Présentation du dossier L'économie des plateformes, entre rente et communs
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Études digitales
2019 – 2, n° 8. Les plateformes - Auteurs : Cormerais (Franck), Béraud (Philippe)
- Pages : 15 à 26
- Revue : Études digitales
Présentation du dossier
L’économie des plateformes, entre rente et communs
Des marchés bifaces aux plateformes multifaces
La dynamique des plateformes suscite une littérature abondante, aussi bien sur le plan factuel qu’analytique, associant les multiples aspects du développement des grandes entreprises du numérique et le décryptage des modèles économiques et managériaux sur lesquels repose leur expansion. De nombreuses contributions cherchent à définir la nature des plateformes, leurs fonctions, les types d’innovations qu’elles mettent en œuvre, leurs relations avec le marché et le hors-marché, ou encore, les effets induits par leur déploiement sur le travail et l’organisation sociale1. Mais la caractéristique commune, identifiée de manière plurielle dans les ouvrages et les articles de spécialité qui leur sont consacrés, réside bien dans la capacité des différentes plateformes numériques à s’appuyer sur des « mécanismes multifaces de coordination algorithmique » (Casilli), permettant d’extraire et de traiter des données pour les valoriser dans des écosystèmes très larges et organisés comme des places de marché. Le modèle des plateformes multifaces générant de la valeur à partir de l’exploitation des données relaie ainsi le modèle des industries extractives de l’énergie et des matières premières et celui de la grande industrie érigée sur la mise en valeur du travail, comme moteur du développement du capitalisme du xxie siècle2.
Les taxinomies font apparaître différents types de plateformes numériques et de modèles économiques, depuis les moteurs de recherche dont la valorisation s’opère à travers des dispositifs de référencement, comme 16Google et Yahoo, les plateformes spécialisées dans l’e-commerce, telles Amazon et Alibaba, ou la distribution de contenus audiovisuels, à l’image de Deezer, YouTube et Netflix3. Les réseaux sociaux généralistes ou spécialisés y occupent également une place prépondérante, offrant des supports multidimensionnels d’expression et de communication, comme Facebook, Twitter et LinkedIn, de même que les plateformes dites collaboratives, telles Uber et AirBnB, qui se définissent par leurs fonctions d’intermédiation, de courtage, en mettant en relation, contre commission, des clients et des fournisseurs de biens ou services dans une logique de transactions entre pairs4. S’y ajoutent les plateformes de financement participatif (crowdfunding) par le don ou par le prêt (crowdlending), à l’exemple de Kickstarter ou KissKissBankBank, ou encore, les plateformes d’innovation, comme Innocentive, assurant à partir du crowdsourcing l’articulation entre les besoins des entreprises et l’expertise des internautes5.
Des organisations-entreprises
aux organisations-marchés
L’économie des plateformes fait émerger de nombreux questionnements sur les problèmes d’organisation et de régulation des activités, sur la nature des marchés et le pouvoir de contrôle des plateformes, sur la constitution de nouvelles relations sociales dont les diverses formes du digital labor s’affirment comme la référence6, ou encore, sur la propension de ces plateformes collaboratives à vouloir échapper à la contribution fiscale et aux cadres réglementaires en général. Ces évolutions apparaissent d’autant plus prédatrices que les externalités 17de réseau, la capacité d’investissement et la croissance externe assurent à ces plateformes une position dominante sur des marchés où « le gagnant prend tout », battant en brèche les régulations que les institutions nationales ou supranationales tentent d’imposer. Les plateformes collaboratives apparaissent ainsi comme des organisations-marchés qui, dans le domaine de la coordination des transactions comme dans celui de l’aménagement du travail, tournent le dos aux principes de la coopération et de l’économie contributive7.
D’un point de vue micro ou méso-économique, la dynamique des plateformes peut se lire comme une disruption des formes d’organisation de l’entreprise, de la branche et des métiers, combinant désintermédiation et réintermédiation à leur profit des processus d’échange et de production. Mais le phénomène de plateformisation ne renvoie pas seulement aux modèles d’affaires des pure players de l’économie numérique. Il s’affirme comme une forme d’organisation des chaînes de valeur dont le déploiement s’impose de manière irrésistible dans le reste des entreprises et de l’économie, et qui concerne aussi l’internationalisation des activités. La plateformisation devient ainsi synonyme d’une véritable « économie mondiale de plateforme » (Global Platform Economy) qui contribue à modifier les termes de la division internationale du travail8.
