Compte rendu
- Type de publication : Article de revue
- Revue : L’Année rabelaisienne
2023, n° 7. varia - Pages : 323 à 326
- Revue : L'Année rabelaisienne
COMPTE RENDU
Pascal Brioist et Anne Simon, En âge florissant. De la Renaissance à la Réforme, Éditions La Découverte / La Revue Dessinée, 2020, 168 p.
Les volumes 9 et 10 de la collection Histoire dessinée de la France – qui en comportera vingt en tout –, sont consacrés au xvie siècle français. Tandis que le numéro 10 est centré sur les « guerres de religion » (Jérémie Foa et Pochep, Sacrées guerres. De Catherine de Médicis à Henri IV), le tome 9 s’intéresse au premier xvie siècle, qui commence avec les guerres d’Italie (1494) et se termine avec le traité du Cateau-Cambrésis et la mort d’Henri II (1559). Le titre est emprunté au premier vers de la chanson XII de l’Adolescence clémentine de Clément Marot (1532), telle qu’elle est mise en musique par le compositeur Claudin de Sermisy (p. 48) :
Tant que vivrai en âge florissant,
Je servirai Amour, le Roi puissant […]
Comme pour les autres volumes de la collection, celui-ci est porté par un tandem historien-dessinateur : Pascal Brioist, professeur d’histoire moderne à l’université de Tours, et Anne Simon, autrice de bandes dessinées. Tous les deux sont représentés avec humour, p. 168, à la manière des deux ambassadeurs du tableau de Hans Holbein (1533).
L’ouvrage comprend 112 pages de bande dessinée et 50 pages de dossier pédagogique. Pour donner une dynamique narrative à la bande dessinée, les auteurs ont pris le parti de mettre en scène un débat historiographique entre, d’un côté, Jules Michelet (Renaissance et Réforme. Histoire de France au xvie siècle, 1855) et Jacob Burckhardt (La Civilisation de la Renaissance en Italie, 1860), les deux historiens du xixe siècle qui ont inventé le concept de Renaissance comme période historique, et, de l’autre, Jacques Le Goff (1924-2014), médiéviste et historien des mentalités qui plaide pour un long Moyen Âge occidental s’étendant de l’Antiquité tardive (du iiie au viie siècle) juqu’au milieu du xviiie siècle.
324Les deux premiers parcourent toute l’histoire des années 1494-1559 – le « beau xvie siècle » (p. 7-104) puis le règne d’Henri II (105-108) – pour défendre avec ardeur leur point de vue : la Renaissance constituerait une rupture fondamentale avec un Moyen Âge obscur, provoquée par les guerres d’Italie. Les textes de l’Antiquité sont redécouverts, les arts et les sciences s’épanouissent, le savoir est largement diffusé grâce à l’imprimerie, des châteaux inspirés de l’Italie essaiment un peu partout, l’individu s’affirme, l’État se renforce, le Nouveau Monde est exploré. Jacques Le Goff se montre beaucoup plus prudent dans son interprétation des faits. Il intervient régulièrement mais toujours de manière très brève, pour exprimer son scepticisme : il refuse ainsi de « découper l’histoire en tranches » (p. 5) – formule tirée de son dernier ouvrage Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ? (2014) – et s’interroge sur la prétendue nouveauté de la Renaissance. Cette dernière ne serait-elle pas plutôt un « moment du long Moyen Âge » ? Il fait remarquer que l’essor économique est relatif et que la misère est toujours bien présente (p. 13), que l’adoubement de François Ier par Bayard à Marignan est « un mythe tardif » (p. 20) ou encore que les mathématiques étaient déjà enseignées au Moyen Âge (p. 49).
Tout au long de ce débat historiographique – qui reste ouvert, les trois historiens restant campés jusqu’à la fin sur leur position respective1 (p. 111-112) –, le lecteur est invité à suivre la cour de François Ier et les grandes étapes de son règne : la bataille de Marignan (1515), l’élection perdue face à Charles Quint (1519), le Camp du Drap d’or (1520), le désastre de Pavie (1525), le traité de Madrid (1526), l’affaire des Placards (1534), le massacre des Vaudois par le baron d’Oppède (1545). Tout est en revanche beaucoup plus rapide pour le règne d’Henri II (1547-1559), relaté en seulement quelques pages. On suit également, jusqu’à leur mort, le parcours d’un couple d’humbles artisans rouennais, Arnaud et Bertille (p. 8-109) : après avoir perdu leurs proches à cause de la peste, ils achètent une auberge grâce à leur héritage et s’enrichissent rapidement, profitant de la vitalité des échanges commerciaux et des possibilités offertes par les prêts bancaires (notamment le « prêt à la grosse aventure »). Les années passent : on les voit jouer aux cartes, assister à l’entrée de François Ier dans leur ville en 1517, 1518 et 1531 ; leur fils devient avocat au tribunal de Rouen ; Arnaud expérimente la lecture solitaire, achète 325pour sa femme un livre imprimé à un colporteur, assiste au supplice d’Étienne Dolet à Paris, place Maubert, en 1546, confesse ses péchés puis discute avec un des marins du capitaine Jean Ango, armateur qui financera l’expédition de Giovanni Verrazzano. À côté des rois et des gens du peuple, on croise aussi quelques grands hommes et grandes femmes comme Marguerite de Navarre (p. 21, 43-49, 67-70), Léonard de Vinci (p. 22, 56-57), Érasme (p. 33), Le Primatice (p. 42), Clément Marot (p. 48), Ambroise Paré (p. 55), Lefèvre d’Étaples (p. 67), Jacques Cartier (p. 97-100), Jean-François de La Rocque de Roberval (p. 99), Pierre Lescot (p. 105) ou encore Nostradamus (p. 110).
