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Classiques Garnier

Annexe IV Le dernier article de Fréron ?

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : L’Affaire clémentine. Une fraude pieuse à l’ère des Lumières
  • Pages : 513 à 515
  • Collection : L'Europe des Lumières, n° 32
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782812428524
  • ISBN : 978-2-8124-2852-4
  • ISSN : 2258-1464
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-8124-2852-4.p.0513
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 07/07/2014
  • Langue : Français
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Annexe IV

Le dernier article de Fréron ?

L Année littéraire,
« Lettre XIII, 20 décembre 1775 ».

Premier article de laffaire clémentine et dernier article de Fréron ? Les recherches conduites ont permis de valider lassertion initiale, LAnnée littéraire étant toutefois « en concurrence » avec la Correspondance littéraire, dont la recension est aussi datée de décembre 1775. Le second point : ce compte rendu a-t-il pu être le dernier de Fréron, est plus problématique. On saccorde pour dater son dernier article de novembre 17751 et Caraccioli lui-même, dans le Remerciement à lauteur de lAnnée littéraire, adressé à Grosier, successeur de Fréron, affirmait « quon avait spécialement chargé monsieur Fréron de travailler une réponse capable den imposer à la multitude ; quil avait pris en conséquence des engagements que [Grosier a] littéralement exécutés2 ».

Mais comment dès lors expliquer lécart stylistique entre le premier article de LAnnée littéraire et le second, paru au printemps 1776 ? Comment surtout concilier ces données avec les propos mêmes de Grosier qui désignait « feu M. Fréron » comme ayant « rend[u] compte de la première édition de ces lettres3 » ?

Il convient alors de réévaluer la remarque de Caraccioli : son Remerciement prétendait réfuter le premier article de LAnnée littéraire, daté du 20 décembre 1775, mais répondait également, quoique ponctuellement, au second article dont le rédacteur ne pouvait être Fréron, 514mort entre temps. Les « engagements » pris par le redoutable écrivain périodique auraient alors concerné plusieurs articles, Grosier exécutant « littéralement » la besogne de sape ouverte par Fréron4. Caraccioli lui-même est indécis sur la paternité, exprimant des doutes qui ne sont peut-être que prétexte à concetti… « Jignore si cest à vous, M., ou à feu M. Fréron, cest-à-dire à un être bien existant, ou simplement à une ombre, que je suis redevable de lhonneur quon me fait en me nommant lauteur des Lettres. Vous savez quil y a différentes actions de grâces pour les morts et pour les vivants5. »

Cette recension, probablement lune des dernières esquissées ou rédigées par le journaliste breton, a une importance capitale dans notre affaire : elle y donna le ton ; elle posa les premiers jalons dune argumentation que dautres, écrivains périodiques ou apologistes, reprendraient et étofferaient ensuite ; elle linfluença jusque dans sa forme, puisque le monologue final imaginé par Fréron allait se trouver reconduit et décuplé dans les pages sarcastiques du Tartuffe épistolaire démasqué. Cest le point 12 et lun des plus brillants de ce remarquable morceau que nous avons cru bon dinsérer dans cette étude.

(p. 290) LANNÉE LITTÉRAIRE

LETTRE XIII Lettres intéressantes du pape Clément XIV (Ganganelli) traduites de litalien et du latin. Deux volumes in-8o, de 438 pages chacun ; à Paris chez Lottin le Jeune Libraire rue Saint-Jacques, à Lyon chez Bruyset-Ponthus Libraire, à Rouen chez Bénitier Libraire.

[]

12o.Le fond même de ce recueil de Lettres, et surtout lespèce dordre et de plan quon y remarque, inspire de la défiance sur leur légitimité. Il me semble voir M. Caraccioli dans son cabinet, et lentendre dire à 515lui-même : « Jai donné la vie du feu pape ; elle a eu beaucoup de succès. Pendant que les esprits sont occupés de ce pontife, publions sous son nom quelques volumes de lettres ; elles réussiront également à coup sûr. Rien de si aisé que de le faire écrire. Cétait un religieux, un cardinal dun esprit cultivé, adonné aux sciences, surtout à la théologie dont il a été professeur ; je lai peint dans sa vie comme un homme simple, modeste, aimant les saillies, doué dun caractère honnête et modéré. Je puis, avec ces qualités, le mettre en relation avec bien des personnages, et le faire parler de tout à peu près. Religieux et cardinal, il écrira sur la vie religieuse, sur la solitude, sur la théologie ; il trai- (p. 316) tera dans plusieurs lettres des grandes vérités de la religion ; il donnera des plans pour combattre les incrédules modernes, etc. Savant, il fera des lettres surla physique, et sur les mathématiques, sur la politique, sur lesprit des divers gouvernements, sur la géographie, sur lhistoire moderne ; il célébrera M. de Buffon qui le mérite à si juste titre. Homme de lettres, il écrirasur la poésie, sur léloquence, sur lhistoire, sur le choix des livres pour former une bibliothèque, sur les arts, sur la peinture, la sculpture, larchitecture, etc. Plein de douceur et daménité, il fera une conversion célèbre dans la personne dun jeune Comte, etc. Il me sera dautant plus facile de composer ces lettres, que jai traité moi-même tous ces objets. Religion, morale, dogme, théologie, philosophie, sciences, beaux-arts, poésie, éloquence, histoire, politique, mathématiques, littérature, éducation, voyage, etc. Voilà les ma- (p. 317) tières sur lesquelles on trouve tant de chapitres dans mes divers ouvrages ; je redonnerai les mêmes choses sous le nom de Ganganelli ; je naurai que la peine de ne pas suivre exactement la même marche que dans mes autres productions, de réunir plusieurs articles qui sy trouveront séparés, dajouter, de retrancher, et de déguiser mon style le plus que je pourrai. Peu de gens sapercevront de mon artifice, et, lorsquon le découvrira, lédition de mon livre sera probablement épuisée. »

13o. En conséquence de ce système, le feu pape disserte sur toutes sortes de sujets, mais à la manière de M. Caraccioli, cest-à-dire très légèrement et très superficiellement. Il ny a rien de discuté, rien dapprofondi dans ces Lettres, rien qui soit dignedu pontife dont elles portent le nom. Ce sont partout de ces idées vagues, de ces grandes phrases, de ces vues générales, de ces lieux communs, qui ne coûtent rien à un écrivain pour peu (p. 318) quil sache un peu de tout, comme cela est fort aisé.

1 Jean Sgard (dir.), Dictionnaire des journalistes, op. cit., notice no 316, par Jean Balcou et Paul Benhamou, t. I, p. 416.

2 [L.-A. Caraccioli], Remerciement à lauteur de lAnnée littéraire, op. cit.,p. 15-16.

3 L Année littéraire, op. cit., 1776, vol. 3, p. 75.

4 Lex-jésuite naffirmait-il pas suivre « le même plan » que son prédécesseur, façon de le suivre « à la lettre » ?

5 [L.-A. Caraccioli], Remerciement à lauteur de lAnnée littéraire, op. cit., p. 47.