Préface
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : L’Épithète, la rime et la raison. La lexicographie poétique en Europe, xvie-xviie siècles
- Auteur : Pouey-Mounou (Anne-Pascale)
- Pages : 7 à 76
- Collection : Études et essais sur la Renaissance, n° 110
Article de collectif : 1/20 Suivant
Préface
À Philip Ford, parti trop tôt.
Au sein de l’essor des lexiques qui se fait aux xvie et xviie siècles, du renouvellement de la rhétorique humaniste au triomphe de la pédagogie jésuite, la vogue des dictionnaires d’épithètes et de rimes accompagne un mouvement remarquable d’affirmation des poétiques en langue latine et vernaculaire en Europe. Rattachables à l’idéal érasmien d’une abondance lexicale (copia) qui libère la créativité en exerçant le discernement1, au sein d’une histoire de la lexicographie régie par l’articulation de la copia et de la proprietas2 – cette exigence de justesse qui préside à la sélection des termes pertinents –, ces deux types d’ouvrages ne sont généralement associés, dans les études lexicologiques3, que comme lexiques partiels ou
spécialisés ayant contribué, de façon incomplète et dispersée, au progrès des dictionnaires vers une plus grande « propriété » lexicale et vers la fixation normative et institutionnelle opérée par les amples entreprises lexicographiques des xviie et xviiie siècles. Envisager ensemble ces ouvrages aux vocations distinctes comme autant de « dictionnaires des poètes4 » définit dès lors un faisceau d’interrogations nouvelles, sur leurs enjeux littéraires et leurs chassés-croisés en latin et en langue vulgaire.
On peut ainsi se réjouir qu’une série d’intuitions convergentes et de curiosités partagées ait amené des spécialistes de littérature à collaborer autour de ces ouvrages. Il serait instructif que chacun raconte ce qui l’a conduit à s’intéresser à ces drôles d’objets, non seulement pour chercher ici ou là un mot, un rapprochement répertorié ou une idée reçue, mais pour les envisager pour eux-mêmes, pour les traiter non seulement en outils linguistiques, mais en objets littéraires : l’amour de la poésie bien sûr – quoi d’autre ? –, le plaisir des mots et des jeux diffractés de la copia, le sens des aventures expérimentales et de la trouvaille qui fait tout le plaisir de cette période, la conscience qu’en ces moments forts de renouvellement poétique, la poéticité dépend d’une certaine manière de réinventer les rapports des mots entre eux et avec le monde ; une forme d’étonnement – celui que ces objets existent et aient connu une telle fortune –, le sentiment d’une vague absurdité, et la surprise d’y prendre plaisir, d’en rire ou de s’en trouver plus savant, puisque précisément ils ne sont pas matériel de rimailleurs – pas seulement, pas encore – mais de poètes, et traduisent de hautes ambitions pour la poésie, quelque part entre la lecture et l’écriture, la rhétorique et la grammaire, le latin et la langue vulgaire, l’univers scolaire et la poésie. Il faut aimer les chemins buissonniers de la création pour bifurquer un temps, comme l’ont fait les contributeurs de ce volume, d’un objet premier, chef-d’œuvre consacré ou champ foisonnant des grands textes, et s’attacher à ces échantillons, amas et fatras que sont, de leur propre aveu, les recueils de rimes et d’épithètes, « appendicules et adminicules5 » d’une création vivante dont ils affirment avec une insistance déconcertante qu’elle a besoin d’eux.
Une telle approche littéraire manquait aux études qui entourent ces deux genres. Certes, on sait, grâce aux travaux fondateurs qui ont souligné la part des « annexes » et des outils de la création, que les commentaires, paraphrases, collections, compilations et recueils de toute sorte contribuent, de façon majeure et souvent inattendue pour nos regards modernes, à l’élaboration et à la réception du texte qu’ils entourent dans un réseau serré d’extraits choisis et de gloses6. Une meilleure connaissance des milieux scolaires justifie aussi d’envisager l’interaction des pratiques pédagogiques et des aspirations littéraires, qui conservent de la formation acquise une série de méthodes et de cadres pour penser la singularité d’auteur et élaborer leurs propres stratégies d’auto-affirmation7. On sait encore, par l’étude des pratiques de lecture et d’écriture, et par le témoignage des auteurs, que ceux-ci ne dédaignent pas de recourir à ces outils et partagent avec leurs concepteurs une même communauté de vues : ainsi Budé, annotant Homère, s’intéresse de près aux épithètes homériques8, sur lesquelles s’interrogent également les traducteurs d’Homère à travers des entreprises multiples et de grande ampleur9, tandis que s’élaborent des recensions d’épithètes homériques et de « synonymes » de noms propres dont l’histoire n’est pas dissociable de celle des épithétaires10 ; quant à la rime, Du Bellay lui-même, par sa
pratique, attire l’attention sur son importance11 au sein d’une poétique qui revendique en même temps le sens, et l’inspiration. Et comme le topos de l’abeille butineuse caractérise aussi bien les compilateurs que les poètes12, que l’idéal de l’imitatio cum variatione fait du poète un glaneur, que les traducteurs d’Homère sont aussi poètes, que les compilateurs ambitionnent volontiers de l’être, et que ces milieux communiquent dans un réseau serré d’affinités et d’ambitions communes, il n’est peut-être pas étonnant que les coups de cœur issus de nos enquêtes sur la poésie de ces siècles aient fini par nous réunir autour de ces ouvrages. Ni que cela se soit fait à large échelle, ces échanges ayant permis de voir que les observations des uns rejoignaient les constatations des autres, dans les littératures néo-latine, italienne, espagnole, française et néerlandaise.
Il n’allait cependant pas de soi d’associer ces deux types d’ouvrages qui procèdent a priori d’ambitions bien distinctes. Genre initialement scolaire qu’illustre par excellence au début du xvie siècle la sodalitas de Ravisius Textor et de Bérauld13 autour des Epitheta de Textor, « archétype du genre » (N. Istasse), le dictionnaire d’épithètes s’épanouit d’abord en contexte néo-latin avant de gagner la langue vernaculaire, en Italie, en France, en Espagne et aux Pays-Bas, tout en continuant à se développer dans l’édition scolaire par amplification, sélection et inclusion dans des manuels de versification qui se veulent de plus en plus complets,
maniables et efficaces14, et sont aussi de plus en plus décriés pour leur caractère normatif, comme l’attestent les caricatures de Sorel ou les satires de Boileau (M. Rosellini, D. Reguig). Focalisés sur les enjeux ornementaux, le goût ou la convenance d’un fait stylistique essentiel en matière d’imitation ou de bon usage, la collocation (S. Hache)15, ils laissent pressentir, sous la logique tantôt fantaisiste et suggestive, tantôt classificatrice ou normative de leurs appariements, la cohérence d’un univers mental que le langage poétique reflète et prétend façonner, une attention pragmatique aux choses appréhendées à travers leurs qualités annexes, et semblent liés à l’assomption d’une poétique qualificative qui pourrait bien être représentative de la vision du monde de la Renaissance ; ou plus tard, au xviie siècle, où l’ancrage social de ces discussions semble avoir supplanté l’approche plus cosmologique du siècle précédent, ils témoignent des nuances du goût, du talent et de l’usage dans le cadre desquels se pense la liberté créatrice en débat avec la norme. Les dictionnaires de rimes, en revanche, paraissent circonscrits au domaine vernaculaire où le « nombre » du vers se pense dans une émulation constante avec la prosodie latine, au long d’ardents débats régis par un « glissement conceptuel » permanent16, et d’expérimentations tant pédagogiques (M. Furno) que poétiques17. Leur efflorescence est plus tardive, mais leur postérité semble plus convaincante, puisque leur utilité
reste attestée par une production éditoriale régulière : si l’épithétaire ne subsiste guère plus de nos jours que sous la forme marginale de répertoires d’insultes choisies18, les dictionnaires de rimes se vendent toujours, malgré le dédain hypocrite qui s’attache à leur feuilletage. Aux xvie et xviie siècles pourtant, un ensemble de représentations et de pratiques différentes des nôtres a fait que les deux types d’ouvrages se sont croisés. Le fait qu’ils aient pu émaner des mêmes milieux, unis par les mêmes ambitions et les mêmes modèles, et échangent leurs rôles en vertu d’une reformulation de leurs statuts respectifs, justifie que l’on tente ici de mieux cerner les attentes placées par chaque époque dans ces recueils, aussi disproportionnées qu’elles nous semblent aujourd’hui.
De l’entreprise monumentale de Ravisius Textor aux arts poétiques du xviie siècle, la formule proverbiale qui associe la rime et la raison nous servira de fil directeur, dans la mesure où elle pose la question du sens, ou de la raison d’être, qui préside au placement, au rythme et à la relation des mots entre eux dans le vers, que ce soit sur critères sémantiques ou phoniques. Le débat sur la raison de la rime s’applique depuis longtemps à la Grande Rhétorique, tantôt décriée pour le sacrifice qu’elle aurait fait de la raison à la rime, tantôt célébrée pour ses jeux élaborés « avec rime et raison19 » ; mais la recherche « des mots à la rime et de leur raison » ne caractérise pas moins la pratique bellayenne de la rime, selon la jolie formule de M. M. Fontaine20 ; et l’on retrouve significativement
cette formule à l’autre extrémité de la période qui nous intéresse, sous la plume de Boileau, associée au dénigrement de l’épithète, dans la Satire II « À Monsieur de Molière21 ». C’est ce trio de l’épithète, de la rime et de la raison, lié au chassé-croisé de l’épithétaire et du dictionnaire de rimes, qui constitue l’objet de cet ouvrage. Ce volume propose ainsi, en diachronie, une approche littéraire, européenne et croisée des deux genres.
Une approche littéraire
d’un phénomène lexicographique
Les dictionnaires d’épithètes ont jusqu’à présent fait l’objet de trois types d’approches. Une approche historique et lexicologique, qui est majoritaire22, les aborde parmi d’autres lexiques partiels ou spécialisés comme autant de témoignages résiduels d’un progrès des dictionnaires vers la proprietas et vers la constitution de corpus lexicographiques toujours plus précis et exhaustifs. Par-delà le postulat téléologique dont elle procède, et qui mérite d’être nuancé23, l’un des inconvénients de cette perspective est sans doute qu’elle néglige la participation de ces outils à la création
contemporaine, comme manifestations sidérantes d’un projet poétique d’ampleur sur la qualification des choses, à l’époque où l’épithète se charge de promesses esthétiques, pour ne pas dire ontologiques, dans les arts poétiques et la production correspondante. Une seconde approche, attentive à l’évolution qui se fait du passé rhétorique de l’épithète antique à la grammaticalisation24, envisage ces recueils comme un prolongement significatif d’une tradition pré-grammairienne de l’épithète, où celle-ci était pensée moins comme élément syntaxique que comme ressource ornementale contribuant à la fabrication des tropes par association avec d’autres procédés stylistiques25. Une troisième approche enfin, qui reflète une pratique courante des spécialistes des xvie et xviie siècles, consiste à voir en eux des documents riches d’enseignements sur la façon dont telle ou telle réalité était alors perçue, en les considérant comme des répertoires de « lieux communs26 », conformément à des méthodes qui ont leur dignité à l’époque. Le rapport aux textes dont ces ouvrages témoignent, les options et les choix que suggèrent leurs appariements, la séduction poétique qui en émane parfois, invitent cependant à les voir aussi autrement27. Les approches poétiques qu’a suscitées le genre des dictionnaires de rimes
sont de leur côté peu nombreuses, du moins dans le domaine français28, mais significatives, liées aux théories du « nombre », aux manifestations d’intérêt concrètes des poètes pour la répétition phonique et à l’histoire des arts poétiques de la Renaissance à l’âge classique.
Ce volume propose d’aborder conjointement ces deux types d’ouvrages d’un point de vue littéraire, en vertu de leur appartenance à un même faisceau de réflexions esthétiques et de leur complémentarité dans les arts poétiques et la création contemporaine. Rien n’empêche au demeurant de les aborder pleinement pour eux-mêmes, comme objets poétiques à part entière, au nom du plaisir du feuilletage qui aura certainement motivé l’engagement des contributeurs de ce volume. Une telle démarche existe du reste déjà, représentée par l’Oulipo, qui s’amuse des épithétaires, sans même parler de la rime ! Ainsi J. Roubaud, faisant du dictionnaire un exemple de liste glosée, sous-forme du poème-liste, définit en citant La Porte, ce poète qui s’ignore, l’épithète comme « la forme la plus primitive (et partant le plus poétiquement chargée) de la glose du substantif29 ». Quoi de plus naturel que ce retour de bâton de la « littérature mode d’emploi » transfigurant en poésie ludique la prétention de ces dictionnaires à s’ériger en ouvroirs de littérature potentielle30 ? Il rejoint, reconnaissons-le, notre impression première sur ces ouvrages, et les raisons inavouées de notre attachement pour eux.
C’est avant tout la poésie qui fait l’unité de ce corpus. Au sein du foisonnement des compilations, lexiques partiels, commentaires et recueils de lieux communs qui caractérise les xvie et xviie siècles, ce sont des
« dictionnaires des poètes », pour reprendre la formule que Nicole Celeyrette-Pietri applique aux dictionnaires de rimes et d’analogies31. Certes, cette spécification qui va de soi pour les dictionnaires de rimes présuppose une sélection parmi les épithétaires, puisqu’il existe des épithétaires cicéroniens, applicables à la prose : mais on sait que les cadences cicéroniennes constituent un important facteur de continuité dans le cadre des débats sur le « nombre » issus du cicéronianisme32 ; et en privilégiant les épithétaires poétiques, au demeurant majoritaires, pour associer ces deux types d’ouvrages, nous avons fait le pari que la vocation poétique des recueils transcende la différence de leurs objets, quel que soit le niveau du public auquel ils s’adressent dans cet art – scolaire ou écrivain, débutant ou confirmé. C’est en effet à « ceux qui sont naturellement aptes à la discipline poétique » que songe prioritairement Textor, « tisserand des Muses », « comme s’ils avaient eu les Muses pour accoucheuses », « infiniment plus [qu’à] la prose » (N. Istasse) ; c’est aux poètes que La Porte prétend s’adresser. La circulation des Rimarii de Pétrarque (Fr. Tomasi), la part prise par les épithétaires dans l’efflorescence de la poésie espagnole du Siècle d’Or (R. Béhar), et le développement des dictionnaires de rimes français de la fin du xvie au xviie siècle (J.-Ch. Monferran, S. Macé) confirment l’homogénéité de ce corpus lexicographique lié à l’émergence de poétiques nouvelles. Et si ces ouvrages sont plus tard accusés, en vers et en prose, de dessécher l’esprit et d’appauvrir le sens (M. Rosellini, D. Reguig), c’est au nom d’un idéal poétique reformulé, qui ne saurait négliger l’épithète, la rime ni leur interaction. Tous procèdent, en outre, d’un idéal de copia modéré à des degrés divers par l’exigence de proprietas, et d’une ambition encyclopédique – même si, des premiers épithétaires et de l’aspiration des dictionnaires de rimes mêmes à la glose (Fr. Tomasi, J.-Ch. Monferran), une évolution se fait jusqu’aux sommes et dictionnaires universels du xviie siècle33. Enfin, tous ces genres communiquent : ce n’est pas un hasard
si les Rimarii de Pétrarque sont parfois complétés par des listes d’épithètes (Fr. Tomasi), si la publication des Epithetes de La Porte est concomitante de celle du répertoire de « lieux communs » poétiques de Gilles Corrozet, largement inspiré de Ronsard34, source également majoritaire du plus tardif Promptuaire d’unisons de Le Gaygnard (J.-Ch. Monferran), ni si l’on complète, au tournant des deux siècles, l’épithétaire de Textor par un traité de prosodie ou, inversement, un dictionnaire de rimes par un Amas d’épithètes extraites des vers de Du Bartas (Y. Bellenger)35.
Ces différents ouvrages émanent en effet d’univers voisins dont la porosité est confirmée, à l’âge de l’imprimerie et des poètes-pédagogues, par une série d’échanges et d’interactions. Ainsi de Textor, dont l’activité pédagogique est admirablement restituée dans ses servitudes, ses humbles ambitions et ses heures de gloire, par les différentes préfaces de son épithétaire et par le témoignage de Nicolas Bérauld, et dont l’activité de « poète-lexicographe36 » est ici décrite à travers l’étude de ses autocitations dans son épithétaire (N. Istasse) ; le contexte pédagogique à la faveur duquel se répand la vogue de l’épithétaire et du dictionnaire de rimes dans les pays latins est également un fait révélateur du xvie siècle (M. Pozzi, Fr. Tomasi, R. Béhar), et du tournant des xvie et xviie siècles (J.-Ch. Monferran, M. Furno). Interviennent en outre l’étroite association des auteurs aux grandes entreprises éditoriales et les stratégies qui régissent la collaboration de l’imprimeur-libraire et du poète, au sein de ces lieux privilégiés d’échange et d’élaboration que sont les ateliers d’imprimeurs37, les collèges et autres réseaux culturels.
Les liens de la famille La Porte avec la Pléiade sont par exemple bien connus38, et la célébration de Ronsard par un épithétaire, un dictionnaire de lieux communs, un dictionnaire de rimes et les citations de la dialectique et de la rhétorique ramistes39, si elle entérine sans doute la consécration du « prince des poètes », procède aussi d’une volonté de promotion très cohérente avec les ambitions de la Deffence. On ne peut enfin qu’être frappé, au xviie siècle, par la double activité d’un Sorel, romancier-caricaturiste et critique littéraire (M. Rosellini), par le caractère indéniablement littéraire des observations des Remarqueurs sur la langue française (S. Hache), par la totale cohérence générique des apports de ce poète-théoricien qu’est Boileau faisant de la satire « une pratique de critique littéraire » (D. Reguig)40, et par l’ancrage du Dictionnaire de rimes de Richelet dans les débats poétiques de son siècle (S. Macé). Le fait que ces témoignages concordants d’une promotion concertée, d’une dépréciation unanime, ou de prises de position souriantes et plus nuancées, nous fassent retrouver les grands débats de ces siècles – la querelle du
cicéronianisme, l’atticisme et l’asianisme, le ramisme, les remarques sur la langue et les débats sur « les normes du bien dire » à l’âge classique – atteste le fort ancrage théorique de ces entreprises lexicographiques, qui font corps avec la production poétique contemporaine. Il est en ce sens justifié de les aborder comme un phénomène global de cette période.
De plus, tous ces ouvrages réfèrent à des modèles, et tirent leur sens des débats sur l’imitation dans le cadre desquels se déploie la production poétique des xvie et xviie siècles. Entre cicéronianisme, bembisme et virgilianisme, sous la triple influence des théories du « nombre », de la « questione della lingua » et de la rivalité opposant Virgile à Homère, un cadre est ici posé : il permet de tracer des lignes de force et des zones d’influence définissant les conditions d’une interaction féconde des dictionnaires d’épithètes et de rimes dans ces débats qui les impliquent. Nous reviendrons tout à l’heure sur ces modèles – Homère, Virgile, Dante, Pétrarque, Politien, Garcilaso de la Vega, Ronsard et les autres – uniques ou pluriels, dominants ou aussi nombreux que possible. Mais à l’arrière-plan des choix qui les concernent – choix de traduction (M. M. Fontaine, Ph. Ford) ou d’acclimatation (P. J. Smith), d’orientation et d’organisation (R. Béhar, Fr. Tomasi), de sélection et de répartition (N. Istasse, A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), absence de choix aussi parfois (S. Hache), voire rejet (M. Rosellini, D. Reguig), et saluts lexicographiques à tel poète ou à telle école poétique (S. Macé) –, ce volume souligne la dimension militante de ces ouvrages, leurs enjeux souvent conflictuels, les prises de position qu’ils traduisent. La question des modèles est en effet l’une des plus aiguës du xvie siècle. On voit ainsi comment la valorisation d’autorités telles que Dante ou Pétrarque, tout en influençant la création contemporaine, est combattue par les résistances de la langue parlée et la référence à une authenticité de la langue (M. Pozzi), ainsi que par le refus d’un modèle asphyxiant, qui transparaît à travers l’élaboration des Rimarii (M. Pozzi, Fr. Tomasi) ; ou encore comment certains modèles échouent, comme l’illustre le cas de Ronsard, promu pour ainsi dire trop tard à ce rang, alors que la poétique de la Pléiade était déjà contrecarrée par la montée en puissance de l’idéal classique (J.-Ch. Monferran). En ce qui concerne enfin le xviie siècle, où le débat sur l’imitation se reformule, l’un des apports des contributions rassemblées ici est que, face aux généralisations esthétiques que pouvaient entraîner pour un regard seiziémiste le déclin des épithétaires
et la systématisation des dictionnaires de rimes, autour de Richelet par exemple, elles ont tâché de corriger cette impression en faisant valoir la cohérence des représentations en jeu (M. Rosellini) et la façon dont, tantôt sans référence aux dictionnaires (S. Hache) et au nom du sens de la rime (D. Reguig), tantôt dans les dictionnaires, en vertu d’un amour des mots rares et d’un paradoxal purisme nostalgique (S. Macé), la littérature de ce siècle s’accommodait de l’épithète et de la rime.
Dans cette perspective, où l’épithète et la rime engagent des enjeux esthétiques majeurs, la poésie et plus généralement la qualité littéraire sont envisagées comme relation. En effet, elles présupposent la mise en relation d’un sème, d’un mot et d’un rythme ou d’un son, placés dans le vers au nom d’une convenance qui est, selon les époques, affaire d’usage, de goût et de sens ou de bon sens. Il en est ainsi pour la qualification épithétique en vertu de la place centrale de l’épithète dont l’épithétaire fait en quelque sorte le pari, place éminemment rhétorique, conformément à la tradition antique qui assigne aux épithètes une fonction de premier plan dans l’élaboration des tropes41. Mais la rime engage également une mise en relation, verticale et phonique, d’un mot à l’autre et d’un vers à l’autre, qui complète, ou concurrence, le lien horizontal établi dans la linéarité des vers par les expansions nominales42. Aussi l’importance accordée selon les époques au lien assuré par l’épithète ou la rime est-elle tributaire d’une conception de la rythmique du vers et de l’euphonie – questions auxquelles la qualification épithétique est loin d’être indifférente, comme le rappelle M. M. Fontaine à propos de la cadence que l’épithète homérique donne au vers –, de la façon dont se négocie la convenance de ces appariements, et du sens, ou de la « raison », que chaque époque espère voir surgir soit de l’épithète, soit de la rime, dans l’espace construit du poème.
Reprenons donc plus précisément les deux grandes questions qui viennent d’émerger, celle de l’imitation et de ses modèles, et celle de la convenance et du sens.
L’imitation, le modèle et la norme
La littérature des xvie et xviie siècles étant foncièrement une littérature d’imitation – et les options « anciennes » de Boileau posent une continuité à cet égard43 –, c’est bien entendu à propos des modalités de cette imitation que se noue la série de querelles qui sert de toile de fond au développement de ces deux types d’ouvrages. Sur ce point, l’apport de ce volume est triple : il offre des éléments de contexte pour resituer les motivations de ces entreprises lexicographiques un peu folles, propose une distinction opératoire entre le modèle et la norme, et fournit un cadre conceptuel à l’éviction progressive de ces ouvrages hors du champ littéraire au xviie siècle.
