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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Journal. Voyages en Chine et aux colonies (1841 à 1845)
  • Pages : 41 à 43
  • Collection : Géographies du monde, n° 38
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406164548
  • ISBN : 978-2-406-16454-8
  • ISSN : 1775-3503
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-16454-8.p.0041
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 05/06/2024
  • Langue : Français
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Préface

Avant de produire cette relation, je crois utile dindiquer ici comment je fus amené à faire ces voyages et en quelle qualité je les entreprenais.

Depuis mon enfance, javais toujours éprouvé un penchant irrésistible pour les voyages et mes lectures, comme mes recherches, navaient cessé de se rapporter à létude de la géographie. Arrivé enfin à lâge de 21 ans, cette passion dominante voulut choisir le théâtre de ses exploits. Dabord je fus sur le point de partir pour lÉgypte, la Nubie, le Darfour et lAbyssinie ; puis ensuite je pensai à membarquer sur le navire lHydrographe qui devait faire le tour du monde et à bord duquel une cinquantaine de jeunes gens prenaient passage dans un but dinstruction. Pour des causes diverses, tous ces projets échouèrent et je ne fis quun simple voyage dessai en Algérie. Cétait comme une manière dessayer mes bottes de voyageur. Je revins de cette excursion plus résolu que jamais à suivre ma vocation.

Dans ces conjonctures, ma famille et mes amis me persuadèrent avec raison que je ne devais pas employer ma jeunesse et ma santé à faire des voyages purement instructifs. Selon eux, il était préférable de concilier mon goût pour les voyages avec le soin de mon avenir. Enfin ils me décidèrent à attendre au ministère des affaires étrangères lorganisation de quelque mission lointaine à laquelle je pourrais me faire attacher. Je me rendis à leurs conseils.

Jattendis quelque temps. Il fut dabord question de menvoyer au consulat dAlexandrie en qualité délève consul ; puis ensuite à un poste dattaché libre à lambassade de Naples, mais cétait là de trop petits morceaux pour un appétit comme le mien et je mabstins encore. Enfin vers le mois de janvier 1841, je sus que M. de Jancigny devait partir pour une mission politique et commerciale dans les mers de la Chine et quil devait parcourir larchipel Indien et revenir par lHindoustan. Cette fois je navais plus rien à désirer. Je connaissais depuis longtemps M. de Jancigny et il voulut bien, avec lapprobation de M. Guizot, 42madjoindre à sa mission en qualité dattaché libre. Je devais suivre M. de Jancigny dans toutes ses pérégrinations ; je devais être défrayé sur les bâtiments de lÉtat sur lesquels il aurait passage. À terre enfin, je devais me suffire avec mes ressources privées.

Je passai lhiver à méquiper et, en avril 1841, je quittai Paris pour aller à Brest préparer les logements de la mission à bord de la frégate lÉrigone sur laquelle nous devions prendre passage pour la Chine. Cétait à la fois un surnumérariat et un beau voyage que je faisais. Je partis enchanté pour ma destination. Javais 21 ans, une vigoureuse santé, deux choses également précieuses pour ces entreprises.

Je fis tout le voyage avec M. de Jancigny, et au mois de mai 1842, à la suite des conférences que ce dernier avait eues avec les mandarins de Canton, il menvoya porter des dépêches en France où je restai, dans lespoir de me faire attacher à lambassade que le gouvernement préparait alors pour la Chine. En 1843, je fus en effet nommé attaché payé à cette nouvelle mission et je partis aussi joyeux quen 1841 pour ce lointain voyage.

Après avoir suivi lambassade dans toutes ses relâches, M. de Lagrenée1 me fit lhonneur de me choisir pour porter à Paris les dépêches relatives aux négociations entamées avec le sultan de larchipel Soulou2. À mon retour en France, M. Guizot voulait me renvoyer en Chine pour la troisième fois afin dy rejoindre lambassade, mais javoue quaprès deux voyages aussi longs et fatigants javais un immense besoin de repos. Dailleurs ce voyage eût été sans utilité puisque lambassade se trouvait dans lInde en ce moment et opérait son retour en Europe. Je priai donc M. le ministre des Affaires étrangères de vouloir maccorder un congé avant de mappeler à un autre poste. Avec une bienveillance que je ne puis oublier, M. Guizot maccorda ces faveurs et je me hâtai daller rejoindre ma famille que jai fini par ne plus quitter.

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La rédaction de ces deux voyages offrait quelques difficultés. En effet, si je prenais le parti de faire une relation distincte pour chacun deux, je mimposais à fatiguer le lecteur par la répétition des mêmes détails. Si au contraire je ne faisais quune seule relation pour les deux expéditions, je devais être nécessairement amené à supprimer beaucoup de notes recueillies avec soin sur les lieux mêmes et cette résolution eût diminué lintérêt de mon œuvre. Je me décidai donc à ne produire que la relation de mon deuxième voyage en me réservant toutefois dintercaler, quand je le jugerais opportun, les documents et incidents de mon premier voyage.

Depuis longtemps déjà jaurais dû produire ce travail que javais achevé dans les années qui ont suivi mon retour. Mais je fus distrait de ce soin par des préoccupations diverses.

Les personnes qui parcourront ces pages voudront bien ne pas attendre de moi des détails scientifiques ni un style élégant. Jai voyagé en jeune homme. Jai vu avec les yeux dun homme du monde. Jai écrit sans prétention. Si on trouve dans ce récit quelque intérêt mon ambition sera satisfaite.

Pommard 20 Août 1855

Marey Monge3

1 « Le titre denvoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire fut donné à M. Théodose de Lagrenée qui signa un traité le 24 octobre 1844 à lembouchure de la rivière de Canton, à Whampoa, à bord de la corvette française lArchimède » (Henri Cordier, La mission Dubois de Jancigny, op. cit., p. 103).

2 Larchipel de Soulou (Sulu) sétend de lextrémité sud-ouest de Mindanao à lextrémité nord-est de Bornéo ; il est baigné au nord par la mer de Mindoro et au sud par celle de Célèbes. Il se compose denviron 60 îles dont la plus grande, Basilan, « est quelquefois comprise dans les Philippines » (Dictionnaire géographique universel, Paris, A. J. Kilian, Ch. Picquet, 1823-1833, 10 vol., t. 9, p. 393). De nos jours, Basilan fait partie des Philippines.

3 Lauteur écrit son nom sans tiret. Nous avons respecté son choix dans son texte, mais nous nous sommes conformé à lusage actuel dans nos notes et nos commentaires.