En adoptant cette perspective et en se plaçant cette fois d’un point de vue macroéconomique, le phénomène de plateformisation se présente comme la dernière mutation en date du capitalisme tardif9, lequel se divise entre une période de croissance importante dans les pays de l’OCDE à partir de 1945, et une période de ralentissement, ponctuée de crises, depuis 1973, et marquée sur le plan systémique par la financiarisation croissante de l’activité économique comme le principal moyen d’offrir de nouvelles opportunités de profit aux investisseurs. À l’instar de la bulle Internet du début des années 2000, l’économie des plateformes prolonge l’esprit du néolibéralisme au domaine du numérique, dans l’intention de voir s’ouvrir un nouveau cycle d’accumulation. Bien plus, elle projette, à travers l’automatisation croissante des activités humaines 18et la valorisation de marchandises essentiellement immatérielles, de s’affranchir des deux principales contradictions qui font de plus en plus obstacle à l’extension du capital : le travail et la nature10.
Primat de la valeur actionnariale
et déconstruction de l’entreprise managériale
Cette évolution se manifeste sur le plan formel, par une déconstruction du modèle de l’entreprise traditionnelle. Les plateformes numériques apparaissent comme des organisations hybrides entre marchés et entreprises, remettant en cause les catégories instituées de la théorie économique. Elles s’affirment à la fois en rupture avec le modèle de l’entreprise du capitalisme managérial, caractérisé par sa fonction d’intégration productive, et avec le modèle du marché comme système de régulation par les prix et d’allocation des ressources. Elles se confrontent également à la théorie néoinstitutionnaliste, où la fonction discriminante de la firme à la Coase-Williamson11 conditionne la diminution des coûts de transaction. La contractualisation généralisée des échanges propre à l’économie de plateforme remet en cause l’utilité fonctionnelle de l’entreprise en tant qu’organisation, où la création de valeur résulte des combinaisons internes de facteurs de production et des effets conjugués de l’investissement et de l’innovation.
Si l’on place en perspective ces phénomènes avec les évolutions du capitalisme tardif, la remise en cause des fonctions respectives de l’entreprise et du marché par l’économie de plateforme ne fait qu’étendre les processus de fragmentation et d’externalisation des chaînes de valeur qui ont marqué l’activité économique depuis l’essoufflement du régime de croissance des décennies d’après-guerre, la fin du compromis fordiste et la recherche d’avantages compétitifs par l’internationalisation. Mais le facteur principal de déconstruction de l’entreprise comme combinaison 19d’actifs productifs demeure la domination de l’économie financière sur l’économie réelle, avec pour incitation permanente la capacité à créer de la valeur actionnariale. Comme le soulignent Segrestin et Hatchuel, la dynamique de l’activité économique passe ainsi d’une « d’une politique de retain & invest exigée par les technologies innovantes », symbole de la gestion d’entreprise à l’ère de la production, à « une stratégie de downsize & distribute pour assurer des rentabilités suffisantes aux actionnaires12 ».
La plateformisation généralisée, déployant son modèle d’organisations-places de marché au détriment de l’entreprise intégrée, a donc pour origine et moteur les facteurs d’une financiarisation sans limites, tels la libération du compte de capital, la titrisation des actifs sous de multiples formes, les opérations de croissance externe fondées sur les effets de levier et la profitabilité à court terme, ainsi que le renforcement du pouvoir actionnarial dans la distribution salaires-profits. À cet égard, la théorie de l’agence rend bien compte de la nature et des formes d’organisation des plateformes, en formalisant l’approche financière de l’entreprise. Comme le montrent Jensen et Meckling dans leur article fondateur, l’entreprise n’est plus une organisation hiérarchisée orientée vers l’activité productive, elle apparaît comme un ensemble de relations contractuelles, un « nœud de contrats », la réduisant ainsi à une « fiction légale » dont l’objectif principal consiste à générer de la valeur pour les actionnaires13. Dans le prolongement de cette interprétation, le marché remplace l’institution dans l’économie de plateforme, substituant contractualisation, externalisation et contrôle à distance à l’entreprise qui internalise et combine les facteurs de production, avec un conflit de responsabilité vis-à-vis du travail, intégré dans un cas, et placé en dehors des normes de l’organisation et tâcheronnisé dans l’autre14.
