CoopCycle, back to the future
- Publication type: Journal article
- Journal: Études digitales
2019 – 2, n° 8. Les plateformes - Author: Poperl (Kévin)
- Pages: 135 to 152
- Journal: Digital Studies
Coopcycle,
retour vers le futur
Du statut d’autoentrepreneur à la réforme de Bologne, en passant par la libéralisation de la carte scolaire, le capitalisme contemporain tend à nous vendre l’actualisation de ses formes de domination comme de nouveaux espaces de liberté. Il semble donc nécessaire de se montrer prudent lorsque des expériences de production numérique alternatives se présentent face aux GAFAM ou aux « plateformes » et de questionner leur capacité à réaliser leur promesse de production subversive. Être en capacité d’élaborer une proposition alternative aux plateformes capitalistes, qu’il s’agisse d’une coopérative, du Logiciel Libre ou de toute autre pratique, suppose au préalable de comprendre le geste politique qu’implique chacun des termes mis en opposition. S’attaquer aux plateformes nécessite d’identifier son ennemi ; ses pratiques et son geste politique, c’est-à-dire la manière dont il agence les rapports de production et de distribution de la valeur économique, les statuts et les formes d’organisation de la résolution des conflits. Pour pouvoir tracer les contours de l’évolution dite « tardive » que représentent les plateformes ou d’une alternative quelconque à ces plateformes, telle CoopCycle, il nous faut donc faire un retour sur les caractéristiques du capitalisme en tant que mode de production.
Du capitalisme au capitalisme de plateforme :
d’une intermédiation à l’autre
Un mode de production se définit par la forme spécifique que prennent les rapports sociaux de production et l’appropriation du produit du travail 136d’autrui qu’ils organisent. Cette forme d’appropriation et son histoire sont mises en mouvement par une contradiction de classe vis-à-vis de la mise au travail. Sa forme spécifiquement capitaliste est la forme valeur, au sein de laquelle la catégorie de travail joue un rôle social central. À la violence directe ou subjective caractérisant la mise au travail au sein des sociétés féodales, se substitue – ou plutôt, s’ajoute – la violence objective et impersonnelle associée à la forme valeur :
Quittons maintenant la lumineuse clarté de l’île de Robinson pour nous transporter dans les ténèbres obscures du Moyen Âge européen. Au lieu de cet homme indépendant nous y trouvons la dépendance généralisée : des serfs et des seigneurs, des vassaux et des suzerains, les laïcs et des clercs. La dépendance personnelle caractérise aussi bien les rapports sociaux de la production matérielle que les autres sphères de la vie qui s’édifient sur sa base. Mais précisément, comme ce sont ces rapports personnels de dépendance qui constituent la base sociale existante, les travaux et les produits n’ont pas besoin de prendre une figure fantastique distincte de leur réalité. […] Quel que soit donc le jugement qu’on porte sur les masques sous lesquels les hommes ici se font face, les rapports sociaux que les personnes ont entre elles dans leurs travaux y apparaissent du moins comme leurs propres rapports personnels, et ne sont pas déguisés en rapports sociaux des choses, des produits du travail1.
Le servage explicite directement l’appropriation de deux manières : il l’inscrit par et dans les relations sociales personnelles entre les individus via une politique de la différence de statut liée à la filiation (seigneur ou serf), tout en conjuguant ces statuts à des règles et conditions stables qui explicitent la mise au travail. Contrairement à cette forme historique d’appropriation, le capitalisme déforme le champ de ce rapport antagonique et conflictuel en le déplaçant sous une forme valeur. Dans le capitalisme, les agents entrent en rapport, en relation de production, via un marché. C’est un mode spécifique de « rencontre » des différents « facteurs de production », dont les conditions et les règles sont fixées par et dans l’échange marchand. Autrement dit, les agents n’entrent pas en relation en tant qu’individus nouant une relation sociale de production directe et stable, mais en tant que propriétaires privés ; ils sont formellement libres de s’entendre sur l’échange des titres de 137propriété de leurs marchandises (dont la force de travail), et ce dans un cadre concurrentiel, impersonnel et instable. La forme valeur charrie donc avec elle une appropriation indirecte du produit du travail d’autrui, car la détermination de la part revenant au « serviteur » et de celle revenant au « maître » est désormais transposée dans un champ où la concurrence entre choses fixe le prix des marchandises dont ils sont propriétaires : le capitaliste en tant que propriétaire des moyens de production, le travailleur « libre » en tant que propriétaire de sa force de travail2. C’est via le marché, lors des échanges, qu’est déterminé et qualifié ce que valent les marchandises qualitativement (travail/non travail, valeur/non-valeur), autant que quantitativement (rapport de valeur d’échange entre deux marchandises) et donc la part qui revient à chacun. Avec ce déplacement topologique du rapport social de production s’opère un brouillage, une modulation formelle de l’appropriation qui caractérise le capitalisme en tant que mode de production, en tant que pratique de la valeur.