Les débats sur l’imitation
L’essor de ces deux genres est tributaire de tout un contexte, scolaire pour une part, dans le cas de l’épithétaire latin et même parfois de la versification en langue française (M. Furno), et littéraire par ailleurs, marqué par les débats sur l’imitation et la dignité des langues vernaculaires. On sait à quel point ces questions sont liées44. Au commencement étaient Homère et Virgile, Cicéron, Dante et Pétrarque, ou plutôt Politien, Érasme, Bembo, la Pléiade, Ramus et Scaliger, et autour d’eux des débats qui, posant les problèmes du choix des modèles, de leur pluralité et des modes d’imitation, se fécondent mutuellement. Par référence à Cicéron, modèle oratoire par excellence, se définit la tentation du purisme pourfendue par Érasme, ainsi que le conflit entre atticisme et asianisme, dans des débats dont les enjeux passionnent l’Europe entière45 ; par référence à Érasme, la valorisation d’une imitation non pas exclusive mais plurielle, au nom d’un idéal d’adaptation (aptum)46. Entretemps, en Italie, autour
de Dante et de Pétrarque, comme de Boccace pour la prose, se noue, sous l’influence de Bembo et en lien avec la question du cicéronianisme47, la « questione della lingua », le principe d’une imitation exclusive, lié à l’espoir d’une langue nationale unifiée où s’incarne artificellement la quintessence de la langue, amenant à réagir les tenants de la pluralité des modèles à travers une série de commentaires et Rimarii (M. Pozzi, Fr. Tomasi)48 ; et l’écho de ces débats se fait sentir en France, notamment à travers l’exploitation du Dialogue des langues de Speroni dans la Deffence et Illustration et au long de la querelle consécutive, dominée par la question du cicéronianisme49. Dans la poésie française, interviennent particulièrement les fameuses cadences cicéroniennes, le « nombre » oratoire, et en vertu de la parenté établie de la poétique et de la rhétorique, les tentatives de définir par la rime et les « vers mesurés à la lyre » un « nombre » du vers compensant la perte des quantités syllabiques lors du passage de la prosodie latine au français50 ; et la conciliation paradoxale opérée par Ramus, posant qu’il n’est meilleur cicéronien que celui qui écrit dans sa langue, en étroite parenté de vues avec la Pléiade51. Dans le domaine
de la traduction, où Politien incarne une alternative mesurée au virgilianisme, au cœur des débats sur l’atticisme et l’asianisme qui servent de toile de fond à la compilation des Epitheta de Textor, dans le milieu parisien des années 1510-153052, et où, sous l’impulsion de François Ier, la France joue un rôle majeur (M. M. Fontaine), les débats, incarnés par le cicéronien Dolet53 et par la Pléiade, sont marqués par la conciliation du cicéronianisme avec la défense et illustration de la langue vulgaire, et par le critère de l’aptum qui à la fois impose le respect de la « propriété » de la langue et pose la question du sens54. C’est notamment autour de la comparaison d’Homère et de Virgile, relancée à la Renaissance55 et particulièrement illustrée par Scaliger, autre cicéronien56, et autour d’un virgilianisme soucieux entre autres d’acclimater les épithètes homériques, que s’ordonnent les choix de la traduction « mot à mot » ou « selon le sens57 » à travers une série de tentatives qui influencent en profondeur
la création poétique contemporaine. Par-delà la différence apparente des attentes placées dans les épithètes et dans les rimes, les termes dans lesquels se formulent ces débats issus du cicéronianisme, du bembisme et du virgilianisme définissent donc un ensemble de préoccupations cohérentes. Deux questions les unissent : qu’est qu’un vers ? sur quoi se fonde l’économie du vers ? Qu’est-ce qu’un vers, c’est-à-dire aussi jusqu’à quel point la poésie se définit-elle par le vers, le vers par la rime, la musicalité par le rythme, le « nombre » par la quantité des syllabes, la cadence par l’ordre et par la taille des mots dans le vers ? Et sur quoi se fonde l’économie du vers, dans la mesure où sous la question de la congruence au modèle, ou de la pluralité des ressources imitables, se cache un postulat sur l’adéquation des mots aux choses, et des mots entre eux selon l’ordre des choses, déterminant l’exigence de sens et l’idée d’une « raison » d’être du vers qui a pu amener à le percevoir au fil de son histoire, selon les contextes et les auteurs, comme tout entier ramassé dans la rime, ou dynamisé par l’épithète.
Envisageons tout d’abord le cas de l’imitation néo-latine, dont le principe s’impose pour les épithétaires à vocation partiellement scolaire. Le choix des modèles et la méthode de leur recension y sont essentiels dans la mesure où ils subissent de plein fouet la crise du cicéronianisme et ses retombées tout au long des xvie et xviie siècles. Si la recension opérée par Ravisius Textor n’est pas normative (N. Istasse), encore qu’elle ait pu finir par le devenir (M. Rosellini), il reste que l’existence des Epitheta, leurs sources, et les innovations du lexicographe (néologismes lexicaux et « d’expression », cf. N. Istasse) s’inscrivent dans un contexte vindicatif et polémique, lié à l’essor de la rhétorique humaniste, aux revendications des maîtres ès arts, et aux débats sur l’imitation. La question de ce qui est ou non imitable, dégagée de la pluralité des auteurs exploités, de leurs caractéristiques esthétiques et des interprétations des auteurs-phares œuvre par œuvre parfois, comme dans la réception de Politien dont les silves et les miscellanées nourrissent des interprétations différentes pour les tenants de l’atticisme et de l’asianisme, est ainsi indissociable de tout un climat parisien où Textor tient une position intermédiaire entre Bérauld et Dubois58. La question de la façon dont le
« poète-lexicographe » travaille prend dans ce contexte une importance cruciale : ainsi lorsqu’il procède à ses relevés, d’après la stimulante formule de Gilles de Maizières, selon l’ordo arachneus de l’araignée tissant sa toile, à partir d’un auteur de référence et d’autres lectures assurant le bâti de la trame jusqu’à un maillage de plus en plus fin (N. Istasse), ou lorsque, sûr de ses effets, il se fait lui-même inventeur de mots. Dans la langue vulgaire, le même modus operandi suivi par La Porte, joint à un relevé par salves synonymiques (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), traduit la volonté d’ouvrir, en étendant tous azimuts le champ d’application des enrichissements notables, le champ des possibles que refermera peu après une autre approche des épithètes et de la synonymie59.
Dans le domaine de la traduction, où le traitement des épithètes homériques constitue un cas d’école, du grec au latin, où Virgile et Ovide sont rois, c’est dans un « climat de violence » lié à la question du cicéronianisme que Florido fait ses choix (M. M. Fontaine), Florido qui forme avec Scaliger et Dolet un trio infernal, où la parfaite connaissance mutuelle des théories des uns par les autres se mêle de détestation. Quant à la traduction des épithètes du grec ou du latin vers la langue vulgaire (Ph. Ford), elle fait ressurgir les tiraillements entre la traduction « mot à mot » ou « vers pour vers » et la prédominance du « sens », illustrés notamment par l’antagonisme des positions de Peletier du Mans et de Salel dans un débat où l’on retrouve Dolet, ou encore le refus scaligérien de « l’imitation automatique » (R. Béhar). Parallèlement, l’influence de Scaliger, promoteur d’un virgilianisme stylistique qui s’éloigne du modèle grec60, gagne l’Europe entière ; et c’est ainsi qu’en Espagne, loin de la précellence d’Homère, c’est au tour des Epitheta de Textor de devenir modélisants à la faveur d’une traduction partielle, invitant à poursuivre la ronde des néologismes dans un lexique au moins, et peut-être plus largement, sur un mode exploratoire, dans la littérature tant en vers qu’en prose (R. Béhar). L’ouverture plus ou moins grande des recueils et traductions à l’innovation lexicale procède elle-même d’une
interprétation rhétorique de la fonction de l’épithète, dont l’un des vices essentiels, et ce des origines à Boileau, reste l’immotivation : ce refus que Boileau exprime par le souci de la « raison » de la rime (D. Reguig) se traduit au xvie siècle dans les termes du refus des épithètes « oisives » par opposition aux épithètes « significatives » – la formulation d’Érasme ou des théoriciens et commentateurs espagnols ainsi que l’accent mis par Scaliger sur la significatio rejoignent ici, fait rarement souligné, les prises de position de la Pléiade (R. Béhar)61.
Quant aux modèles qu’à l’instar de leurs rivales antiques les langues vernaculaires mettent à leur tour en avant, en Italie, la « questione della lingua » commande, à travers la réorchestration de la quête illustrée par Dante et les théories de Bembo, la recherche d’une introuvable langue vulgaire (M. Pozzi) représentative autant que nécessairement artificielle62, dont l’histoire mouvementée transparaît à travers une floraison de préfaces et d’index, d’élégances, d’observations, de dictionnaires, de commentaires et de Rimarii (M. Pozzi). La question du « régime de monopole » qu’entraîne, dans la poésie pétrarquisante, une situation de valorisation exclusive du modèle pétrarquiste analogue au problème du cicéronianisme fournit à l’étude des choix opérés dans les Rimarii de Pétrarque, révélateurs de divergences théoriques, des éléments de contextualisation éclairants
(Fr. Tomasi) : véritables organes de contestation à la prédominance exclusive d’une poétique qu’ils promeuvent en même temps dans l’Europe entière, ces instruments apparaissent ainsi comme les lieux d’élaboration d’une poétique virtuelle. En France, où la question de l’unité linguistique et la valorisation de la langue nationale se pensent en d’autres termes, la consécration de Ronsard comme « prince des poètes » et comme modèle dans les Epithetes de La Porte et dans les dictionnaires de rimes n’entraîne de son côté aucune incompatibilité avec la valorisation des mots du terroir, bourguignons ou autres (J.-Ch. Monferran), conformément aux principes de la Pléiade63. Quant au surnom de Sabino choisi par Florido par référence à un terroir imprégné du latin originel, où s’enracine sa culture des différents états de la langue (M. M. Fontaine), il prend, dans la France de François Ier, une résonance particulière au cœur de ces débats.
C’est encore le souci des modèles qui justifie le choix éditorial de compléter le dictionnaire de rimes attribué à La Noue par l’Amas des épithètes issues de Du Bartas, choix plus artificiel cependant, laissant visible la suture du dictionnaire de rimes plus général et de l’épithétaire (Y. Bellenger) : signe d’un état intermédiaire entre les entreprises dissociées, mais convergentes, quoique animées d’interprétations différentes sur les facteurs de poéticité, qui exploitent les « meilleurs morceaux » d’un Ronsard mis en pièces (épithètes, rimes, sentences ou citations), et les grandes entreprises exhaustives, à vocation totalisante, d’un xviie siècle marqué par la séparation entre la sphère des collèges, repaire de pédants qui pétrarquisent et ronsardisent (M. Rosellini) – pédants de cour, blâmables surtout de passer d’une sphère à l’autre, et de pratiquer une esthétique fleurie de moins en moins prisée64 – et le monde littéraire où les dictionnaires de rimes (S. Macé) et les remarques sur la collocation (S. Hache), ainsi que les grandes options d’un Boileau (D. Reguig),
restent d’actualité mais sans l’apport des épithétaires. Par-delà le cas évident de Ravisius Textor, l’exemple des vers de collégiens cités dans le dictionnaire de rimes de Tabourot (M. Furno, J.-Ch. Monferran) suggère qu’il n’en était pas encore ainsi à la toute fin du xvie siècle65. Qu’il ait enfin pu exister une traduction de La Porte en néerlandais au xviie siècle (P. J. Smith), comme il en existe une, partielle et plus anecdotique et privée, de Textor en espagnol au siècle précédent (R. Béhar), met en question la notion de modèle, puisque cette entreprise transcende la prééminence nationale accordée à Ronsard en France à la fin du xvie siècle pour reconnaître à l’épithétaire sa fonction d’enrichissement lexical et la transposer dans une autre sphère linguistique, sans modèle dominant – à la différence de ce que tentent, par exemple, Peletier du Mans dans sa traduction de l’Art poétique ou La Porte dans ses Epithetes66, au bénéfice de la Pléiade –, tout en concédant en passant à Marot, Rabelais ou Ronsard une place à côté de Till l’Espiègle.
Le modèle et la norme
La question du canon choisi par les lexicographes invite dès lors à distinguer, dans le sillage des analyses de M. Pozzi, Fr. Tomasi et R. Béhar, le modèle mis en avant dans ces recueils, imitable par excellence, et la promotion d’une norme qu’il s’agit de définir, d’accompagner, ou au contraire d’infléchir ou de contester afin de s’en affranchir. Il ressort en effet de ces analyses que la « normalisation » de la langue échappe, pour
une bonne part, aux lexicographes dont les entreprises apparaissent parfois plutôt comme des « îlots de résistance » (Fr. Tomasi) ou le creuset d’une exploration linguistique (R. Béhar), quand elles ne laissent pas affleurer la « tentation lexicographique » d’un amateur de mots cédant à la nostalgie (S. Macé). Car précisément le modèle ne s’identifie pas avec la norme : il a sa cohérence propre, ses licences irréductibles, dont le regard « anatomique » de compilateurs disséquant ses procédés un par un n’a aucune chance de restituer la partition personnelle. Aussi bien ne le tentent-ils pas, loin de la figure caricaturale du Nosopon d’Érasme dont les multiples dictionnaires partiels cicéroniens proposent un cicéronianisme en « kit » incapable de faire vivre une prose oratoire, aussi cicéronienne soit-elle67 ; c’est plutôt la caricature du poète pétrarquiste à la mode qui en est l’analogue dans les plus polémiques des Rimarii (Fr. Tomasi). Les lexicographes et traducteurs étudiés ici ne sont justement pas puristes – homériques, virgiliens, pétrarquistes ou ronsardiens –, qu’ils mettent en avant la « propriété » du sens (M. M. Fontaine, Ph. Ford) en opposant Virgile à Homère, ou modèrent la « propriété » des termes (R. Béhar) au nom de l’élégance, ou d’une pureté du style qui n’a pas plus à voir avec le purisme pétrarquiste qu’elle n’est normative ; et lorsqu’ils le sont, reformulant comme Richelet la définition scaligérienne du vers achevé en purisme classique, demeure encore la possibilité d’hésiter sur la présence, scrupuleuse mais un rien provocante, d’un audacieux « climatérique » (S. Macé). C’est par là que ces ouvrages, comme autant de lieux de débat qu’ils sont, entretiennent avec la création poétique contemporaine un lien véritablement littéraire, qu’il serait dommage de réduire à la valorisation ponctuelle d’une ressource lexicale, phonique, grammaticale ou rhétorique.
La poétique en « kit » que proposent les dictionnaires d’épithètes ou de rimes, comme le montre par exemple le travail de sélection, d’interprétation et de répartition effectué par La Porte (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia),
est en réalité d’un autre ordre. Elle ne procède nullement d’une confiance puriste dans la combinatoire des disjecta membra, ou des rouages démontés d’un modèle exclusif, mais témoigne au contraire des espoirs rhétoriques placés dans les associations de mots, magnifiquement illustrées par un modèle : c’est pour cela que les Epithetes de La Porte, malgré la prédominance des épithètes ronsardiennes en leur sein, peuvent souffrir sans déperdition culturelle une transposition néerlandaise (P. J. Smith). La combinatoire à l’œuvre dans ces ouvrages ne se prête en fait à la métaphore mécanique que dans la mesure où elle autorise la notion de jeu, puisqu’elle est affaire de contact, de mise en rapport entre les termes, laissant ouvert à la faveur de rapprochements suggestifs et toujours imparfaits un espace de liberté créatrice et d’interprétation ; et elle n’est exploitable par le moyen d’une approche automatique des corpus, comme nous l’avons tenté ici (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), qu’à condition de ramifier l’investigation et de multiplier les lignes de fuite, afin de permettre une prise en considération nuancée des divers traitements qu’appelle la catégorie la plus passionnante des expansions nominales, la périphrase68. C’est, au contraire, lorsque l’imitation n’est plus que disjecta membra et que rouages assemblés vaille que vaille que sa mécanique tourne à vide et que la poésie se perd (M. Rosellini), destituée de la grâce de la collocation (S. Hache) mais aussi d’une logique de composition organique et vivante, selon une littérature théorique et critique qui se passe si bien des dictionnaires que l’on ne saurait plus dire avec certitude qu’elle y a recouru, fût-ce pour les caricaturer. Les analyses tournées vers la fécondité littéraire des dictionnaires d’épithètes et de rimes s’accordent, au contraire, à reconnaître leur pouvoir de stimulation déployé selon des modalités diverses, soit par le désordre fort peu sélectif qui caractérise ces « fatras » et « amas », par vocation non normatifs, soit au contraire par la limitation des choix qu’ils proposent et qui, restreignant le champ des ressources exploitables, appellent à l’élaboration d’un langage figuré poussé à l’extrême (R. Béhar).
Si l’on revient au cas de Ronsard, modèle autoproclamé autant que reconnu jusque par ses caricaturistes à l’âge classique, son échec à incarner
au xviie siècle autre chose qu’un ronsardisme caricatural et décrié, alors même que ses imitateurs abondent, confirme l’écart qui se creuse à son propos entre le modèle et une norme qu’il a, pourtant, pressentie et tenté d’accompagner. On sait en effet à quel point les corrections inlassablement apportées au monument de ses Œuvres complètes témoignent de son attention anxieuse aux évolutions de l’usage et de sa volonté de s’y inscrire par l’adaptation de son style à la langue, autant que par le façonnement de la langue d’usage par le style69. Mais précisément, cette double entreprise implique à la fois l’impossibilité pour le modèle de maîtriser une évolution linguistique et esthétique qui le dépasse, et sa résistance à quelque norme que ce soit, fût-elle issue de lui : on sait que Ronsard était le premier à être agacé par les caricatures de lui-même que lui offraient de son vivant de pâles imitateurs – détracteurs et pasticheurs, mais aussi admirateurs et rivaux70 –, et, par choix délibéré ou simplement parce qu’il se contentait d’être lui-même, comme il aime à le dire – le modèle pouvant seul s’autoriser la licence sans se renier lui-même – se libérait avec désinvolture de son personnage au nom de la diversité71. La prépondérance du modèle s’instaure avec lui dans le décalage : venu trop tôt, comme il le prétend non sans hypocrisie, dans une langue française trop pauvre, dont il s’est cependant bien trouvé, et célébré trop tard pour que les dictionnaires inspirés de son œuvre perdurent en son nom (J.-Ch. Monferran), il suscite une démarche d’« explication » plutôt que de « normalisation » : c’est l’ambition des Commentaires de Muret72, des Epithetes de La Porte, et peut-être aussi de certains dictionnaires de rimes (J.-Ch. Monferran). Ronsard, victime
de ses propres postures ? Mais « explication » aussi de la poésie que les Anotaciones de Herrera à la poésie de Garcilaso de la Vega (R. Béhar), où l’on voit bien que le modèle n’est pas toujours la norme, alors même que Garcilaso ou plus tard Góngora semblent, eux, être venus à point dans un Siècle d’Or prêt à les recevoir. Et « explications » encore que cette floraison de lexiques et de gloses autour de Dante et de Pétrarque dont M. Pozzi restitue l’histoire, et Fr. Tomasi décrit les points de résistance, la pluralité des modèles finissant par compromettre la norme, dès lors que la coïncidence artificielle du modèle et de la norme fait du déboulonnage plus ou moins discret du modèle un sport national.
Une normativité controversée
Est en revanche significative l’évolution, accréditée par leur réception dans la littérature du xviie siècle, des dictionnaires d’épithètes vers une normativité qui éclate, dans la restriction de leurs ambitions à un usage scolaire, et dans leur rattachement à d’autres outils de versification oublieux de la tradition rhétorique de l’épithète, comme dans leur organisation même et dans le principe limitatif des appariements qu’ils proposent73 ; mais qu’importe, puisque l’épithétaire semble alors sortir du champ de la littérature et même des observations des Remarqueurs (M. Rosellini, S. Hache), au rebours de ce qui se produisait dans les littératures latine et vernaculaire du siècle précédent. Ce qui est en jeu n’est peut-être pas tant la mainmise scolaire des établissements jésuites et de leurs concurrents sur ce genre que la déconnexion des deux sphères, incarnée par la tentative désuète du pédant Hortensius de s’aventurer hors de son collège et de sa basse cuisine pour pétrarquiser à la mode ronsardienne (M. Rosellini)74. Ce froid amant qui « morfond[u], pétrarquis[e] » en vertu d’un malentendu sur les modèles que Ronsard lui-même avait déjà ridiculisé75, remise au rayon des vieilleries poétiques l’épithète comme le ronsardisme, irrémédiablement associés. Le cas des dictionnaires de rimes semble
différent, ne serait-ce que parce que le recours pédagogique à la versification française au tournant des deux siècles, au moins dans les petites classes (M. Furno), suggère la possibilité d’une continuité plus grande entre l’univers scolaire et le monde des lettres, où le dictionnaire de rimes poursuit, et systématise, son essor en association avec une conception de la versification, d’ailleurs très personnelle et très ouverte, dans l’entreprise monumentale de Richelet (S. Macé). Mais que le recours à l’épithète subsiste à l’état de pratique, vidée de ses implications rhétoriques, et subordonnée à la rime, est attesté par la Satire II de Boileau qui la dénonce comme pur remplissage d’un vers à la signification duquel elle n’apporte rien (D. Reguig).
Si norme il y a donc bel et bien, on peut cependant se demander de quel côté elle se situe. Les contributeurs dix-septiémistes de ce volume s’attachent précisément à démontrer que ce qui peut apparaître comme une « normalisation » esthétique, incarnée notamment par Boileau, à l’égard de la poésie du xvie siècle, combat à sa manière un ensemble de pratiques courantes et d’usages institués dont libertins et classiques se détachent en les persiflant. Que Textor et Ronsard ne suscitent plus que moqueries prouve sans doute que le lien intime qui unissait la qualification épithétique à un rapport au monde s’est perdu ; que le conflit avec ces autorités d’un autre âge perdure, simples références réduites à une normativité sans âme, suggère peut-être que la norme la plus asphyxiante se confond ici avec la médiocrité de ceux pour qui les modèles ont cessé de vivre ; qu’inversement un dictionnaire aussi académique que celui de Richelet accueille la fameuse épithète « climatérique » du « vieux pédagogue » Malherbe ou laisse transparaître sa « tendresse » pour l’ancienne langue (S. Macé) indique que les dictionnaires les plus productifs sont ceux qui loin de se faire les conservatoires de l’usage, offrent une seconde vie aux licences de leur temps. Du temps où les « dictionnaires des poètes » se développaient comme espaces de revendication, de contestation subreptice, d’explicitation d’innovations toujours en avance sur leur public et de consécration mêlée de réticences, de postulats et d’espoirs, au xviie siècle, ce n’est peut-être pas seulement qu’une norme s’impose à travers eux, mais plutôt qu’elle change de camp.
La copia, la proprietas, l’aptum
et la question du sens
Des précisions s’imposent également sur la question centrale de la convenance, si l’on admet que l’intérêt de ces ouvrages est d’envisager la poésie à travers la mise en rapport de trois termes – la copia, la proprietas qui intervient dans le choix des mots, et la convenance, ou aptum, de leur mise en relation même. Les deux premiers de ces termes vont de soi : par-delà le lieu commun qui assigne à la Renaissance le règne de l’abondance, et aux siècles suivants un idéal de « propriété » de plus en plus marqué par le souci de la précision lexicale et l’esthétique de la clarté, les dictionnaires et les textes du xvie siècle traduisent une préoccupation constante pour la propriété du langage. La proprietas et la copia sont en réalité indissociables, d’un bout à l’autre de la période qui nous intéresse, la question étant plutôt de discerner les modalités successives de leur interaction. Par ailleurs, un autre lieu commun invite à voir dans le xviie siècle le règne d’une convenance désormais fixée et normative, souvent identifiable avec la bienséance. Les limites de ce lieu commun sont ici visibles, mais il reste que la convenance (aptum) qu’expérimente la Renaissance revêt volontiers des formes inattendues, innovantes, provocatrices, voire transgressives ; à tout le moins, elle suppose une exigence d’adaptation aux situations et une liberté de choix permise par une solide connaissance des ressources de la langue, telle qu’Érasme l’a théorisée76. Au sein du vaste mouvement qui va des séductions de la copia, comprise comme préalable à la proprietas, à l’exigence de précision plus limitative de la proprietas qui se developpe au xviie siècle, l’évolution qui se fait parmi les « dictionnaires des poètes », d’une recension décomplexée, ouverte, volontiers militante, et peu soucieuse de normer les appariements épithétiques ou phoniques, à une convenance plus restrictive constitue une ligne directrice pour appréhender ces ouvrages. Toutefois, puisqu’il s’agit d’en isoler les étapes, la pertinence qu’il y a à appliquer la notion d’aptum aux relevés de Textor est débattue dans ces pages ; c’est en liaison avec ces interrogations que la question du sens apparaît centrale pour aborder la double « raison » d’être de l’épithète et de la rime.
Le critère de l’aptum
Un point insistant des travaux sur Ravisius Textor est l’indifférence du compilateur néo-latin à la question de l’aptum, puisque le relatif « écrémage poétique » auquel il se serait livré semble davantage « dicté par ses goûts littéraires que par le pur idéal de convenance » (N. Istasse). Encore faut-il s’entendre sur les choix et les attentes qui font inversement de l’épithétaire en langue française un « laboratoire de l’aptum77 », la référence à l’aptum exprimant moins un idéal que la conscience d’une collocation heureuse et réexploitable, dans la récolte du compilateur, et le sentiment que l’épithétaire faciliterait non seulement le réemploi de la co-occurrence relevée, mais l’exercice de la qualité d’aptum qui seule fait de son utilisateur un poète. Ainsi le sentiment d’avoir affaire avec Ronsard à des épithètes « si proprement accommod[ées] » qu’elles donnent aux vers non seulement « grace, force, et vertu » mais « explication » de sa poésie, est-il premier dans l’entreprise de La Porte78 ; reste à se demander si la propédeutique qu’il met en œuvre est délibérée, ou si elle ne procède pas plutôt d’une communauté de regard, qui donne à cette démarche primesautière d’initiation à l’aptum une forme d’évidence. Un point commun entre les deux lexicographes est en tout cas la propension tout « arachnéenne » à « laisser flotter son fil » au gré des lectures et des affinités esthétiques (N. Istasse), ou encore toute sylvestre, pour reprendre une métaphore courante des lexicographes, à faire feu de tout bois ; un autre point commun, les surprises qui en résultent pour nous, lecteurs mi-amusés mi-sérieux, comme, sans doute, déjà pour leurs utilisateurs au xvie siècle. Mais, si la possibilité d’un étonnement fécond demeure un trait d’union entre le monument de Textor et le recueil plus modeste de La Porte, en revanche la scientificité du dictionnaire néo-latin est nettement supérieure, sans même parler de l’Amas d’Epithetes plus tardif (Y. Bellenger), l’absence de contraintes pédagogiques, ou la moindre ambition, de l’épithétaire français dispensant celui-ci de citer ses sources. Peut-être est-ce aussi pour cette raison
que La Porte, assumant la gratuité de la lecture qui l’a guidé, s’assure une légitimité en invoquant par la notion d’aptum une analyse poétique implicite qui fait tout l’intérêt de son ouvrage.
