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Classiques Garnier

Book Review

  • Publication type: Journal article
  • Journal: L’Année rabelaisienne
    2023, n° 7
    . varia
  • Pages: 323 to 326
  • Journal: The Year of Rabelais
  • CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN: 9782406148555
  • ISBN: 978-2-406-14855-5
  • ISSN: 2554-9111
  • DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-14855-5.p.0323
  • Publisher: Classiques Garnier
  • Online publication: 06-28-2023
  • Periodicity: Annual
  • Language: French
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COMPTE RENDU

Pascal Brioist et Anne Simon, En âge florissant. De la Renaissance à la Réforme, Éditions La Découverte / La Revue Dessinée, 2020, 168 p.

Les volumes 9 et 10 de la collection Histoire dessinée de la France – qui en comportera vingt en tout –, sont consacrés au xvie siècle français. Tandis que le numéro 10 est centré sur les « guerres de religion » (Jérémie Foa et Pochep, Sacrées guerres. De Catherine de Médicis à Henri IV), le tome 9 sintéresse au premier xvie siècle, qui commence avec les guerres dItalie (1494) et se termine avec le traité du Cateau-Cambrésis et la mort dHenri II (1559). Le titre est emprunté au premier vers de la chanson XII de lAdolescence clémentine de Clément Marot (1532), telle quelle est mise en musique par le compositeur Claudin de Sermisy (p. 48) :

Tant que vivrai en âge florissant,

Je servirai Amour, le Roi puissant []

Comme pour les autres volumes de la collection, celui-ci est porté par un tandem historien-dessinateur : Pascal Brioist, professeur dhistoire moderne à luniversité de Tours, et Anne Simon, autrice de bandes dessinées. Tous les deux sont représentés avec humour, p. 168, à la manière des deux ambassadeurs du tableau de Hans Holbein (1533).

Louvrage comprend 112 pages de bande dessinée et 50 pages de dossier pédagogique. Pour donner une dynamique narrative à la bande dessinée, les auteurs ont pris le parti de mettre en scène un débat historiographique entre, dun côté, Jules Michelet (Renaissance et Réforme. Histoire de France au xvie siècle, 1855) et Jacob Burckhardt (La Civilisation de la Renaissance en Italie, 1860), les deux historiens du xixe siècle qui ont inventé le concept de Renaissance comme période historique, et, de lautre, Jacques Le Goff (1924-2014), médiéviste et historien des mentalités qui plaide pour un long Moyen Âge occidental sétendant de lAntiquité tardive (du iiie au viie siècle) juquau milieu du xviiie siècle.

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Les deux premiers parcourent toute lhistoire des années 1494-1559 – le « beau xvie siècle » (p. 7-104) puis le règne dHenri II (105-108) – pour défendre avec ardeur leur point de vue : la Renaissance constituerait une rupture fondamentale avec un Moyen Âge obscur, provoquée par les guerres dItalie. Les textes de lAntiquité sont redécouverts, les arts et les sciences sépanouissent, le savoir est largement diffusé grâce à limprimerie, des châteaux inspirés de lItalie essaiment un peu partout, lindividu saffirme, lÉtat se renforce, le Nouveau Monde est exploré. Jacques Le Goff se montre beaucoup plus prudent dans son interprétation des faits. Il intervient régulièrement mais toujours de manière très brève, pour exprimer son scepticisme : il refuse ainsi de « découper lhistoire en tranches » (p. 5) – formule tirée de son dernier ouvrage Faut-il vraiment découper lhistoire en tranches ? (2014) – et sinterroge sur la prétendue nouveauté de la Renaissance. Cette dernière ne serait-elle pas plutôt un « moment du long Moyen Âge » ? Il fait remarquer que lessor économique est relatif et que la misère est toujours bien présente (p. 13), que ladoubement de François Ier par Bayard à Marignan est « un mythe tardif » (p. 20) ou encore que les mathématiques étaient déjà enseignées au Moyen Âge (p. 49).

Tout au long de ce débat historiographique – qui reste ouvert, les trois historiens restant campés jusquà la fin sur leur position respective1 (p. 111-112) –, le lecteur est invité à suivre la cour de François Ier et les grandes étapes de son règne : la bataille de Marignan (1515), lélection perdue face à Charles Quint (1519), le Camp du Drap dor (1520), le désastre de Pavie (1525), le traité de Madrid (1526), laffaire des Placards (1534), le massacre des Vaudois par le baron dOppède (1545). Tout est en revanche beaucoup plus rapide pour le règne dHenri II (1547-1559), relaté en seulement quelques pages. On suit également, jusquà leur mort, le parcours dun couple dhumbles artisans rouennais, Arnaud et Bertille (p. 8-109) : après avoir perdu leurs proches à cause de la peste, ils achètent une auberge grâce à leur héritage et senrichissent rapidement, profitant de la vitalité des échanges commerciaux et des possibilités offertes par les prêts bancaires (notamment le « prêt à la grosse aventure »). Les années passent : on les voit jouer aux cartes, assister à lentrée de François Ier dans leur ville en 1517, 1518 et 1531 ; leur fils devient avocat au tribunal de Rouen ; Arnaud expérimente la lecture solitaire, achète 325pour sa femme un livre imprimé à un colporteur, assiste au supplice dÉtienne Dolet à Paris, place Maubert, en 1546, confesse ses péchés puis discute avec un des marins du capitaine Jean Ango, armateur qui financera lexpédition de Giovanni Verrazzano. À côté des rois et des gens du peuple, on croise aussi quelques grands hommes et grandes femmes comme Marguerite de Navarre (p. 21, 43-49, 67-70), Léonard de Vinci (p. 22, 56-57), Érasme (p. 33), Le Primatice (p. 42), Clément Marot (p. 48), Ambroise Paré (p. 55), Lefèvre dÉtaples (p. 67), Jacques Cartier (p. 97-100), Jean-François de La Rocque de Roberval (p. 99), Pierre Lescot (p. 105) ou encore Nostradamus (p. 110).