20Des dispositifs de capture
de l’innovation ouverte
Les plateformes mettent en œuvre des stratégies qui peuvent différer sur des points importants : recherche de compétitivité ou de profitabilité, choix de marchés et cibles visées, nature des activités intermédiées, ampleur des externalités dont elles bénéficient15. Mais leur caractéristique commune consiste à s’affirmer comme un appareil de capture de la valeur et de l’innovation. La capacité des plateformes à coordonner leurs activités se traduit par la juxtaposition de différentes catégories d’acteurs, usagers, développeurs et entreprises, qui forment des écosystèmes à l’intérieur desquels les plateformes peuvent déléguer à des réseaux articulés autour d’elles la production de valeur et la création/diffusion de l’innovation.
En s’appuyant sur les effets de réseau pour étendre, à coût marginal faible ou nul, le nombre de leurs contractants de toute nature, les plateformes mettent à profit les nœuds de contrats de leurs écosystèmes pour extraire la valeur des données, prélever des rentes de marché, tout en maintenant un rythme soutenu d’innovation.
Non seulement il n’y a pas ici de contradiction entre la capture de rente et l’innovation, mais celle-ci nourrit celle-là et réciproquement, précisément parce que l’innovation est en grande partie à l’origine des externalités de réseau qui alimentent la croissance des revenus des plateformes, et parce que la contractualisation et les effets de réseau dont elles bénéficient constituent des sources illimitées d’innovation ouverte16, à l’intérieur d’écosystèmes dont le développement apparaît lui-même sans limites. Si les contraintes technologiques, financières ou commerciales propres aux différentes plateformes constituent bien des barrières à l’entrée pour des concurrents potentiels, elles ne ralentissent pas l’innovation au sein même de leurs écosystèmes qui continuent à s’étendre à la mesure de l’attractivité que chacun d’eux exerce sur les communautés d’internautes, de développeurs et autres catégories d’experts.
21Position dominante et économie de rente
Pour autant, la valorisation des données, les diverses formes de digital labor et le pouvoir de marché des plateformes en font des organisations au caractère ambivalent. En contrepartie des services toujours plus innovants et plus attractifs et additifs qu’elles fournissent, les plateformes prélèvent un véritable tribut sur le reste de l’économie : les utilisateurs et les consommateurs qui fournissent leurs données, les entreprises qui affichent leur publicité ou celles qui font partie de leurs places de marché, les différentes catégories de travailleurs externalisés, ou encore, les États par l’intermédiaire des stratégies de défection fiscale que les plateformes s’emploient à déployer.
La position dominante des grandes plateformes numériques, à l’origine de cette économie tributaire, est déterminée non seulement par leur capacité à étendre leurs écosystèmes, par l’innovation, les effets de réseau et la contractualisation généralisée, mais également par la concentration des activités qui résulte de la dynamique des externalités. Cette concentration peut prendre plusieurs formes : technologique (Google, Apple, AWS), commerciale (Amazon, Alibaba), territorialisée (Uber) ou déterritorialisée (Facebook), et bien entendu financière. Sur des marchés où « le gagnant prend tout », des plateformes comme Google ou Facebook en viennent à ériger des positions de monopole qui apparaissent discriminantes aussi bien pour les utilisateurs, les entreprises et les pouvoirs publics.
Les institutions chargées d’administrer le droit de la concurrence cherchent à réguler de différentes manières les abus de position dominante des grandes plateformes numériques, mais ces réponses paraissent insuffisantes. D’une part, les moyens financiers de ces plateformes leur garantissent une couverture quasi illimitée contre les décisions de nature pécuniaire prises à leur encontre. D’autre part, et c’est certainement le facteur le plus déterminant, l’attractivité des services fournis par les plateformes et le caractère de plus en plus insubstituable de leurs usages constituent vraisemblablement leur meilleure garantie contre les conséquences des dispositions réglementaires et des poursuites auxquelles elles s’exposent.
