Résumés
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : L’Art entre deuil et résistance. Mélancolies engagées
- Pages : 375 à 381
- Collection : Rencontres, n° 569
- Série : Littérature générale et comparée, n° 38
Résumés
Judith Bordes, « Mélancolie et ennui chez Walter Benjamin. Des ambiances d’époque à rebours de la modernité »
Dans l’œuvre de Walter Benjamin, la mélancolie et l’ennui sont associés à une époque particulière, respectivement le baroque et le xixe siècle. La définition de ce en quoi consistent de tels états est pensée à nouveaux frais. Du fait de leur extension collective, ils ne peuvent être réduits à de simples tendances idiosyncrasiques. Mélancolie et ennui ne seraient donc pas seulement des affects, mais des ambiances d’époque. Benjamin rejoint ici, à son corps défendant, la conception heideggerienne de la Stimmung.
Antonino Sorci, « Mélancolie et militantisme »
Cette étude explore le rapport entre mélancolie et histoire en s’appuyant sur une lecture croisée de la Seconde Considération inactuelle de Nietzsche et de Mélancolie de gauche d’Enzo Traverso. Après la mise en évidence du rôle de la mélancolie à l’intérieur de l’œuvre nietzschéenne, on examine comment Traverso applique les trois approches critiques de l’historien décrites par Nietzsche. On aborde enfin la mélancolie sociale actuelle sous l’angle de l’analyse de la « mélancolie jaune ».
Jean-Christophe Valtat, « Debord, Pasolini. Politiques de la mélancolie »
La comparaison entre Debord et Pasolini s’impose du fait de leurs pratiques théoriques et artistiques, de leur implication dans les mouvements politiques des années 60 et 70 et de leur fréquentation des classes marginales, mais aussi en raison même du regard critique voire dégoûté qu’ils portent sur un présent systématiquement comparé à un passé perdu. L’article tente de résumer cette approche mélancolique de la politique et de l’existence en comparant le rapport des deux auteurs à des passés idéalisés.
376Yves Clavaron, « Mélancolies postcoloniales »
Paul Gilroy se montre doublement intéressé par les essais de Freud (Deuil et Mélancolie, Malaise dans la civilisation) : d’abord, par leur historicité, ensuite par les liens qu’ils établissent entre le racisme et les échecs de la civilisation. Dans Postcolonial Melancholia, Paul Gilroy observe les symptômes du corps social britannique. L’article analyse, à partir d’un corpus de romans contemporains, l’effet en miroir de la mélancolie postcoloniale, un trauma multiforme et indépassable.
Alexandre Roquain, « Mélancolie et temps dans quelques comedias de Lope de Vega »
Le présent article se propose de réfléchir au lien entre le temps et la mélancolie dans le théâtre de Lope de Vega. À partir de quelques comedias, issues de différentes catégories dramatiques, nous nous demanderons si la mélancolie peut avoir une fonction temporelle dans la structure de la pièce, aussi bien dans la chronologie dramatique que dans le temps évoqué. Seront également abordées les distorsions temporelles induites par la mélancolie et le cas particulier du « mort-vivant ».
Isabelle de Vendeuvre, « Mélancolie et satire. L’utilisation du mythe de Faust dans The Bostonians, de Henry James »
L’intertexte faustien de The Bostonians, roman de Henry James, fait apparaître différents usages et valeurs de la mélancolie sur le plan esthétique et politique. À la fois stérile ou stérilisante et féconde, la mélancolie est le mal et le remède ; elle peut être réactionnaire ou progressiste. Se pose alors la question de la distinction entre différents types de mélancolie et de leur articulation au regard de la transition américaine post-guerre de Sécession.
Lionel Piettre, « Les morts parallèles de Guillaume Du Bellay et Étienne de La Boétie »
Dans le Tiers et le Quart Livre, Rabelais revient trois fois sur la mort de son protecteur Guillaume Du Bellay, mort héroïque associée au désastre historique, ce qui préfigure la façon dont Montaigne devait méditer les derniers instants de La Boétie, et « l’humeur mélancolique » fondant l’ethos de l’essayiste. En 377rapprochant ces deux figures de l’impossible renaissance d’un héroïsme à l’antique, cet article propose d’éclairer le rapport au temps mélancolique qui découle de cette impossibilité.