Gargantua occupe aussi une place de choix dans cette reconstitution historique. Il surgit brusquement au milieu dun champ, dès la p. 25, au moment où un paysan sétonne de la taille de François Ier et le qualifie de géant. Gargantua explique alors lorigine du nom donné à cette variété de prune quest la reine-claude et réclame à boire et à manger (cf. G, vii). Il ressurgit un peu plus tard, un couteau à la main (Michelet croit quil a mangé Burckhardt !), p. 51, pour faire part de son expérience universitaire à Montpellier : il évoque ainsi lenseignement de Guillaume Rondelet (médecin et naturaliste, auteur de lHistoire des poissons) et commente sur une pleine page très réussie la théorie des humeurs telle que la théorisée Galien : sont représentés les quatre éléments fondamentaux qui composent le corps, les quatre humeurs et le déséquilibre humoral à lorigine des quatre tempéraments. Cest un support pédagogique précieux pour expliquer par exemple lopposition humorale entre le colérique Picrochole et le phlegmatique Gargantua. Ce dernier est encore présent, aux côtés de Michelet et Burckhardt, p. 57, pour admirer les dessins anatomiques de Léonard de Vinci.

Rabelais lui-même apparaît, p. 29, pour présenter les personnages quil a créés, Gargantua et Pantagruel, et pour expliquer ce quest lhumanisme. Suivent trois pleines pages consacrées à léducation de Pantagruel, daprès le chapitre viii du premier-né des livres rabelaisiens : la dessinatrice sest inspirée des illustrations réalisées par Gustave Doré au xixe siècle.

La bande dessinée parvient à combiner de manière efficace lérudition et lhumour : cest le perroquet vert de Marguerite de Navarre (tel quil apparaît dans son portrait peint par Jean Clouet) qui ne cesse de dire ses quatre vérités au monarque ou à sa sœur (p. 48, 66-67, 79, 108) ; cest le singe (tout droit sorti dune miniature de Jean Clouet conservée au musée Condé de Chantilly et reproduite p. 33 : François Ier326au milieu de sa cour) qui samuse à la cour du roi, manque dêtre dévoré par Gargantua et se retrouve obligé malgré lui découter le cours de Rabelais sur lhumanisme puis les leçons de Michelet et de Burckhardt (p. 23-34) ; cest lItalie personnifiée qui se plaint de subir des guerres incessantes (p. 90, 106-107) ; cest François Ier incapable de maîtriser sa colère face aux progrès de la Réforme (p. 69-70, p. 74), obsédé par Charles Quint dont la tête se démultiplie tout autour des frontières de la France (p. 78) et qui cherche de manière maladroite à impressionner Henri VIII (p. 80-82) ; cest Jacques Cartier de plus en plus excédé par léchec de ses trois expéditions (p. 97-100).

Le dossier pédagogique est divisé en six sections, agrémentées de quelques illustrations, qui approfondissent les controverses historiographiques abordées par la bande dessinée : « Une sensibilité Renaissance », « LItalie à tout prix », « Prière de réformer », « Humains, très humains », « Le royaume des arts », « Les grandes traversées ». Pascal Brioist discute ainsi un certain nombre de lieux communs, en particulier lidée que la France sort du Moyen Âge sous linfluence de lItalie, ou encore le concept même de « Grandes Découvertes », trop centré sur lEurope.

Bien quon puisse parfois regretter le manque dun fil narratif supérieur et le passage rapide dun sujet à un autre – sans que la chronologie soit toujours respectée –, on lira avec plaisir et profit cet ouvrage fort bien documenté et hautement pédagogique.

Nicolas Le Cadet

1 Pour des discussions récentes sur le concept de Renaissance, sa genèse, son histoire, ses limites mais aussi sa fécondité, voir Jean-Marie Le Gall, Défense et illustration de la Renaissance, Paris, Puf, 2018 ; et Denis Crouzet, Le xvie siècle est un héros. Michelet inventeur de la Renaissance, Paris, Albin Michel, 2021.