Marie Thérèse Maiorana, fondatrice des Amis des Guérin en Argentine
- Type de publication : Article de revue
- Revue : L'Amitié guérinienne Revue annuelle des Amis des Guérin
2022, n° 201. varia - Auteur : Conte-Stirling (Graciela)
- Pages : 73 à 75
- Revue : L'Amitié guérinienne
Marie ThÉrÈse Maiorana fondatrice des Amis des GuÉrin en Argentine
J’aimerais vous parler aujourd’hui de l’apport tellement important fait à la Société des Amis des Guérin, il y a déjà longtemps, par un de mes professeurs de Buenos Aires.
Il s’agit de Marie Thérèse Maiorana, figure grise, inexpressive et réservée, à l’allure de religieuse, notre professeur de Latin de première année, dont nous, étudiantes irrévérencieuses, ne soupçonnions pas le grand talent académique. Quel âge avait-elle à la fin des années soixante ? Impossible de le deviner pour nous, jeunes filles pimpantes. Elle ne nous semblait ni jeune ni âgée : trente-cinq, quarante-cinq ? Elle faisait ses cours correctement, mais sans jamais s’écarter de son sujet.
C’est beaucoup plus tard que je me suis rendu compte de ses grandes qualités de comparatiste. Dans la période 2010-2015, j’ai fait des recherches pour mon livre sur l’Occitanienne de Chateaubriand au château du Cayla : j’y ai trouvé avec émotion son très important travail sur la figure du centaure dans l’œuvre de Ruben Darío et dans celle de Maurice de Guérin, travail qui correspondait à un long chapitre de sa thèse. Cette étude parut dans L’Amitié Guérinienne dans les années 59-60. La comparaison qu’elle entreprend entre les deux poèmes et les deux poètes est très poussée et montre non seulement sa connaissance approfondie de Guérin et de Darío, mais aussi son ample érudition concernant la littérature française et latinoaméricaine.
Ses cours de Latin – « Amicitia res plurimas continet… » de Cicéron, entre autres, je m’en souviens – étaient bien préparés, mais le Latin ne nous intéressait pas outre mesure. Quel dommage qu’elle ne nous ait pas parlé de tout ce qu’elle connaissait en littérature ! Il est vrai que nous avions d’autres cours et d’autres professeurs pour les trente et quelques examens que nous devions passer en quatre ans pour obtenir notre diplôme de professeur de Français. Mais alors elle aurait pu nous parler, en passant, de Maurice et d’Eugénie de Guérin. Nous étions tant avides de savoir, de connaître, et d’être en contact avec tout ce qui était français !
74Et voici encore une autre facette de sa carrière (tout cela était bien antérieur à mon arrivée à ses cours) : j’ai découvert qu’après avoir fini ses études de Doctorat à l’Université de Toulouse, elle créa la branche argentine des Amis des Guérin à Buenos Aires. Il semble qu’une fois son diplôme de professeur de Français en main, elle décida de préparer un Doctorat. En lisant un article de l’abbé Decahors, probablement dans un numéro de L’Amitié Guérinienne, elle eut l’idée de lui écrire pour lui demander conseil sur un projet de thèse sur Maurice de Guérin. Élie Decahors lui répondit en l’encourageant à venir à Toulouse et à s’inscrire à l’Université. Il est possible également qu’il ait mis Mlle Maiorana en contact avec le professeur André Monchoux qui deviendra son directeur de thèse. C’est ainsi qu’elle finit son Doctorat en 1957 (thèse soutenue devant la Faculté des Lettres de Toulouse, le 20 décembre 1957).
Une fois rentrée en Argentine, en dehors de son activité auprès des Amis des Guérin, elle enseigna dans les deux Professorats Supérieurs de Buenos Aires. Des années plus tard, elle fut invitée à intégrer la Faculté de Philosophie et Lettres de l’Université Catholique de Buenos Aires où elle créa le Centre d’Études de Littérature Comparée, Centre qui prit son nom en 1984.
