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Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Le Théâtre italien. Tome I
  • Pages : 7 à 8
  • Collection : Bibliothèque du théâtre français, n° 30
  • Thème CLIL : 3622 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Théâtre
  • EAN : 9782812431906
  • ISBN : 978-2-8124-3190-6
  • ISSN : 2261-575X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-3190-6.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 10/06/2016
  • Langue : Français
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Préface

Dès lors que les troupes italiennes ont circulé en France et dans toute lEurope, les personnages et lunivers de la commedia dellarte ont non seulement fasciné les spectateurs, mais durablement nourri leur sensibilité et leur rêverie, allant jusquà leur fournir le matériau dune véritable « mythologie, dans un climat agréablement pathétique et humoristique1 ». Cest dire à quel point lhistoire de la commedia dellarte déborde, comme le remarquait déjà George Sand2, lhistoire proprement dite de la vie théâtrale pour nous faire accéder à un phénomène général de culture et dinterpénétration des cultures nationales.

Il a dabord fallu que les spectacles italiens de larte viennent à la rencontre du public doutremonts. Cela se réalisa chez nous principalement sous le règne de Louis xiv, quand les Italiens, qui se contentaient de passages ou de séjours temporaires en France depuis le milieu du xvie siècle, se furent installés à Paris de manière stable. Ils jouèrent là, en italien, leurs pièces allimprovviso. En 1681, probablement pour rameuter un public qui désertait le théâtre quils occupaient désormais seuls, ils eurent lidée de demander à des dramaturges français de leur écrire des scènes enchâssées dans le spectacle italien, puis des pièces entières en français, destinées évidemment aux tipi fissi de la troupe. Après le renvoi de la troupe en 1697, lArlequin Évariste Gherardi publia une anthologie de cinquante-cinq de ces scènes ou pièces, quon peut bien dire franco-italiennes, dans son Théâtre italien de 1700.

Le Théâtre italien de Gherardi constitue ainsi un des témoignages les plus solides et les plus passionnants de la rencontre entre la tradition italienne de la commedia dellarte et la vie théâtrale française.

Pour quelles mystérieuses raisons ce Recueil na-t-il pratiquement pas bénéficié de réédition depuis le milieu du xviiie siècle ? Les modernes

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auraient-ils le goût plus étriqué que nos classiques ? Le chrétien Pascal connaît les types italiens et consacre un fragment à Scaramouche « qui ne pense quà une chose » et au Docteur « qui parle un quart dheure après avoir tout dit3 » ; laustère La Bruyère mentionne le « théâtre dArlequin4 ». Molière partagea son théâtre avec la troupe italienne de 1662 à 1673 ; les deux compagnies jouaient en alternance et lon sait tout ce que le comédien français apprit des acteurs italiens et de Scaramouche en particulier. « Combien je ris en voyant les Italiens », affirme un personnage de La Fontaine5 : « je laisse à la porte ma raison et mon argent, et je ris après tout mon soûl ». Racine faillit, dit-on, porter ses Plaideurs à la troupe italienne ; et il supporta dassez bonne grâce les parodies que celle-ci produisit de ses tragédies. Boileau lui-même avouait, au témoignage de Brossette, avoir « trouvé de fort bonnes choses » dans le théâtre italien, plus gaies en tout cas que les « pauvretés qui font pitié » que représentait le théâtre français6.

De fait, qui se plonge dans le Recueil de Gherardi est assez vite conquis par la liberté, la gaieté, la fantaisie, le sens extraordinaire du théâtre et de la scène qui marquent les pièces françaises accommodées au théâtre italien. Oui, il faut décidément faire mieux connaître et mieux goûter ces comédies !

Nous entreprenons donc lédition complète du Théâtre italien de Gherardi, de ses six volumes, selon lexacte distribution des comédies dans lédition originale de 1700. À la lecture du présent volume, le lecteur pourra apprécier lintérêt et la nécessité même de cette publication intégrale. On lui souhaite beaucoup de plaisir !

Charles Mazouer

1 Vito Pandolfi, Histoire du théâtre, Verviers, 1968, t. ii, p. 96.

2 En préface au livre de son fils Maurice : Masques et bouffons (comédie italienne), textes et dessins par Maurice Sand, Paris, 1862, 2 vol.

3 Pensées, éd. Philippe Sellier, 1991, fragment 483 (Classiques Garnier).

4 Les Caractères, « De la cour », 63.

5 Ariste, dans Les Amours de Psyché et de Cupidon, éd. Michel Jeanneret, Le Livre de poche classique, 1991, p. 123.

6 Claude Brossette, Bolaeana. Lettres familières de Boileau-Despréaux et Brossette, t. iii, Lyon, 1770.