez Lotze, ou de l’élaboration d’une théorie pédagogique novatrice, comme chez Herbart, de nouveaux discours prennent place, qui ont soin de se démarquer de l’héritage psychophysique étroit issu de la métaphysique classique.
L’homme entier, pensé initialement comme relation étroite entre corps et esprit, unité psychophysique, se situait par conséquent au centre des deux projets scientifiques. Grâce à des réflexions éthiques et politiques, de même que grâce à la prise en compte de la formation de l’homme comme accomplissement d’une destination, les travaux recueillis ici ont également voulu montrer la part de l’histoire et de la culture dans l’homme entier.
Faustino Fabbianelli
et Jean-François Goubet
- Thème CLIL : 4127 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie éthique et politique
- ISBN : 978-2-406-07067-2
- EAN : 9782406070672
- ISSN : 2494-7407
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07067-2.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 06/10/2017
- Langue : Français