Ce rappel peut sembler trivial mais il nous paraît nécessaire face à la floraison de discours pointant la « disparition de la figure de l’employeur/du maître » à travers l’algorithmisation ou l’intermédiation opérée par les plateformes3. Nous voudrions souligner par ce retour que cette disparition de la figure du maître, « l’intermédiation » et « l’objectification » qu’opèrent les plateformes a déjà eu lieu. Ce n’est pas une nouvelle tendance qualitative du capitalisme contemporain, mais bien son geste politique fondateur. Bien que centrales dans l’analyse des mutations des rapports de production et d’exploitation contemporains, 138ces nouvelles formes d’intermédiation risquent, si elles sont lues comme des innovations qualitatives, de masquer l’intermédiation objective originelle qui caractérise la mise au travail sous le mode de production capitaliste. C’est bien cette dé-subjectivisation que signale Marx lorsqu’il analyse la substitution d’un « rapport entre les choses » (entendre un rapport entre les personnes en tant que porteuses, propriétaires de choses) à un « rapport entre les personnes ». Dès les débuts du capitalisme, le « mis au travail » ne fait déjà plus face à un « maître » qu’il serait possible d’identifier au sein d’une relation sociale de domination directe. C’est en tant que porteur de chose, d’une « force de travail » devenue marchandise, qu’il intervient dans un réseau d’objets concurrents. Ce réseau de relations entre choses se joue sous une autre règle, la loi de l’offre et de la demande ; une règle que ne peuvent influencer des individus, isolés par la propriété privée ; une règle devenue objective. Elle s’impose comme une réalité extérieure, une réalité donnée. Par conséquent, la violence primaire de la mise au travail, de la domination, de l’exploitation directe est extériorisée et produite en tant que réalité objective située au-dessus de la volonté des personnes : c’est le sens de la théorie marxienne du fétichisme de la marchandise et de l’aliénation.
Comme le décrit Slavoj Žižek, la forme objective que prend la violence tend à l’invisibiliser, et donc à la naturaliser :
L’idée, c’est que la violence subjective et la violence objective ne peuvent être perçues sur le même plan : la violence subjective est vécue comme telle par opposition à un niveau zéro de non-violence. Elle est vue comme une perturbation de l’état « normal », paisible des choses. Or la violence objective est inhérente à cet état « normal » des choses. La violence objective est invisible car elle est le support même du niveau zéro ordinaire à l’encontre duquel nous percevons un événement comme subjectivement violent4.
C’est à cet effet de naturalisation, opéré par l’externalisation et l’intermédiation du rapport social de mise au travail sous la forme valeur, que nous faisons face lors d’événements aussi anodins qu’un acte d’embauche par une entreprise capitaliste quelconque. La plus-value est invisibilisée car elle constitue l’implicite structurel, point 139de départ de toute négociation salariale : le « niveau zéro ordinaire » de toute embauche. Cette forme de relations de production, où la force de travail acquiert le statut de marchandise, porte en son sein la condition de plus-value préalable à toute mise en production, à tout accès à l’emploi. Aucune entreprise ne peut persister, se reproduire, si elle embauche ses travailleurs à un salaire égal ou supérieur à ce qu’elle peut espérer de la vente du produit de leur travail. Aucune banque ne peut structurellement, par effet de concurrence entre les différents usages du capital, financer des projets productifs dont le rendement est inférieur au taux moyen de profit ou au taux d’intérêt (coût d’opportunité) sur le marché du capital. La forme valeur invisibilise l’appropriation du travail d’autrui car elle tisse le « niveau zéro » de toute relation sociale de production par la manière dont capital et force de travail, initialement séparés, se rencontrent en tant qu’objets-marchandises sur le champ structurellement biaisé qu’est le marché. C’est du fait de cette invisibilisation que les signatures de contrats d’embauche ou les publications à titre gratuit dans les revues universitaires, impliquant par là même une extorsion volontaire, se concluent souvent par un silence gênant autour du vide que produit l’attente – ou l’émergence – d’un remerciement de la part du travailleur pour son employeur.
