[Introduction de la quatrième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : L’Éthique néo-aristotélicienne
- Pages : 287 à 288
- Collection : Philosophies contemporaines, n° 22
Anscombe a ouvert la voie à une critique radicale de « la philosophie morale moderne ». Elle a élaboré une psychologie de l’intention susceptible d’éclairer la rationalité pratique. Elle a enfin défini les contours de ce que pourrait être un naturalisme éthique néo-aristotélicien. En revanche, elle n’a jamais proposé une analyse de la notion de vertu. De même, elle ne dit quasiment rien du « bonheur » alors que l’« eudémonisme » est aujourd’hui considéré comme un des marqueurs – avec le « naturalisme » que nous venons d’évoquer – d’une éthique de la vertu proprement « néo-aristotélicienne1 ».
Ceux qui voudront poursuivre l’œuvre entreprise par Anscombe seront confrontés à plusieurs difficultés. Concernant les vertus, la première sera, là encore, celle de savoir dans quelle mesure on peut leur accorder une valeur indépendamment d’un cadre théologique. Peut-on concevoir qu’il soit « avantageux » d’être vertueux pour les êtres humains sans supposer une foi en la Providence ? En cherchant à enraciner les vertus dans une réalité qui ne doive rien au surnaturel, le penseur contemporain sera aussitôt confronté à un autre problème. Toutes les sociétés humaines ne reconnaissent pas les mêmes vertus quand elles s’en préoccupent. Si l’examen sérieux des vertus conduit à une remise en cause du naturalisme posé en principe, ne remet-il pas également en question l’universalité des valeurs et des normes morales ? Enfin, les vertus sont des traits de caractère des agents moraux. Juger de la valeur morale des actions en se fondant sur l’analyse des dispositions psychologiques des agents, n’est-ce pas courir le risque de revenir à une forme de subjectivisme moral contre lequel le néo-aristotélisme s’était en grande partie constitué ? L’éthique néo-aristotélicienne peut-elle être en ce sens une « éthique des vertus » ?
Le problème que soulève la notion de « bonheur » semble être plus grave encore. On peut en effet se demander si ce que les Grecs appelaient « eudaimonia » a quelque chose à voir avec ce que nous appelons « bonheur » ou « happiness » tant l’écart semble être grand entre l’usage que les Anciens faisaient de leur notion et l’usage que les modernes 288font des leurs. En cherchant à se réapproprier le concept ancien, le néo-aristotélisme risquerait de renforcer le caractère résolument archaïque de son éthique. En adoptant le concept moderne, il risquerait de faire perdre à son éthique les bénéfices de son fondement naturaliste.
1 Cf. Hacker-Wright (J.), Hähnel (M.) and Micah Lott (M.), « Introduction » in Hähnel (M.) (éd.), Aristotelian Naturalism, op. cit.