Annexe IV Le dernier article de Fréron ?
- Publication type: Book chapter
- Book: L’Affaire clémentine. Une fraude pieuse à l’ère des Lumières
- Pages: 513 to 515
- Collection: Enlightenment Europe, n° 32
Annexe IV
Le dernier article de Fréron ?
L ’ Année littéraire,
« Lettre XIII, 20 décembre 1775 ».
Premier article de l’affaire clémentine et dernier article de Fréron ? Les recherches conduites ont permis de valider l’assertion initiale, L’Année littéraire étant toutefois « en concurrence » avec la Correspondance littéraire, dont la recension est aussi datée de décembre 1775. Le second point : ce compte rendu a-t-il pu être le dernier de Fréron, est plus problématique. On s’accorde pour dater son dernier article de novembre 17751 et Caraccioli lui-même, dans le Remerciement à l’auteur de l’Année littéraire, adressé à Grosier, successeur de Fréron, affirmait « qu’on avait spécialement chargé monsieur Fréron de travailler une réponse capable d’en imposer à la multitude ; qu’il avait pris en conséquence des engagements que [Grosier a] littéralement exécutés2 ».
Mais comment dès lors expliquer l’écart stylistique entre le premier article de L’Année littéraire et le second, paru au printemps 1776 ? Comment surtout concilier ces données avec les propos mêmes de Grosier qui désignait « feu M. Fréron » comme ayant « rend[u] compte de la première édition de ces lettres3 » ?
Il convient alors de réévaluer la remarque de Caraccioli : son Remerciement prétendait réfuter le premier article de L’Année littéraire, daté du 20 décembre 1775, mais répondait également, quoique ponctuellement, au second article dont le rédacteur ne pouvait être Fréron, 514mort entre temps. Les « engagements » pris par le redoutable écrivain périodique auraient alors concerné plusieurs articles, Grosier exécutant « littéralement » la besogne de sape ouverte par Fréron4. Caraccioli lui-même est indécis sur la paternité, exprimant des doutes qui ne sont peut-être que prétexte à concetti… « J’ignore si c’est à vous, M., ou à feu M. Fréron, c’est-à-dire à un être bien existant, ou simplement à une ombre, que je suis redevable de l’honneur qu’on me fait en me nommant l’auteur des Lettres. Vous savez qu’il y a différentes actions de grâces pour les morts et pour les vivants5. »
Cette recension, probablement l’une des dernières esquissées ou rédigées par le journaliste breton, a une importance capitale dans notre affaire : elle y donna le ton ; elle posa les premiers jalons d’une argumentation que d’autres, écrivains périodiques ou apologistes, reprendraient et étofferaient ensuite ; elle l’influença jusque dans sa forme, puisque le monologue final imaginé par Fréron allait se trouver reconduit et décuplé dans les pages sarcastiques du Tartuffe épistolaire démasqué. C’est le point 12 et l’un des plus brillants de ce remarquable morceau que nous avons cru bon d’insérer dans cette étude.
(p. 290) L’ANNÉE LITTÉRAIRE
LETTRE XIII Lettres intéressantes du pape Clément XIV (Ganganelli) traduites de l’italien et du latin. Deux volumes in-8o, de 438 pages chacun ; à Paris chez Lottin le Jeune Libraire rue Saint-Jacques, à Lyon chez Bruyset-Ponthus Libraire, à Rouen chez Bénitier Libraire.
[…]
12o.Le fond même de ce recueil de Lettres, et surtout l’espèce d’ordre et de plan qu’on y remarque, inspire de la défiance sur leur légitimité. Il me semble voir M. Caraccioli dans son cabinet, et l’entendre dire à 515lui-même : « J’ai donné la vie du feu pape ; elle a eu beaucoup de succès. Pendant que les esprits sont occupés de ce pontife, publions sous son nom quelques volumes de lettres ; elles réussiront également à coup sûr. Rien de si aisé que de le faire écrire. C’était un religieux, un cardinal d’un esprit cultivé, adonné aux sciences, surtout à la théologie dont il a été professeur ; je l’ai peint dans sa vie comme un homme simple, modeste, aimant les saillies, doué d’un caractère honnête et modéré. Je puis, avec ces qualités, le mettre en relation avec bien des personnages, et le faire parler de tout à peu près. Religieux et cardinal, il écrira sur la vie religieuse, sur la solitude, sur la théologie ; il trai- (p. 316) tera dans plusieurs lettres des grandes vérités de la religion ; il donnera des plans pour combattre les incrédules modernes, etc. Savant, il fera des lettres surla physique, et sur les mathématiques, sur la politique, sur l’esprit des divers gouvernements, sur la géographie, sur l’histoire moderne ; il célébrera M. de Buffon qui le mérite à si juste titre. Homme de lettres, il écrirasur la poésie, sur l’éloquence, sur l’histoire, sur le choix des livres pour former une bibliothèque, sur les arts, sur la peinture, la sculpture, l’architecture, etc. Plein de douceur et d’aménité, il fera une conversion célèbre dans la personne d’un jeune Comte, etc. Il me sera d’autant plus facile de composer ces lettres, que j’ai traité moi-même tous ces objets. Religion, morale, dogme, théologie, philosophie, sciences, beaux-arts, poésie, éloquence, histoire, politique, mathématiques, littérature, éducation, voyage, etc. Voilà les ma- (p. 317) tières sur lesquelles on trouve tant de chapitres dans mes divers ouvrages ; je redonnerai les mêmes choses sous le nom de Ganganelli ; je n’aurai que la peine de ne pas suivre exactement la même marche que dans mes autres productions, de réunir plusieurs articles qui s’y trouveront séparés, d’ajouter, de retrancher, et de déguiser mon style le plus que je pourrai. Peu de gens s’apercevront de mon artifice, et, lorsqu’on le découvrira, l’édition de mon livre sera probablement épuisée. »
13o. En conséquence de ce système, le feu pape disserte sur toutes sortes de sujets, mais à la manière de M. Caraccioli, c’est-à-dire très légèrement et très superficiellement. Il n’y a rien de discuté, rien d’approfondi dans ces Lettres, rien qui soit dignedu pontife dont elles portent le nom. Ce sont partout de ces idées vagues, de ces grandes phrases, de ces vues générales, de ces lieux communs, qui ne coûtent rien à un écrivain pour peu (p. 318) qu’il sache un peu de tout, comme cela est fort aisé.
1 Jean Sgard (dir.), Dictionnaire des journalistes, op. cit., notice no 316, par Jean Balcou et Paul Benhamou, t. I, p. 416.
2 [L.-A. Caraccioli], Remerciement à l’auteur de l’Année littéraire, op. cit.,p. 15-16.
3 L ’ Année littéraire, op. cit., 1776, vol. 3, p. 75.
4 L’ex-jésuite n’affirmait-il pas suivre « le même plan » que son prédécesseur, façon de le suivre « à la lettre » ?
5 [L.-A. Caraccioli], Remerciement à l’auteur de l’Année littéraire, op. cit., p. 47.
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- ISBN: 978-2-8124-2852-4
- EAN: 9782812428524
- ISSN: 2258-1464
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-8124-2852-4.p.0513
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 07-07-2014
- Language: French