Ne retrouvons-nous pas ce déplacement, cette dissipation de la confrontation directe avec le « maître » dans la manière dont les réformes libérales s’opèrent ces dernières années ? La complaisance des différents gouvernements vis-à-vis des « nouvelles formes » de mise au travail n’est-elle pas fondée sur une stratégie similaire de brouillage du rapport de force entre dominants et dominés, sur son déplacement dans un champ tout autre ? N’est-il pas plus simple « politiquement » d’instiller une concurrence des statuts dans le droit (travail indépendant, auto-entreprenariat, réflexion sur différents « tiers statuts ») et de laisser ainsi la concurrence entre ces derniers opérer une déqualification, une dénormalisation du travail via son externalisation plutôt que de tenter de faire passer des « lois travail » qui s’attaqueraient frontalement aux acquis sociaux ? La création du statut d’autoentrepreneur, comme l’inversion de la hiérarchie des normes instaurée par la loi travail sous le gouvernement Hollande, a durablement rompu les digues qui 140retenaient les crues du fleuve de la détermination marchande de la valeur, livrant la qualification du travail aux flots d’une concurrence sans bornes. Ce geste politique de dénormalisation est plus destructeur sur le long terme que les attaques directes contre une norme destinée à encadrer le travail (salaire minimum, durée légale du temps de travail, etc.). Ces réformes changent le mode de valorisation par la pratique en déportant le conflit de classes sur un champ de bataille différent, décentré, dans un nouvel espace topologique. La contradiction réactivée par les plateformes sous un air de modernité technique est bien celle de la qualification du travail, que deux classes opposées se disputent en avançant des institutions qui encadrent des pratiques de la valeur concurrentes.
Plus concrètement, comment ce mouvement topologique, ce mouvement institutionnel, se construit-il dans et par la pratique microéconomique des plateformes capitalistes de livraison ? Autrement dit, quelles sont les nouvelles conditions de possibilités offertes par le digital en matière de mise au travail ? Pour répondre à ces questions nous pouvons donc décliner, à partir des cas Deliveroo et Uber Eats, les travaux précédemment cités sur les formes d’intermédiation opérées par les plateformes capitalistes. Les outils de production informationnels, ou plutôt de médiation informationnelle, détenus par les plateformes de livraison impliquent la structuration oligopolistique de ce secteur. Les productions informationnelles impliquent une structure de coût (coûts fixes à l’entrée sur le marché élevés, coûts marginaux nuls et rendements croissants) qui tend à imposer une structure non concurrentielle au secteur d’activité.
Les travaux de Carlo Vercellone soulignent la réapparition de formes de rente liées à cette position d’intermédiation. Les plateformes de livraison se trouvent dans une situation de double oligopsone : sur le marché du travail, où peu de demandeurs de force de travail rencontrent une masse de livreurs ; sur le marché des services, où peu de plateformes rencontrent une masse de restaurateurs. Cette position permet aux plateformes de déterminer les conditions d’achat et de vente de la force et des produits du travail de chacun des acteurs de la filière. À titre d’exemple, nous pouvons retracer la détérioration des rémunérations des livreurs de Deliveroo : de 2015 à 2016, les livreurs avaient un minimum garanti de 7,50 euros de l’heure et une prime 141de 2 à 4 euros par course ; en 2016, les nouvelles recrues se sont vues imposer une tarification à la tâche de 5 euros par course, sans rémunération horaire, alors que les anciens jouissant encore de l’ancienne tarification ; en 2017, tous les livreurs passent à la nouvelle tarification, quelle que soit leur ancienneté5 ; en 2018 s’opèrent la fin des rémunérations fixes et un passage à une rémunération à la distance, avec un minimum de 4,50 euros par course ; en 2019, le critère déterminant la rémunération n’est plus la distance, mais la durée, et le minimum garanti par course est supprimé – le minimum observé par les livreurs devient 2,60 euros par course.
L’exploitation des données récoltées par les plateformes vient renforcer leur position dominante dans la chaîne de valeur du secteur, car l’usage des données ne devient possible qu’une fois agrégées. Dès lors s’installe une prime au premier entrant sur le secteur ayant pu commencer sa récolte avant ses concurrents. Deliveroo et Uber Eats refusent de rendre transparents les critères d’attribution des courses par leur algorithme, car ce dernier est justement le produit d’un long travail d’exploitation des données relatives aux comportements des livreurs, des restaurateurs et des clients finaux.
Comme le soulignent des travaux récents, la valorisation des données repose moins sur leur vente que sur un usage interne permettant : la restructuration et la distorsion de la chaîne de valeur (Cédric Durand6) ; 142la mise en place de routines qui assure une plus-value relative vis-à-vis des concurrents (Bruno Carballa Smichowski7) ; une gouvernementalité algorithmique du conflit de classes (Antoinette Rouvroy8). L’ensemble de ces pratiques trouve une application exemplaire au sein des plateformes de livraison.