Annabelle Bolot, « Mélancolie et décadence. Saint-Simon ou le deuil de l’histoire »
Saint-Simon a vécu, au tournant des xviie et xviiie siècles, la fin d’un monde, celui de l’aristocratie dont il pressent le déclin et déplore avec nostalgie la perte. Le ressassement obsessionnel l’amène à vivre comme en exil dans un présent déceptif et à contempler le « rien de tout », néant d’un monde sans espoir. Les Mémoires suffiront-ils à combler le vide né du renoncement – puisque « tout bien à faire est impossible » – face à la crise historique majeure dont hérite le xviiie siècle ?
Stéphanie Genand, « Penser la mélancolie des Modernes. L’œuvre anthropologique de Germaine de Staël »
La mélancolie, dans l’œuvre de Germaine de Staël, constitue une énergie ambivalente. Elle est à la fois la conséquence d’une séquence historique déceptive et la distance à partir de laquelle « considérer » les événements : les analyser philosophiquement, c’est-à-dire sans passion, mais avec une profondeur anthropologique décuplée par une résonance sensible qui a affecté l’auteure, comme toute la génération des « Modernes ». D’expérience douloureuse, la mélancolie devient alors savoir en partage.
Anne Teulade, « Variations endeuillées sur la perte de l’épopée. José Saramago, Manuel Vázquez Montalbán »
Le Pianiste et L’Année de la mort de Ricardo Reis dévoilent des personnages mélancoliques dans le contexte de l’Espagne franquiste et du Portugal salazariste. Si les deux formes de mélancolie mobilisent la forme épique pour figurer le passé perdu, les enjeux idéologiques qui se dégagent des deux consciences mélancoliques font contraste, l’une paraissant réactionnaire, l’autre encore porteuse d’utopie.
378Isabelle Durand, « Mélancolie et désenchantement révolutionnaire à l’orée du xxe siècle. Ernst Glaeser et Victor Serge »
L’article interroge le lien entre mélancolie et contexte révolutionnaire, celui de la Révolution russe dans le roman Ville conquise (1931) de Victor Serge, et de ses prolongements allemands en novembre 1918 au sein du roman d’Ernst Glaeser, Frieden (La Paix, 1929). C’est peut-être dans l’intrication extrême et apparemment contradictoire entre engagement révolutionnaire et conscience aiguë de son impasse que se situe la spécificité de cette mélancolie et de cette époque.
Nathalie Avignon, « Des “bâtisseurs de ruines” et un kolkhoze spectral. Le communisme triste d’Andreï Platonov et Antoine Volodine »
Des premiers utopismes paysans balayés par le pouvoir dans Tchevengour à la Seconde Union soviétique s’effondrant sous les radiations nucléaires imaginée dans Terminus radieux, la mélancolie traverse les étendues vides de l’espace russe peuplées de gueux, de rêveurs et de spectres. L’article met côte à côte ces deux romans distants d’un siècle pour tenter de déterminer ce qui, de l’abîme ouvert par l’utopie communiste, a œuvré et subsiste encore aujourd’hui dans nos catégories existentielles.
Dimitri Tokarev, « Écrire la mélancolie à l’époque stalinienne. Mikhaïl Zochtchenko et son récit expérimental Avant le lever du soleil (1943) »
Le récit de Zochtchenko se présente comme un voyage extraordinaire dans les couches les plus secrètes de la mémoire. L’auteur cherche à explorer les causes de sa mélancolie. Bien que connaisseur de Freud, Zochtchenko met en avant la théorie des réflexes conditionnels de Pavlov. Faut-il voir dans l’importance que Zochtchenko accorde à cette figure centrale du panthéon scientifique stalinien une stratégie destinée à divertir l’attention de la censure des aspects pour le moins suspects du livre ?
Karine Winkelvoss, « Natures mortes, fantômes et fossiles. Pétrification mélancolique et levée d’anesthésie chez W. G. Sebald »
La mélancolie communément attribuée à W. G. Sebald suscite des interprétations contradictoires : d’un côté, elle apparaît comme l’élément naturel de cette œuvre de mémoire des catastrophes de l’histoire ; de l’autre, sa tonalité 379uniformément endeuillée peut sembler noyer la singularité des événements historiques évoqués dans une forme d’indifférence, de posture finalement dépolitisante. Le concept warburgien de formule de pathos permet de penser la réversibilité d’une telle pétrification mélancolique.