Par-delà les critères invoqués, cependant, importent la démarche du lexicographe et la façon dont il prétend aider apprentis et poètes par la structuration de son épithétaire. À cet égard, les dictionnaires envisagés ici offrent un vaste choix d’expérimentations : relevés « arachnéens » (N. Istasse) ou par salves synonymiques (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), organisation alphabétique ou par « lieux communs » (R. Béhar), « petits amas » plus ou moins amples qui souffrent de la comparaison avec Textor (Y. Bellenger), licence d’innover ou tendance à la limitation (N. Istasse, R. Béhar), pour l’épithétaire à l’âge de la copia ; renvois croisés, explications grammaticales, présence ou non de tables, arsenal théorique (Fr. Tomasi), citations, commentaires (J.-Ch. Monferran), interactions avec les manuels ou les traités de versification (M. Furno, S. Macé), pour le dictionnaire de rimes. Le rapprochement avec d’autres genres est parfois irrésistible, comme le dictionnaire de lieux communs ou le dictionnaire d’adages79, accréditant l’impression d’une anthologie éparse (Y. Bellenger), dès lors que l’ordre alphabétique fragmente le texte de façon arbitraire – à moins que cette impression ne procède d’une déconstruction volontaire de la linéarité du texte conçu comme « matériau renouvelable », offert au réemploi, puisqu’elle est à l’œuvre même dans le détail des listes (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), pour les épithétaires.
Cette absence de systématisme témoigne de la réalité d’un travail lexicographique vécu de l’intérieur, dans ses hésitations. On voit ainsi comment les réflexions du lexicographe s’accrochent aux textes compilés pour se développer à partir d’eux, ou inversement s’en abritent pour émettre une voix divergente (Fr. Tomasi) : fonctionnement de la pensée qui se rattache intimement à la fécondité d’une culture de la glose. L’émerveillement devant les beaux faits de style a en ce sens quelque chose d’opportuniste et suppose, dès avant la formalisation par l’aptum (ou non), une expérience de lecture dont ces dictionnaires sont les témoins : en ce sens, ils éclairent d’un jour singulier une façon révolue de lire, de penser et de vivre la poésie. Ils sont également porteurs d’une réflexion
pédagogique, y compris lorsqu’ils semblent s’écarter du champ scolaire par le domaine linguistique traité, la langue vulgaire, ou par leur objet rhétorique, la rime plutôt que l’épithète (M. Furno), ou lorsqu’ils sont critiqués (M. Rosellini) ; l’ensemble du corpus envisagé témoigne d’une propédeutique plus ou moins conceptualisée (D. Reguig). Le sentiment de ce qui « convient », qui relève de ces préoccupations, est lié de façon minimale à la considération des capacités des utilisateurs et aux hiérarchisations posées entre eux, au nom du goût, du talent, etc., mais aussi au souci de la copia tourné vers une liberté d’adaptation maximale (N. Istasse), ou au contraire d’une limitation induite du respect de la pureté (R. Béhar), ou d’une convenance plus restrictive encore, esthétique et sociale. Pour nos auteurs, l’aptum est ainsi un critère d’appréciation sur les textes et les usages possibles, quand il n’est pas un idéal, qu’il s’agisse « d’aider toujours davantage » (N. Istasse) ou que le genre choisi soit « habité par une ambition poétique qui tient à son ambition morale » comme l’est la recherche de la pertinence (D. Reguig). Car intervient enfin un rapport aux choses, essentiel dès lors que l’on envisage, dans le rapport phonique de la rime comme dans la qualification épithétique, la corrélation qui oblige à un travail simultané de l’oreille, du regard et de la pensée, et est d’emblée contact avec le monde des choses et celui des idées. La vocation des dictionnaires d’épithètes et de rimes à attester, transmettre, voire ordonner, stimuler et modeler une relation convaincante de la poésie au réel dans un contexte épistémologique donné, indissociable de l’entreprise conquérante du verbe poétique sur le monde et fondée sur le règne de la glose, donne tout son sens à leur ambition encyclopédique. Celle-ci, qui caractérise aussi bien certains dictionnaires de rimes que les épithétaires (N. Istasse, Fr. Tomasi, J.-Ch. Monferran), induit une structuration stimulante entre différents niveaux de glose (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), ou une ramification des approches entre différents types d’ouvrages (M. Pozzi, Fr. Tomasi, R. Béhar), éventuellement associés (Y. Bellenger). Il ne s’agit pas toujours de revendiquer « une parfaite concordance entre les mots et les représentations qu’ils traduisent » (D. Reguig), car la pertinence se niche aussi parfois dans le décalage, une périphrase démantibulée (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), un ordre alphabétique bousculé – telle la surprenante rivalité d’Apollon et d’un âne vindicatif dans le Specimen Epithetorum (N. Istasse), qui en dit long peut-être sur le regard
jeté par Textor sur la double destination de son propre ouvrage –, mais la motivation de ces ouvrages est bien de faire reposer la pertinence du langage poétique sur un rapport exploratoire aux realia (N. Istasse). C’est pourquoi le souci de la pertinence lexicale est également générique et moral (D. Reguig), jusque dans ses distorsions, comme lorsque La Porte se mêle de paradoxe (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia). On peut aussi comprendre par là que les rimes mêmes méritent d’être glosées (Fr. Tomasi, J.-Ch. Monferran), dès lors qu’il s’agit, à la fois, de percevoir le sens d’une mise en rapport, et de faciliter par l’accès aux choses une spontanéité de composition tout érasmienne, et anti-cicéronienne, qui dégage de l’aptum le souci de l’ad-aptation.
La question du sens
La question du sens découle logiquement de ces remarques. Dans le triangle problématique que forme dans la Satire II de Boileau l’articulation des termes de l’épithète, de la rime et de la raison, la « raison » du poème, dont sont entièrement destituées de froides épithètes réduites à la fonction de remplissage, tient d’autant mieux à la rime que le poète, par « un vain caprice » ou « une bizarre humeur », se trouve être un « rimeur », ce qu’il n’aurait sans doute pas été du temps de la Pléiade où la Muse, s’opposant au « compas » (J.-Ch. Monferran), accordait dans ses dires moins d’importance à la rime qu’à d’autres facteurs de poéticité, parmi lesquels l’épithète, ne serait-ce que par réaction à la génération précédente80. Or ce que brise avant tout la satire « À M. de Molière » est le lien stéréotypé et paresseux que des rimeurs sans envergure établissent entre la rime et l’épithète81, lequel lien non plus ne va pas nécessairement de soi : il correspond plutôt à un état intermédiaire des « dictionnaires des poètes »
incarné, notamment, par l’Amas d’Epithetes (Y. Bellenger). Faire du poète un rimeur, voir inversement dans l’épithète un mode d’appréhension du monde curieusement opposable à la rime, ou au contraire trouver valable de faire de l’une l’auxiliaire de l’autre, sont autant d’attitudes historiquement datées dont les études rassemblées ici démontent la fausse évidence.
Est d’abord en jeu une conception dynamique du vers dont la continuité est diversement pensée selon les époques. Ainsi Boileau voit l’épithète « non seulement comme un cliché mais comme un procédé de fragmentation de l’énoncé poétique », un ornement qui rompt « l’ordre logique [qui] doit prévaloir » au sein d’« une pensée du déploiement intellectuel par l’expression verbale » ; que son analyse de la « dislocation » consécutive du vers puisse ne se résumer qu’à « la focalisation sur un terme isolé » dont l’unité « ne saurait constituer un foyer poétique » (D. Reguig), est révélateur d’une pensée de la proposition et du vers – associés comme on sait – où la place laissée « vuide » par une pensée inconsistante risque à chaque instant de générer une emphase « insipide », selon la rime significative (précisément) de deux épithètes de la Satire II. Il suffit de comparer cette conception aux recommandations de Ronsard sur l’épithète, dans la partie non pas « De l’elocution » de l’Abbregé de l’art poëtique françois mais « De la poesie en general82 » – qui va, donc, au-delà d’une conception purement ornementale au nom d’une dynamique d’ensemble – pour voir combien l’ancienne idée d’une participation de l’épithète au dévoilement du mouvement du monde s’est perdue. Car à la Renaissance, par référence à toute une tradition rhétorique antique sur la saveur et la fadeur de l’épithète, bientôt ravivée par l’influence de Scaliger (R. Béhar), l’exigence de sens s’attache à la recherche des épithètes « significatives et non oisives », mobilisées « pour signifier et non pour remplir [s]on carme ou pour estre oyseu[ses] en [s]on vers83 » : inverse exact du propos de Boileau.
Peut-on, de là, faire l’hypothèse qu’est plus profondément en jeu une approche conceptuelle de la « clarté » qui en supposant, comme on sait, que la netteté du concept se mesure à celle de sa formulation, fait porter l’accent sur le substantif, support de la pensée en marche ? Les désarrois
de la rime, tels que les décrit Boileau, mais aussi la perfection du vers, selon Richelet (S. Macé), tournent autour d’objets qu’il s’agit moins de qualifier et de « dépeindre » que d’exemplifier – un galant, un auteur sans défaut, l’abbé de Pure, Virgile ou Quinault – idées abstraites, types, figures et noms propres84 – l’épithète étant pour sa part du côté des « mots ». Selon les conceptions antérieures de l’« illustration » et de l’« évidence », en revanche, qui font des détours de la désignation indirecte et de la description un art de la redécouverte85, et selon la conception humaniste de la « fable » qui commande d’envelopper des voiles du mystère non pas tant un concept qu’une vérité entr’aperçue, suivant l’image ronsardienne du « fabuleux manteau86 », les replis du mystère non seulement s’accommodent de l’approche épithétique, annexe au regard de l’essence, mais même ne peuvent se passer de ses suggestions à demi-mot comme de ses percées soudaines. D. Reguig montre au contraire que la coïncidence subite de la formulation et du sens relève chez Boileau d’une évidence affective et d’un travail de l’intériorité à l’œuvre dans le processus intellectuel mis en place au sein du vers, loin des ornements annexes de ce qui n’est plus conçu, dès lors, que comme « grandissement volumétrique ». Car ce sont les espoirs jadis placés dans l’accessoire qui ont changé de sens. C’est ainsi qu’une formulation logique par les catégories traditionnelles et scolastiques que sont l’accident, la différence, le propre et la substance dans le système des prédicables, confirme la valeur indirectement « substantielle » des épithètes (R. Béhar) à la Renaissance87. La distance entre les deux siècles est sur ce point frappante.
Pour ce qui est de la dynamique textuelle en revanche, un bref relevé des épithètes employées par Boileau dans la Satire II, mettant en évidence le rôle d’épithètes pleinement dynamiques et parfaitement méchantes sur fond de collocations stéréotypées (vain caprice, bizarre humeur, rude métier, gras chanoine, présence importune, destin envieux), permet sans doute d’objecter à Boileau lui-même que si le concept est affaire de noms, la satire s’affûte dans l’épithète88. Ou plus exactement, elle se déploie doublement, verticalement par l’association d’un nom commun et d’un nom propre placés de façon privélégiée à la rime dans une succession de vers mis deux à deux, associant l’abbé de Pure à la « figure » d’un galant et Quinault aux vertus d’« un auteur sans défaut » ou, dans la Satire VII, La Pucelle à la cervelle ou Sofal (Sauvalle) à l’« original » d’un fripon89, et horizontalement par les piques acérées d’épithètes qui en préparent la pointe : si la rime est assassine, l’épithète est l’indice d’une préméditation. Ainsi du heurt des « beaux mots » et des « vers recousus » tirés d’un Malherbe mis « en pièces », de la « phrase insipide » rimant avec la « place vuide », ou de la « fertile plume » du « bienheureux Scudéry » qui « Peut tous les mois sans peine enfanter un volume90 ». Mais il faut que la collocation rime, au moins avec la raison.
D’étranges harmoniques en découlent puisque, s’il ne s’agit peut-être plus de rejoindre par le verbe l’harmonie du monde, ou d’en révéler les harmonies cachées par un monde de rapports inaperçus, en le qualifiant d’abondance, à tout le moins s’agit-il de le faire résonner, au moins en soi. Les termes qui émergent de ces analyses sont révélateurs : non plus tant la nature que le naturel, non plus tant l’antique idée de la sapience qu’une saveur sui generis mobilisant le savoir et appelant la notion de goût (D. Reguig), par-delà la continuité, d’un siècle à l’autre, du jeu étymologique sur sapor/sapientia ; et sous l’articulation traditionnelle du travail et de l’inspiration, reformulée dans les termes également répertoriés des humeurs et d’une géniale spontanéité, des interrogations bien éloignées de l’articulation ancienne de la fureur et du labeur91 : tant il est vrai que
le travail de qualification, indiscutablement reconnu comme labeur dans l’épithétaire, allait de pair avec l’accueil d’un inconnu surgi d’ailleurs, par la grâce d’une trouvaille de formulation – au temps où inventer, c’était véritablement trouver et non pas se laisser « chercher », pour reprendre les termes de l’éloge adressé par Boileau à Molière (D. Reguig). Le rimeur véritable n’est pas davantage cantonné au seul labeur dans l’« étroite prison » de la rime92 ; mais on peut se risquer à dire que l’épithète, au xvie siècle, quoiqu’elle laisse deviner la continuité dynamique du monde, est de l’ordre du discontinu, d’une discontinuité qui est celle du regard jeté sur un mouvement latent et profond ; tandis que le lien vertical instauré par la rime dans un phrasé dont le mètre épouse le flux continu est l’instrument d’une continuité superlative, mais qui est une continuité de la pensée.
Une approche européenne globale
Par-delà l’éclairage que jette sur ces dictionnaires le dialogue compliqué de Boileau avec les poètes français du siècle précédent, ce volume a fait collaborer, pour la première fois, des spécialistes des poésies de l’Europe des xvie et xviie siècles persuadés, chacun dans son domaine, de la fécondité de ces outils lexicographiques et du bien-fondé d’une enquête faisant d’eux des objets littéraires à part entière. Sur les perspectives générales qui peuvent en résulter, nous nous abstiendrons ici de porter des conclusions définitives et prématurées, espérant que d’autres enquêtes suivront, mais cette convergence méritait d’être soulignée.
Une concomitance l’explique d’emblée puisque, parallèlement aux débats véhiculés par la poésie néo-latine, à l’ample chantier des traductions et au rôle des ateliers d’imprimeurs, cette époque voit émerger une littérature en langue vernaculaire93 vindicative, confiante dans le pouvoir
de renouvellement de la poésie, dont l’enrichissement lexical serait la condition. Tous ces faits sont connus. Mais il est ressorti de nos échanges que les évidences des uns n’étaient pas celles des autres. Le lien entre l’intérêt pour l’épithète et l’émergence de poétiques nouvelles est par exemple bien établi dans le domaine hispanique (R. Béhar)94 ; on n’en saurait dire autant du domaine français. L’impact de la circulation des Rimarii de Dante et de Pétrarque sur ces mêmes poétiques va de soi dans le monde italien et hispanique (M. Pozzi, Fr. Tomasi, R. Béhar), mais les spécialistes de poésie française répugnent à explorer le phénomène de la rime, à quelques rares et récentes exceptions près95 (J.-Ch. Monferran). Quant à la traduction néerlandaise de La Porte par Smyters (P. J. Smith), bien connue aux Pays-Bas par l’édition de N. van der Sijs96, ce cas intéressant de postérité d’un épithétaire en langue vulgaire n’a pas encore suscité, à notre connaissance, d’étude véritablement littéraire. Concernant la communication qui s’effectue du latin aux poétiques vernaculaires, l’influence de Scaliger, plus célèbre que connue97, est ici particulièrement mise en valeur pour le domaine hispanique (R. Béhar) en des termes qui importent aux poétiques françaises. La part de l’épithète homérique dans ce phénomène à large échelle méritait d’être approfondie, à travers le phénomène massif des traductions (Ph. Ford), autant que dans le contexte précis de chaque aventure de traduction, comme dans le cas de Florido (M. M. Fontaine). Enfin, le décloisonnement proposé
entre la prosodie latine et la rime française (M. Furno) constitue, sur le cas-limite d’un procédé par définition rebelle à la comparaison, une des surprises de ce volume dans la mesure où il esquisse des pistes de réflexion sur la question du « nombre » et des avancées sur les pratiques pédagogiques au tournant des xvie et xviie siècles. Afin de préciser ces apports dans les termes d’une circulation des textes et des débats ayant fait des outils lexicographiques des vecteurs d’innovation poétique, et de la mise en évidence de dynamiques locales spécifiques, il nous faudra plusieurs fois distinguer ici entre l’épithétaire et le dictionnaire de rimes.
La circulation des textes et des débats ;
les dictionnaires véhicules d’innovation
« Passeurs de textes » et « promoteurs d’intertextualité » (N. Istasse), mais aussi « lieux d’une opposition » d’ordre national et linguistique (Fr. Tomasi), les dictionnaires d’épithètes et de rimes sont finalement le lieu d’un déplacement rhétorique et poétique d’ampleur. C’est cette ampleur du phénomène qui frappe d’emblée, transcendant les barrières linguistiques et généralisant par les lexiques une réflexion rhétorique sur les virtualités du langage, la plasticité des ressources poétiques et les stimulations de la contrainte.
Homère, Virgile et Scaliger
Si l’épithète se prête a priori mieux à cette circulation que la rime, au sens où, mobilisant des critères plus sémantiques que formels, elle paraît plus aisément transposable – dans l’épithétaire, une simple réorganisation alphabétique suffit à régler la question, comme chez Smyters (P. J. Smith) qui affronte une situation linguistique plus complexe que les lexicographes de langue romane – les questions relatives à la traduction des épithètes homériques amènent à nuancer cette impression. C’est que l’épithète homérique est d’emblée teintée d’exotisme, par son origine grecque comme par sa gratuité qui font d’elle, au choix, un marqueur d’intertextualité intraduisible et vénérable ou un ornement adaptable à la « propriété » de la langue-cible au nom de la « propriété » du sens (Ph. Ford, M. M. Fontaine). Mais intervient aussi la question de la place de l’épithète dans la structure du vers, de sa cadence, d’une rythmique dans laquelle elle se fond parfois au point d’apparaître
« comme le vers formalisé tout entier », même si elle n’en est que la clausule (M. M. Fontaine), ce qui soulève dans les traductions en vers des interrogations spécifiques. De même de la question très fine du rôle de la répétition des épithètes dans « la constitution d’un édifice poétique » qui requiert « un traitement attentif, mais varié » d’un style formulaire préalablement analysé. Alors même que la prosodie latine maintient la possibilité d’une solution métrifiée, requérant cependant un travail d’autant plus fin (M. M. Fontaine), l’une des préoccupations premières des traducteurs est ainsi la brevitas de la langue latine (Ph. Ford), moins accueillante que la grecque aux cadences imposantes des épithètes homériques, une brièveté qui se recommande d’Horace (M. M. Fontaine), contre le mot à mot et au nom de la « propriété » de la langue. La question de savoir si l’épithète vient ou non « remplir la place vuide » comme la rime « se trouve au bout du vers », pour reprendre encore une fois les termes de Boileau98, est ici sous-jacente, ainsi que le travail du sens, à l’œuvre sous les prises de position qui l’affectent au nom de son immotivation (Ph. Ford) ou de sa participation à l’économie textuelle (M. M. Fontaine), et sous les choix de domestication ou d’altérité (foreignization) entre lesquels se déterminent les traducteurs (Ph. Ford). L’épithète, ou comment s’en débarrasser.
En langue latine, le précédent virgilien offre à ces débats des solutions toutes trouvées, à la diffusion desquelles contribue l’influence de Scaliger en Europe (R. Béhar). Sa critique de l’immotivation est cohérente avec sa valorisation de Virgile99. Mais avec la Pléiade, le souci de la significatio, le refus des épithètes « oisives » et après 1565 la mise en scène du débat entre Homère et Virgile100 restent compatibles avec des poétiques vernaculaires « parlant Grec et Latin101 » comme dans ce vers abondamment glosé du Tombeau de Marguerite de France où Ronsard déplore, au nom de la « propriété » un peu chiche d’une langue vulgaire balbutiante, que la Muse française ne puisse dire comme la « Gregeoise » les termes à ses
yeux épithétiques d’« Ocymore, dyspotme, oligochronien102 ». Si c’est lui faire un mauvais procès que de lui reprocher ce vers-là, puisqu’il traduit précisément une nostalgie, le temps d’un renoncement, on remarquera en revanche que le poète s’accommode d’autant mieux de cette délicieuse prétérition qu’à la faveur d’une légère francisation, d’une gradation syllabique et d’une diérèse, ces termes importés se fondent dans la métrique avec aisance pour dire ce que sa langue ne saurait dire – parce qu’elle est pauvre, mais aussi parce que c’est la sienne, et celle de la défunte : « d’autant que nostre langue ne pouvoit exprimer ma conception, j’ay esté forcé d’en user103 », précise Ronsard, en vertu du précepte cicéronien qui veut qu’« aux nouvelles choses [il soit] necessaire imposer nouveaux motz104 », confiant par ailleurs dans les capacités d’accueil d’un usage qui a déjà reçu la philosophie et les mathématiques grecques. L’acclimatation formelle et la motivation par le sens vont donc de pair : hypocrites licences d’une audacieuse rencontre entre l’intraduisible et l’informulable, qui ne met en scène les désarrois du sens que pour autoriser l’inouï.
Pour en revenir aux dictionnaires, dans les épithétaires latins, où l’influence homérique est naturellement médiatisée par Virgile, c’est ce dernier qui prédomine dans les Epitheta de Textor, ainsi que Politien, lui-même vecteur d’un débat entre virgilianisme et asianisme opposant Bérauld à Dubois105 : Textor, qui est dans l’entre-deux, collectionne les termes rares parmi d’autres, innovant au besoin sur le patron de ses modèles, « presque en peintre, en sculpteur ou en ciseleur », des épithètes composées « façonnée[s] sur le moule de ses lectures ou frappée[s] au coin de sa culture littéraire » (N. Istasse), sur le patron desquelles d’autres se formeront en langue vernaculaire (R. Béhar). Ces curiosités néo-latines que des compilateurs recueillent à la façon des papillons rares106, professant dans l’usage une confiance désarmante autant que séduits par la beauté de la prise, parmi d’autres épithètes d’une affligeante banalité qu’il
faut sauver du soupçon d’être « oiseuses » par une glose métatextuelle (R. Béhar), ou qu’un retour au texte-source justifie de façon inattendue107, confirment une attention littéraire au contexte d’occurrence et un plaisir assumé d’innover (N. Istasse), voire la conscience d’une forme de souveraineté dans cet exercice (« placet »), déshinibante pour la poésie. Si donc l’influence homérique n’est qu’indirecte, la « marque de fabrique » homérique persiste, médiatisée par Virgile et par d’autres à travers les épithètes, notamment composées, où elle s’est déplacée – d’autant plus concentrée en elles qu’elles attirent l’œil et la mémoire par d’autres procédés – ; et cette solution de l’épithète composée ouvre à son tour un vaste champ d’expérimentation à la langue vernaculaire. Le même phénomène s’observe dans les traductions d’Homère en français, moins chez Salel, qui tend à effacer les épithètes, que chez Peletier, qui privilégie les adjectifs composés et les compléments du nom (Ph. Ford). Cette question de la traduction de l’épithète mériterait d’être poursuivie, par une histoire des épithètes composées, de leurs audaces, plus remarquables que véritablement massives108, et de leurs usages, si différents par exemple dans la poétique de la jeune Pléiade et dans l’optique taxinomique de Du Bartas109, que restitue l’Amas si concis de ses épithètes, comme à l’article « Abeille » (Y. Bellenger) ; ainsi que par une typologie des façons de traduire l’épithète homérique, particulièrement explorées ici (M. M. Fontaine), par l’adjectif composé, la périphrase, le groupe complément introduit par la préposition à, la construction participiale, l’acclimatation synonymique, ou le silence : les annexes des études rassemblées dans ce volume (Ph. Ford, M. M. Fontaine) offrent de ces solutions un riche échantillonnage, sous lequel on devine la masse des corpus abordés et des informations qu’ils recèlent.