Premièrement, la récolte de données sur le comportement des livreurs (taux de participation aux shifts, d’annulation de livraison, d’acceptation des courses et type de véhicule utilisé) permet :
–à Deliveroo de discipliner et de contrôler son armée de réserve par un système fondé sur la sanction/récompense qui ouvre ou ferme l’accès aux créneaux de livraison (shifts) les plus rentables ;
–à Uber Eats de contrôler le nombre de livreurs présents sur les différents créneaux de livraison, sans politique d’incitation (free shift) ;
–aux plateformes d’atomiser géographiquement la force de travail par leur agrégation digitale et, ainsi, de limiter la possibilité d’échanges et de relations sociales entre les livreurs pour court-circuiter la possibilité de revendications et de mouvements sociaux9.
143Fig. 1 et 2 – Document interne Coopcycle 1.
Deuxièmement, la déqualification de la valeur de la force de travail, jusqu’à ce jour cadrée par des institutions attribuant une rémunération commune à une même tâche, atteint son paroxysme. La récolte des données sur le comportement des livreurs permet à ces deux plateformes de proposer (pour une même course de distance et de durée identiques) à deux livreurs patientant au même endroit, deux rémunérations différentes en fonction de leur inclination personnelle à accepter des rémunérations basses. L’algorithme attribue les courses en fonction du calcul de l’élasticité-prix de l’offre de travail pour chaque livreur individuellement.
Enfin, notons que les restaurateurs ne sont pas exclus de cette restructuration de la chaîne de valeur rendue possible par l’exploitation des données. Deliveroo utilise aujourd’hui les informations récoltées sur la demande des plats « phares » proposés par les restaurateurs (recettes, 144récurrence et localité de la demande, etc.) pour ouvrir des cuisines parallèles proposant les plats les plus demandés, et ainsi court-circuiter la place des restaurateurs dans la chaîne de production10.
Ces pratiques construisent les institutions, c’est-à-dire le champ, toujours biaisé, sur lequel se déroule la bataille de la détermination de la valeur. Bien que notre propos central tente de souligner un geste politique fondateur et continu entre l’émergence du capitalisme et sa forme contemporaine, c’est bien à partir de et à travers la détention de biens informationnels qu’est rendu possible ce mouvement topologique. C’est dans cette histoire plus large, et plus longue, qu’il faut situer l’émergence des plateformes d’intermédiation capitalistes, leur forme particulière de mise au travail et d’extraction de plus-value pour comprendre ses enjeux, comme les possibilités que l’époque nous ouvre en matière de pratiques de résistance.
Que faire ? CoopCycle ; Retour envers le Futur
Pour lutter contre cette forme de valorisation qui s’appuie sur une concurrence « entre choses », nous avons historiquement construit une variation, un mode de production alternatif, qui rétablit un rapport plus direct « entre personnes ».
Réencastrer les marchés : limiter les crues du fleuve
À partir de l’institution du salariat et des normes collectives qui ont été construites (sectoriellement dans un premier temps, puis généralisées par la suite) au cours de cette lutte sociale, s’est développée une limitation de l’univers des possibles dans lequel l’arbitraire de la relation concurrente « entre choses » peut se mouvoir11. La qualification du travail et de sa valeur bénéficie ainsi d’une reprise en main sociale 145qui encadre l’échange marchand de force de travail : contrat de travail, salaire minimum, conventions collectives, durée légale de la journée de travail, subordination réelle contre responsabilité légale de l’employeur, etc. Cette pratique de la valeur organise un rapport politique conflictuel (plus) direct « entre personnes » – par des représentants syndicaux et patronaux – et constitue un mode particulier de production – borné par des normes sociales qui régulent les conflits, attribuent des statuts et répartissent la valeur. C’est cet héritage social et politique que l’intermédiation des plateformes numériques met en danger.
Produire sans lucrativité : assécher le fleuve
Nous avons déjà poussé plus loin l’indépendance de notre pratique de la valeur vis-à-vis du rapport « entre choses », vis-à-vis d’une profitabilité imposée de manière inhérente aux rapports de production capitalistes. Nous avons déjà instauré une forme de valorisation, de qualification du travail et de son produit hors de la sphère marchande lucrative. Historiquement, les travailleurs ont réussi à imposer une extension du domaine du travail en dehors de sa logique capitaliste à travers la mutualisation de la valeur dans des caisses communes. Le régime général de Sécurité sociale, qui s’appuie sur les cotisations salariales et patronales, a permis la reconnaissance et la rémunération du travail des fonctionnaires qui produisent des services de bien commun. Autrement dit, transposé dans le langage contemporain, le régime général de Sécurité sociale est une institution de la valeur encadrant le premier « commun serviciel12 ». C’est également en imposant un régime de propriété collective des investissements nécessaires à ces productions que nous avons réussi à les protéger d’une logique privative et, ainsi, à en maintenir l’accès universel sur le principe « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins13 ». Les représentants des travailleurs débattaient en toute autonomie de l’allocation de ces ressources mutualisées, et ce jusqu’à la réinscription d’une logique tripartite dans la gestion des caisses de sécurité sociales14.