Cette position dominante représente, du point de vue même de la théorie économique libérale, une entrave majeure au fonctionnement 22des marchés et à l’allocation des ressources, érigeant des barrières insurmontables pour de nouveaux entrants potentiels. La capacité des grandes plateformes de bénéficier d’externalités alimentées de manière continue par les effets de réseau tend à rendre ce processus de domination cumulatif et auto-entretenu. La position hégémonique de Google dans les moteurs de recherche constitue, de ce point de vue, une situation exemplaire d’exclusion de toute véritable alternative. Reste la menace ultime du démantèlement de l’organisation, à l’image des cas de la Standard Oil et d’ATT au début et à la fin du xxe siècle. Mais le découpage du périmètre des plateformes numériques, en raison de la nature intégrée et mondialisée de leurs activités, s’affirme beaucoup plus complexe que dans les deux cas précédents, mais aussi plus sensible sur le plan politique et institutionnel.
Les plateformes numériques devraient donc continuer à prélever leur tribut sur le reste de l’économie. En ce sens, l’économie des plateformes, sous les traits des technologies numériques et de l’hypercapitalisme, nous ramène paradoxalement à des régimes de production bien antérieurs. À l’image des États hydrauliciens de l’Antiquité, les plateformes fournissent l’infrastructure et les services sur lesquels elles disposent d’un monopole de fait, en contrepartie des prélèvements effectués sur le travail et les ressources des communautés, constituées aujourd’hui par les utilisateurs, les entreprises et les États. Régime de production tributaire, mais aussi proto-industrialisation et économie informelle du Digital labor ou du Domestic system, tâcheronnisation, pouvoir féodal ou régalien de battre monnaie (le Libra de Facebook), telles semblent être les formes précapitalistes de l’hypercapitalisme numérique.
Les alternatives aux modèles économiques
des plateformes : communs et contribution
À l’image d’un certain nombre de contributions regroupées dans ce numéro de la revue (voir le sommaire infra), Il importe de s’interroger sur les alternatives crédibles opposables à l’économie des plateformes et au pouvoir de marché discrétionnaire déployé par les plus importantes 23d’entre elles. À cet égard, les travaux d’auteurs comme Michel Bauwens17 et Trebor Scholz18, recoupant en partie la recension critique effectuée par Antonio Casilli dans son dernier ouvrage19, complétée par la postface de Dominique Meda, ainsi que certaines des conclusions de Thomas Piketty20, apportent des éclairages intéressants sur les voies d’émancipation à explorer. Trois orientations principales peuvent être posées, concernant l’application des dispositions sociales jusque-là occultées par les entreprises du numérique, l’approche du platform cooperativism qui transgresse les fondements néolibéraux à l’origine de l’économie des plateformes et, proche de cette proposition, l’instauration de principes contributifs et de la propriété commune des plateformes, des innovations et des instruments de l’économie numérique.
Dans la première proposition, l’accent est mis sur l’importance des luttes sociales pour la reconnaissance des droits de toutes les catégories de travailleurs qui se trouvent placés dans une situation de dépendance ou de contrôle vis-à-vis des grandes plateformes numériques, à travers la requalification des relations contractuelles en salariat, la revalorisation des rémunérations et l’amélioration des conditions de travail. La seconde proposition privilégie la constitution d’un « coopérativisme de plateforme », en appliquant les principes du mouvement associatif et coopératif, favorisant ainsi la mutualisation du travail et la socialisation des actifs productifs issus de l’engagement des travailleurs du numérique et des usagers des plateformes. La troisième proposition s’inspire de l’organisation des communs et de l’économie de la contribution, avec pour référence le travail fondateur d’Elinor Ostrom. Cette proposition met en relief la transformation des acteurs de l’économie numérique en commoners, protégés par des faisceaux de droits liés au mode de gestion participative des plateformes, avec un partage des ressources informationnelles, une gouvernance collective et une administration concertée du bien commun constitué par les données.