Une telle étude recouperait nécessairement celle des épithètes ou « synonymes » de noms propres, comme dans les Synonyma propriorum
nominum de Textor, dont le catalogue rejoint partiellement les listes d’épithètes de dieux et de héros dans les Epitheta110. La différence entre ces ouvrages ne tient en effet pas tant à la distinction entre l’antonomase et l’épithète – qui s’échangent sans difficulté leurs rôles dans les ouvrages lexicographiques – qu’au caractère partiel du dictionnaire de noms propres, en lien avec la question de l’influence homérique, concentrée dans les théonymes. Or précisément c’est dans ce domaine que l’innovation est la plus visible, tant en néo-latin, où la translatio studii passe par la requalification épithétique ou périphrastique des divinités inspiratrices pour les enraciner dans un nouveau terroir, napolitain par exemple, chez Pontano et ses émules111, que dans la poésie vernaculaire, où les fantaisies bachiques de la Pléiade sont parmi les plus souvent citées au titre des aberrations de la Muse « parlant Grec et Latin ». Et si les épithétaires d’Homère sont finalement assez tardifs (Ph. Ford)112, la synonymie de noms propres et l’acclimatation des épithètes homériques dans les Epitheta de Textor113 et d’autres, ainsi que dans les traductions, témoignent dès avant eux d’un intérêt constant pour ce phénomène. L’essor des traductions d’Homère114, la vogue des épithétaires, l’intérêt pour la synonymie de noms propres, et l’émergence de poétiques nouvelles à l’échelle européenne, constituent de la sorte un faisceau de facteurs concordants dont on peut inférer les enjeux en termes d’innovation poétique et de revendications nationales sur fond de translatio : non pas la « survivance115 », mais la réacclimatation des dieux antiques.
Comment peut-on être pétrarquiste ?
La circulation des Rimarii concerne, elle, surtout les langues romanes aux systèmes prosodiques proches – celles d’Italie et d’Espagne –, et il ne s’agit pas de les traduire. La typologie des Rimarii esquissée ici (Fr. Tomasi) montre que ces lexiques s’insèrent en général dans un dispositif complexe dont ils constituent tantôt un complément, tantôt la clé de voûte. C’est un système qui se transmet, évolue et s’exporte. Plusieurs lignes directrices se dessinent ainsi, du projet inabouti de Morato à l’efficacité de Ruscelli qui transforme un dictionnaire en forme d’ars memoriæ (Lanfranchi) en indice de la norme et en espace hiérarchisé et théorisé de diversification des modèles. Un degré minimal du dictionnaire de rimes serait sa proximité avec le florilège, qu’il complète une anthologie ou se constitue lui-même en anthologie par d’abondantes citations, éventuellement commentées ; la proximité avec le genre du commentaire s’ensuit, la glose ayant elle-même une double fonction, encyclopédique comme chez Di Falco, et/ou métapoétique le plus souvent. Car l’un des traits marquants de cette production est la théorisation qui entoure le Rimario, utilisé tantôt comme une illustration dans une entreprise scolaire d’exploitation des modèles qui ne se contente pas de la rime, mais s’attache aussi à la métrique, à la grammaire, etc., tantôt comme le support d’une réflexion contestataire visant, par le biais des citations d’auteurs divers et par le commentaire, à saper le double modèle de Dante et de Pétrarque et à ouvrir l’imitation à d’autres, comme Sannazar. Splendides infidélités de la copia. Il ne s’agit pas seulement de caricaturer les imitateurs à la mode, mais de miner les bases théoriques de cet édifice, « étroite prison » (stretta prigione) selon les termes du jeune Brocardo mis en scène par Speroni, en vertu d’une image du poème-prison qui ne cesse de se déplacer de Du Bellay à Boileau116 : car c’est
l’imitation stérile d’un modèle qui enchaîne sans échappatoire ; comme pour le Cicéronien d’Érasme, le dictionnaire puriste est ici un boulet.
L’un des aspects notables de ce débat est l’insistance mise sur l’inventio (Fr. Tomasi), étape de la composition qui justifie l’innovation, occasion d’ouverture et aiguillon de la spontanéité dans une adaptation ressentie comme nécessaire, contre une elocutio qui encombre. C’est dire que le bon usage de la rime se situe sur le terrain des idées : non seulement elle fait corps avec l’ensemble organique du poème, dont le dispositif théorique entourant le Rimario tâche de reconstituer la cohérence, mais elle fait sens. Le choix qui consiste, en France, peu après, à sortir l’épithète de la rubrique de l’elocutio pour lui faire investir « la poesie en general117 » est du même ordre. Aussi bien ces ouvrages n’auraient-ils pas traversé les frontières si leur apport s’était cantonné à la pure fonction ornementale de l’épithète ou de la rime, sans option théorique forte. C’est d’ailleurs sur ce chemin théorique que le dictionnaire de rimes croise l’épithétaire en Italie, un demi-siècle avant que l’Amas d’Epithetes de Du Bartas ne témoigne du processus inverse en France.
Un déplacement rhétorique
Un triple déplacement rhétorique s’opère donc à travers ces ouvrages. Il engage d’abord un rapport privilégié à l’épithète ou à la rime, déterminé par la façon dont les courants se positionnent à l’intérieur d’une même tradition linguistique – comme dans le cas des débats sur le pétrarquisme en Italie (M. Pozzi, Fr. Tomasi) ou de la dépréciation de la rime en France à l’époque de la Pléiade (J.-Ch. Monferran). Il engage aussi le rapport d’une langue à l’autre, du grec au latin et à la langue vernaculaire (M. M. Fontaine, Ph. Ford), du latin à la langue vernaculaire (M. Furno), et d’une langue vernaculaire à l’autre (R. Béhar, P. J. Smith). Est enfin en jeu le principe d’une appréhension rhétorique
ou non, technique ou non, de ce qu’implique le recours à l’épithète et à la rime, c’est-à-dire aussi une dimension épistémologique (N. Istasse), la possibilité d’un transfert de l’univers scolaire à la littérature – et du latin à la langue vernaculaire – qui soit médiatisé par le dictionnaire (M. Furno), et une évolution des attentes placées dans la poésie (D. Reguig). Ces « à-côtés » des « dictionnaires des poètes » que sont les traductions d’Homère et les gloses des Rimarii, puis la tendance à faire de ces dictionnaires des « à-côtés » au sein d’un dispositif créatif plus global (Y. Bellenger), et enfin la confiance placée au xviie siècle dans des outils d’élaboration linguistique et littéraire qui ne sont plus lexicographiques (S. Hache, M. Rosellini, D. Reguig), parallèlement à l’entreprise d’un Richelet (S. Macé), attestent la complexité de cette évolution, qui est bien rhétorique.
Décloisonnement géographique
et dynamiques locales
Le décloisonnement géographique permet donc d’affiner des problématiques rhétoriques globales. Mais il enrichit aussi l’approche des dynamiques locales, en éclairant l’interaction de ces débats selon les zones linguistiques. On peut ainsi distinguer entre langues romanes et humanisme du Nord de l’Europe – le domaine français constituant à certains égards un cas à part –, et mesurer le poids des débats nationaux « exportés ».
Langues romanes / Europe du Nord / domaine français
La participation des deux genres aux grands débats poétiques européens semble d’abord se faire selon une répartition entre les langues romanes, celles de l’Europe du Nord, et la situation particulière du domaine français, liée à ses spécificités linguistiques et au rôle joué dans la diffusion de l’humanisme par les milieux scolaires parisiens. Ces répartitions structurent d’ailleurs plus généralement la cartographie des pratiques scolaires et humanistes, comme des débats liés au cicéronianisme118. C’est ainsi que l’impact des Rimarii et des théories de
Scaliger sur l’émergence de poétiques marquées par une dynamique adjectivale et par l’extrême élaboration formelle caractérise surtout les domaines italien et hispanique (M. Pozzi, Fr. Tomasi, R. Béhar) en raison d’une communication aisée entre langues romanes apparentées par le lexique, les consonances, les systèmes prosodiques, et les possibilités de transposition linguistique corollaires : de là, la promotion de modèles et de contraintes par le double biais de la rime et de l’épithète, aussi bien recueillie dans des lexiques que commentée et traduite.
De son côté, l’essor des épithétaires proprement dits conduit à avancer l’hypothèse d’un phénomène caractéristique de l’humanisme du Nord (N. Istasse). Il existe certes des lexiques d’épithètes parmi les vecteurs du pétrarquisme italiens (Fr. Tomasi) et dans le domaine hispanique (R. Béhar) ; mais la différence d’ambition entre ceux-ci et l’épithétaire de Smyters (P. J. Smith) est frappante. On est ainsi amené à distinguer les lexiques d’épithètes qui circulent par le biais d’autres ouvrages dont ils sont les annexes, associés aux Rimarii par exemple (Fr. Tomasi), des épithétaires à part entière qui s’inspirent de Textor ou de La Porte, et parmi eux, ceux qui se réclament officiellement d’un modèle, et ceux qui ne le font pas ou qui, même s’ils le font, comme La Porte à l’égard de Ronsard, restent perçus comme transposables d’une langue en l’autre indépendamment de l’imitation de cet auteur (P. J. Smith). Il y a là assurément des choix auctoriaux et éditoriaux (N. Istasse) à large échelle.
Le domaine français est à part, marqué par l’influence de Textor, dont les Epitheta constituent à Paris un relais de l’influence érasmienne (N. Istasse), de Ramus, et de débats sur la traduction dont l’ancrage français apparaît particulièrement dans ce livre (M. M. Fontaine, Ph. Ford).
L’influence du pétrarquisme y passe en revanche moins nettement par la rime qu’en Italie et en Espagne, la diversité des systèmes prosodiques et phoniques constituant sans doute un obstacle, autant que les options esthétiques de la Pléiade, déterminées par la dépréciation de la rime, ce marqueur de la génération précédente (J.-Ch. Monferran), et par la valorisation humaniste de l’épithète ; mais dès lors que la langue française fait système, que l’idéal encyclopédique fait place à d’autres formes d’exhaustivité et que les canons classiques s’imposent, faisant se retourner contre la Pléiade ses propres stratégies générationnelles, les dictionnaires de rimes se développent en France, selon des modalités propres, prenant part au débat sur l’imitation, mais aussi à une évolution qui fait d’eux des jalons sur le chemin du dictionnaire de mots (J.-Ch. Monferran), du traité poétique ou du manuel, jusqu’à Richelet (S. Macé). Le domaine français constitue ainsi un terrain d’observation privilégié pour le devenir des « dictionnaires des poètes », en raison de la diversité des expérimentations qu’il recèle.
On peut distinguer de là entre trois grands réseaux d’influences : le primat de la copia incarné par Érasme et par l’humanisme du Nord, et réalisé dans l’ordre de l’elocutio épithétique par Textor, sur un mode rhétorique partiel autant que monumental ; la « questione della lingua » sous-jacente dans les débats poétiques liés à la diffusion du pétrarquisme, et la défense et illustration des langues vulgaires, qui envisagent l’épithète et la rime au sein d’une ambition linguistique et stylistique globale, selon des modalités diverses ; et les débats sur la traduction où les épithètes manifestent des choix d’adaptation ou d’étrangeté qui engagent une conception de la langue, avec sa rythmique propre et ses postulats sémantiques. Ces trois faisceaux convergent sans vraiment se confondre. En effet, choisir d’isoler l’épithète des autres ressources élocutoires, comme le fait Textor et comme on le lui reprochera plus tard, tout en ouvrant largement le champ des auteurs imitables, comme on le lui reprochera également119, ne suppose pas les mêmes options que de consacrer ou de contester, sous couleur de la diffuser, la prééminence du modèle pétrarquiste à travers une pluralité de ressources linguistiques et tout un arsenal métapoétique, ni que de faire un sort aux épithètes homériques au sein d’une poétique de la traduction : les ambitions
littéraires et éditoriales diffèrent (M. Pozzi), autant que l’angle selon lequel la langue et les modèles sont abordés, selon que la priorité est accordée à l’épithète, au modèle (et à ses rimes), ou à la « propriété » de la langue vulgaire. Tantôt la perspective linguistique adoptée est globale, mais issue d’un postulat rhétorique partiel – l’épithète ou la rime –, tantôt c’est l’extension donnée au champ de l’imitation qui fait débat, mais à la faveur d’une approche rhétorique plus générale.
Un contexte privilégié a cependant fait se croiser ces questions. Ainsi, Textor se réclame d’Érasme mais emprunte amplement à Politien, critiqué par Érasme et Budé (N. Istasse), et sans avoir à trancher sur la question des épithètes homériques, apparaît comme un vecteur d’une esthétique adjectivale hispanique largement redevable aux options de Scaliger (R. Béhar) ; La Porte, dont l’entreprise peut sembler spécifique à l’égard de celle de Textor, par sa façon de confondre l’illustration de la langue française avec la promotion de la Pléiade, mais partielle à l’égard des dictionnaires du pétrarquisme, par sa façon d’ériger la Pléiade en modèle par le biais de la seule épithète, apparaît finalement imitable lui-même aux yeux de Smyters dans une autre langue (P. J. Smith) ; quant à l’entreprise de ce dernier, qui se prétend issue d’un travail pédagogique de traduction mais veut servir « À ceux qui aiment la langue néerlandaise » (P. J. Smith), on peut se demander si elle atteste l’influence de l’humanisme du Nord, plutôt sensible en langue latine, ou si elle ne constitue pas un témoignage de l’intérêt de la Germania pour l’illustration de la langue vernaculaire par l’épithète, notamment composée, perçue comme la forme d’enrichissement lexical la plus aisément transposable120, autant que comme l’instrument d’une connaissance des « effets » des choses.
Les débats nationaux exportés
Les échos tissés d’une aire géographique à l’autre permettent dès lors, non seulement de replacer ces recueils dans leur contexte d’émergence, mais d’en mesurer la portée et les reformulations dans d’autres contextes. Contentons-nous d’en ressaisir quelques exemples.
Le cas des débats italiens et français sur l’imitation est évidemment représentatif. L’influence italienne se fait sentir à plusieurs reprises, d’abord avec la querelle du cicéronianisme et ses retombées dans les débats sur l’atticisme et le virgilianisme qui imprègnent, en France, le milieu d’émergence des Epitheta de Textor121, puis à travers l’exportation des Rimarii de Pétrarque122. L’apport de ces débats qui, des questions d’elocutio, gagnent le champ de l’inventio pour engager une poétique (Fr. Tomasi), mais aussi, tournant majeur, débouchent de la sphère latine sur la question de la précellence des langues vulgaires, autour de la Pléiade, de Scaliger et de Ramus, touche l’Europe entière. Le développement d’une poétique de l’épithète en langue romane (R. Béhar) résulterait ainsi d’une conjonction de nouveautés où l’enrichissement épithétique, l’empreinte phonique des rimes jugées dignes d’être imitées et la promotion des langues vulgaires déterminent les traits définitoires de l’« illustration » poétique à cette époque. De son côté, la destinée particulière de la poétique ronsardienne amène à voir en elle une réalisation différente issue de ces mêmes débats, érigée en modèle concurrent par La Porte (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), mais aussi par une série d’entreprises trop tardives (J.-Ch. Monferran) engageant avec la rime les autres ressources poétiques, et bientôt traitée en repoussoir (M. Rosellini), tandis que les Epithetes de La Porte poursuivent leur course indépendante avec Smyters (P. J. Smith), sans Ronsard.
Par-delà l’influence décisive de Textor et la floraison des épithétaires latins (N. Istasse), le cas des épithétaires en langue vulgaire invite par ailleurs à envisager de façon ramifiée une série d’influences qui, tout en renvoyant à Textor, font intervenir d’autres relais. En effet, les enjeux rhétoriques diffèrent lorsque l’épithétaire interagit avec le dictionnaire de rimes, et lorsqu’il fait l’objet d’une promotion indépendante assortie
d’une transplantation en langue vulgaire. On peut ainsi distinguer, au sein du genre, les lexiques italiens et espagnols, d’une part, et d’autre part le nouveau point de départ que constitue La Porte, en France et aux Pays-Bas. Les premiers sont indissociables d’une réflexion large sur les ressources poétiques imitables, les possibilités de la langue vulgaire et les vertus des modèles, en rapport avec les débats sur le pétrarquisme et le virgilianisme (M. Pozzi, Fr. Tomasi, R. Béhar). S’ils attestent un intérêt pour l’épithète qui est lié au problème de la traduction des épithètes homériques (Ph. Ford, M. M. Fontaine) et au souci d’enrichir le lexique vernaculaire, notamment du fait que cet enrichissement passe souvent par les expansions nominales à la rime, ils restent des lexiques partiels, pris dans un mouvement plus vaste, qu’ils se rattachent au vaste corpus des Rimarii (Fr. Tomasi) ou qu’ils tentent modestement d’acclimater l’apport de Textor à la faveur d’une traduction partielle (R. Béhar), à la manière d’un promptuarium. Les seconds, en revanche, se veulent plus franchement des analogues des Epitheta de Textor en langue vulgaire. Par-delà le topos d’une initiative qui aurait d’abord été scolaire ou privée123, cette ambition éclate dans leur double destination pédagogique et littéraire, dans leurs rééditions, les stratégies qu’ils mettent en œuvre, et dans leur vocation militante parfois très affirmée (P. J. Smith). Textor est ici la référence, mais il s’agit bien de détrôner sa langue par le genre qu’il a illustré. Le succès des Epithetes de La Porte traduit ainsi le déplacement d’une foi rhétorique en l’épithète, du latin à la langue vulgaire, foi au nom de laquelle des langues concurrentes entre elles font le compte de leurs ressources poétiques à partir d’un modèle déjà transposé. Dans cette filiation de Textor à ses imitateurs en langue vulgaire, La Porte devient la référence seconde qu’il s’agit à son tour de supplanter, non sans quelque décalage : car si La Porte prend appui sur Ronsard, déjà consacré en 1571, Smyters prétend pour sa part favoriser une poésie émergente qu’il appelle de ses vœux (P. J. Smith) ; le cas de l’Amas d’Epithetes de Du Bartas (Y. Bellenger) n’est pas moins ambigu puisque, quoiqu’il vise sans doute à substituer un modèle à l’autre, il suggère un déclin du genre, au bénéfice du dictionnaire de rimes.
Pour ce qui est des dictionnaires de rimes, le passage de relais est net, avec Le Gaygnard, des ambitions des Rimarii de Pétrarque à celles de la poésie française (J.-Ch. Monferran) où le rapport aux régionalismes, polémique en Italie (M. Pozzi), est sereinement assumé en vertu de l’apport de la Pléiade. Au-delà, le principe même du dictionnaire de rimes implique une prise en main par la langue vulgaire de ses possibilités propres (J.-Ch. Monferran), ne serait-ce que parce que la rime n’appartient qu’aux langues vulgaires, encore que le passage de la prosodie à la rime stimule des expériences notables (M. Furno). Comme pour les épithétaires, il faut distinguer entre le dictionnaire de rimes à part entière, ou prédominant, et les situations plus complexes, en Italie (Fr. Tomasi) mais aussi en France, où les dictionnaires partiels et les interactions entre divers types de lexiques se multiplient (J.-Ch. Monferran, M. Furno). Il s’agit dès lors de déterminer, chronologiquement, comment penser la succession de ces différents types d’ouvrages – l’épithétaire à part entière, le dictionnaire de rimes et les cas intermédiaires – et rhétoriquement, quelle est la valeur du dictionnaire partiel, s’il est pensé comme tel, et vers quoi il évolue.
Une approche croisée des deux genres,
de Ravisius Textor à Richelet
Voyons donc comment des tendances se dessinent au long de cette période où les deux genres coexistent. Nous tâcherons ici de dégager des éléments de chronologie, une esquisse de typologie et enfin des réflexions rhétoriques sur le fouillis des dictionnaires dits partiels.
Éléments de chronologie
Sur le plan chronologique, on peut ainsi discerner plusieurs tendances : une tendance en pointillés, concernant les épithétaires, où la copia affirme ses options déroutantes en latin puis en langue vulgaire ; une tendance récurrente d’appropriation rhétorique des ressources de la langue ; et une tendance longue de « normalisation » au sein de laquelle s’inscrit, non sans complexité, la petite histoire des dictionnaires d’épithètes et de rimes.
Une tendance en pointillés :
les épithétaires en langue vulgaire
La continuité des préoccupations qui vont de Textor à La Porte et à Smyters atteste la persistance des problématiques de la copia, le souci récurrent de fonder la pertinence des épithètes sur un ordre des choses, et les espoirs placés dans l’épithète comme vectrice d’une « illustration » lexicale et rhétorique. Les motivations mises en avant d’un ouvrage à l’autre sont de ce point de vue remarquablement proches ; et, par-delà l’impression d’un décalage temporel, l’étude du contexte d’élaboration des Epitheta de Smyters, de ses sources (P. J. Smith), montre qu’il témoigne d’une préoccupation née, comme en France, dans les années 1550, et « illustrée » notamment dans le sillage de la Pléiade par le mouvement des « Œillets blancs » (De Witte Angieren)124. L’écart des dates d’édition n’en rend que plus sensible l’évolution du genre en France, puisque, en 1620, l’épithétaire de Smyters exprime pour la poésie néerlandaise des ambitions (P. J. Smith) qui semblent dépassées en France dès la fin du xvie siècle. Dans les domaines latin et français, en effet, on observe une révision à la baisse des ambitions de l’épithétaire, depuis l’entreprise monumentale de Textor (N. Istasse), de la « musique » des épithètes suggérant une « image du monde » à la « liste désarticulée de citations amputées » que paraît être l’Amas d’Epithetes (Y. Bellenger). Cette dégradation mérite sans doute d’être replacée dans un contexte éditorial complexe. La comparaison de l’Amas au commentaire de Simon Goulart, dont le travail d’explicitation aurait aussi bien pu se faire « en regroupant des épithètes », alors qu’un Amas sans « suite sémantique, ni suite dramatique » (Y. Bellenger) semble devoir y échouer, est de ce point de vue éclairante : elle suggère non seulement une complémentarité des deux genres, mais une évolution, puisque des épithétaires antérieurs, qui n’étaient pas organisés différemment et semblaient même décourager à dessein toute tentative de mise en ordre (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), n’en renonçaient pas pour autant à permettre l’« intelligence » du poème et du monde.
Par ailleurs, l’association de l’Amas à un dictionnaire de rimes plus vaste traduit une nouvelle orientation, en termes de priorités poétiques – puisque l’Amas d’Epithetes est une annexe –, de rapport aux modèles – puisque la focalisation sur Du Bartas réduit le champ de l’imitation tandis que l’ouverture aux rimes d’autres corpus suggère que le modèle n’est pas prépondérant – et naturellement d’ampleur : l’épithétaire ainsi conçu paraît mince (Y. Bellenger), à côté des vastes recensions antérieures. Mais aux Pays-Bas, quelque vingt ans plus tard, l’épithétaire de Smyters reste marqué par une logique d’amplification (P. J. Smith), et il enrichit d’autant mieux la langue vulgaire qu’aux catégories d’expansions nominales habituelles il en ajoute deux, typiquement néerlandaises, comme l’a relevé N. van der Sijs. Quant à la prédominance dans l’Amas de deux catégories principales de qualifications, épithètes de nature et longues périphrases tendant au florilège, il reste à déterminer, par-delà l’impression de remplissage que peuvent donner ces dernières (Y. Bellenger), les postulats rhétoriques qu’elles traduisent et leur participation à un art de la rime. Mais dans les épithétaires à part entière, la présence également remarquable de périphrases a une autre portée : très importante dans les Epithetes de La Porte (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), elle se maintient chez Smyters, ce qui suppose non seulement un enrichissement par la traduction de citations poétiques, sans subordination particulière à la rime – quoique le souci des associations phoniques ne soit pas négligé –, mais une émulation poétique (P. J. Smith). Ainsi Smyters est réellement proche de l’entreprise de La Porte, mais à deux générations d’écart, alors que l’influence de Textor et de La Porte s’étiole en France.
Une tendance récurrente d’appropriation
Son travail de traduction apparente en revanche le recueil de Smyters à d’autres entreprises qui sont celles des lexiques importés, dont certains d’épithètes (R. Béhar), ainsi que, mutatis mutandis, aux traductions d’Homère. Ces ouvrages ont en effet en commun de répondre à une carence des modèles, et donnent à la traduction une valeur introductive en vue d’une revendication linguistique qu’il s’agit à terme d’assumer à partir des ressources redécouvertes de sa propre langue. On sait que la Pléiade n’est pas si éloignée de ce raisonnement, en dépit des prises de
position de la Deffence sur la traduction125 ; mais la consécration de Ronsard et des autres à la date où fleurissent en France florilèges, lexiques et épithétaires dispense ces recueils d’importer leurs modèles, tandis que les théoriciens français s’exportent eux-mêmes dans le reste de l’Europe.