146C’est dans le prolongement de cette double perspective politique que se situe le projet de CoopCycle : comme une fidélité à ce passé projetée dans le futur, un retour à une pratique de la valeur prétendue passéiste. CoopCycle est une coopérative européenne de mutualisation – autrement dit, une caisse commune – ayant vocation à fournir les services communs nécessaires à toute activité de livraison « dernier kilomètre » à vélo. Les travailleurs des plateformes s’organisent en collectifs locaux (à l’échelle d’une ville, d’un quartier) qui adhèrent à la coopérative européenne.
Parmi les principaux services mutualisés figurent le groupement d’achats, le démarchage commercial (commerces, restaurants, grandes chaînes nationales), une aide juridique (statuts, normes d’hygiène, contrats types, etc.), la comptabilité et les ressources humaines, l’incubation de coopératives locales de livraison en construction, le portage salarial, un système assurantiel, la communication et, bien sûr, un outil de production numérique « commun ». Nous fournissons aujourd’hui aux collectifs adhérents une plateforme numérique qui se compose de deux modules principaux : un module d’e-commerce (prise de commande et paiement) et un module de logistique (gestion d’une flotte de livraison à vélo). Le premier permet d’une part à un client de commander en ligne, d’autre part à un restaurateur de gérer sa carte et ses commandes. Le second permet d’organiser la livraison : commander une course, l’attribuer à un livreur, grouper les courses par tournées, pour tout type de livraison, foodtech ou autres. Nous co-construisons cette coopérative avec, à ce jour, une trentaine de collectifs ou coopératives en Europe (Allemagne, Angleterre, Belgique, Espagne, France, Italie). Nous accompagnons également des associations d’insertion et d’emploi qui développent des activités de livraison à vélo dans le cadre d’une délégation de service public. Les initiatives se multiplient et, chaque semaine, de nouveaux collectifs souhaitant nous rejoindre nous contactent, confirmant l’utilité commune et l’impact concret de notre projet. À titre d’exemple, depuis le retrait de Deliveroo en Allemagne en 2018, une dizaine de collectifs souhaitant continuer à pratiquer leur métier sous forme coopérative nous contactent pour rejoindre la coopérative européenne.
147Fig. 3 – Document interne Coopcycle 2.
Principes, geste politique et praxis Steampunk
Un mode de production repose sur deux « institutions » de la valeur économique qui sont intimement liées. Il est fondé tout d’abord sur une pratique de la valeur (c’est-à-dire une façon de fixer un prix aux choses produites et à la force de travail) et, d’autre part, sur un régime de propriété (un droit à user de ces choses produites). Face à la pratique capitaliste de la valeur, le modèle coopératif répartit la valeur selon des modalités décidées lors d’un débat démocratique au sein de l’entité productive. Substituer un débat démocratique conscient à l’arbitraire du marché concurrentiel, c’est privilégier un rapport « entre personnes » à un rapport « entre chose ». Face à la privatisation capitaliste de la propriété fondée sur la construction d’artefacts juridiques (propriété privée, brevets, propriété intellectuelle, clauses de non-concurrence etc.), nous pratiquons un régime de propriété collectif et ouvert à toute 148pratique démocratique de la valeur15. La licence que nous avons produite et que nous utilisons pour encadrer l’utilisation du logiciel CoopCycle, « Coopyleft16 », empêche son usage commercial par toute entité productive (qu’elle adhère ou non à la coopérative européenne) ne respectant pas les deux principes suivants :
–Une gestion démocratique du produit et de l’organisation du travail sur un modèle coopératif qui empêche l’émergence d’une exploitation définie comme appropriation privée arbitraire du travail d’autrui ;
–Une salarisation des travailleurs afin de leur permettre l’accès au régime général de protection sociale.
L’adhésion à la coopérative européenne, conditionnée aux deux mêmes critères, ouvre l’accès à l’ensemble des autres services mutualisés selon le principe « de chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ». Ces services sont financés par la mutualisation d’un pourcentage prélevé sur la valeur ajoutée que produit chaque collectif local. Chaque collectif compte pour une voix dans les décisions collectives (priorisation des salarisations pour produire les services communs, fiches de postes, niveau des salaires, etc.) sans discrimination liée au poids économique ou à l’ancienneté, et ce par extension du principe « une personne = une voix ». L’objectif de CoopCycle est de démontrer et d’imposer, par la pratique, la possibilité d’une production non-capitaliste. Pour ce faire, CoopCycle substitue au couple « propriété privée/fixation marchande des prix » celui de « propriété collective/débat démocratique ». L’enjeu est de construire, sur cette base démocratique, un modèle économique pérenne qui permet aux livreurs de reprendre en main leur activité de 149livraison face au modèle capitaliste monopoliste des plateformes. Cela est rendu possible par la réduction des coûts et les économies d’échelles engendrées par notre projet de mutualisation.
