Avant-propos
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Hippolyte (1573) La Troade (1579)
- Pages : 7 à 9
- Collection : Classiques Jaunes, n° 694
- Série : Littératures francophones
Chapitre d’ouvrage : 1/20 Suivant
AVANT-PROPOS
Les deux tragédies réunies dans ce volume présentent des affinités, mais aussi de notables différences, et c’est là que réside tout l’intérêt de ce rapprochement.
Les deux pièces ont en commun la nature de leurs sujets, empruntés aux légendes grecques anciennes, traités auparavant à la fois par Euripide et par Sénèque. Si, dans Hippolyte (1573), l’influence de Sénèque est prédominante, elle n’est pas la seule dans La Troade (1579), où la source grecque est importante, puisque Garnier, tout en empruntant aux Troades de Sénèque, s’inspire également des Troyennes et de l’Hécube d’Euripide, selon le principe bien connu de la contamination.
Les personnages féminins (Phèdre et la nourrice dans la première pièce, la reine Hécube et les nombreuses captives troyennes dans la seconde) occupent une place de premier plan. Hécube, exemple du malheur accompli, reste sur la scène d’un bout à l’autre du drame. Cassandre, Andromaque, Polyxène se succèdent, offrant au spectateur une galerie de personnages émouvants et attachants, en raison de leur infortune.
D’autre part, le caractère élégiaque de ces deux tragédies est fortement marqué, ce qui est, on le sait, le propre de la plupart des tragédies de cette époque. Elles ont en outre été publiées dans la même décennie.
Elles présentent l’une et l’autre des caractères rhétoriques très proches (figures telles que l’hypotypose, la répétition, 8l’imprécation, la comparaison, pour ne citer que quelques-unes d’entre elles) ; elles sont écrites en un style soutenu, noble, sublime et véhément, qui n’est pas sans rapport avec le genre épique. La couleur poétique et lyrique du texte se manifeste constamment, atteignant son apogée dans les parties chorales. Il convient d’ailleurs de prendre le terme de lyrisme au sens antique (strophes prononcées ou chantées par un chœur, dont la voix, les mouvements, voire les pas de danse, peuvent s’accompagner de musique, du son de la lyre notamment), ce qui n’exclut pas de donner au mot également son acception moderne, celle de l’expression vive et animée des sentiments.
Mais la confrontation de ces deux pièces permet aussi de saisir entre elles d’importantes différences. Hippolyte est une tragédie privée et amoureuse, dont les préoccupations politiques ne sont pas totalement absentes, quoique discrètes, et qui a comme objet principal la représentation de la fureur amoureuse, destructrice à tous égards, tandis que La Troade met en scène les horreurs de la guerre, la cruauté des vainqueurs à l’égard des vaincus. Garnier, à travers le destin ambigu d’Astyanax et l’allusion implicite aux origines légendaires de la Gaule, lance un appel voilé à la reconstruction de la France, déchirée par les guerres civiles.
Des différences apparaissent encore dans la dramaturgie des deux tragédies. Hippolyte se construit autour de la passion dévorante et criminelle de Phèdre, qui, selon les ordres d’un destin implacable (du moins en apparence), va provoquer la mort de l’innocent héros Hippolyte. Dans La Troade, c’est la ruine de tout un peuple que le poète représente, et le tragique (ainsi que le pathétique) repose sur l’accumulation incessante et accélérée des infortunes, jusqu’à un paroxysme toujours surpassé dans l’horreur et la douleur.
9D’autre part, les deux pièces posent des problèmes métaphysiques et religieux. Ces derniers semblent très complexes, voire obscurs, dans la première, tandis que, dans la seconde, au-delà du plan des funestes péripéties, se profile plus nettement la grave question de la Providence, de la justice et du gouvernement divins.
Chacune des deux tragédies, enfin, illustre parfaitement la variété et l’évolution du talent de Robert Garnier. Si l’Hippolyte se signale encore par un certain « statisme » rhétorique et dramatique, La Troade, elle, présente une plus grande diversité de formes scéniques et de dialogues, d’une vivacité accrue, et un dynamisme efficace du point de vue théâtral. La véhémence du style, saluée par Ronsard, lequel évoque Eschyle dans un poème liminaire, fait de La Troade un des sommets de la tragédie humaniste.
- Thème CLIL : 3439 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moderne (<1799)
- ISBN : 978-2-406-09258-2
- EAN : 9782406092582
- ISSN : 2417-6400
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09258-2.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 28/05/2019
- Langue : Français