Il faut ici souligner une différence entre l’épithète, notamment traduite, et la rime. En effet, l’épithète est un facteur d’étrangeté quand elle vient d’Homère (Ph. Ford), un ornement à la fois typique et dérangeant qu’il s’agit d’acclimater à la langue-cible, et à son déploiement (M. M. Fontaine). Elle est aussi la possibilité d’une richesse venue d’ailleurs (P. J. Smith), d’une appropriation des ressources étrangères d’autant plus efficace qu’elle paraît ne toucher qu’à la qualification sans engager l’essence – tout en l’impliquant indirectement (R. Béhar), ou en transportant une réalité d’une langue en l’autre par la grâce d’une requalification : ainsi, les relevés de Smyters supposent la possibilité d’écrire « à la manière de » Ronsard ou Du Bellay, et font de Pantagruel un matériau littéraire importable (P. J. Smith) ; et inversement, les épithètes « ronsardin », « ronsardique » ou « jodelien » ont chez La Porte la valeur d’une revendication de propriété sur des substantifs en principe voués à circuler (le Loir, la lyre, l’ode, la tragédie, etc.)126. La rime, elle, s’ouvre davantage à la logique du florilège (Fr. Tomasi, J.-Ch. Monferran), au point de ne pas se cantonner aux seules équivalences phoniques pour devenir un quasi-synonyme des vers cités à travers elle : tel est d’ailleurs le sens des Rime de Bembo, de Pétrarque et des autres… Ainsi la rime fait circuler des modèles, tandis que l’épithète ouvre sur un déplacement des mots.
Cette façon dont l’épithète ou la rime se situent sur le terrain des mots et des choses est elle-même sujette à périodisation. Dans l’absolu, le souci d’ouverture lexicale caractérise les deux genres, en ce qui concerne le vocabulaire naturaliste (N. Istasse), cosmologique (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), technique, cynégétique, équestre, militaire, régional (J.-Ch. Monferran), ou littéraire (P. J. Smith). C’est particulièrement le cas en France, en vertu des critères poétiques issus de la Pléiade, mais aussi des aspirations du dictionnaire de rimes à se faire dictionnaire du français,
« de tous les français », ou dictionnaire de mots (J.-Ch. Monferran). Mais il faut distinguer les enjeux avant tout linguistiques des Rimarii, autour de la « questione della lingua » (M. Pozzi, Fr. Tomasi), bien que certains aient des ambitions encyclopédiques ; puis l’essor français des dictionnaires de rimes, dont certains traduisent des préoccupations linguistiques proches de leurs analogues italiens, et d’autres des ambitions lexicographiques plus globales (J.-Ch. Monferran), faisant de la rime un mode d’accès à la langue et aux mots, c’est-à-dire aussi aux choses ; et enfin les postulats qu’engagent les grands dictionnaires de rimes français du xviie siècle (S. Macé), ainsi que les prises de position de Boileau (D. Reguig) qui, en dénonçant la subordination de l’épithète à la rime, révèle un mode d’approche du réel où l’une a été supplantée par l’autre.
On s’aperçoit qu’un genre s’impose ici quand il cesse d’être d’actualité ailleurs, car les priorités se déplacent diversement selon les zones linguistiques. Ce mouvement se fait de l’épithétaire au dictionnaire de rimes en France, comme l’attestent l’association, en 1596, d’un dictionnaire de rimes en plein essor (J.-Ch. Monferran) à un lexique d’épithètes moins ambitieux que les précédents (Y. Bellenger), ou le « transfert de compétences » qui se fait à la même époque des manuels de prosodie latine aux dictionnaires de rimes français (M. Furno) ; mais il en va différemment en Italie (Fr. Tomasi). Il reste que ces évolutions ne se font jamais sans la modification d’un rapport au monde (D. Reguig), sans un infléchissement épistémologique et rhétorique : c’est ainsi au moment où se modifie l’orientation des gloses dans le dictionnaire de rimes français (J.-Ch. Monferran) que ce tournant s’amorce – comme s’il fallait passer par un postulat sur le langage et le monde, traduit concrètement dans les gloses et l’évolution vers le dictionnaire de mots, pour que la rime se charge, dans une autre perspective que celle de l’imitation des modèles, d’un pouvoir de signification jusqu’alors reconnu à la qualification.
Une tendance longue de normalisation
Un mouvement se fait enfin du foisonnement de la copia, et des espoirs placés dans le libre jeu exploratoire des mises en rapport, à une « normalisation » linguistique qui débouchera sur les grandes sommes lexicographiques des xviie et xviiie siècles. La façon dont les « dictionnaires des poètes » s’insèrent dans cette histoire conduit à préciser cette
évolution du point de vue de leur rapport aux normes, de leur fonctionnalité technique, et des ambitions et renoncements dont témoigne leur participation à des projets plus systématiques et plus vastes.
Le rapport de ces ouvrages à une norme, lexicale, poétique, et parfois morale, varie selon les lieux et les époques. C’est ainsi que les premiers grands épithétaires traduisent des choix esthétiques en dépit de leurs recensions très vastes (N. Istasse), que les Rimarii de Pétrarque se structurent volontiers en espaces de contestation (Fr. Tomasi), et que les « dictionnaires des poètes » français de la fin du xvie siècle expriment les grandes options de la Pléiade ou restent, après son déclin relatif, enrichis par ses apports lexicaux en dépit d’un déplacement d’intérêt vers la rime (J.-Ch. Monferran). On peut parler pour cette période d’un militantisme lexicographique fondé sur la promotion des possibilités du langage, qu’il consiste à consacrer un monument aux modèles anciens et nouveaux (N. Istasse), à les manipuler et recomposer (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), à les contester en sous-main (Fr. Tomasi), à les adapter (R. Béhar), ou à étendre l’exploration au bénéfice de sa propre langue (P. J. Smith) : dans tous ces cas, l’impression d’ouverture prime, d’un point de vue quantitatif et aussi qualitatif, puisque les limitations mêmes posées à la copia au nom de la limpieza, par exemple, restent exploratoires en un autre sens, plus formel (R. Béhar). La mise en place de normes est plus nette ensuite, dans les sélections drastiques effectuées au sein du relevé et dans la réduction des possibilités combinatoires permises par l’agencement du dictionnaire127, ou encore dans l’association de ces recueils à d’autres (Y. Bellenger), à des manuels (M. Furno), à des traités, jusqu’à ce que parfois, leur apport étant de plus en plus secondaire, contesté et dévalué (M. Rosellini), la recherche du « bon usage » en fasse fi et passe par le commentaire ou les « remarques » sur la langue (S. Hache), la mise en œuvre poétique (D. Reguig), et que le sens ou la « raison » de l’épithète et de la rime se joue ailleurs. Du militantisme lexicographique à la désaffection pour cette littérature perçue comme trop scolaire ou technique, désinvestie du talent qu’elle était censée
stimuler, et dont elle semble plutôt désormais recouvrir l’absence, une évolution a bien lieu. Les fidélités du lexicographe au plaisir des mots, des trouvailles, des beautés rares et passées de mode et des licences poétiques demeurent cependant toujours d’actualité, avec Richelet, au cœur de l’académisme même (S. Macé).
Corollairement, on assiste à une technicisation progressive de ces ouvrages, au moins en latin et en français, technicisation liée d’une part à l’influence du milieu scolaire128, et d’autre part à l’essor du dictionnaire de rimes. Si les premiers dictionnaires d’épithètes et de rimes émanent souvent d’un contexte scolaire, ils ne s’y limitent pas, et c’est ainsi que l’on assiste parfois à la transposition des réflexes scolaires dans la sphère littéraire, y compris en langue vernaculaire. À la fin du xvie siècle, l’expérience pédagogique retracée dans le dictionnaire de rimes de Tabourot est à mi-chemin (M. Furno, J.-Ch. Monferran). Le Promptuaire de Le Gaygnard, qui transpose en langue vulgaire un modèle de prosodie latine en s’appuyant sur la Pléiade (J.-Ch. Monferran), mais ne cite Ronsard qu’à demi, ne gardant que le deuxième hémistiche porteur de la rime (M. Furno), est également exemplaire, puisqu’il atteste une attention réfléchie à l’actualité poétique de son temps, mais n’en retient que les apports techniques. Cette fonctionnalité des dictionnaires (M. Furno) serait ainsi déterminante dans leur évolution. L’association des épithètes de Du Bartas au dictionnaire de rimes attribué à La Noue n’est-elle pas du même ordre, sinon le pur résultat d’une stratégie commerciale (Y. Bellenger), celui en tout cas d’une réduction techniciste de l’art poétique conduisant à confectionner, à gros points de suture, le patchwork des procédés les plus exploitables des meilleurs auteurs ? Mais alors, ne pourrait-on en dire autant de La Porte, lorsqu’il brise la linéarité du texte-source pour l’ouvrir au réemploi (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia) ? Ce n’est pas sûr pourtant, dans la mesure où l’épithète et la rime diffèrent par la nature des mises en relation qu’elles proposent. La qualification, en effet, suppose une liberté d’appariement virtuellement infinie, que modèrent en poésie le critère de l’aptum, et dans l’épithétaire les choix effectués par le lexicographe sur un corpus préexistant qu’il module à sa guise, en le limitant ou en l’étendant, en innovant (N. Istasse) et en interprétant (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia). La rime repose en
revanche sur un nombre limité de possibilités, défini, aussi important soit-il, par les possibilités de la langue même, si bien que, selon la ligne suivie par le lexicographe, elle peut devenir pour lui un espace de non-choix, exhaustif mais techniciste, et aboutissant à rejeter l’exercice du « bien dire » hors du dictionnaire, dont on ne saurait trop attendre. Restent les commentaires, qui jouent encore quelque temps, au sein du dictionnaire, ce rôle d’orientation non contraignante qui en sortira bientôt pour gagner les annexes, les arts poétiques, les observations des Remarqueurs (S. Hache) et la littérature qui les ridiculise (M. Rosellini, D. Reguig). Reste aussi la possibilité têtue d’hésiter, devant certains choix de recension, lorsque l’on soupçonne sous le pari d’exhaustivité le plaisir discret d’un sourire, d’une tentation, d’une nostalgie (S. Macé). On comprend de la sorte que l’on atteigne, lors du passage de l’épithétaire au dictionnaire de rimes, à un point de crise.
Cette évolution suppose, à l’égard de la formation littéraire et de la littérature même, une série de désillusions. Si l’on postule en effet que l’insistance sur la technique de la rime reflète un souci de fonctionnalité particulièrement à l’œuvre en contexte scolaire (M. Furno), et si l’on accepte de voir dans ces « prêt à poétiser » en langue vernaculaire, évidemment peu estimés (J.-Ch. Monferran), des analogues de ces aides à la formation qui se développaient parallèlement en langue latine, la réalité de ce que les pédagogues et lexicographes pensent pouvoir attendre de leurs destinataires est à déceler dans ce que ne contient pas le dictionnaire (M. Furno). Et à cet égard la normativité accrue des deux genres, leur insuffisance de plus en plus patente, les amenant à se compléter mutuellement et à susciter d’autres compléments, ou à se faire eux-mêmes compléments, suggèrent une baisse de la confiance placée dans leurs utilisateurs, qui finit par entacher le dictionnaire même. Il y aurait donc renoncement à un apprentissage de moins en moins familier (les quantités des syllabes en latin)129, à une maîtrise de la rime, « consonance et cadance de syllabes », qui pourtant était censée venir « assez aisément d’elle mesme apres quelque peu d’exercitation » au temps de la Pléiade130. Et il y aurait simultanément perte de confiance dans le dictionnaire, qui au lieu de stimuler une créativité en laquelle
on croirait, comme le permettaient les associations peu normatives des premiers épithétaires131, ne servirait plus qu’à étayer une créativité perçue comme défaillante – ou, ce qui est mieux, à accueillir les nouveautés d’une création vivante. Le conflit entre les corpus lexicographiques et l’aptum, puis le talent, le goût ou le « bon usage » tient sans doute à cette évolution des apprentissages scolaires, mais aussi à cette façon dont les « dictionnaires des poètes » se situent par rapport à la créativité littéraire, comme des espaces d’exploration propres à la laisser naître et s’épanouir en leur sein, ou comme des instruments d’une création reléguée en-dehors d’eux. Une telle évolution n’est pas pour surprendre : dès les Epitheta de Textor, la question des espoirs et des risques placés dans le dictionnaire mérite d’être posée (N. Istasse). Tel est l’écueil d’une continuité pourtant stimulante entre le monde scolaire et la littérature, qui fut profonde et durable, mais qui devait finalement conduire à expulser hors du champ littéraire ces genres modestes – lesquels s’étaient pourtant pensés sans complexe comme les guides d’une imitation créative. Et tel est aussi le risque d’une approche purement utilitaire de ce qui fut jadis non seulement objet, mais lieu et agent de débats.
Esquisse de typologie
La typologie qu’appelle à dresser ce corpus doit dès lors tenir compte d’une série de critères, génériques, linguistiques et diachroniques, stratégiques et rhétoriques. Tâchons de les récapituler, dans leurs grandes lignes puis à travers les typologies spécifiques esquissées ici, avant de nous concentrer sur le fouillis des dictionnaires dits partiels.
Grandes lignes
Les dictionnaires d’épithètes et de rimes se différencient d’abord par leurs conceptions de l’enrichissement sémantique et lexical – le rapport entre les mots et le rapport au réel étant diversement posés – et de ce qui fait la valeur du vers – en termes de musicalité et de cadence, mais aussi du point de vue de la plénitude et de la clarté du sens à rejoindre, indirectement par les détours des qualités annexes, ou directement par les substantifs et leurs
résonances. Ils se différencient aussi par leur gestion de l’aptum, qui va dans les épithétaires de l’indifférence de Textor, justifiée par une appréciation positive de départ sur les appariements relevés (N. Istasse), au caractère stimulant des relevés de La Porte (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia) et semble-t-il aussi de Smyters (P. J. Smith), tandis qu’il paraît plus naturel que le dictionnaire de rimes délègue à son utilisateur le soin de l’aptum. Ils se différencient enfin par leur rapport aux modèles et au sens. En effet, l’épithète semble servir plus aisément une extension des modèles que la rime, pensée dans les Rimarii comme le véhicule d’une imitation restreinte même lorsqu’il s’agit d’en élargir le champ ; et c’est sans doute aussi pourquoi, au xviie siècle, les dictionnaires de rimes font bon ménage avec l’Académie. En outre, dans l’épithétaire, les appariements proposés résultent d’un choix, mais d’un choix qui potentiellement reste ouvert ; dans le dictionnaire de rimes, la contrainte est posée – par les limites de la langue ou du modèle – mais les possibilités d’appariement restent arbitraires, fondées sur l’équivalence phonique, indépendamment du sens, dont il reste à jouer. En d’autres termes, la raison d’être de l’épithète, même audacieuse, est incluse dans le principe de l’épithétaire, qui présuppose la possibilité d’une pertinence sémantique aux associations qu’il propose, et si l’immotivation demeure un risque toujours prévisible dans l’usage qui sera fait du recueil, au moins la possibilité de faire sens est posée. Il n’en est pas de même de la rime, pour laquelle le sens reste à construire même si les citations fournies en balisent l’usage – à condition qu’elles soient complètes, ce qui n’est pas toujours le cas (M. Furno) – et à propos de laquelle les débats portent moins sur l’association des mots entre eux que sur le choix des mots : plus secs en informations que les dictionnaires de langue, les dictionnaires de rimes sont avant tout des « listes de mots » (S. Macé) qui tendent, plus ou moins selon les époques, à les rejoindre (J.-Ch. Monferran). Dès lors, c’est significativement au moment où l’épithète tend dans l’esprit des poètes et rimailleurs à se subordonner à la rime que se pose avec le plus d’acuité la question du sens.
Les cas spécifiques
Certains moments forts de l’histoire des « dictionnaires des poètes » requièrent par ailleurs une typologie plus précise. Elle a été tentée dans ce volume, à propos des publications italiennes (M. Pozzi, Fr. Tomasi)
et espagnoles (R. Béhar), des dictionnaires de rimes français à la fin du xvie siècle (J.-Ch. Monferran) et des manuels de prosodie latins contemporains en Europe (M. Furno), mais aussi à propos des rééditions de Textor en Europe (N. Istasse) ou de la fortune de La Porte (P. J. Smith). Chaque fois, la réédition ou l’adaptation apporte son lot de modifications. L’impression de diversité prime, et l’on ne peut rendre compte de ces ouvrages qu’en les décrivant. Sans en reparcourir toute la gamme, contentons-nous de dresser la liste des configurations envisagées.
Parmi les épithétaires, il faut distinguer ceux qui se suffisent à eux-mêmes, de ceux qui se définissent par complémentarité avec un autre type d’ouvrage. Textor, La Porte, Smyters relèvent de la première catégorie ; l’Amas d’Epithetes de la seconde, ainsi que les Synonimes et épithètes françoises de Montméran, quoique leur auteur prétende imiter La Porte – en le surpassant – et compose un système cohérent à partir des deux matériaux lexicaux associés, loin de la logique de compilation qui appelait l’Amas132. Il faut également tenir compte du degré d’autonomie des épithétaires : bien qu’une traduction suppose une allégeance, celle de Smyters implique une réelle prise d’autonomie et une ambition linguistique assumée, à la différence de la traduction partielle de certaines épithètes de Textor en espagnol (R. Béhar). Au sein de la seconde catégorie, il faut également distinguer entre différents types d’annexes : l’Amas d’Epithetes qui couronne – ou complète – un dictionnaire de rimes ne traduit pas les mêmes intentions que les compilations réalisées dans le cadre des débats sur le pétrarquisme (Fr. Tomasi). Ainsi les épithétaires envisagés s’ordonnent-ils selon leur plus ou moins grande autonomie, leurs ambitions, et le statut qu’ils accordent à l’épithète – central ou secondaire – lorsqu’elle est associée à d’autres types d’enrichissement lexical.
Parmi les dictionnaires de rimes, la diversité des exemplaires italiens requiert quasiment un traitement au cas par cas, d’autant que ces recueils s’assemblent en général avec d’autres pour former de vastes complexes métapoétiques (Fr. Tomasi) : selon les recueils auxquels ils s’associent, lexiques, commentaires, traités, du florilège au système théorique, on peut encore les départager selon leur vocation utilitaire ou polémique, l’ampleur de leurs ambitions et la façon dont ils placent, ou non, la rime au cœur de leur dispositif, l’instrumentalisant presque toujours
pour traiter de la poésie. En France, inversement, où la technicité de la rime souffre depuis la Pléiade du conflit de la fureur et du labeur (J.-Ch. Monferran), la part de l’art s’incarne spontanément dans l’épithète, détachée rhétoriquement de ses avantages techniques au nom d’une ontologie du langage, avant que la rime ne la supplante. On peut de là distinguer quatre périodes en France aux xvie et xviie siècles : un premier âge d’or de la rime, qui est celui de la Grande Rhétorique, décrié par la Pléiade ; la pratique de la rime expérimentée par la Pléiade, et ardemment discutée dans les débats sur le « nombre133 », mais peu mise en avant par les lexicographes ; le développement des dictionnaires de rimes à la fin du xvie siècle, en vertu d’une gestion ambiguë de l’héritage de la Pléiade134 ; et enfin le développement d’une poétique de la rime, qui associe un art poétique à la critique de l’épithète (D. Reguig) ou à la recension des rimes (S. Macé).
Le fouillis des dictionnaires dits partiels
Ce corpus extrêmement divers ouvre donc accès non seulement à l’histoire des dictionnaires, à laquelle on le réduit souvent, mais à des conceptions poétiques où interviennent les débats sur la langue et l’imitation, l’elocutio et l’inventio, le labeur et la fureur, le « nombre », la « musique » du monde et le sens, la clarté et l’« illustration ». Ce volume permet ainsi de relativiser la notion de dictionnaire partiel, justifiant une approche rhétorique, stratégique et diachronique de ces ouvrages.
Il faut en effet relativiser l’idée de dictionnaire partiel ou spécialisé, cette rubrique dans laquelle on classe généralement les dictionnaires d’épithètes et de rimes du xvie siècle, dans le cadre d’une préhistoire des dictionnaires ultérieurs135. Car ni les épithétaires de Ravisius Textor, de La Porte ou de Smyters, ni les dictionnaires de rimes de Le Gaygnard, de Lefèvre/Tabourot ou plus tard de Richelet ne se pensent à vrai dire comme partiels. C’est d’ailleurs, d’une certaine manière, ce que le xviie siècle
français finira par reprocher aux épithétaires, en vertu d’une réduction de l’épithète à un procédé parmi d’autres, mais non aux dictionnaires de rimes, en vertu de la définition de la poésie par l’art de rimer. En Italie, où l’efflorescence des Rimarii découle naturellement de l’impact des Rime de Bembo, des Rime di diversi et de tant d’autres (Fr. Tomasi), le caractère composite des Rimarii – qui ne sont pas que de rimes – n’empêche pas qu’ils se définissent avant tout par la rime, en fassent la clé de voûte de leur édifice pour penser la poésie : ainsi notamment de l’entreprise de Ruscelli, point d’aboutissement d’une longue série d’expériences et de débats (M. Pozzi, Fr. Tomasi). La même impression se dégage, en France, de la compilation unissant le dictionnaire de rimes attribué à La Noue et l’Amas d’Epithetes (J.-Ch. Monferran, Y. Bellenger), de l’association ultérieure de la rime à l’art de bien parler136 ou des échos entre le traité de versification et le dictionnaire de rimes de Richelet (S. Macé). La perspective téléologique qui amène à voir dans ces ouvrages des entreprises partielles méconnaît en ce sens le caractère global d’une approche qui fait tantôt de l’épithète tantôt de la rime, selon des représentations cohérentes, des analogues de la poésie même.
Il est plus significatif d’y percevoir les grandes options représentatives d’une conception de l’épithète, ou de la rime, et à travers elles une poétique et une épistémologie, voire une ontologie, la question étant de déterminer celle qui, de l’épithète ou de la rime, devient prioritaire dès lors que l’une se subordonne à l’autre. On pourrait aller jusqu’à dire qu’au xvie siècle, l’épithète et la rime reflètent une conception poétique globale, incarnée ici par la rime, là par l’épithète, et simultanément par toutes deux, lorsque la question de la traduction interfère avec les débats sur l’imitation venus d’Italie et de France (R. Béhar). Plus tard, en revanche, après une révision désabusée des pratiques pédagogiques et techniques (M. Furno), après la réhabilitation de la technique et de l’art du « compas » (J.-Ch. Monferran), puis le refus de tout ce qui, étant justement trop technique, n’apparaît plus que comme pédantesque (M. Rosellini), et, avec la montée en puissance de l’idéal classique, une nouvelle perception de la force de résonance des mots et du phrasé dans le vers (D. Reguig), la fonctionnalité s’impose en se dépréciant, laissant
libre la place aux théorisations du talent et à des normes en conflit perpétuel avec la médiocrité de ceux qui n’ont pas le talent, la grâce ni le bon goût de les transcender par leur art.
La coexistence des dictionnaires d’épithètes et de rimes aux xvie et xviie siècles requiert de là deux approches complémentaires, stratégique et diachronique. La première s’impose pour l’Italie (M. Pozzi, Fr. Tomasi) au temps des débats sur le cicéronianisme, le pétrarquisme et le virgilianisme, et dans toute la zone linguistique influencée par eux, en France et en Espagne (R. Béhar), dans les épithétaires et les traductions d’Homère (Ph. Ford, M. M. Fontaine). La dimension militante constitue en effet une donnée majeure pour aborder ces recueils aussi longtemps qu’il s’agit d’ériger des courants en modèles, et ce jusqu’aux dictionnaires inspirés de la Pléiade en France, à leur adaptation en néerlandais (P. J. Smith) et à leur contestation au xviie siècle (M. Rosellini). Mais une deuxième approche, diachronique, interfère avec celle-ci : elle consiste à aborder, notamment en latin et en français, le chassé-croisé de l’épithète et de la rime dans le contexte de l’évolution des pratiques pédagogiques et littéraires (M. Furno), de leur collaboration assumée (N. Istasse) à leur mutuelle détestation (M. Rosellini), en lien avec l’évolution des arts poétiques (D. Reguig) et des conceptions rhétoriques (S. Hache).
Éléments de réflexion rhétoriques
C’est sur ce dernier aspect que nous achèverons cette synthèse, afin de ressaisir cette part technique sous-jacente à toute poétique qui, même occultée ou dépréciée, détermine selon les cas l’appréhension du vers par l’épithète ou par la rime. Sans prétendre parvenir ici à des conclusions définitives sur une question qui mériterait de plus amples approfondissements, contentons-nous d’envisager quelques facteurs de cette interaction durable entre l’épithète et la rime, en termes de musicalité, de place et de sens ou de « raison » d’être.