Bien entendu, l’orthogonalité des dimensions globales et locales, bien intégrée par les grandes plateformes, implique que ces propositions 24puissent être déployées à l’échelle internationale, pour établir de nouvelles régulations, à l’image des travaux de l’OCDE sur la fiscalité des firmes multinationales. Il importe, à ce niveau, de favoriser la compatibilité entre commerce et travail, de s’opposer à la marchandisation des données et de refonder les relations de travail propres à l’économie numérique.
Le sommaire du numéro 8 d’Études digitales
Les articles du dossier sur « l’économie des plateformes numériques » s’articulent autour des différentes approches et questions que nous venons d’évoquer, ainsi que d’expériences concrètes posées comme alternatives à l’orientation néolibérale de la plateformisation. La contribution d’Annie Blandin et d’Elisabeth Lehagre, qui introduit le numéro, s’attache à montrer les avancées et les limites du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD). Les plateformes ont recours à des algorithmes de traitement pour optimiser leur modèle basé sur l’exploitation massive de données et la personnalisation des contenus. L’article montre que, si le RGPD s’attache à protéger les personnes faisant l’objet de décisions individuelles automatisées, l’exercice des droits, compliqué et inégal, doit composer avec la régulation des plateformes sur le fondement des principes de loyauté et de transparence.
L’article de Michel Renault s’intéresse aux dimensions morales du fonctionnement de l’économie dominée par la plateformisation. L’auteur s’applique à étudier ces dimensions à partir des représentations d’un « monde liquide » et d’une argumentation sur les concepts de « foule » et de « public ». De leur côté, Athina Karatzogianni et Jacob Matthews se livrent à l’analyse de la production idéologique liée aux plateformes numériques, dans le champ de l’économie collaborative. L’article distingue trois orientations idéologiques, la vision néolibérale, celle d’un capitalisme réformiste, et l’approche plus radicale du coopérativisme et des communs.
La contribution de Clément Morlat s’inscrit dans la perspective de l’économie contributive. L’auteur analyse l’articulation entre une comptabilité microéconomique (CARE-TDL), qui s’appuie sur la 25construction collective d’une nouvelle relation entre le capital et la préservation des écosystèmes, et une plateforme multi-acteurs (ePLANETe.Blue) encourageant la participation autour des critères et méthodes d’évaluation. L’auteur plaide pour l’association de ces deux outils, susceptible de fournir une information économique pertinente favorisant la gouvernance des communs.
En partant des stratégies d’innovation ouverte, Isabelle Liotard et Valérie Revest proposent une comparaison des modèles d’affaires de deux plateformes d’innovation, l’une privée et l’autre publique. L’article montre que la plateforme privée s’intéresse à la résolution rapide et à moindre coût des questions d’innovation des entreprises, alors que l’intermédiation assurée par la plateforme publique a pour objectif de susciter des travaux sur de grandes questions technologiques et sociétales. Pour sa part, Antoine Henry analyse le passage vers une organisation plateformisée, mis en œuvre par une communauté virtuelle de pratique, dans le cadre du secteur de l’énergie. L’auteur montre que cette forme d’auto-organisation contribue à répondre à la fois aux changements intervenant dans le secteur et aux enjeux de la transition énergétique.
La contribution d’Olivier Thuillas et Louis Wiart s’intéresse aux réponses des libraires, en France, face à la domination d’Amazon et de la Fnac dans la librairie en ligne. Les auteurs montrent que les propositions alternatives sont encore peu nombreuses et dispersées, combinant les sites de grosses librairies et une vingtaine de plateformes collectives. L’article souligne cependant que ces initiatives ont pour mérite de transposer dans le champ du numérique les valeurs de la librairie indépendante. De leur côté, Kevin Poperl et les coauteurs de l’article présentent un cas concret de coopérative européenne de mutualisation (CoopCycle), dans le domaine de la livraison où opèrent des plateformes numériques fondées sur l’intérêt privé et la tâcheronnisation. La contribution traite, dans un premier temps, du volet analytique de cette alternative, et dans un second temps, de la stratégie déployée par la plateforme coopérative pour exister face à ses concurrents. L’intention des auteurs consiste à souligner le caractère exemplaire de cette expérience, avec la volonté de favoriser des initiatives similaires dans le champ des Communs.
