![Journal. Voyages en Chine et aux colonies (1841 à 1845) - Préface](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/MtdMSG03b.png)
Préface
- Publication type: Book chapter
- Book: Journal. Voyages en Chine et aux colonies (1841 à 1845)
- Pages: 41 to 43
- Collection: World Geographies, n° 38
Préface
Avant de produire cette relation, je crois utile d’indiquer ici comment je fus amené à faire ces voyages et en quelle qualité je les entreprenais.
Depuis mon enfance, j’avais toujours éprouvé un penchant irrésistible pour les voyages et mes lectures, comme mes recherches, n’avaient cessé de se rapporter à l’étude de la géographie. Arrivé enfin à l’âge de 21 ans, cette passion dominante voulut choisir le théâtre de ses exploits. D’abord je fus sur le point de partir pour l’Égypte, la Nubie, le Darfour et l’Abyssinie ; puis ensuite je pensai à m’embarquer sur le navire l’Hydrographe qui devait faire le tour du monde et à bord duquel une cinquantaine de jeunes gens prenaient passage dans un but d’instruction. Pour des causes diverses, tous ces projets échouèrent et je ne fis qu’un simple voyage d’essai en Algérie. C’était comme une manière d’essayer mes bottes de voyageur. Je revins de cette excursion plus résolu que jamais à suivre ma vocation.
Dans ces conjonctures, ma famille et mes amis me persuadèrent avec raison que je ne devais pas employer ma jeunesse et ma santé à faire des voyages purement instructifs. Selon eux, il était préférable de concilier mon goût pour les voyages avec le soin de mon avenir. Enfin ils me décidèrent à attendre au ministère des affaires étrangères l’organisation de quelque mission lointaine à laquelle je pourrais me faire attacher. Je me rendis à leurs conseils.
J’attendis quelque temps. Il fut d’abord question de m’envoyer au consulat d’Alexandrie en qualité d’élève consul ; puis ensuite à un poste d’attaché libre à l’ambassade de Naples, mais c’était là de trop petits morceaux pour un appétit comme le mien et je m’abstins encore. Enfin vers le mois de janvier 1841, je sus que M. de Jancigny devait partir pour une mission politique et commerciale dans les mers de la Chine et qu’il devait parcourir l’archipel Indien et revenir par l’Hindoustan. Cette fois je n’avais plus rien à désirer. Je connaissais depuis longtemps M. de Jancigny et il voulut bien, avec l’approbation de M. Guizot, 42m’adjoindre à sa mission en qualité d’attaché libre. Je devais suivre M. de Jancigny dans toutes ses pérégrinations ; je devais être défrayé sur les bâtiments de l’État sur lesquels il aurait passage. À terre enfin, je devais me suffire avec mes ressources privées.
Je passai l’hiver à m’équiper et, en avril 1841, je quittai Paris pour aller à Brest préparer les logements de la mission à bord de la frégate l’Érigone sur laquelle nous devions prendre passage pour la Chine. C’était à la fois un surnumérariat et un beau voyage que je faisais. Je partis enchanté pour ma destination. J’avais 21 ans, une vigoureuse santé, deux choses également précieuses pour ces entreprises.
Je fis tout le voyage avec M. de Jancigny, et au mois de mai 1842, à la suite des conférences que ce dernier avait eues avec les mandarins de Canton, il m’envoya porter des dépêches en France où je restai, dans l’espoir de me faire attacher à l’ambassade que le gouvernement préparait alors pour la Chine. En 1843, je fus en effet nommé attaché payé à cette nouvelle mission et je partis aussi joyeux qu’en 1841 pour ce lointain voyage.
Après avoir suivi l’ambassade dans toutes ses relâches, M. de Lagrenée1 me fit l’honneur de me choisir pour porter à Paris les dépêches relatives aux négociations entamées avec le sultan de l’archipel Soulou2. À mon retour en France, M. Guizot voulait me renvoyer en Chine pour la troisième fois afin d’y rejoindre l’ambassade, mais j’avoue qu’après deux voyages aussi longs et fatigants j’avais un immense besoin de repos. D’ailleurs ce voyage eût été sans utilité puisque l’ambassade se trouvait dans l’Inde en ce moment et opérait son retour en Europe. Je priai donc M. le ministre des Affaires étrangères de vouloir m’accorder un congé avant de m’appeler à un autre poste. Avec une bienveillance que je ne puis oublier, M. Guizot m’accorda ces faveurs et je me hâtai d’aller rejoindre ma famille que j’ai fini par ne plus quitter.
43La rédaction de ces deux voyages offrait quelques difficultés. En effet, si je prenais le parti de faire une relation distincte pour chacun d’eux, je m’imposais à fatiguer le lecteur par la répétition des mêmes détails. Si au contraire je ne faisais qu’une seule relation pour les deux expéditions, je devais être nécessairement amené à supprimer beaucoup de notes recueillies avec soin sur les lieux mêmes et cette résolution eût diminué l’intérêt de mon œuvre. Je me décidai donc à ne produire que la relation de mon deuxième voyage en me réservant toutefois d’intercaler, quand je le jugerais opportun, les documents et incidents de mon premier voyage.
Depuis longtemps déjà j’aurais dû produire ce travail que j’avais achevé dans les années qui ont suivi mon retour. Mais je fus distrait de ce soin par des préoccupations diverses.
Les personnes qui parcourront ces pages voudront bien ne pas attendre de moi des détails scientifiques ni un style élégant. J’ai voyagé en jeune homme. J’ai vu avec les yeux d’un homme du monde. J’ai écrit sans prétention. Si on trouve dans ce récit quelque intérêt mon ambition sera satisfaite.
Pommard 20 Août 1855
Marey Monge3
1 « Le titre d’envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire fut donné à M. Théodose de Lagrenée qui signa un traité le 24 octobre 1844 à l’embouchure de la rivière de Canton, à Whampoa, à bord de la corvette française l’Archimède » (Henri Cordier, La mission Dubois de Jancigny, op. cit., p. 103).
2 L’archipel de Soulou (Sulu) s’étend de l’extrémité sud-ouest de Mindanao à l’extrémité nord-est de Bornéo ; il est baigné au nord par la mer de Mindoro et au sud par celle de Célèbes. Il se compose d’environ 60 îles dont la plus grande, Basilan, « est quelquefois comprise dans les Philippines » (Dictionnaire géographique universel, Paris, A. J. Kilian, Ch. Picquet, 1823-1833, 10 vol., t. 9, p. 393). De nos jours, Basilan fait partie des Philippines.
3 L’auteur écrit son nom sans tiret. Nous avons respecté son choix dans son texte, mais nous nous sommes conformé à l’usage actuel dans nos notes et nos commentaires.
- CLIL theme: 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN: 978-2-406-16454-8
- EAN: 9782406164548
- ISSN: 1775-3503
- DOI: 10.48611/isbn.978-2-406-16454-8.p.0041
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-05-2024
- Language: French