L’hypocrite déni de la rime
Par-delà la distinction précédemment posée entre les poétiques qui se réclament des rimes conçues comme synecdoques des vers137, et celles
qui, pour des raisons esthétiques et stratégiques – notamment en France au temps de la Pléiade – refusent de se définir par la rime, il faut faire la part d’une certaine hypocrisie qui préside au déni de la rime, toujours présente à l’arrière-plan des préoccupations des poètes, au long de l’histoire de ses rapports avec le « nombre138 ». L’épithète n’échappe pas à ces préoccupations. Les pratiques en témoignent, comme dans la traduction des épithètes homériques qui suppose, lorsqu’elle est menée avec la finesse de Florido, le souci de la cadence et de la place de l’épithète dans le vers (M. M. Fontaine), ou, chez Scaliger, le souci de l’ordre des mots139 : les considérations de « nombre » prennent ici leur pleine mesure, ainsi que les clausules. Dès lors l’épithète joue un rôle, sinon dans l’art de la rime, du moins dans le rythme, la cadence, la consonance, la musicalité, les homéotéleutes et les clausules, c’est-à-dire dans tout ce qui en vertu des glissements conceptuels analysés par Kees Meerhoff140, fut expérimenté en matière d’alternatives ou compléments de la rime au nom de la défense et illustration de la langue vulgaire ; et l’on pourrait aller jusqu’à en dégager l’hypothèse qu’en langue française, c’est précisément dans ce cadre des expériences relatives au « nombre » que les épithétaires poétiques prennent leur pleine valeur, en vertu du pouvoir prêté à l’épithète de conjurer le prosaïsme plus et mieux que la rime, par sa participation plus « nombreuse » à l’économie du vers autant que par ces autres consonances, sémantiques, qu’elle réunit à elle sans le secours des jeux formels de la Grande Rhétorique. L’épithète, garante de musicalité et de sens, serait ainsi un gage de poéticité au temps de la Pléiade, au nom d’un anti-prosaïsme affirmé qui se confond paradoxalement avec le déni de la rime141. Aussi bien l’écart posé par Aristote et Quintilien entre l’efficacité requise de l’orateur et la superfluité plus tolérable des épithètes poétiques142 la prédisposait-il à
ce rôle : les poétiques de l’épithète hériteraient ainsi de cette valorisation de l’épithète poétique, prioritairement à la rime, en même temps que d’une exigence d’efficacité non plus oratoire, mais sémantique, passée des contraintes du tribunal à l’ordre des connotations – les épithétaires cicéroniens étant en prose l’exception qui confirme la règle, puisqu’ils sont, eux, des conservatoires du purisme. C’est ainsi que la Pléiade assimile le rimeur au versificateur143, censé incarner un prosaïsme incapable d’aller au-delà des succédanés les plus élémentaires du « nombre », et que le xviie siècle même, Boileau en tête, déprécie la rime au nom de la cadence, notamment malherbienne, ou les « rimeurs » à défaut de renoncer à la rime144 : la rime, summum du prosaïsme.
Cependant, en dépit de cette « menace prosaïque145 », la rime importe aux poètes146. Elle intervient amplement dans les expériences faites pour ne pas réduire la poésie à elle, à travers les jeux de sonorités, l’alternance des rimes masculines et féminines, ou la répétition des mêmes schémas de rimes, même si l’indifférence à son égard reste une option possible147. Ce sont des pratiques qui suggèrent, à propos de Du Bellay par exemple, que le dictionnaire de rimes se justifie par les réponses qu’il apporte à ce
qui reste un problème majeur des poètes148, et qui justifient les citations tronquées du Promptuaire d’unisons de Le Gaygnard (M. Furno), voire l’Amas d’Epithetes implicitement associé à l’art de rimer (Y. Bellenger). Et toutes ces considérations de place et de « nombre » donnent raison à Boileau d’assigner aux épithètes une place de choix dans sa critique de la rime immotivée, en vertu d’une association des deux procédés qui est, au fond, toujours allée de soi. Mais il demeure que les orientations diffèrent selon que l’accent est mis sur l’épithète ou sur la rime, et selon la prétention du dictionnaire à rendre compte, par-delà l’ordonnancement des mots, d’une « musique » qui ne se résume pas à l’harmonie du vers pour atteindre à l’ordre des choses (Y. Bellenger), de connotations en prise sur un monde de dénotations (N. Istasse, J.-Ch. Monferran), ou d’un phrasé à travers lequel se définit un certain rapport au sens (D. Reguig, S. Macé). Il faudrait donc poursuivre cette étude par l’analyse de la part prise par les épithètes dans la métrique, des Grands Rhétoriqueurs à Boileau149, en particulier chez les traducteurs d’Homère, chez Ronsard, Du Bellay et Du Bartas, de leur rôle éventuel dans la définition de certains genres – tels que le blason par exemple –, de l’importance statistique des épithètes à la rime dans les épithétaires et des épithètes dans les dictionnaires de rimes, et de l’interaction des épithètes et des rimes dans les dictionnaires qui les associent comme chez les auteurs qui semblent avoir ressenti l’intérêt de cette association.
La périphrase, l’épithète et la rime
Un cas particulier de cette question est constitué par le statut de la périphrase, d’autant plus riche qu’elle peut être appréhendée comme réserve d’épithètes, ou comme « épithète » elle-même, selon l’interprétation du lexicographe (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia). Source d’apories rhétoriques, et irréductible à une approche exclusivement technique, elle trouve encore dans l’Amas d’Epithetes une place d’autant plus visible qu’elle y voisine avec des épithètes de nature (Y. Bellenger). Les périphrases de Du Bartas suggèrent ainsi une forme de lyrisme exacerbé et proliférant, sous la forme de citations en liste, illustrant
une fois encore cette tentation de rattraper le vers par l’épithète, ou par la rime, ou par les deux, qui pousse le dictionnaire toujours plus loin au-delà de lui-même. Recueillies pêle-mêle au milieu des adjectifs, et parfois fragmentées et redistribuées dans les entrées, mais souvent aussi sauvegardées dans le commentaire (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), les périphrases relevées par La Porte se fondent pour leur part harmonieusement dans une poétique peu soucieuse de rigueur grammaticale, mais qui ne répugne pas aux mises en valeur phoniques et rythmiques des effets sémantiques, et ouvre la voie à d’autres tropes par la puissance des appariements. Les rapports au réel diffèrent150, et il faudrait approfondir cette valeur épistémologique de la périphrase, ainsi que de son voisinage avec les épithètes de nature, à l’âge des taxinomies151 ; la rime, qui prend appui sur les qualifications systématiques dans les descriptions de paysages et d’êtres vivants, comme dans les listes de plantes et d’animaux, semble ici jouer un rôle non négligeable dans l’appréhension du réel. Et si, chez La Porte, la répartition des épithètes issues de périphrases suppose des choix du lexicographe en termes de spécification (A.-P. Pouey-Mounou / N. Gasiglia), on peut comprendre de même l’étrange voisinage qui se fait dans l’Amas d’Epithetes entre la précision adjectivale directe et l’épanchement périphrastique (Y. Bellenger) : au cœur de l’hésitation de Du Bartas entre l’immanence et la célébration divine, de son système d’isotopies multiples entre les niveaux du monde, du ciel et du métatexte152, l’essentiel est affaire de spécification ; il tient à l’espèce que le poète ou le lexicographe choisit de mettre en valeur, et au saut métaphorique, voire ontologique, ainsi permis d’un niveau du réel à l’autre, par l’épithète – qui spécifie et classifie, mais ouvre aussi sur un déplacement métaphorique ou périphrastique153 – comme par la
rime, promotrice d’autres déplacements. L’association triangulaire de l’épithète de nature, de la périphrase et de la rime renseigne ainsi sur le sens que chaque période place dans la valorisation de l’une par les autres.
Raisons et dissonances
Si l’on laisse donc résonner cette « raison » que tour à tour elles invoquent, force est de constater qu’au sein du débat de la rime et de la raison, des Grands Rhétoriqueurs à Boileau pour la littérature française, mais aussi dans les Rimarii et les appels à l’élégance, à la pureté, à la mesure et au « sens », l’épithète introduit une forme de dissonance, des embarras sans nombre, des envolées perturbatrices, le risque de l’immotivation et un recours ultime au talent, qu’il s’agisse de la traduire, de l’assigner, de la contrôler ou tout simplement de la choisir. Elle est indice de poéticité ou de médiocrité, selon les critères invoqués à chaque moment de cette histoire. Elle bouscule le dilemme du vers sans rime ni raison ou « avec rime et raison », aussi longtemps qu’elle tient son rôle, du fait que la collocation qui lui incombe ne peut faire l’économie de la question du sens, d’une mise en rapport pertinente des mots et des choses (S. Hache). Il faut qu’elle abdique ce rôle, l’aliène pour ainsi dire à la rime, pour cesser d’avoir lieu d’être ; mais même dans les satires qui la contestent, comme chez Boileau, elle garde sa place éminente dès lors qu’elle orchestre un jeu sur les clichés et porte les premières estocades de la satire – en vraie complice de la rime. La mise en forme versifiée du sens, ou son exploration par la poésie, ne se pense donc pas indépendamment de cette double relation – concordia discors – de l’épithète et de la rime, qui tente de réaliser l’accord de la musique et du sens dans les deux dimensions de l’espace textuel, et dans les lignes de fuite de ses suggestions et résonances, en multipliant les points de contact entre la musique du poème et celle du monde. Aucun de ces deux procédés ne peut se passer de l’autre, même si les époques choisissent de les valoriser tour à tour. Ainsi, dans la satire « À Monsieur de Molière », Boileau rend cet hommage à l’épithète qu’il ne saurait critiquer la rime sans passer par elle.
De la coexistence des deux genres à une mutation épistémologique qui les a un peu indûment fait qualifier de « partiels », de la conjonction des épithétaires avec les Rimarii et les théories de la traduction au « tout lexicographique » et au rejet de l’épithète par des « rimeurs » au talent incertain, de la perméabilité des univers scolaire et poétique à leur cloisonnement, se dégage quoi qu’il en soit un constat : en aucun cas les « dictionnaires des poètes », aussi partiels soient-ils à nos regards modernes, ne constituent des phénomènes isolés, les simples prodromes d’une évolution en cours. Ce volume montre au contraire qu’ils s’insèrent dans un ensemble de remaniements poétiques intenses, servi par la circulation des poétiques et par des entreprises éditoriales d’ampleur, qui leur donne un retentissement global. Ils apparaissent ainsi comme les témoins privilégiés des tentatives par lesquelles la poésie prétend susciter et faire résonner le sens par les mises en relation verbales, recherchant dans cet au-delà du mot que sont les associations phoniques et qualificatives, un vibrato où résiderait sa « raison » d’être.
Outre ses contributeurs, ce volume est largement redevable à l’« Atelier xvie siècle » de Paris-Sorbonne et en tout premier lieu à sa directrice Mireille Huchon, ainsi qu’à Marie-Claire Thomine et à Trung Tran, et à l’équipe d’accueil ALITHILA de Lille 3, à sa directrice Marie-Madeleine Castellani et à ses secrétaires successives Stéphanie Meghzili et Laetitia Ceugnart, ainsi qu’à Jean-Louis Fournel pour son brio d’animateur et ses traductions. Qu’ils soient ici très chaleureusement remerciés. La réalisation du volume a enfin été marquée par de tristes événements, et nos amicales pensées vont à Yvonne Bellenger et à ses proches. À Philip Ford, brutalement disparu, nous dédions cette préface, en souvenir de sa présence aimable et chaleureuse, ainsi que du soutien particulièrement généreux qu’il avait accordé aux prolongements de ces travaux.
Anne-Pascale Pouey-Mounou
Université de Lille
ALITHILA (EA 1061) et IUF
1 Érasme, De duplici copia verborum ac rerum commentarii duo, éd. B. I.Knott, Opera omnia, ASD [Union Académique Internationale et Académie Royale Néerlandaise des Sciences et des Sciences Humaines, Amsterdam, North-Holland], t. I/6, 1988, notamment p. 204 et 216-218 sur les épithètes. Voir M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence. Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Genève, Droz, 1980, p. 100 et 456 ; J. Chomarat, Grammaire et Rhétorique chez Érasme, Paris, Belles Lettres, 1981, 2 vol., t. II, chap. 5, p. 712-761, notamment p. 736 et 738-741 sur les épithètes dans la copia rerum, et p. 841-843 sur l’art de l’adaptation et la subjectivité ; T. Cave, Cornucopia. Figures de l’abondance au xvie siècle [Oxford, U. P., 1979], trad. G. Morel, Paris, Macula, 1997, p. 47-49 ; A. Moss, Les Recueils de lieux communs. Méthode pour apprendre à penser à la Renaissance [1996], trad. P. Eichel-Lojkine (dir.) et al., Genève, Droz, 2002, p. 177-199.
2 Voir J. Lecointe, Dictionnaire des synonymes et des équivalences, Paris, Librairie Générale Française, 1993, préface, p. 5-15.
3 Voir B. Quemada, Les Dictionnaires du français moderne (1539-1863). Étude sur leur histoire, leurs types et leurs méthodes, Paris, Didier, 1968, p. 100-101 ; O. Leclercq, Construction d’un savoir et d’un savoir-faire dans le traitement du lexique français aux xvie et xviie siècles, thèse soutenue le 4 déc. 2006, Université Paris VII-Denis Diderot, dir. Fr. Mazière, p. 111-136, notamment p. 112-117. M. Bierbach met en garde contre une perspective anachronique, « Les Epithetes de Maurice de La Porte de 1571 : ouvrage lexicographique, encyclopédique et rhétorique », Actes du xviiie Congrès international de linguistique et de philologie romanes, dir. D. Kremer, Tübingen, M. Niemeyer, 1989, t. IV-6, p. 44-60.
4 N. Celeyrette-Pietri, De rimes et d’analogies. Les Dictionnaires des poètes, Lille, PUL, 1985.
5 D’après Montaigne, Essais, éd. P. Villey-V.-L. Saulnier, Paris, PUF, 1965, 3 vol., III, 13, « De l’expérience », 1108 C.
6 Voir J. Céard, notamment « Les transformations du genre du commentaire », L’Automne de la Renaissance, dir. J. Lafond et A. Stegmann, Paris, Vrin, 1981, p. 101-115 ; id., « Les mots et les choses : le commentaire à la Renaissance », L’Europe de la Renaissance. Cultures et civilisations, Mélanges M.-Th. Jones-Davies, Paris, Touzot, 1988, p. 25-36.
7 Voir S. Menant, La Chute d’Icare. La crise de la poésie française 1700-1750, Genève, Droz, 1981, chap. 1, p. 7-45, sur la pédagogie jésuite à partir de la fin du xvie s. ; J. Lecointe, L’Idéal et la Différence. La perception de la personnalité littéraire à la Renaissance, Genève, Droz, 1993 ; A. Moss, Les Recueils de lieux communs, op. cit., chap. 6, et passim.
8 Voir A. Grafton, « How Guillaume Budé Read His Homer », in A. Grafton, Commerce with the Classics : Ancient Books and Renaissance Readers, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1997, chap. 4, exemples cités p. 135-136 et 168-171 (confrontation de l’exemplaire annoté de Princeton avec les notes de lecture conservées à Genève).
9 Voir Ph. Ford, De Troie à Ithaque : réception des épopées homériques à la Renaissance, Genève, Droz, 2007, passim ; voir aussi B. Méniel, Renaissance de l’épopée. La poésie épique en France de 1572 à 1623, Genève, Droz, 2004, p. 46-47.
10 Voir Ravisius Textor, Synonyma propriorum nominum [issus de l’Officina, Paris, R. Chauldière, 1520, d’après N. Istasse, que nous remercions], rééd. avec le De Carminibus ad veterum imitationem artificiose componendis […] a Georgio Sabino, Anvers, C. Plantin, 1565, 1575, et l’Epitome Epithetorum […] cum ejusdem Synonymis poëticis, Douai, 1623 ; voir A.-P. Pouey-Mounou, « Dictionnaires d’épithètes et de synonymes aux xvie et xviie siècles : du lexique au manuel », BHR, no 75/1, 2013, p. 47-65. Le rapport entre la synonymie de noms propres et la tradition de l’épithète homérique est sensible dans les travaux de Fr. Berlan, « Les Épithètes Françoises du R. P. Daire, stéréotypes culturels et conventions sociales », Mélanges de langue et de littérature offerts à Pierre Larthomas, Paris, ENSJF, 1985, p. 26 et 29-30 (sur l’épithétaire du R. P. Daire, Les Epithetes Françoises, rangées sous leurs substantifs […], Lyon, P. Bruyset Ponthus, 1759) ; voir le lien posé par O. Pédeflous entre la traduction d’Homère par Politien et les Epitheta de Textor, « L’atelier du poète-lexicographe au début du xvie siècle en France », Camenae [rev. électr. Paris-Sorbonne], no 1, janv. 2007, et infra.
11 Voir M. M. Fontaine, « Des mots à la rime et de leur raison », Du Bellay, Actes du colloque international d’Angers, 26-29 mai 1989, dir. G. Cesbron, Angers, P. U., 1990, 2 vol., t. I, p. 261-284. Sur la position de Du Bellay à l’égard de la rime (La Deffence, et Illustration de la langue françoyse [1549], éd. J.-Ch. Monferran, Genève, Droz, 2001, II, 7-8, p. 148-157 et n.), voir K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique au xvie siècle en France. Du Bellay, Ramus et les autres, Leyde, E. J. Brill, 1986, p. 124 sq. ; et B. Andersson, L’Invention lyrique. Visages d’auteur, figures du poète et voix lyrique chez Ronsard, Paris, Champion, 2011, p. 59-62.
12 Voir J. Chomarat, Grammaire et Rhétorique chez Érasme, op. cit., t. II, p. 802-803 ; A. Moss, Les Recueils de lieux communs, op. cit., chap. 1, p. 34-36 sq., et passim.
13 Voir O. Pédeflous, « L’atelier du poète-lexicographe… », art. cité, sur la réaction de Bérauld devant l’entreprise de Textor ; id., « Ravisius Textor’s School Drama and its Links to Pedagogical Literature in Early Modern France », The Early Modern Cultures of Neo-Latin Drama, dir. Ph. Ford et A. Taylor, Supplementa Humanistica Lovaniensia, 32, 2013, p. 19-40.
14 Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Grandeur et décadence d’un tout petit genre : les épithétaires de la Renaissance », Esculape et Dionysos, Mélanges en l’honneur de Jean Céard, dir. J. Dupèbe, F. Giacone, E. Naya et A.-P. Pouey-Mounou, Genève, Droz, 2008, p. 1065-1079 ; et O. Pédeflous, « De l’art de recoudre les “vieilles rapetasseries” : rééditions et actualisations des Epitheta et de l’Officina de Ravisius Textor », Le Discours du livre : mise en scène du texte et fabrique de l’œuvre sous l’Ancien Régime, Paris, Classiques Garnier, 2011, p. 299-319.
15 Voir F. J. Hausmann, « Kollokationswörterbücher des Lateinischen und Französischen im 16. und 17. Jahrhundert », Romania historica et Romania hodierna. Festschrift für Olaf Deutschmann zum 70. Geburtstag, 14 März 1982, dir. P. Wunderli et W. Müller, Francfort-Berne, P. Lang, 1982, p. 183-199 ; O. Leclercq, Construction d’un savoir et d’un savoir-faire, op. cit., p. 112.
16 Voir K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit., intro., p. 14, et passim.
17 Voir À haute voix. Diction et prononciation aux xvie et xviie siècles, Actes du colloque de Rennes, 17-18 juin 1996, dir. O. Rosenthal, Paris, Klincksieck, 1998 ; J. Vignes, « Brève histoire du vers mesuré français au xvie siècle », Albineana, no 17, Musique, poésie et vers mesurés autour d’Agrippa d’Aubigné, dir. M.-M. Fragonard et J. Vignes, 2005, p. 15-43 ; B. Andersson, L’Invention lyrique, op. cit., chap. 3, p. 65-94. Sur les limites du lien entre poésie et musique au temps de la Pléiade, voir J. McClelland, « Measuring Poetry, Measuring Music : From the Rhétoriqueurs to the Pléiade », Poetry and Music in the French Renaissance, Proceedings of the Sixth Cambridge French Renaissance Colloquium, 5-7 juil. 1999, dir. J. Brooks, Ph. Ford et G. Jondorf, Cambridge, French Colloquia, 2001, p. 17-32.
18 Voir J.-M. Braillon, Dictionnaire des injures, insultes, jurons, moqueries et épithètes aux pays picards (Picardie, Flandres, Artois, Hainaut), Elmè, Université Picarde Libre de Thiérache, 1996. Le catalogue de la BnF indique deux épithétaires au xxe s. : E. D. Bar, Dictionnaire des épithètes et qualificatifs, Paris, Garnier, 1930, et G.-Ch. et M. Lecomte, Dictionnaire des épithètes françaises et des attributs : à l’usage de tous ceux qui écrivent et qui aiment les mots, Paris, 1999. Sur les difficultés inhérentes à ce type d’ouvrages, voir F. J. Haussmann, « Un dictionnaire des collocations est-il possible ? », Travaux de linguistique et de littérature, vol. 17, t. I, Strasbourg, 1979, p. 187-195.
19 Voir P. Zumthor, Le Masque et la Lumière. La poétique des Grands Rhétoriqueurs, Paris, Seuil, 1978, chap. « Avec rime et raison », p. 233-243, notamment p. 239 le débat avec H. Guy, Histoire de la poésie française au xvie siècle, t. I, L’École des Rhétoriqueurs, Paris, Champion, 1910, retracé et déplacé par Fr. Cornilliat, « Or ne mens ». Couleurs de l’éloge et du blâme chez les « Grands Rhétoriqueurs », Paris, Champion, 1994, Ire partie, chap. 1, p. 27-36 sq.
20 M. M. Fontaine, « Des mots à la rime et de leur raison », art. cité. Voir Du Bellay, Deffence, éd. citée, II, 7, p. 149 (« …aucuns, qui pensent avoir fait un grand chef d’œuvre en Françoys, quand ilz ont rymé un Imminent, et un Eminent, un Misericordieusement, et un Melodieusement : et autres de semblable farine, encores qu’il n’y ait sens, ou raison, qui vaille ») et n. 92 ; et la réponse de Peletier du Mans, Art Poétique, II, 1, Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. F. Goyet, Paris, Librairie Générale Française, 1990, p. 285-287, et n. 131 p. 334.
21 Boileau, Satires, II, Œuvres complètes, intro. A. Adam, éd. Fr. Escal, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1966, p. 17-19, v. 19-20 (« Si je pense exprimer un Auteur sans defaut, / La raison dit Virgile, et la rime Quinaut ») et 53-56 (« Maudit soit le premier dont la verve insensée / Dans les bornes d’un vers renferma sa pensée, / Et donnant à ses mots une étroite prison, / Voulut avec la rime enchaîner la raison »). Voir encore Fr. Cornilliat, « Or ne mens », op. cit., p. 33-34 et 48-59, et S. Menant, La Chute d’Icare, op. cit., p. 91-95. Le caractère topique du jeu sur la rime et la raison est attesté à la fin du xvie s. par plusieurs pièces liminaires du Dictionnaire des rimes françoises de J. Le Fèvre / É. Tabourot [Paris, J. Richer, 1588], Genève, Slatkine reprints, 1973, fo e ij vo-e iij ro.
22 Voir B. Quemada, Les Dictionnaires du français moderne, op. cit. ; O. Leclercq, Construction d’un savoir et d’un savoir-faire, op. cit. B. Quemada est sensible à l’intérêt littéraire de ces ouvrages lorsqu’il relève leur lien étroit avec la langue des écrivains et le fait qu’ils « donnèrent la vedette aux citations », p. 543 et n. 83. O. Leclercq souligne pour sa part la finalité « sémantique » et le monolinguisme pionnier des Epithetes de La Porte, mais méconnaît le lien de l’ouvrage avec le corpus de la Pléiade et son ambition quasi philologique d’expliquer Ronsard, pour faire de lui un « maillon intermédiaire » avant le basculement de l’intérêt sémantique vers le substantif-entrée au xviie s. (p. 115-117).
23 Voir M. Bierbach, « Les Epithetes de Maurice de La Porte… », art. cité, qui souligne aussi (p. 51) le caractère pionnier du recueil « dans le processus de transition de la lexicographie latine à la lexicographie française » et son orientation rhétorique militante en rapport avec une « idéologie linguistique ».
24 Voir P. Hummel, « Actualité et utilité des lexiques d’épithètes du xvie siècle : l’Epithetorum Graecorum Farrago de Konrad Dinner (1589) », Nouvelle Revue du Seizième Siècle, no 12/2, 1994, p. 125-135, qui souligne l’intérêt de ces recueils « en matière de recherche poétique, lexicographique et formulaire » (p. 135) ; id., L’Épithète pindarique. Étude historique et philologique, Berne, P. Lang, 1999, Ire partie, chap. 3, p. 57-101 (notamment p. 59, sur la double vocation « poétagogique » et « philologique » des épithétaires, passage cité par O. Leclercq, cf. supra) ; Fr. Berlan, « Épithète grammaticale et épithète rhétorique », Cahiers de lexicologie, no 39, 1981, II, p. 5-23 ; id., « L’épithète entre rhétorique, logique et grammaire aux xviie et xviiie siècles », Histoire, Épistémologie, Langage, t. XIV/1, 1992, L’Adjectif : perspectives historique et typologique, dir. B. Colombat, p. 181-198, et la plupart des contributions rassemblées ibid.