Anna Krykun, « Les petits-fils de Nietzsche ou la Mélancolie face à la fin de l’histoire »
Mettant en évidence une forte influence de la pensée de Nietzsche sur la jeunesse littéraire française qui, grâce à la traduction, achevée en 1909, reçoit l’accès aux œuvres complètes du philosophe allemand, l’article explore l’appropriation créative de son œuvre, où la déploration de la médiocrité de l’époque crépusculaire s’accompagne d’une revalorisation de la conscience mélancolique, considérée comme étant une pierre angulaire de la sensibilité artistique et de l’esprit critique.
Bénédicte Élie, « La mélancolie, une force de renouveau poétique dans Ahasvérus d’Edgar Quinet »
Cet article parcourt les lieux de la mélancolie dans l’Ahasvérus d’Edgar Quinet, qui oscille entre rêverie sur le passé et inquiétude de l’avenir. Cette paradoxale mélancolie semble mêler ennui et soif de vivre remotive toute une tradition philosophique faisant de la mélancolie un symptôme de mort, mais aussi l’envers d’un excès vital. En outre chez Quinet, le sentiment de deuil qui est au cœur de la mélancolie se fait origine d’un renouveau poétique par la remotivation du genre de la consolation.
Aurélie Moioli, « Le temps en suspens. Foscolo et Nerval »
L’article compare les récits de Foscolo et de Nerval qui, au sortir des révolutions et des guerres du début du xixe siècle, prennent acte du nouveau régime d’historicité en déployant une mélancolie ambivalente. Témoignant depuis les limbes de l’histoire, les narrateurs se transforment en spectres qui sont les figures d’une expérience temporelle disjointe. Ce temps des fantômes ouvre la possibilité d’une histoire dissemblable et porte des germes de création au cœur des débris du temps.
380Ludivine Moulière, « La Poésie à l’épreuve du nihilisme dans l’œuvre de Philippe Jaccottet »
Dans l’œuvre de Philippe Jaccottet, les poètes apparaissent comme des « survivants » perdus parmi la foule des nihilistes. La modernité, antipoétique, se caractérise par « la prolifération des colloques, débats et commentaires de tout genre », l’exacerbation de la fonction critique et l’évidement progressif du monde et du moi – la définition de la mélancolie donnée par Freud. Pour autant, l’anachronisme de la poésie serait de résistance à l’égard du nihilisme de la modernité.
Evelyne Gagnon, « Mélancolie des spectres et petites fins du monde dans la poésie québécoise. Comment (sur)vivre au présent (Louise Dupré, Carole David) »
Plusieurs auteurs québécois contemporains proposent des imaginaires mélancoliques en mode mineur, qui font dialoguer des apocalypses intimes avec la vulnérabilité de l’époque. Figures-phares de la poésie québécoise, Louise Dupré et Carole David proposent des subjectivités lyriques hantées par l’époque actuelle, habitées mélancoliquement par les spectres de l’extrême contemporain. Cette mélancolie critique et ludique déjoue le silence mortifère.
Emmanuel Plasseraud, « Le cinéma comme septième art et la mélancolie post-romantique »
Les écrits des théoriciens et/ou cinéastes ayant défendu, en France, l’idée du cinéma comme « septième art » durant les années 1910-1920, témoignent de leur volonté d’affirmer l’artisticité du cinéma. De l’échec de cette greffe de l’idéal romantique de l’art sur le cinéma provient une mélancolie diffuse dans la théorie du cinéma, et dans quelques films comme Hitler, un film d’Allemagne (1977) de Hans-Jürgen Syberberg ou les Histoire(s) du cinéma (1988-1998) de Jean-Luc Godard.
381Kathleen Maxymuk, « Histoire(s) du cinéma comme image de la mélancolie. Montage, projection et mémoire »
Dans ses Histoire(s) du cinéma, Jean-Luc Godard convoque plusieurs modalités de la mélancolie esthétique : la beauté mortelle de la femme comme allégorie moderne, l’inachèvement du travail artistique et la sensibilité accrue du sujet créateur. En cela, il suit notamment l’œuvre de Marcel Proust dont l’image d’Albertine trace la forme première de la mélancolie dans Histoire(s), à savoir celle d’un montage fugitif d’une beauté qui ne peut que s’éteindre mais s’éternise en se projetant.
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- ISBN : 978-2-406-14473-1
- EAN : 9782406144731
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14473-1.p.0375
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 12/04/2023
- Langue : Français