Notre « grand entretien » est consacré à Michel Bauwens, théoricien du pair à pair et fondateur de la Fondation P2P. Il s’est fait connaître par de nombreux travaux, consacrés à l’évaluation critique des technologies 26numériques, l’analyse des biens communs informationnels, l’intérêt de mesurer et comptabiliser autrement les ressources partagées, ou encore, l’interprétation du rôle du numérique dans les transitions économiques et sociétales.
Franck Cormerais
Philippe Béraud
1 Aurélien Acquier, « Retour vers le futur ? Le capitalisme de plateforme ou le retour du domestic system », Le Libellio d’AEGIS, Vol. 13, no 1, Printemps 2017, p. 87-100.
2 Nick Srnicek, Platform Capitalism, Polity Press, Cambridge UK, 2017.
3 Jacob Matthews, L’industrie musicale en France à l’aube du xxie siècle, L’Harmattan, Paris, 2012.
4 Anne-Marie Nicot, « Le modèle économique des plateformes : économie collaborative ou réorganisation des chaînes de valeur ? », La Revue des conditions de travail, no 6, septembre 2017, p. 48-58.
5 Isabelle Liotard et Valérie Revest, « Innocentive. Un modèle hybride d’innovation basé sur l’appel à la foule et l’Innovation Ouverte », dans Benjamin Coriat, Le retour des communs : la crise de l’idéologie propriétaire, Les Liens qui Libèrent, chap. 7, Paris, 2015.
6 Antonio A. Casilli, En attendant les robots, Seuil, Paris, 2019.
7 Eloi Laurent, L’impasse collaborative – Pour une véritable économie de la coopération, Les Liens qui Libèrent, Paris, 2018.
8 Vili Lehdonvirta and alii, « The Global Platform Economy : A New Offshoring Institution Enabling Emerging-Economy Microproviders », Journal of Management, Vol. 45 No 2, February 2019, 567–599.
9 Srnicek, ibid., chap. 1.
10 James O’Connor, « On capitalist accumulation and economic and ecological crisis », in James O’Connor, Natural causes, Guilford, New York, 1998.
11 Ronald H. Coase, The nature of the Firm, Economica, Volume 4, Issue 16, November 1937. Oliver Williamson, The Economic Institutions of Capitalism, The Free Press, 1985.
12 Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, Refonder l’entreprise, Seuil/La République des idées, Paris, 2012, p. 63. Cité par Casilli, ibid., p. 72-73.
13 Michael C. Jensen & William H. Meckling, « Theory of the Firm : Managerial Behavior, Agency Costs and Ownership Structure », Journal of Financial Economics, vol. 3, n o 4, 1976, p. 305-360.
14 Acquier, ibid., p. 93.
15 Cf. Feng Zhu & Marco Iansiti, « Why Some Platforms Thrive and Others Don’t », Havard Business Review, January-February 2019, p. 118-125.
16 Le concept d’innovation ouverte a été introduit à l’origine par Henry Chesbrough dans sa contribution de 2003 : Henry William Chesbrough, Open innovation : the new imperative for creating and profiting from technology, Harvard Business School Press, 2003.
17 Concernant les interprétations de Michel Bauwens, on peut se référer à l’entretien qu’il donne dans ce numéro de la revue Études digitales.
18 Voir notamment la présentation et l’entretien consacrés à Trebor Scholz, dans le numéro 3 de la revue Études digitales.
19 Cf. Antonio A. Casilli, En attendant les robots, ibid., notamment le chapitre conclusif.
20 Cf. Thomas Piketty, Capital et idéologie, Seuil, Paris, 2019, notamment le chapitre 17.
- Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN : 978-2-406-10497-1
- EAN : 9782406104971
- ISSN : 2497-1650
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10497-1.p.0015
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 15/06/2020
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Plateformisation, tâcheronnisation, digital labor, données, réglementations