Gargantua occupe aussi une place de choix dans cette reconstitution historique. Il surgit brusquement au milieu d’un champ, dès la p. 25, au moment où un paysan s’étonne de la taille de François Ier et le qualifie de géant. Gargantua explique alors l’origine du nom donné à cette variété de prune qu’est la reine-claude et réclame à boire et à manger (cf. G, vii). Il ressurgit un peu plus tard, un couteau à la main (Michelet croit qu’il a mangé Burckhardt !), p. 51, pour faire part de son expérience universitaire à Montpellier : il évoque ainsi l’enseignement de Guillaume Rondelet (médecin et naturaliste, auteur de l’Histoire des poissons) et commente sur une pleine page très réussie la théorie des humeurs telle que l’a théorisée Galien : sont représentés les quatre éléments fondamentaux qui composent le corps, les quatre humeurs et le déséquilibre humoral à l’origine des quatre tempéraments. C’est un support pédagogique précieux pour expliquer par exemple l’opposition humorale entre le colérique Picrochole et le phlegmatique Gargantua. Ce dernier est encore présent, aux côtés de Michelet et Burckhardt, p. 57, pour admirer les dessins anatomiques de Léonard de Vinci.
Rabelais lui-même apparaît, p. 29, pour présenter les personnages qu’il a créés, Gargantua et Pantagruel, et pour expliquer ce qu’est l’humanisme. Suivent trois pleines pages consacrées à l’éducation de Pantagruel, d’après le chapitre viii du premier-né des livres rabelaisiens : la dessinatrice s’est inspirée des illustrations réalisées par Gustave Doré au xixe siècle.
La bande dessinée parvient à combiner de manière efficace l’érudition et l’humour : c’est le perroquet vert de Marguerite de Navarre (tel qu’il apparaît dans son portrait peint par Jean Clouet) qui ne cesse de dire ses quatre vérités au monarque ou à sa sœur (p. 48, 66-67, 79, 108) ; c’est le singe (tout droit sorti d’une miniature de Jean Clouet conservée au musée Condé de Chantilly et reproduite p. 33 : François Ier326au milieu de sa cour) qui s’amuse à la cour du roi, manque d’être dévoré par Gargantua et se retrouve obligé malgré lui d’écouter le cours de Rabelais sur l’humanisme puis les leçons de Michelet et de Burckhardt (p. 23-34) ; c’est l’Italie personnifiée qui se plaint de subir des guerres incessantes (p. 90, 106-107) ; c’est François Ier incapable de maîtriser sa colère face aux progrès de la Réforme (p. 69-70, p. 74), obsédé par Charles Quint dont la tête se démultiplie tout autour des frontières de la France (p. 78) et qui cherche de manière maladroite à impressionner Henri VIII (p. 80-82) ; c’est Jacques Cartier de plus en plus excédé par l’échec de ses trois expéditions (p. 97-100).
Le dossier pédagogique est divisé en six sections, agrémentées de quelques illustrations, qui approfondissent les controverses historiographiques abordées par la bande dessinée : « Une sensibilité Renaissance », « L’Italie à tout prix », « Prière de réformer », « Humains, très humains », « Le royaume des arts », « Les grandes traversées ». Pascal Brioist discute ainsi un certain nombre de lieux communs, en particulier l’idée que la France sort du Moyen Âge sous l’influence de l’Italie, ou encore le concept même de « Grandes Découvertes », trop centré sur l’Europe.
Bien qu’on puisse parfois regretter le manque d’un fil narratif supérieur et le passage rapide d’un sujet à un autre – sans que la chronologie soit toujours respectée –, on lira avec plaisir et profit cet ouvrage fort bien documenté et hautement pédagogique.
Nicolas Le Cadet
1 Pour des discussions récentes sur le concept de Renaissance, sa genèse, son histoire, ses limites mais aussi sa fécondité, voir Jean-Marie Le Gall, Défense et illustration de la Renaissance, Paris, Puf, 2018 ; et Denis Crouzet, Le xvie siècle est un héros. Michelet inventeur de la Renaissance, Paris, Albin Michel, 2021.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-14855-5
- EAN : 9782406148555
- ISSN : 2554-9111
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14855-5.p.0323
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 28/06/2023
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français