Avant-propos
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : L’Art de vivre longuement sous le nom de Médée
- Pages : 11 à 13
- Collection : Bibliothèque du xviie siècle, n° 42
Avant-propos
En 1630 paraissait à Lyon un opuscule intitulé L’Art de vivre longuement, sous le nom de Médée1. Le privilège en était accordé à un bourgeois de la ville, du nom de Louis Teste-Fort, apparenté peut-être à la famille des imprimeurs lyonnais actifs dans la deuxième moitié du xvie siècle et sur lequel nous ne savons pratiquement rien. Teste-Fort aurait reçu cet ouvrage, pour l’imprimer, d’un certain Pierre Jacquelot (ou Jaquelot)2. Cette œuvre dut susciter quelque intérêt auprès des lecteurs contemporains, puisque déjà Savary, l’auteur du privilège de 1630, réclama à Teste-Fort le dépôt de deux exemplaires « en nostre Biblioteque : car tel est nostre plaisir3 ».
En outre, peu de temps après, un autre éditeur, versé dans les arcanes du marché du livre et lié à la ville de Paris, Jean Jost4, entrevit les juteux profits que l’œuvre lui rapporterait. Dans le milieu des libraires parisiens, Jost occupe une place particulière. Dès la fin des années 1620 12il se spécialisa dans la publication des ouvrages médicaux. En particulier, il donna, en 1629, une édition des deux parties de Toutes les œuvres charitables de Philibert Guybert (1579-1633), docteur régent à la faculté de médecine à Paris ; puis, en 1632, il publia à nouveau cet ouvrage augmenté du Traité de la conservation de santé de Guy Patin. Surtout, en 1633 il fit paraître l’édition de référence de l’ensemble des traités de Guibert5. Ces entreprises éditoriales montrent que les régimes de santé furent au centre des priorités de Jost.
Dans ce contexte, nous ne sommes pas surprise de constater que Jost trouva dans le régime de Jacquelot un objet correspondant à son goût de libraire. En effet, deux ans après la princeps, en 1632, vit le jour la seconde édition de la Médée. Comme le document royal accordait à l’imprimeur le droit de « cedder et transporter le privilège6 » à un tiers, Jost s’entendit probablement avec Teste-Fort au sujet de cette édition car celle-ci fut encore imprimée à Lyon, mais mise en vente chez le libraire parisien7. Chose significative, le nom du lyonnais disparaît de la page de titre en 16328. Ce tirage fut écoulé sans doute assez vite car dès 1633, une autre impression de la Médée lui succéda, comportant les mêmes informations que la précédente, date exceptée. Mais ce n’est pas tout, le privilège octroyé à Teste-Fort expira en 1636. Jost était désormais libre de disposer du texte en question et ne manqua pas de le faire : en 1639 parut une nouvelle édition de la Médée, à Paris et sous son nom. Or, il faut encore souligner que l’exploitation du livre de Pierre Jacquelot apporta à Jost un bénéfice net. Les quatre éditions de la Médée publiées dans les années 1630 sont en fait différents tirages d’un même texte, composé dans l’atelier de Teste-Fort et repris tel quel par Jost9. Sans investir un 13seul sou dans la préparation typographique du texte, il pouvait donc sans peine faire le compte des sommes recoltées. Jacquelot ne produisit peut-être pas un best-seller mais, devant « promptement attirer sur lui l’attention du public10 », sa Médée remporta, en l’espace de dix ans, un succès commercial manifeste. Et cette brève popularité constitue une raison suffisante pour procurer au lecteur moderne – historien de la médecine, historien des mentalités ou simplement amateur de curiosités surannées – une édition critique de ce traité, miroir du goût des années 1630 pour les soins du corps et de l’âme.