Les outils concrets dont nous disposons pour remplir cet objectif sont multiples : i) La mutualisation des services et des outils de production et la réduction des coûts portés individuellement ; ii) La disparition de la catégorie de profit permettant le paiement des cotisations sociales liées à la salarisation des livreurs tout en permettant des prix compétitifs ; iii) Une gestion de la concurrence et des synergies entre collectifs présents sur une même ville permet l’extension d’une offre de service (continuité temporelle et territoriale), les collectifs pouvant se relayer sur des zones géographiques et des horaires différentes ;
iv) La diversification des types de produits livrés en dehors du cadre unique de la foodtech dont le marché est saturé ;
v) L’accompagnement et le soutien financier des projets naissants venant renforcer le réseau et la croissance de ce mode de production.
Nous développons également des montages de collectifs de livraison dans un cadre semi-institutionnel, notamment à travers l’inclusion de régies de quartiers ou d’associations d’insertion emploi dans CoopCycle. Cela nous permet d’étendre le réseau de production non lucrative de livraison à l’ensemble des territoires qui souhaitent s’impliquer dans la défense des conditions de vie des livreurs. L’institutionnalisation de notre approche nous permet de soutenir la concurrence avec de grands monopoles capitalistes grâce aux subventions directes ou indirectes que nous ouvrent ces activités. Le soutien des collectivités locales nous permet également d’accéder à des marchés publics et, ainsi, de diversifier les types de livraison proposés. Cette diversification, que nous tentons de développer au sein de chaque collectif, a pour but d’outrepasser la forte volatilité des demandes liées à la livraison de repas et sa concentration sur des créneaux horaires peu étendus pour permettre la salarisation des travailleurs.
L’implication d’acteurs semi-institutionnels d’intérêt public portés par des collectivités locales crée par ailleurs différentes synergies entre les coopératives et les organismes d’insertion emploi. D’une part nous 150facilitons l’accès à des emplois durables et coopératifs des travailleurs finissant leurs parcours d’insertion-emploi. D’autre part, ces entités d’insertion constituent des lieux de formation pour les coopératives du réseau qui voient leurs coûts d’embauche diminuer. Enfin, notre approche contribue à améliorer les politiques publiques pour l’emploi portées par les collectivités locales. Celles-ci trouvent alors un intérêt direct à défendre un outil juridique de propriété collective des outils de production numériques. Elles prennent ainsi un rôle de « boucliers institutionnels » là où nous n’avons pas encore les moyens de contrer des entreprises ayant un accès privilégié aux capitaux privés souhaitant s’approprier le logiciel dans une logique lucrative. La subvention de ces entités d’utilité sociale et de leurs travailleurs nous permet de faire goûter aux plateformes ce qu’elles nous imposent, à savoir le dumping social lié à la concurrence des statuts.
Rappelons qu’à ce jour, malgré les rentes prélevées sur les restaurateurs (représentant 30 à 40 % du montant total de chaque commande) et la baisse continue des rémunérations des livreurs, les plateformes telles que Deliveroo ou Uber Eats ne dégagent pas de bénéfices. La continuité de leur activité repose sur des levées de fonds spéculatives soutenues par la promesse d’un monopole total à terme. Notre stratégie de maillage territorial consiste à détruire ce fantasme, cette illusion monopolistique. Notre initiative s’adresse donc directement à leurs investisseurs dans le but de compromettre les futures levées de fonds des plateformes capitalistes de livraison, car le monopole qu’ils attendent n’arrivera jamais et ils auraient tout intérêt à se retirer tant que leurs pertes sont modérées.
Conclusion
Notre stratégie consiste donc à reproduire le geste politique qui est à l’origine du régime général de la sécurité sociale, afin de faire émerger une production non lucrative et démocratique sans profit, ni patron.
