Préface
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Le Théâtre italien. Tome I
- Pages : 7 à 8
- Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 30
Chapitre d’ouvrage : 1/19 Suivant
Préface
Dès lors que les troupes italiennes ont circulé en France et dans toute l’Europe, les personnages et l’univers de la commedia dell’arte ont non seulement fasciné les spectateurs, mais durablement nourri leur sensibilité et leur rêverie, allant jusqu’à leur fournir le matériau d’une véritable « mythologie, dans un climat agréablement pathétique et humoristique1 ». C’est dire à quel point l’histoire de la commedia dell’arte déborde, comme le remarquait déjà George Sand2, l’histoire proprement dite de la vie théâtrale pour nous faire accéder à un phénomène général de culture et d’interpénétration des cultures nationales.
Il a d’abord fallu que les spectacles italiens de l’arte viennent à la rencontre du public d’outremonts. Cela se réalisa chez nous principalement sous le règne de Louis xiv, quand les Italiens, qui se contentaient de passages ou de séjours temporaires en France depuis le milieu du xvie siècle, se furent installés à Paris de manière stable. Ils jouèrent là, en italien, leurs pièces all’improvviso. En 1681, probablement pour rameuter un public qui désertait le théâtre qu’ils occupaient désormais seuls, ils eurent l’idée de demander à des dramaturges français de leur écrire des scènes enchâssées dans le spectacle italien, puis des pièces entières en français, destinées évidemment aux tipi fissi de la troupe. Après le renvoi de la troupe en 1697, l’Arlequin Évariste Gherardi publia une anthologie de cinquante-cinq de ces scènes ou pièces, qu’on peut bien dire franco-italiennes, dans son Théâtre italien de 1700.
Le Théâtre italien de Gherardi constitue ainsi un des témoignages les plus solides et les plus passionnants de la rencontre entre la tradition italienne de la commedia dell’arte et la vie théâtrale française.
Pour quelles mystérieuses raisons ce Recueil n’a-t-il pratiquement pas bénéficié de réédition depuis le milieu du xviiie siècle ? Les modernes
auraient-ils le goût plus étriqué que nos classiques ? Le chrétien Pascal connaît les types italiens et consacre un fragment à Scaramouche « qui ne pense qu’à une chose » et au Docteur « qui parle un quart d’heure après avoir tout dit3 » ; l’austère La Bruyère mentionne le « théâtre d’Arlequin4 ». Molière partagea son théâtre avec la troupe italienne de 1662 à 1673 ; les deux compagnies jouaient en alternance et l’on sait tout ce que le comédien français apprit des acteurs italiens et de Scaramouche en particulier. « Combien je ris en voyant les Italiens », affirme un personnage de La Fontaine5 : « je laisse à la porte ma raison et mon argent, et je ris après tout mon soûl ». Racine faillit, dit-on, porter ses Plaideurs à la troupe italienne ; et il supporta d’assez bonne grâce les parodies que celle-ci produisit de ses tragédies. Boileau lui-même avouait, au témoignage de Brossette, avoir « trouvé de fort bonnes choses » dans le théâtre italien, plus gaies en tout cas que les « pauvretés qui font pitié » que représentait le théâtre français6.
De fait, qui se plonge dans le Recueil de Gherardi est assez vite conquis par la liberté, la gaieté, la fantaisie, le sens extraordinaire du théâtre et de la scène qui marquent les pièces françaises accommodées au théâtre italien. Oui, il faut décidément faire mieux connaître et mieux goûter ces comédies !
Nous entreprenons donc l’édition complète du Théâtre italien de Gherardi, de ses six volumes, selon l’exacte distribution des comédies dans l’édition originale de 1700. À la lecture du présent volume, le lecteur pourra apprécier l’intérêt et la nécessité même de cette publication intégrale. On lui souhaite beaucoup de plaisir !
Charles Mazouer
1 Vito Pandolfi, Histoire du théâtre, Verviers, 1968, t. ii, p. 96.
2 En préface au livre de son fils Maurice : Masques et bouffons (comédie italienne), textes et dessins par Maurice Sand, Paris, 1862, 2 vol.
3 Pensées, éd. Philippe Sellier, 1991, fragment 483 (Classiques Garnier).
4 Les Caractères, « De la cour », 63.
5 Ariste, dans Les Amours de Psyché et de Cupidon, éd. Michel Jeanneret, Le Livre de poche classique, 1991, p. 123.
6 Claude Brossette, Bolaeana. Lettres familières de Boileau-Despréaux et Brossette, t. iii, Lyon, 1770.
- Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
- ISBN : 978-2-8124-3190-6
- EAN : 9782812431906
- ISSN : 2261-575X
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3190-6.p.0007
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 10/06/2016
- Langue : Français