25 Quintilien, Institution Oratoire, VIII, 6, § 41.
26 Voir C. E. Clark, « Un dictionnaire des idées reçues du xvie siècle : les Epithetes de Maurice de La Porte », Revue des Sciences humaines, no 138, avr.-juil. 1970, p. 187-196 ; et pour le xviiie s., F. Berlan, « Les Épithètes Françoises du R. P. Daire, stéréotypes culturels et conventions sociales », Mélanges de langue et de littérature offerts à Pierre Larthomas, Paris, ENSJF, 1985, p. 23-36. Pour le lien avec les dictionnaires de lieux communs aux xvie-xviie s., voir A. Moss, Les Recueils de lieux communs, op. cit., p. 199 sq., sur la participation de ces derniers à la construction du lexique (Vivès), p. 247 et 303 sur leur complémentarité, ou non, avec les lexiques, et p. 292 et 369 sur leur exploitation scolaire conjointement avec les Epitheta de Ravisius Textor (fin xvie-xviie s.).
27 Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Petite poésie portative : les exercices de style des Epithetes de La Porte », BHR, no 65/1, 2003, p. 51-67.
28 Voir J.-Ch. Monferran, L’École des Muses. Les arts poétiques français à la Renaissance (1548-1610), Genève, Droz, 2011, p. 251-258 sq., et titres cités ici même. Sur les domaines italien et espagnol, voir infra.
29 J. Roubaud, « Rumination de la morale (élémentaire) » [conférence, 1994], Trois Ruminations, Bibliothèque oulipienne, no 81, 1996, p. 13-28, notamment p. 17-19. Nous remercions C. Soulier, doctorante de l’Université Lille 3 et présidente de l’association oulipophile lilloise « Zazie mode d’emploi », pour cette référence. La piste développée ici d’un jeu poétique sur la collocation et les structures hiérarchiques du langage, par référence à Queneau (Morale élémentaire, Paris, Gallimard, 1995, I) et à Desnos (Corps et Biens, Paris, Gallimard [1930], 1968, « Langage cuit »), jointe à l’idée d’une « décadence » formelle autour de 1547 (J. Roubaud, Impressions de France, incursions dans la littérature du premier xvie siècle 1500-1550, Paris, Hatier, 1991, chap. 12, « Fins de règne », p. 277-280), en accord avec la filiation tracée du premier xvie siècle à l’Oulipo, tend à confirmer, par-delà l’ironie de ces « ruminations » sur l’épithétaire, l’intuition d’une parenté poétique entre les deux types de procédés et d’un déplacement rhétorique qui se ferait de la rime à l’épithète au cours du xvie siècle.
30 Voir J. Lecointe, L’Idéal et la Différence, op. cit., p. 425.
31 N. Celeyrette-Pietri, De rimes et d’analogies, op. cit.
32 Voir K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit., intro., p. 6, et Ire partie, p. 23-45. Sur les dictionnaires cicéroniens, voir ici même la liste donnée par N. Istasse.
33 Sur les tendances encyclopédiques des « dictionnaires de mots et de choses », voir B. Quemada, Les Dictionnaires du français moderne, op. cit., p. 76-89, et p. 172-173 sur la tension au xviie s. entre dictionnaires universels et puristes. Sur cette « pédagogie par bribes », voir A. Moss, Le Recueil de lieux communs, op. cit., p. 301. Sur l’orientation foncièrement rhétorique de ces commentaires encyclopédiques, voir M. Bierbach, « Les Epithetes de Maurice de La Porte… », art. cité, p. 49-50, et les précisions données en discussion p. 59-60. Sur l’évolution vers les sommes pédagogiques du xviie s., voir A.-P. Pouey-Mounou, « Grandeur et décadence… », art. cité.
34 G. Corrozet, Le Parnasse des poëtes françois modernes : contenant leurs plus riches et graves sentences, discours, descriptions et doctes enseignements, Paris, Galiot Corrozet, 1571. Voir M. Raymond, L’Influence de Ronsard sur la poésie française (1550-1585) [Paris, Champion, 1927], Genève, Slatkine reprints, 1993, t. I, p. 312-313.
35 Voir dans Esculape et Dionysos, op. cit., Y. Bellenger, « L’Amas d’Epithetes de Du Bartas », p. 983-1000, et A.-P. Pouey-Mounou, « Grandeur et décadence… », art. cité, p. 1071.
36 Voir O. Pédeflous, « L’atelier du poète-lexicographe… », et « Ravisius Textor’s School Drama… », art. cités ; N. Istasse, « Joannes Ravisius Textor : mise au point biographique », BHR, no 69/3, 2007, p. 691-703, et « Les Epitheta et l’Officina de Joannes Ravisius Textor : conception auctoriale et destinée éditoriale », Qui écrit ? Figures de l’auteur et des co-élaborateurs du texte (xve-xviiie siècles), dir. M. Furno, Lyon, ENS Éditions-Institut d’Histoire du Livre, 2009, p. 111-135.
37 Voir Les Ateliers d’imprimeurs, lieux d’expérimentation des langues vulgaires en Europe (fin xve-xvie siècles). Die Druckeroffizinen als Laboratorien der Volkssprache in Europa (Ende 15.-16. Jahrhundert) [projet ANR-DFG Eurolab], éd. E. Kammerer et J.-D. Müller, Genève, Droz, à paraître.
38 Voir Ph. Renouard, Répertoire des imprimeurs parisiens, libraires, fondeurs de caractères et correcteurs d’imprimerie depuis l’introduction de l’Imprimerie à Paris (1470) jusqu’à la fin du seizième siècle, 2e éd. rev. et complétée par J. Veyrin-Forrer et B. Moreau, Paris, J. Minard, 1965, p. 239-240 ; Ronsard, Lm V, p. 192, n. 1 ; et Fr. Rouget, intro. à l’éd. des Epithetes, Paris, Champion, 2009, p. 10-13 et n. 11. Les liens entre Ronsard et Ambroise, frère de Maurice II, sont attestés par l’implication d’Ambroise dans l’éd. des partitions du cinquième livre des Odes et des Amours de 1552-1553 (Lm III, intro., p. xv, et Lm IV), et par les dédicaces de deux pièces de Ronsard (Lm V, p. 192-196, et VI, p. 10-13) et d’une de Magny accusant réception du livret des Folastries (Les Gayetez, éd. A. R. Mac Kay, Genève, Droz, 1968, XVIII, p. 55-57). Maurice II célèbre la mémoire de son frère dans l’avant-propos des Dialogues de Tahureau (Les Dialogues non moins profitables que facetieux, éd. M. Gauna, Paris-Genève, Droz, 1981) et aux art. « De la Porte » et « Tahureau » des Epithetes.
39 Sur les vers de Ronsard dans la Dialectique en français de Ramus (1555) et dans la Rhétorique françoise de Fouquelin, traducteur de son collaborateur Omer Talon (1555), voir M. Dassonville, « La collaboration de la Pléiade à la Dialectique de Pierre de La Ramée », BHR, 25, 1963, p. 337-348 ; R. E. Leake, « Antoine Fouquelin and the Pleiade », BHR, 32, 1970, p. 379-394 ; K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit., p. 40 ; A. Moss, Les Recueils de lieux communs, op. cit., p. 268-269 ; et M. Huchon, « La fleur de poésie française dans la Rhétorique de Fouquelin : une autobiographie de Ronsard », Le poète et son œuvre. De la composition à la publication, Actes du colloque de Valenciennes (20-21 mai 1999), dir. J.-E. Girot, Genève, Droz, 2004, p. 215-234.
40 Voir aussi D. Reguig, « Impertinence et littérarité chez Boileau », Impertinence générique et genres de l’impertinence (xvie-xviiie siècles), dir. I. Garnier et O. Leplatre, Cahiers du GADGES, no 10, 2012, p. 463-476.
41 Voir Aristote, Rhétorique, III, 3, et Quintilien, Institution Oratoire, VIII, 6, § 41 ; P. Hummel, L’Épithète pindarique, op. cit., p. 24-29 ; A.-P. Pouey-Mounou, « Les dictionnaires d’épithètes, laboratoires de l’aptum », Culture : collections, compilations, Actes du colloque de Paris 2001-2002, dir. M.-Th. Jones-Davies, Paris, Champion, 2005, p. 143-160, et « Grandeur et décadence… », art. cité ; et ici même N. Istasse.
42 Cette remarque ne fait que schématiser un jeu de relations phoniques et sémantiques dont la complexité est rendue par les six questions de départ posées par Fr. Cornilliat à propos des Grands Rhétoriqueurs, « Or ne mens »…, op. cit., p. 32.
43 Voir aussi A. Moss, Les Recueils de lieux communs, op. cit., p. 424 et n. 2, autour des positions contrastées de J.-P. Camus et Ch. Sorel.
44 Voir K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit., passim ; J. Lecointe, L’Idéal et la Différence, op. cit., p. 523-572, sur « l’assimilation du cicéronianisme par la tradition scolaire française » et sur la « propriété » de la langue.
45 Voir M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., Ire partie, p. 35-230 ; K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit.
46 Voir Érasme, Ciceronianus (Ausgewählte Schriften, t. VII, éd.-trad. Th. Payr, Darmstadt, Wisenschaftliche Buchgesellschaft [1972], 1990) ; trad. P. Mesnard, Érasme. La philosophie chrétienne, Paris, Vrin, 1970 ; M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., p. 92-110 ; J. Chomarat, Grammaire et Rhétorique chez Érasme, op. cit., t. II, p. 815-840 ; J. Lecointe, L’Idéal et la Différence, op. cit., p. 452-455, et pour une analyse nuancée de l’érasmisme stylistique, ibid., p. 424-435.
47 Voir M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., p. 77-92 et 94 ; et ici même M. Pozzi.
48 Voir M. Vitale, La Questione della lingua, Palerme, Palumbo, 1960, chap. 2-3, p. 10-63 ; M. Tavoni, Storia della lingua italiana, II, Quattrocento, Bologne, Il Mulino, 1992, chap. 7, p. 85-104 ; Trattatisti del Cinquecento, éd. M. Pozzi, t. I, Milan-Naples, Ricciardi, 1996. Sur les liens entre cicéronianisme et bembisme, voir M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., p. 77-92 ; F. Lecercle, « La fabrique du texte. Les commentaires du Canzoniere de Pétrarque à la Renaissance », Le Texte et ses représentations, Paris, Presses de l’ENS, 1987, p. 167-180.
49 Voir S. Speroni, Dialogue des langues [1542], éd. M. Pozzi, trad. G. Genot et P. Larivaille, Paris, Belles Lettres, 2001 ; trad. de Cl. Gruget, Les Dialogues de Messire Speron Sperone Italien […] [Paris, É. Groulleau, 1551], dans J. Du Bellay, Deffence, éd. J.-Ch. Monferran (cit.), p. 193-279, et ibid., p. 280-283, dossier sur la querelle de la Deffence ; M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., p. 118-119 ; K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit., p. 135-172 ; J. Lecointe, L’Idéal et la Différence, op. cit., p. 523-528.
50 Voir K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit. ; À haute voix, op. cit. ; J. McClelland, « Measuring Poetry… », art. cité ; J. Vignes, « Brève histoire du vers mesuré… », art. cité. Sur les variations de la position de Du Bellay concernant le « nombre » et la rime, voir les mises au point de J.-Ch. Monferran dans la Deffence, éd. citée, p. 97, n. 83, p. 137, n. 55, et p. 149, n. 90. Sur Ronsard, voir B. Andersson, L’Invention lyrique, op. cit.
51 Voir M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., p. 455-456 ; K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit., p. 34-40 ; et sur le « ralliement […] au cicéronianisme ambiant », mais avec l’intégration de la notion érasmienne d’aptum, J. Lecointe, L’Idéal et la Différence, op. cit., p. 526-527.
52 Voir P. Galand-Hallyn, Les Yeux de l’éloquence. Poétiques humanistes de l’évidence, Orléans, Paradigme, 1995, IIIe partie, passim, notamment p. 202, n. 78 ; O. Pédeflous, « L’atelier du poète-lexicographe… », « De l’art de recoudre… » et « Ravisius Textor’s School Drama… », art. cités ; ainsi que A. Cerri, « La traduzione omerica di A. Poliziano (Gli epiteti degli dei e degli eroi) » et « Epiteti ed aggettivi nella versione omerica di A. Poliziano », Annali della Facoltà di Lettere e Filosofia dell’Università degli Studi di Milano, 30, 1977, p. 143-174, et 31, 1978, p. 349-372.
53 Voir M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., p. 110-115 ; K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit., p. 68 sq.
54 Voir id., ibid., p. 65-81 ; et J. Lecointe, L’Idéal et la Différence, op. cit., p. 526-527.
55 Voir P. Galand-Hallyn, Les Yeux de l’éloquence, op. cit., IIIe partie, « Politien lecteur de Virgile », p. 213-216 ; et O. Pédeflous, « L’atelier du poète-lexicographe… », art. cité.
56 J.-C. Scaliger, Poetices libri septem [Lyon, A. Vincent, 1561], fac-similé, intro. A. Buck, Stuttgart-Bad Cannstadt, F. Frommann-G. Holzboog, 1964, V (Criticus), chap. 2-3, notamment p. 216 c 2 (trad. : La Poétique, l. V, Le Critique, trad. J. Chomarat, Genève, Droz, 1994, notamment p. 21), cité ici même par Ph. Ford. Voir P. Laurens, « “Divinus poeta”, ou la transcendance de Virgile dans la Poétique de Jules-César Scaliger », Atti del Convegno mondiale scientifico di studi su Virgilio, sept. 1981, dir. M. Beck, Accademia Nazionale Virgiliana, Mantoue-Rome-Naples, 1984, 2 vol., t. I, p. 387-400 ; La Statue et l’Empreinte. La poétique de Scaliger, dir. Cl. Balavoine et P. Laurens, Paris, Vrin, 1986, passim ; Ph. Ford, De Troie à Ithaque, op. cit., chap. 6, « Homère à l’ombre de Scaliger », p. 275-283. Sur le cicéronianisme de Scaliger, voir ses Orationes duae contra Erasmum (Oratio pro M. Tullio Cicerone contra Des. Erasmum [1531] et Adversus Des. Erasmi Roterod. Dialogum Ciceronianum oratio secunda), éd. M. Magnien, préface J. Chomarat, Genève, Droz, 1999, et surtout M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., p. 110 et 452-454, pour la transposition en poésie, via le modèle virgilien, d’un « atticisme cicéronien ».
57 Voir K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit., p. 71 ; L. Guillerm, Sujet de l’écriture et traduction autour de 1540, Paris, Aux Amateurs de Livres, 1988, IIe partie, chap. 4, p. 431-451 ; M. Molins, Charles Fontaine traducteur. Le poète et ses mécènes, Genève, Droz, 2011, chap. 1, p. 7-18.
58 Voir les travaux d’O. Pédeflous, art. cités, ainsi que son intervention (non publ.) lors de ces journées ; P. Galand-Hallyn, Un professeur-poète humaniste : Joannes Vaccaeus, La Sylve Parisienne (1522), éd.-trad. avec la collaboration de G. A. Bergère et al., Genève, Droz, 2002, intro., p. xxii-xxiii ; et J. Lecointe, « Nicolas Petit, Bouchet, Rabelais : la poétique de Politien du “cercle de Montaigu” au “cercle de Fontaine-le-Comte” », Jean Bouchet Traverseur des voies périlleuses (1476-1557), Actes du colloque de Poitiers (30-31 août 2001), dir. J. Britnell et N. Dauvois, Paris, Champion, 2003, p. 175-191.
59 Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Dictionnaires d’épithètes et de synonymes… », art. cité.
60 Voir supra.
61 Voir J.-C. Scaliger, Poetices libri septem, op. cit., III (Idea), 27 (Efficacia), p. 117 d 2-118 c 2. Sur la notion d’efficacia/energeia chez Scaliger, voir, dans La Statue et l’Empreinte, op. cit., Cl. Balavoine, « La Poétique de J.-C. Scaliger : pour une mimesis de l’imaginaire », p. 120, P. Lardet, « “Figure” dans la Poétique de Jules-César Scaliger : une plastique du discours », p. 153-155, et A. Michel, « Scaliger et les vertus du style poétique », p. 184-185 ; J. Lecointe, L’Idéal et la Différence, op. cit., p. 516 ; et ici même R. Béhar. La dépréciation des épithètes « oiseuses » ou « oisives », présente chez les théoriciens et commentateurs espagnols comme chez Du Bellay (1549, Deffence, éd. citée, II, 4, p. 134, et II, 9, p. 160-161) et Ronsard (1565, Abbregé de l’art poëtique François, Lm XIV, p. 17, et préface posthume sur La Franciade, Lm XVI, p. 334), réorchestre le propos d’Aristote sur la froideur ou la fadeur des épithètes (Rhétorique, III, 3, 1406 a 10-b 1, ψυχρόν), que Quintilien avait orienté vers la notion d’efficacia (Institution Oratoire, VIII, 6, § 40). Il est repris par Érasme, dans le De copia à propos des épithètes naturelles (De duplici copia, éd. citée, ASD, t. I/6, p. 217), ainsi que dans le cadre de la polémique contre les vaines titulatures, notamment ecclésiastiques (Ecclesiastes sive de ratione concionandi, éd. J. Chomarat, l. III, ASD, t. V/5, 1994, p. 130-132 ; De conscribendis epistolis, éd. J.-Cl. Margolin, ASD, t. I/2, 1971, p. 289-295, notamment p. 292, cité par J. Chomarat, Grammaire et Rhétorique chez Érasme, op. cit., t. II, p. 1019). Sur cette question, voir aussi Fr. Berlan, « Épithète grammaticale et épithète rhétorique », art. cité, p. 7.
62 Voir M. Vitale, La Questione della lingua, op. cit., chap. 2-3, p. 10-16, 33-36, et anthologie p. 275-276 et 280-284.
63 Voir notamment Ronsard, Odes, « Suravertissement au lecteur », Lm I, p. 57-59.
64 Voir l’exemple de peu antérieur au Francion cité par M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., p. 599-600, et interprété, à la lumière du débat entre atticisme et asianisme, comme une offensive jésuite « contre le pédantisme du Palais et de l’Université », rapprochable du conflit opposant deux styles jésuites, celui des prédicateurs de cour et celui des pédagogues, ibid., IIe partie, p. 223-423, notamment p. 416-417 pour l’hypothèse d’une convergence avec l’affirmation du classicisme français et les positions d’un Boileau. Sur l’ornatus caractéristique des prédicateurs de cour et leur poétique de l’enargeia qui fait la part belle aux « “riches” épithètes dans la tradition du manuel de La Porte », voir ibid., p. 260 sq., et 354 sq.
65 Sur la préoccupation pédagogique de Tabourot, voir Les Bigarrures du Seigneur des Accords. Quatrième Livre avec Les Apophthegmes du Sr Gaulard, éd. G.-A. Pérouse et al., Paris, Champion, 2004, chap. 1, « Quelques traits utiles pour l’institution des enfans », p. 31-49 ; et A. Moss, Les Recueils de lieux communs, op. cit., p. 306-308. Pour une étude de l’impact de la formation pédagogique sur la création poétique, et des facteurs ayant favorisé la pratique de la poésie latine, mais aussi française, dans la pédagogie jésuite, voir S. Menant, La Chute d’Icare, op. cit., chap 1, p. 7-45.
66 Voir J. Vignes, intro. à l’éd. de L’Art poetique d’Horace traduit en vers françois par J. Peletier du Mans, Œuvres Complètes, éd. I. Pantin (dir.) et al., t. I, Paris, Champion, 2011, p. 44-49 ; id., « Identité linguistique et appropriation littéraire. L’Art poetique d’Horace, traduit en Vers François par Jacques Peletier du Mans (1541-1545) », Langue de l’autre, langue de l’auteur. Affirmation d’une identitié linguistique et littéraire aux xiie et xvie siècles, dir. M.-S. Masse et A.-P. Pouey-Mounou, Genève, Droz, 2012, p. 211-225 ; Y. Bellenger, « La poésie et les poètes dans les Epithetes françoises de Maurice de LaPorte », Les Fruits de la saison. Mélanges de littérature du xvie et xviie siècles offerts au professeur André Gendre, dir. Ph. Terrier, L. Petris et M.-J. Liengme Bessire, Genève, Droz, 2000, p. 297-300.
67 Érasme, Ciceronianus, éd. citée, p. 16-29 ; trad. cit., p. 267-271 ; J. Chomarat, Grammaire et Rhétorique chez Érasme, op. cit., t. II, p. 815-840. Les répertoires constitués par le Cicéronien, un dictionnaire alphabétique de mots qui est « à la fois un lexique et une concordance » (J. Chomarat, op. cit., t. II, p. 819), un de formulae loquendi, et le troisième consacré aux cadences cicéroniennes, sont rapprochables de la vogue des épithétaires cicéroniens et rejoignent le cas des dictionnaires de rimes via la référence aux cadences cicéroniennes (cf. K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit.). J. Chomarat ne manque pas de souligner qu’ils pourraient évoquer aussi les Adages et les Parabolae – l’essentiel du débat portant plutôt sur les finalités de tels répertoires et sur l’usage qui est censé en être fait.
68 Sur le rattachement de la périphrase au statut rhétorique de l’épithète, voir P. Hummel, « Actualité et utilité des lexiques d’épithètes… », art. cité, p. 132 ; id., L’Épithète pindarique, op. cit., p. 24-29, 96 ; A.-P. Pouey-Mounou, « Les dictionnaires d’épithètes, laboratoires de l’aptum », art. cité.
69 Voir L. Terreaux, Ronsard correcteur de ses œuvres. Les variantes des Odes et des deux premiers livres des Amours, Genève, Droz, 1968 ; A.-P. Pouey-Mounou, « La langue poétique, l’usage et la norme : la normalisation à l’épreuve des stratégies d’“autocorrection” ronsardiennes », Les Ateliers d’imprimeurs, op. cit., à paraître.
70 Voir L. Terreaux, Ronsard correcteur de ses œuvres, op. cit., p. 53-54 ; et Ronsard, Responce aux Injures, Lm XI, p. 168-169, v. 1035-1042.
71 Voir l’intro. aux Œuvres Complètes de Ronsard par J. Céard, D. Ménager et M Simonin, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1993-1994, p. xxi-xxii.
72 Voir J. Céard, « Muret, commentateur des Amours de Ronsard », Sur des vers de Ronsard (1585-1985), Actes du Colloque de Duke, éd. M. Tetel, Paris, Aux Amateurs de Livres, 1990, p. 37-50, repris en postface à Ronsard et Muret, Les Amours, leurs Commentaires [1553], éd. Ch. de Buzon et P. Martin, Paris, Didier Érudition, 1999, p. 359-379 ; id., « L’invention du texte ronsardien : l’apport des commentaires », Les Voies de l’invention aux xvie et xviie siècles. Études génétiques, Paragraphes, no IX, dir. B. Beugnot et R. Melançon, Montréal, Dép. d’Études Françaises, 1993, p. 55-67.
73 Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Grandeur et décadence… », art. cité.
74 Voir encore M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., p. 599-600.
75 Ronsard, odelette « À sa Maistresse », Lm VI, p. 213, v. 11 ; voir aussi « À son livre », Lm VII, p. 315-325 ; et Du Bellay, ode « À une Dame », Œuvres Poétiques, éd. H. Chamard, Paris, STFM, 1908-1931, t. IV, p. 205-215.
76 Voir J. Chomarat, Grammaire et Rhétorique chez Érasme, op. cit., t. II, p. 841-843 ; T. Cave, Cornucopia, op. cit., p. 47-49. On peut ainsi nuancer le lien posé par O. Leclercq, Construction d’un savoir et d’un savoir-faire, op. cit., p. 112-113, entre la « convenance » selon La Porte et les échos qu’elle trouverait dans la notion de « propriété » au xviie s., d’une part, et d’autre part les notions modernes d’« habitude » ou de récurrence.
77 Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Les dictionnaires d’épithètes, laboratoires de l’aptum », art. cité.
78 La Porte, Les Epithetes [1571], Genève, Slatkine reprints, 1973, épître dédicatoire, f. ãij ro-vo. Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Petite poésie portative… », art. cité. Ce passage relativise l’analyse d’O. Leclercq, Construction d’un savoir et d’un savoir-faire, op. cit., p. 115-117, qui conteste l’idée d’une ambition « philologique » de La Porte.