Or une mutualisation corporatiste ne suffit pas à développer des avantages comparatifs réels, car le risque élevé (accidents du travail, 151volatilité de la demande et du chiffre d’affaires, etc.) que présente la livraison à vélo n’est pas compensé par d’autres activités. La licence CoopCycle impose la mutualisation et la répartition démocratique de la valeur à tout collectif voulant l’utiliser. L’enjeu est maintenant d’encourager d’autres acteurs produisant des communs informationnels (plateformes coopératives, producteurs de logiciels libres, des universitaires et jusqu’aux youtubeurs…) à adopter cette pratique de la propriété collective non lucrative et la mutualisation de valeur pour qualifier et rémunérer le travail nécessaire à leur production. Il n’existe encore à ce jour aucune institution de la valeur encadrant la production des communs informationnels. Soit une chose est soumise à la propriété privée, soit elle ne l’est pas, comme en témoignent les mouvements du Logiciel Libre ou celui de l’Open-source. Aucun dispositif de propriété ne permet encore une valorisation du travail qui est à l’origine des communs informationnels. Pour ces raisons, notre objectif est de pousser, à l’échelle macroéconomique, à la reproduction de ce geste politique que nous avons mis en place sur le secteur de la livraison dernier kilomètre à vélo via CoopCycle. La constitution d’une licence commune rassemblant par son usage un ensemble de producteurs non lucratifs de communs informationnels est la première pierre de l’institution du travail des communs que nous souhaitons construire. Elle lierait les différents acteurs que nous avons cités autour de :
–Une forme de propriété : une « licence à réciprocité » fermant leurs productions informationnelles à tout usage lucratif ;
–Une institution de qualification du travail concret : une convention collective débattue démocratiquement entre les usagers de cette licence et les producteurs de communs informationnels permettant de déterminer les types d’activités ayant droit à une rémunération et à quel prix ;
–Une institution de qualification du travail abstrait : une caisse de mutualisation permettant de salarier les producteurs de communs informationnels (des contributeurs de Wikipédia aux développeurs de logiciels non-propriétaires).
Notre pratique vise à (re)construire un service commun non lucratif là où il n’a jamais existé. Autrement dit, organiser un juste retour envers 152le futur que nous souhaitons : celui qui porterait une institution de la valeur pour le travail des communs contre la seule qui existe réellement à ce jour, celle du capital17.
Kévin Poperl
Vice-président de CoopCycle18
1 Karl Marx, Le Capital, Livre I, « Le procès de production du capital », dans la traduction établie sous la direction de Jean-Pierre Lefebvre, Paris, Éditions sociales/PUF, 1993.
2 Il nous faut ici actualiser et étendre le concept propriété des moyens de production qui permettent au capital de soutirer, dans un échange d’équivalents salaire-force de travail, une plus-value inhérente à sa position monopolistique. Aujourd’hui cette position dominante est également assurée par la possession d’outils de production dits immatériels : bases de données, réseaux de clients, visibilité, image de marque, renommée, etc. Ainsi un développeur ou un designer freelance peuvent être propriétaires de leurs outils de productions « classiques » (ordinateur, logiciels etc.), ils n’en sont pas moins contraints de vendre leur force de travail au-dessous de la valeur du produit de leur travail pour accéder au réseau de clients intermédiés par leur donneur d’ordre.
3 Différents auteurs contemporains soulignent un saut qualitatif dans l’intermédiation et son impact sur la structuration des rapports de productions : intermédiation financière (Cédric Durand), délégation de la mise au travail (Gérard Duménil et Dominique Levy), réapparition de rentes (Carlo Vercellone, Cédric Durand), intermédiation technique et algorithmique (Antoinette Rouvroy). Nous reviendrons sur la manière dont ces modes d’intermédiation s’appliquent aux plateformes de livraison.
4 Slavoj Žižek, Violence : Six réflexions transversales, traduit de l’anglais par Nathalie Peronny, La Laune, Au Diable Vauvert, 2012 [traduction modifiée].
5 Notons que c’est la fin de cette stratégie de divisions intra-classe laborieuse qui déclencha les premiers mouvements de grève. Cette concurrence de statuts organisée au sein d’une même entité productive est une stratégie de déqualification également observée dans d’autres secteurs d’activité. La réforme du statut des cheminots ne s’applique qu’aux nouvelles recrues. De la même manière, le passage d’un statut de fonctionnaire à un statut de droit privé, puis une mise en concurrence de l’ensemble des salariés avec des autoentrepreneurs est la stratégie développée par La Poste depuis le rachat de Stuart. Cette concurrence intra-classe constitue également la base matérielle sur laquelle reposent les travaux de Gérard Duménil et Dominique Lévy, qui analysent la constitution d’une classe de cadres (Dans notre cas, les travailleurs du siège de Deliveroo – développeurs, responsables marketing, etc. – sont salariés.). Ces derniers appartiennent objectivement à la classe prolétaire, car ils n’échappent pas à la constitution topologique de la plus-value soulignée plus haut, et subjectivement à la classe capitaliste de par leur rôle intermédiaire de « contremaîtres ». Voir Gérard Duménil, La Position de classe des cadres et employés, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1975 ; Gérard Duménil et Dominique Lévy, La grande bifurcation. En finir avec le néolibéralisme, Paris, La Découverte, 2014.
