Nous avons jusqu’à présent tenté de comprendre le parcours qui mène Jules Renard vers une œuvre intimiste, c’est-à-dire une œuvre qui rende compte d’une expérience personnelle vraie mais représentée sous une forme entièrement dessinée par la subjectivité de l’écrivain. Il nous est apparu que l’intime n’est pas une simple intériorité mais un rapport au monde, un échange permanent entre l’espace du dehors et celui du dedans. C’est la nature de ces échanges que nous voudrions maintenant examiner pour montrer que le sujet renardien, tel qu’il se donne à découvrir dans le Journal et dans les œuvres, est un « homme mêlé1 », selon l’expression de Montaigne. Mais l’auteur des Essais considère l’ouverture comme une démarche volontariste et humaniste. Chez Renard, le « mélange » est, d’une certaine façon, consubstantiel au sujet : l’homme, malgré lui, n’est lui-même que par assemblage de ce qui n’est pas lui.
Nous nous intéresserons tout d’abord aux déterminations de l’intime et poserons la question de la liberté intérieure du sujet puis nous envisagerons deux modes antagoniques de relation entre l’intime et l’altérité : l’un misanthrope, rosse, ambitieux et séducteur, l’autre, altruiste, admirateur, tendre et fraternel.
1 Michel de Montaigne, Essais (1595), livre III, chapitre 9, « De la vanité ».