1 P. Jacquelot, L’Art de vivre longuement, sous le nom de Médée, laquelle enseigne les facultez des choses qui sont continuellement en nostre usage, et d’où naissent les maladies. Ensemble la methode de se comporter en icelles, et le moyen de pourvoir à leurs offences. Dediée à Monsieur de l’Orme Conseiller du Roy, et premier Medecin de Monsieur, Lyon, Louis Teste-Fort, 1630, 241 pages. C’est l’édition princeps, répertoriée dans A Catalogue of Seventeenth Century Printed Books in the National Library of Medicine, compiled by P. Krivatsy, National Library of Medicine, Bethesda, Maryland U.S., 1989, p. 632. Plus loin dans le texte nous renvoyons toujours à cette édition et nous utiliserons l’abréviation Méd. suivie des chiffres romains qui indiquent le numéro du livre, et des chiffres arabes qui correspondent consécutivement aux numéros des chapitres et des pages.
2 Voir le privilège du Roy (Méd., fo * 8 vo) : « Salut. Nostre bien-aymé Louys Teste-Fort Bourgeois de Lyon, nous a faict remonstrer que Pierre Jaquelot Medecin luy a mis ez mains un livre par luy composé soubs le titre de l’Art de vivre longuement, ou Medée rajeunissante, pour le faire imprimer : ce qu’il ne peut sans avoir sur ce nos Lettres ».
3 Ibid.
4 « Jean Jost fut receu Imprimeur et Libraire le vingt sept Janvier 1628. Il épousa Claude Fourner, dont il n’eut point d’enfans, il fit imprimer Instruction Chretienne du Cardinal de Richelieu, in octavo en 1637, Bellarminus in Psalmos, in quarto […] et plusieurs autres livres, qui l’ont fait passer pour un des plus habiles Libraires de son temps », Histoire de l’imprimerie et de la librairie, Paris, chez Jean de la Caille, 1689, p. 265.
5 Ph. Albou, « Histoire des Œuvres charitables de Philibert Guybert », Histoire des sciences médicales. Organe officiel de la Société Française d’Histoire de la médecine, t. 32, no 1, 1998, p. 11-25. Pour la bibliographie de Guybert, voir A Catalogue of Seventeenth Century Printed Books in the National Library of Medicine, op. cit., p. 506-509.
6 Méd., fo * 8 vo.
7 À la page de titre de la seconde édition nous lisons : « À Lyon, et se vendent à Paris, chez Jean Jost, rue Sainct Jacques, au S. Esprit ».
8 Catalogue des livres imprimés de la bibliothèque publique de la ville de Mons, Bruxelles, imprimerie de L.-F. Moureaux, 1852, t. 1, p. 264, position 3490.
9 Après avoir collationné les quatre éditions, nous avons constaté qu’elles ne diffèrent entre elles sur aucun point : le format (in 16o), les paratextes (dates, dédicataire, permissions et pièces en vers), la mise en pages, la pagination ainsi que le texte de l’ouvrage y sont partout exactement les mêmes. Ceci explique pourquoi notre édition critique de la Médée ne contient pas le relevé de variantes. – D’après certaines sources il existerait d’autres éditions de la Médée : une datée de 1682 (L. Reutter de Rosemont, Histoire de la pharmacie à travers les âges, t. 2 Du xviie à nos jours, Paris, J. Peyronnet et Cie éditeurs, 1932, p. 136-137), mais nous pensons qu’il s’agit là d’une erreur de lecture, 1632 ayant été confondu avec 1682 ; une autre publiée à Lyon en 1830 (Catalogue des tableaux, objets de curiosité et livres du cabinet de Mr Revel-Meunier, médecin-oculiste à Lyon, Lyon, Imprimerie de Charvin, 1833, p. 20, position 234), mais nous n’avons pas eu l’accès à cette édition qui, au reste, ne représente guère d’intérêt scientifique pour notre édition critique de la Médée.
10 H. Fauré, Antoine de Laval et les écrivains bourbonnais de son temps, Moulins, Martial Place, 1870, p. 272.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11207-5
- EAN : 9782406112075
- ISSN : 2258-0158
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-11207-5.p.0011
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 09/06/2021
- Langue : Français