Variantes
- Publication type: Book chapter
- Book: Œuvres complètes. Tome V
- Pages: 843 to 843
- Collection: Library of Twentieth-Century Literature, n° 25
NAUMACHIE
Notice
Ce poème, ou plus exactement cette ébauche d’un poème supposé, n’est pas daté.
Il a été publié pour la première fois dans le catalogue de l’Expojarrysition.
Michel Arrivé l’avait repris en tant que texte en relation avec Ubu enchaîné du fait de sa thématique voisine, car on y retrouve les argousins et les forçats fauchant le grand pré. Mais si ce lien est structural, on ne peut affirmer qu’il soit chronologique.
La disposition des lignes de ce texte ressemble à celle de vers libres.
Un manuscrit autographe de Jarry donne comme étant en préparation des poèmes sous le titre de Navigations dans le miroir. Sur un autre encore, une table des matières intitulée Navigations comporte onze titres1. Les esquisses des quatre premiers poèmes sont en vers libres analogues à ceux de Naumachie. Le dernier titre : Les boulets déramés, et son prolongement sur la ligne suivante avec un décalage, Le goupillon à 9 queues, rappellent deux des thèmes de ce poème.
Les boulets « libres » nous paraissent à comprendre en référence aux boulets déramés. Les boulets ramés au xixe siècle étaient deux boulets ou demis boulets reliés par une barre, et tirés par le même canon : ils servaient à couper les cordages, déchirer la voilure, abattre le gréement, et faucher les hommes sur le pont. Déramer est un néologisme de Jarry, car ce verbe s’employait ordinairement dans le sens d’enlever les branchages des tablettes où l’on élevait les cocons de vers à soie.
830Dans le monde romain, les naumachies (« combat naval » en grec) étaient des spectacles représentant une bataille navale, exceptionnels car donnés en grandeur nature.
L’argousin est un bas officier des galères (le mot dériverait de l’espagnol alguazil selon le Littré, lui-même dérivé de l’arabe), et se trouve chez Rabelais, sous la forme algouzan au chap. xix du Cinquième livre, « Quelles contenences eurent Panurge et frère Jean pendant la tempeste ». C’est dans ce même chapitre que l’on rencontre le mot escantoula : « Mousse, ho, de par tous les diables, guarde de l’escantoula2 ». Son sens est donné en note : « Chambre de l’argousin ou chef de la chiourme ».
Le goupillon était à l’origine une queue de goupil. Un glossaire de la langue de Rabelais l’explique : « Goulpil (vulpes), renard ; dont on a fait goupillon, image assez exacte de la queue du renard, et, probablement aussi, deguobiller, ce qui revient à écorcher le renard3 ». On reconnaît là quelques métaphores obsédantes de Jarry, et plus particulièrement celle du silence des cloches dont le batail (le battant) est fait d’une queue de renard, qui provient de Gargantua (XIX) et du Cinquième livre (XXVI), et se retrouve notamment dans le Chœur des Hiboux de L’Amour en visites (IX)4.
Mais ici le goupillon est condensé avec une autre figure animale : le chat à neuf queues (cat-o’-nine tails), un martinet à nœuds employé dans la marine anglaise. Ce fouet « fait silence », c’est-à-dire fait taire les rameurs. Écrit est plus frappant que verse, car ce mot évoque l’image d’inscriptions sur leurs dos.
Quant au gazouillis, Michel Arrivé considérait que c’était la musique des forçats ayant un mirliton en guise de bâillon dans la scène finale d’Ubu enchaîné5. Pour notre part, il nous paraît à rapporter aux « boulets libres » et renvoyer, par antiphrase, au bruit des boulets, dont il sentent passer le vent. Dans Ubu enchaîné, il est d’ailleurs question de boulets et de tirs de canons. La « forêt de la galère » pourrait être celle des mâts et voilures, où volent ces étranges oiseaux.
831Un texte suit ce poème sur le même feuillet, mais il semble n’avoir aucun lien avec lui, et relever de la prose :
La Morale en Paroles
À force de canailleries, il arrivait à faire dans le monde
la figure d’un honnête homme
Il ne prenait point la femme de son voisin mais comme c’était un sale gosse, il faisait pipi dedans6.
Éditions
Alfred Jarry, OC I, p. 463.
Alfred Jarry, OB, « Poèmes de la Revue Blanche et autres… », p. 871.
Manuscrit
Naumachie, manuscrit inédit. Une page au crayon. [Collection Loize], recopié sous le no 11 dans l’Expojarrysition, dans CCP, « Catalogue de l’Expojarrysition », et présenté par Jean-Hugues Sainmont, 15 Clinamen 80 E.P. [6 avril 1953], no 10, p. 12.
832NAUMACHIE
L’argousin, devant l’escantoula,
De son goupillon à neuf queues sur leur dos (verse) [sic] écrit le silence
Pour qu’on fasse place au seul gazouillis dans la forêt de la galère des boulets libres
1 Ils ont été reproduits dans Alfred Jarry, La Revanche de la nuit, éd. Maurice Saillet, 1949, p. 10-11.
2 Œuvres de F. Rabelais, nouvelle édition, par L. Jacob, bibliophile, Charpentier, 1841, p. 376.
3 Œuvres de F. Rabelais, éd. François-Henri-Stanislas de l’Aulnaye, Louis Janet, 1823, t. 3, p. 255.
4 Alain Chevrier, « Des vers cachés dans L’Amour en visites. Prose rythmée et prose rimée chez Jarry », EA, nos119-120, 2007, p. 70.
5 OC I, p. 1178.
6 « Cette dernière phrase est rayée » ajoute J. H. Sainmont.
- CLIL theme: 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
- ISBN: 978-2-406-08506-5
- EAN: 9782406085065
- ISSN: 2258-8833
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-08506-5.p.0843
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 01-02-2020
- Language: French