[Introduction à la quatrième partie]
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : L’Affaire clémentine. Une fraude pieuse à l’ère des Lumières
- Pages : 345 à 348
- Collection : L'Europe des Lumières, n° 32
Quatrième PARTIE
La contagion fictionnelle
en apologétique
« la fiction sympathise avec la vérité1 »
346 347Aller à la rencontre du lecteur, combler ses attentes en les anticipant, bref le gagner par ses faiblesses sera l’ambition de tout un courant de l’apologétique moderne.
Nicolas Brucker, Littérature et apologétique2…
Les Lettres intéressantes du pape Clément XIV, étudiées sous les aspects de leur création, continuation et réception, s’appréhendent comme un livre qui fait date dans une histoire des mentalités. Leur succès atteste que le contenu répondait aux croyances et habitudes d’esprit de la communauté des lecteurs ; l’étude de cas permet alors de reconstruire et d’informer un moment donné dans la longue histoire de la littérature et des idées (celle du sentiment et de l’écrit religieux en particulier) et d’interroger les relations qu’entretiennent les veines apologétique et fictionnelle, deux modalités d’écriture a priori antinomiques. Faut-il s’en tenir à l’exclusion de l’une par l’autre, et évoquer un rejet mutuel ? Doit-on au contraire parler d’interpénétration, voire suggérer une interaction et chercher alors à en mesurer les modalités ? Conviendrait-il enfin de parler de commutation, en vertu d’une avancée formidable de la fiction, bond en avant ou triomphe, qui semble emporter dans son sillage les colonnes du sacré et signer l’avènement d’un discours profane qui s’y diffuse et s’y substitue ? Étape remarquable dans une histoire des lettres divines et humaines3, et illustration parmi d’autres de ces 348dilemmes de la fiction qui firent le jeu des lettres au xviiie siècle, les Lettres intéressantes mettent en évidence cette lente mutation et le rôle majeur qu’y joue la forme épistolaire.
1 L.-A. Caraccioli, Préface de La Négresse couronnée ou Les mœurs des peuples mis en action, Paris, Cailleau, 1787,cité par Martine Jacques, « L.-A. Caraccioli et son œuvre : la mesure d’une avancée de la pensée chrétienne vers les Lumières », Dix-huitième siècle, no 34, 2002, p. 297.
2 Nicolas Brucker, Littérature et apologétique : le cas de l’abbé Philippe-Louis Gérard (1731-1813), Thèse de doctorat, Littérature française, Paris IV, 2000, p. 81. C’est nous qui soulignons.
3 La « paraclesis » précédant la traduction de l’Évangile par Érasme permet d’expliciter l’expression « lettres divines » : « Je suis en effet tout à fait opposé à l’avis de ceux qui ne veulent pas que les lettres divines soient traduites en langue vulgaire pour être lues par les profanes, comme si l’enseignement du Christ était si voilé que seule une poignée de théologiens pouvait le comprendre » (Érasme, Les Préfaces au Novum Testamentum[1516], Yves Delègue (éd. et trad.), Genève, Labor et fides, « Histoire et société », 1990). Par extension, on classe encore sous cette appellation les écrits des pères de l’Église, ceux d’autorité papale, les ouvrages d’histoire sainte.