79 Jacques Tixier de Ravisy, frère de Ravisius Textor, épître dédicatoire des Epitheta, Paris, R. Chaudière, 1524.
80 Voir G. Castor, La Poétique de la Pléiade. Étude sur la pensée et la terminologie du xvie siècle [1964], trad. Y. Bellenger, Paris, Champion, 1998, chap. 1-2 ; J.-Ch. Monferran, L’École des Muses, op. cit., p. 247-248. Sur le terme dépréciatif « rimeur » (Boileau, Œuvres Complètes, éd. citée, L’Art Poétique, chant II, p. 163-164, v. 11 et 73), voir S. Menant, La Chute d’Icare, op. cit., p. 91-95.
81 Sur le sentiment d’une incompatibilité entre « les exigences de l’oreille et les exigences du sens » dans le cas notamment du « remplissage » fourni par les adjectifs à la rime, voir Fr. Fénelon, Lettre à l’Académie, éd. E. Caldarini, Genève, Droz, 1970, p. 65, et A. Houdar de La Motte, Odes […] avec un Discours sur la Poësie en général, et sur l’Ode en particulier [1707], 4e éd., Paris, G. Dupuis, 1713-1714, 2 vol., t. I, p. 50, cités par S. Menant, La Chute d’Icare, op. cit., p. 80 ; et sur les accusations faites au vers et à la rime de dégrader le sens, Ph. Chométy, « Philosopher en langage des dieux ». La poésie d’idées en France au siècle de Louis XIV, Paris, Champion, 2006, p. 75-77, et inversement, p. 179 sq., sur les mérites du vers pour la poésie d’idées, dont témoigne l’intégration des mots savants dans les dictionnaires de rimes (p. 188).
82 Ronsard, Abbregé, Lm XIV, p. 17.
83 Ibid. Voir supra.
84 Voir la très belle analyse de Fr. Cornilliat, « Or ne mens », op. cit., « Noms à la rime : Boileau », p. 48-59. Voir aussi ici même, S. Macé, sur la valeur de l’antonomase dans la satire comme dans la poésie encomiastique, et D. Reguig, Pour un Boileau. Renoncer aux belles lettres ?, HDR, dir. D. Denis, 5 déc. 2014, à paraître aux éditions Classiques Garnier, II, 4.
85 Voir P. Galand-Hallyn, Le Reflet des fleurs : description et métalangage poétique d’Homère à la Renaissance, Genève, Droz, 1994, p. 36-48 ; id., Les Yeux de l’éloquence, op. cit., IIe partie, « L’enargeia, de l’Antiquité à la Renaissance », p. 99-121 ; T. Cave, Cornucopia, op. cit., p. 54-60 ; A.-P. Pouey-Mounou, « Entre pédantisme et clarté : l’“illustration” dans les périphrases des Odes de Ronsard », Lectures des Odes de Ronsard, éd. J. Gœury, Rennes, P. U., 2001, p. 153-167. Voir aussi S. Menant, La Chute d’Icare, op. cit., p. 79-80, 83-91, et p. 353 sur le « langage de l’essentiel » issu de l’appareil de la versification.
86 Ronsard, Hymne de l’Autonne, Lm XII, p. 50, v. 77-82.
87 Voir par ex. chez Scaliger, dans Acta Scaligeriana, dir. J. Cubelier de Beynac et M. Magnien, Recueil des Travaux de la Société Académique d’Agen, no 6, 1986, l’exemple virgilien d’Énée cité par A. Michel, « Scaliger entre Aristote et Virgile », p. 68, et M.-L. Demonet, « La motivation du langage et des genres dans la Poétique », p. 130-134.
88 Voir ici même D. Reguig, à propos de l’Épître IX, sur la « rime pleine » et la « rime vide ».
89 Boileau, Œuvres Complètes, éd. citée, Satire II, p. 17, v. 17-20, et Satire VII, p. 38-39, v. 29-30 et 39-40. Voir encore Fr. Cornilliat, « Or ne mens », op. cit., p. 48-59.
90 Boileau, Œuvres Complètes, éd. citée, Satire II, p. 19, v. 43-46, 49-50, 77-78.
91 Voir P. Galand Hallyn et F. Hallyn (dir.) et al., Poétiques de la Renaissance. Le modèle italien, le monde franco-bourguignon et leur héritage en France au xvie siècle, Genève, Droz, 2001, Ire partie, chap. 2, « L’inspiration, entre fureur et art », p. 91-155.
92 Formule de Boileau, Œuvres Complètes, éd. citée, Satire II, p. 18, v. 55-56, qui fait écho à Du Bellay, Deffence, éd. citée, II, 7, p. 148-149, d’après S. Speroni, Dialogo delle lingue, ibid., p. 232-233. Voir aussi id., Dialogo della Retorica (Trattatisti del Cinquecento, éd. citée t. I, p. 662), cité ici même par M. Pozzi et Fr. Tomasi à propos des lexiques du pétrarquisme. Pour une analyse de ces reformulations, voir infra.
93 Voir les travaux du projet ANR-DFG Eurolab, Dynamique des langues vernaculaires dans l’Europe de la Renaissance. Acteurs et lieux (fin xve-début xviie s.), dir. E. Kammerer et J.-D. Müller, Lille 3-Munich, 2009-2012, Genève, Droz, 7 vol. à paraître (http://eurolab.meshs.fr/).
94 Voir notamment G. Sobejano, El epíteto en la poesía española, Madrid, Gredos, 1956, cité ici même par R. Béhar.
95 Voir pour la Grande Rhétorique Fr. Cornilliat, « Or ne mens », op. cit. ; D. Ménager, « La rime en France de la Pléiade à Malherbe », Études littéraires, Québec, vol. XX/2, 1987, p. 27-42 ; M. M. Fontaine, « Des mots à la rime et de leur raison », art. cité ; B. Andersson, L’Invention lyrique, op. cit. ; J.-Ch. Monferran, L’École des Muses, op. cit., p. 251 sq.
96 A. Smyters, Het versierde woord. De Epitheta of woordcombinaties uit 1620, éd. N. van der Sijs, Amsterdam-Anvers, Contact, 1999.
97 Voir Acta Scaligeriana, op. cit., et La Statue et l’Empreinte, op. cit., où M. Simonin juge mineure l’influence de Scaliger (« Les Poetices libri septem dans leur fortune : influence ou réputation ? », p. 49-55), et M. Spies, « Scaliger en Hollande », ibid., p. 157-169 ; pour l’Allemagne, voir P. Lardet, « Les ambitions de Jules-César Scaliger latiniste et philosophe (1484-1558) et sa réception posthume dans l’aire germanique de Gesner et Schegk à Leibniz et à Kant », Germania latina, Latinitas teutonica. Politik, Wissenschaft, humanistische Kultur vom späten Mittelalter bis in unsere Zeit, Actes du colloque de Munich, 10-13 sept. 2001, dir. E. Kessler et H. C. Kuhn, 2003, p. 157-194 (http://www.phil-hum-ren.uni-muenchen.de/GermLat/Acta/Lardet.htm).
98 Boileau, Œuvres Complètes, éd. citée, Satire II, p. 18, v. 50, et Satire VII, p. 39, v. 40.
99 Voir J.-C. Scaliger, Poetices libri septem, éd. citée, V, 3, p. 216 c 2 ; La Poétique, l. V, Le Critique, éd. citée, p. 21.
100 Voir Ronsard, Abbregé, Lm XIV, p. 17, et préface posthume sur La Franciade, Lm XVI, p. 334 sq. ; F. Rigolot, « Entre Homère et Virgile : Ronsard théoricien de l’imitation », Ronsard, Colloque de Neuchâtel, dir. A. Gendre, Neuchâtel-Genève, Faculté des Lettres-Droz, 1987, p. 163-178. Sur une possible influence de Scaliger sur Ronsard après la Poétique, voir Ph. Ford, De Troie à Ithaque, op. cit., p. 294-298.
101 Boileau, Œuvres Complètes, éd. citée, L’Art Poétique, chant I, p. 160, v. 126.
102 Ronsard, Lm XVII, p. 65, v. 3. Sur un procédé analogue chez Boileau (Épistres, IV, « Au Roy », Œuvres Complètes, éd. citée, p. 113, v. 15-16), voir Fr. Cornilliat, « Or ne mens », op. cit., p. 57, et S. Menant, La Chute d’Icare, op. cit., p. 15.
103 Note de Ronsard restituée par Lm XVII, p. 65, n. 2.
104 Du Bellay, Deffence, II, 6, éd. citée, p. 145 et n. 78, d’après Cicéron, De Finibus, III, I, 3.
105 Voir les travaux d’O. Pédeflous, art. cités ; P. Galand-Hallyn, Un professeur-poète humaniste, op. cit., intro., p. xxii-xxiii ; et J. Lecointe, « Nicolas Petit, Bouchet, Rabelais », art. cité.
106 Sur les épithètes composées, ainsi que sur une nécessaire relativisation des notions de « trouvaille » et de « rareté » par la prise en considération de la littérature scolaire et du rôle des compilateurs, voir encore O. Pédeflous, « L’atelier du poète-lexicographe… », art. cité.
107 Voir de même pour la langue vernaculaire F. Berlan, « Épithète grammaticale et épithète rhétorique », art. cité ; A.-P. Pouey-Mounou, « Les innovations des Odes de Ronsard et leur exploitation dans les Epithetes de La Porte », Vocabulaire et Création poétique dans les jeunes années de la Pléiade (1547-1555), dir. M.-D. Legrand et K. Cameron, Paris, Champion, 2013, p. 248-253.
108 Voir O. Halévy, « Expression poétique et invention lexicale : les adjectifs forgés par composition (1549-1555) », ibid., p. 279-292.
109 Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Les dictionnaires d’épithètes, laboratoires de l’aptum », art. cité ; V. Giacomotto-Charra, La Forme des choses. Poésie et savoirs dans La Sepmaine de Du Bartas, Toulouse-Le Mirail, P. U. M., 2009, p. 257-286.
110 Voir O. Pédeflous, « L’atelier du poète-lexicographe… », art. cité ; A.-P. Pouey-Mounou, « Dictionnaires d’épithètes et de synonymes… », art. cité. Voir aussi, sur Politien, A. Cerri, « La traduzione omerica di A. Poliziano… », art. cité.
111 Voir dans La Muse s’amuse : Figures insolites de la Muse à la Renaissance, Actes des journées de Lille 3-EPHE., 22 nov. 2012-15 mars 2013, dir. P. Galand et A.-P. Pouey-Mounou, Genève, Droz, à paraître, M. Bost-Fiévet, « “Et ta Muse sera sapée comme une vamp” : des Muses aux allures de puellae dans l’œuvre poétique de Giovanni Pontano », et J. Nassichuk, « Les muses d’un élève de Pontano, d’Aulo Giano Anisio ».
112 Voir, outre Ph. Ford ici même (sur N. Prou des Carneaux, Homeri Epitheta omnia ex Iliade et Odyssea […], Lyon, Th. Soubron, 1594), P. Hummel, « Actualité et utilité des lexiques d’épithètes… », art. cité (sur K. Dinner, Epithetorum Graecorum farrago […], Francfort, héritiers d’A. Wechel, Cl. de Marnef et J. Aubry, 1589).
113 Sur cette question, voir encore O. Pédeflous, « L’atelier du poète-lexicographe… », art. cité.
114 Voir Ph. Ford, De Troie à Ithaque, op. cit., intro., p. 1-13, et chap. 1-3.
115 D’après le titre de J. Seznec, La Survivance des dieux antiques. Essai sur le rôle de la tradition mythologique dans l’humanisme et dans l’art de la Renaissance [Londres, 1940], Paris, Flammarion, 1983.
116 S. Speroni, Dialogo della Retorica (Trattatisti del Cinquecento, éd. citée, t. I, p. 662), à rapprocher d’une autre image, Dialogo delle lingue (ibid., p. 607 ; trad. cit., Belles Lettres, p. 20 ; et trad. Cl. Gruget, dans Du Bellay, éd. citée, p. 232-233), dans la bouche de l’helléniste et cicéronien Lazzaro Bonamico convaincu de la supériorité du grec et du latin sur la langue vulgaire, pour qui la rime est une entrave à l’égard de la bonne marche des « pieds » de la prosodie gréco-latine. Le motif du poème-prison, qui s’applique tantôt au purisme pétrarquisant, tantôt aux lacunes de la langue vulgaire selon le purisme cicéronien, pose donc le problème de la liberté créatrice au sein d’une interprétation stricte, ou plurielle, du « génie » ou de la « propriété » de la langue. C’est la formule de Bonamico que Du Bellay renverse dans la Deffence (éd. citée, II, 7, p. 148-149) à la faveur du jeu sur rime/rythme pour poser la dignité de la langue vulgaire (« Et bien que n’ayons cet usaige de Piez comme eux, si est ce, que nous avons un certain nombre de Syllabes en chacun Genre de Poëme, par les quelles comme par Chesnons le vers François lié, et enchainé est contraint de se rendre en cete etroite prison de Rythme … »), en recommandant une souplesse qui contredit Bonamico. On retrouve enfin cette image sous la plume de Boileau, Satire II, Œuvres Complètes, éd. citée, p. 18, v. 55-56, dans une reformulation du conflit de la « rime » et de la « raison » (cf. Du Bellay, ibid.) où la critique des procédés de rime épithétique rejoint indirectement celle du dictionnaire-prison.
117 Ronsard, Abbregé, Lm XIV, p. 16-17.
118 Voir A. Moss, Les Recueils de lieux communs, op. cit., chap. 3, « Parentèle italienne et géniteurs nordiques », sur les carnets italiens et les « carnets raisonnés » de l’Europe du Nord (influencés par la logique scolastique et les méthodes de prédication), et passim, sur le souci allemand de « filtrer la culture classique à l’usage des écoles du Nord » (Wimpfeling, p. 153) et la situation « plus mouvante » de la France (p. 161), le systématisme didactique de Mélanchthon (p. 208 sq.), l’impact de la Réforme sur la pédagogie dans les collèges de la Réforme et les collèges jésuites (p. 252 sq.), « le creuset qu’était alors Paris » (p. 283-284) et la dimension dialectique des recueils de lieux communs de l’Europe du Nord malgré les frontières posées par Ramus entre rhétorique et dialectique (p. 296). Sur le lien avec la question du cicéronianisme, voir M. Fumaroli, L’Âge de l’éloquence, op. cit., p. 94 sq., notamment p. 98, sur les « implications vivement anti-cicéroniennes » de la « rhétorique des citations » incarnée par Érasme, par opposition à l’« atticisme » d’un Bembo ; ibid., Ire partie, chap. 3, sur le « cicéronianisme italien » et l’« anti-cicéronianisme espagnol » dans le contexte du Concile de Trente, p. 116-135 ; et p. 600, n. 421, à propos des épithétaires, sur la localisation de cette production à Paris et la contribution notable des érudits germaniques à celle-ci : « On est tenté de penser qu’il s’agit d’un mode rhétorique spécifique de l’humanisme du Nord ».
119 Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Grandeur et décadence… », art. cité.
120 Voir pour le domaine allemand Martin Opitz, Buch von der Deutschen Poeterey, chap. 6, trad. fr. E. Rothmund, Le Livre de la poésie allemande, Toulouse, PU du Mirail, 2009, préface p. 54 et p. 149-152 et 225-226.
121 Voir O. Pédeflous, « L’atelier du poète-lexicographe… », art. cité.
122 Voir la compilation incluant le Rimario de Ridolfi, Il Petrarca, con dichiarazioni non più stampate, insieme alcune belle annotazioni, tratte dalle […] prose di monsignor Bembo […] e più una conserva di tutte le sue rime ridotte sotto le cinque lettere vocali, Lyon, G. Roville, 1558. Sur l’intérêt très informé porté par Roville à la langue italienne et à tout ce qui en soutient le développement, voir E. Kammerer, A. Plagnard et É. Rajchenbach-Teller, « La boutique lyonnaise de Guillaume Rouillé entre stratégies commerciales et “illustration” de vulgaires romans (1548-1556). Die Offizin von Guillaume Rouillé – Geschäftsstrategien vs. Verherrlichung der romanischen Volksssprachen », Les Ateliers d’imprimeurs, op. cit., à paraître.
123 Voir P. Galand-Hallyn et F. Hallyn, « ‘Recueillir des brouillars’ : éthique de la silve et poétique du manuscrit trouvé », Le Poète et son œuvre de la composition à la publication, dir. J.-E. Girot, Genève, Droz, 2004, p. 9-35. Voir aussi ici même M. Pozzi, sur la nécessité du promptuarium aussi longtemps que n’existait encore « aucun instrument utile imprimé ».
124 Voir P. J. Smith, « Paix et poésie en pays d’exil : les réfugiés flamands lecteurs de la Pléiade à Haarlem autour de 1600 », Chemins de l’exil, havres de paix : migrations d’hommes et d’idées au xvie siècle, dir. J. Balsamo et Ch. Lastraioli, Paris, Champion, 2010, p. 289-301 ; et M. Spies, « Scaliger en Hollande », art. cité.
125 Du Bellay, Deffence, I, 5-6, éd. citée, p. 85-91. Voir K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit., p. 76-77.
126 La Porte, Les Epithetes, éd. citée, s. v. « Loir », « Lyre », « Ode », « Poesie », « Sonnet », « Vers » pour les épithètes ronsardin et ronsardique, « Tragedie » et « Vers » pour les épithètes jodelien ou jodeliste.
127 Ainsi dans l’unification par Montméran du dictionnaire de synonymes et du dictionnaire d’épithètes : A. de Montméran, Synonymes et Épithetes Françoises, Paris, J. Le Bouc, 1645. Voir B. Quemada, Les Dictionnaires du français moderne, op. cit., p. 135-137 ; O. Leclercq, Construction d’un savoir et d’un savoir-faire, op. cit., p. 132-136 ; A.-P. Pouey-Mounou, « Grandeur et décadence… », art. cité.
128 Voir id., ibid., et O. Pédeflous, « De l’art de recoudre… », art. cité.
129 Voir K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit., p. 30.
130 Ronsard, Abbregé, « De la ryme », Lm XIV, p. 18. Voir aussi Du Bellay, Deffence, éd. citée, p. 97, p. 137, 149, et n. Sur les ambiguïtés des traductions du « nombre » et de la rime, voir P. Zumthor, Langue, Texte, Énigme, Paris, Seuil, 1975, « Du rythme à la rime », p. 125-143, notamment p. 142-243, et K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit.
131 Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Petite poésie portative… », art. cité.
132 A. de Montméran, Synonymes et Épithetes Françoises, op. cit., voir supra.
133 Voir K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit. ; B. Andersson, L’Invention lyrique, op. cit.
134 Voir aussi J.-Ch. Monferran, L’École des Muses, op. cit., p. 251-258 et en prolongement dans la rhétorique métrifiée, p. 263-268, sur les Addresses de Du Gardin (Les premieres Addresses du chemin de Parnasse [Douai, A. Bellere, 1620], éd. E. Buron et G. Peureux, Paris, Garnier, 2012).
135 B. Quemada, Les Dictionnaires du français moderne, op. cit., p. 100-101 ; O. Leclercq, Construction d’un savoir et d’un savoir-faire, op. cit., p. 111 sq.
136 Voir J.-Ch. Monferran, L’École des Muses, op. cit., p. 268-271 ; ainsi que les réflexions éclairantes de P. Zumthor à propos de la Grande Rhétorique, Le Masque et la Lumière, op. cit., chap. « Avec rime et raison », p. 233-234.
137 En Italie (cf. supra), mais aussi en France, comme le résume S. Menant, La Chute d’Icare, op. cit., p. 95 : « Rime et poésie, traditionnellement, se confondent en France ».
138 Voir K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit.
139 J.-C. Scaliger, Poetices libri septem, éd. citée, III, 1, p. 80 b 1, cité par M.-L. Demonet, « La motivation du langage et des genres dans la Poétique », art. cité, p. 138 ; P. Laurens, « La performance stylistique dans le chapitre “De numeris” : J.-C. Scaliger lecteur de Denys d’Halicarnasse », La Statue et l’Empreinte, op. cit., p. 131-150.
140 Voir K. Meerhoff, Rhétorique et Poétique, op. cit.
141 Sur les motivations de ce rejet par une réaction à « la menace prosaïque » incarnée par l’héritage cicéronien et à la « compensation » attendue de la rime, voir B. Andersson, L’Invention lyrique, op. cit., p. 87-88.
142 Voir Aristote, Rhétorique, III, 3, 1406 a 10-b 1 (πάντως ποιητικόν) ; Quintilien, Institution Oratoire, VIII, 6, § 40.
143 Voir Du Bellay, Deffence, éd. citée, II, 11, p. 167 et n. 147-148 : « Et vous autres […], dont l’ignorance a donné le ridicule nom de Rymeurs à nostre Langue (comme les Latins appellent leurs mauvais Poëtes Versificateurs) », d’après Sébillet, Art Poétique Français (Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. citée, I, ii, p. 56) et Quintilien, Institution Oratoire, X, i, 89 (versificator quam poeta melior) ; Ronsard, Odes, Lm I, p. 47 (« Au Lecteur », l. 91-100) et p. 111 (v. 45-52) ; Responce aux Injures, Lm XI, p. 160-161, v. 869-876 et 893-896 ; épître préfacielle au Recueil des nouvelles poesies, Lm XII, p. 8-9, 14-18, etc.
144 Voir Boileau, Œuvres Complètes, éd. citée, L’Art Poétique, chant I, p. 159-160, v. 113-116 et 131-133 ; S. Menant, La Chute d’Icare, op. cit., p. 91-95 ; et au xviiie s. J.-A. Du Cerceau différenciant les vers de « la prose cadencée et rimée » (Réflexions sur la poésie française, 1742, cité par A. Kibédi-Varga, Les Poétiques du classicisme, Paris, Aux Amateurs de livres, 1990, p. 95-96).
145 Voir B. Andersson, L’Invention lyrique, op. cit., p. 87.
146 Voir F. Rouget, L’Apothéose d’Orphée. L’Esthétique de l’ode en France au xvie siècle de Sébillet à Scaliger (1548-1561), Genève, Droz, 1994, p. 330-334 ; B. Andersson, L’Invention lyrique, op. cit., chap. 3, « L’invention de l’ode selon Ronsard », p. 65-94, et passim, notamment p. 315-317, 352-360, 504-508, 701-705 ; J.-Ch. Monferran, L’École des Muses, op. cit., p. 248-251 sq., sur la « réhabilitation prudente de l’art de versifier dans le discours de l’art poétique » de Ronsard.
147 Voir Du Bellay (Deffence, éd. citée, II, 7, p. 148-153, et la mise au point p. 97, n. 83) ; J. McClelland, « Measuring Poetry… », art. cité, pour la comparaison à la génération précédente sur l’évidence perdue du lien avec la musique. Sur les expérimentations engageant les sonorités et la rime, voir À haute voix, op. cit., notamment J.-Ch. Monferran, « Declique un li clictis : la poésie sonore de Jacques Peletier du Mans », p. 34-54 ; et B. Andersson, L’Invention lyrique, op. cit.
148 Voir M. M. Fontaine, « Des mots à la rime et de leur raison », art. cité.
149 Selon une voie ouverte par Fr. Cornilliat à travers une série d’exemples, « Or ne mens », op. cit., passim.
1501 Voir A.-P. Pouey-Mounou, « Les dictionnaires d’épithètes, laboratoires de l’aptum », art. cité.
151 Voir un ex. dans Ph. Chométy, « Philosopher en langage des dieux », op. cit., p. 406-407.
152 Voir J. Miernowski, Dialectique et Connaissance dans La Sepmaine de Du Bartas. « Discours sur discours infiniment divers », Genève, Droz, 1992, chap. 4, « L’épaisseur de la similitude et de la métaphore », p. 63-70, chap. 9/I, « Métatexte et analogie », p. 235-247, et chap. 10, « La connaissance de Dieu », p. 269-305, sur les autocensures du texte et les réticences de Du Bartas à l’égard de l’allégorie hexamérale ; et pour nourrir la réflexion sur la rime, sur le parallélisme à l’œuvre dans les énumérations bartasiennes, IVe partie, « Verbum : le déploiement des listes à la surface du texte poétique », p. 199-227.
153 Sur La Sepmaine « poème ramiste » et l’apport des commentaires, en lien avec la notion de spécification, voir J. Lecointe, L’Idéal et la Différence, op. cit., p. 566-572. Sur les fonctions de l’épithète bartasienne, voir les très belles analyses de V. Giacomotto-Charra, La Forme des choses, op. cit., p. 257 sq., sur l’ambiguïté des noms, la mise en ordre et en forme des choses par l’épithète, mimant la genèse du monde et le mouvement vers la connaissance, les choix de caractérisation scientifique, d’interprétation et de représentation, et p. 281-286 la synthèse sur cette question.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-8124-3293-4
- EAN : 9782812432934
- ISSN : 2114-1096
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3293-4.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 09/09/2015
- Langue : Français