Lorsqu’elle se trouvait à Toulouse, elle dut entretenir des liens d’amitié avec le Cayla, avec l’abbé Decahors, rédacteur en chef de L’Amitié Guérinienne,et avec Jean Calvet, conservateur du musée. Car, pour entamer sa recherche, il lui fallait consulter la bibliothèque du Cayla. C’est peut-être à cette époque-là que l’idée fut lancée de fonder une filiale argentine des Amis des Guérin. On peut bien imaginer sa joie en décembre 1957, au moment d’obtenir sa thèse, de se voir accorder une tâche aussi importante. En arrivant à Buenos Aires, elle dut faire bouger les lignes pour obtenir l’aide de l’Ambassade de France et de son attaché culturel. Naturellement elle remplit cette fonction ad honorem.
Dans le numéro de L’Amitié Guérinienne de 1960, un article assez long donne un compte rendu de la réunion guérinienne à Buenos Aires, le 21 juillet de cette année-là. Elle avait eu lieu à la Galerie d’art Van Riel, où fonctionnait à l’époque la Société Amigos del libro. Mlle Maiorana, l’organisatrice, avait décoré la table d’un bouquet d’anémones, de violettes, et d’œillets blancs et rouges, pour former le drapeau tricolore, tout cela noué d’un ruban bleu et blanc, les couleurs argentines. Parmi la nombreuse assistance, des personnalités du monde culturel se côtoyaient, parmi lesquelles les grands écrivains Rafael Alberto Arrieta, Jorge Max Rohde, et le journaliste et homme politique Leonidas de Vedia. Un 75nouveau prix pour le meilleur essai sur Maurice de Guérin fut obtenu par Mlle Julieta Gomez Paz, qui allait devenir une des écrivaines les plus célèbres d’Argentine.
Au cours de cette réunion, Mlle Maiorana, dans sa causerie intitulée « La survivance d’un poète », s’arrêta sur Variations surValéry de Maurice Bémol lequel considère Maurice de Guérin comme l’un des premiers symbolistes. Puis Mlle Gomez Paz lut son essai, « Images de Maurice (recueillies dans le Journal d’Eugénie de Guérin) ». Cette étude est centrée sur la place importante de Maurice dans le Journal d’Eugénie et suggère que Maurice se substitue souvent dans le cœur d’Eugénie à l’enfant qu’elle n’a pas eu.
La branche de Buenos Aires des Amis des Guérin a sans doute fonctionné pendant plusieurs années. Nous ne devons pas nous étonner de la création, en dehors de la France, d’une société autour d’un poète connu majoritairement que par des « initiés ». En dehors des deux Professorats à Buenos Aires où l’on prépare, à un niveau universitaire, la carrière de professeur de Français, la capitale compte depuis les années 1893 une Alliance Française et, aujourd’hui, l’Argentine se targue d’en avoir cinquante-trois branches dans tout le pays. L’Institut Français, représentant de la culture Française, existe à Buenos Aires depuis la première moitié du xxe siècle.
Marie Thérèse Maiorana, née en 1914, est décédée en 1983. Parallèlement à sa longue carrière académique, elle a entrepris des recherches approfondies en Littérature Comparée. Elle a écrit, par exemple, sur l’influence de Malherbe, Victor Hugo ou Anatole France dans l’œuvre de Ruben Darío et d’autres écrivains latinoaméricains. Outre son ouvrage distingué sur le Centaure, ses travaux, dans de nombreuses publications en journaux et revues, reflètent sa passion pour la Littérature Française et son souhait de montrer l’influence de la France et de ses écrivains sur la Littérature Latinoaméricaine.
Graciela Conte-Stirling1
1 Docteur ès lettres de l’université de Toulouse-Jean-Jaurès, Graciela Conte-Stirling a publié chez l’Harmattan deux livres sur Colette. Chroniqueuse de diverses femmes remarquables dont quelques-unes originaires du Tarn, elle a écrit sur Lucie Bouniol et a publié en 2018 chez L’Harmattan L’Occitanienne de Chateaubriand, Léontine de Villeneuve.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-14359-8
- EAN : 9782406143598
- ISSN : 2554-8980
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14359-8.p.0073
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 07/12/2022
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français
- Mots-clés : Marie-Thérèse Maiorana, Amitié guérinienne, Le Centaure, Rubén Darío, symbolistes.