6 Cédric Durand, L’Envers de l’économie numérique : Un capitalisme intellectuel monopoliste, note de recherche IFRIS, no 7, 2018.
7 Bruno Carballa Smichowski, « The value of data : an analysis of closed-urban-data-based and open-data-based business models », 2018 [en ligne : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01736484/document].
8 Antoinette Rouvroy, « Face à la gouvernementalité algorithmique, repenser le sujet de droit comme puissance », 2012 [en ligne : http://works.bepress.com/antoinette_rouvroy/43/].
9 Comme le développent Michel Foucault puis Gilles Deleuze, nous parlons bien ici de contrôle en opposition à la discipline, qui repose sur une violence directe exercée sur un groupe déterminé en vue de lui faire accomplir une tâche spécifique. Les sociétés de contrôle reposent, quant à elles, sur une violence indirecte, topologique, exercée sur un groupe ouvert et indéterminé en vue de produire, non plus une tâche déterminée, mais un certain type de comportement. Dans notre cas, les travailleurs sont formellement « libres » d’accepter ou de refuser une tâche, mais la structuration du marché organisée par les plateformes et la gouvernementalité algorithmique qu’elles appliquent limitent les possibilités quant aux conditions d’effectuation des tâches. Ainsi, « ce n’est que dans le capitalisme que l’exploitation est “naturalisée”, inscrite dans le fonctionnement de l’économie, au lieu d’être le résultat de pressions et de violences extra-économiques. C’est pourquoi nous avons avec le capitalisme la liberté personnelle et l’égalité : il n’est plus besoin d’une domination sociale directe, la domination se trouve déjà dans la structure du processus de production. » (Slavoj Žižek, Vivre la fin des temps, traduit de l’anglais par Daniel Bismuth, Paris, Flammarion, 2011, p. 288.)
10 Voir Rachel Knaebel, « Après les coursiers à vélo, Deliveroo veut “ubériser” cuisiniers et restaurants », multinationales.org, 20 octobre 2017 [en ligne : http://multinationales.org/Apres-les-coursiers-a-velo-Deliveroo-veut-uberiser-cuisiniers-et-restaurants].
11 Claude Didry, L’Institution du travail. Droit et salariat dans l’histoire, Paris, La Dispute, 2016.
12 Bernard Friot, Puissances du salariat, nouvelle édition augmentée, Paris, La Dispute, 2012.
13 Bernard Friot, Vaincre Macron, Paris, La Dispute, 2017.
14 Le processus de mise sous tutelle des caisses de sécurité sociales (nationales et locales) par l’État et les organisations patronales est détaillé dans Bernard Friot, Puissances du salariat, op. cit. À titre indicatif nous spécifions ici les principales attaques contre leur autonomie : Les arrêtés de Mai 1960 réduisent l’autonomie des conseils d’administrations des caisses nationales et locales au bénéfice de leurs directeurs. Les ordonnances Jeanneney d’aout 1967 suppriment les élections à tous les niveaux dans les caisses de la Sécurité sociale et instituent un « partenariat social » faisant entrer dans les conseils d’administration les organisations patronales à parts égales avec les organisations salariales. La réforme Juppé en 1997 met la caisse nationale sous contrôle strict de l’État.
15 Notons ici les travaux de Cédric Durand, L’Envers de l’économie numérique : Un capitalisme intellectuel monopoliste, Note de recherche IFRIS, no 7, 2018 et Carlo Vercellone, « La nouvelle articulation salaire, profit, rente dans le capitalisme cognitif », European Journal of Economic and Social Systems, 20/1 (2007), p. 45-64. Le premier démontre l’essor croissant des clauses relatives à la propriété intellectuelle au sein des différents accords commerciaux internationaux à partir des années 1990 et la distorsion des chaînes de valeur qu’elles impliquent. Le second souligne que ce mouvement moderne d’« enclosure » est une réaction du capital pour perpétuer sa mise en valeur par l’imposition de différentes formes de rente dans un contexte marqué par la hausse de productions immatérielles aux caractéristiques non-rivales et « non-excluables ».
16 La licence Coopyleft du logiciel CoopCycle a été créée par Vincent Bachelet, juriste en propriété intellectuelle, Vice-président de CoopCycle : https://wiki.coopcycle.org/fr:license.
17 Lionel Maurel, Les Communs numériques sont-ils condamnés à devenir des « Communs du Capital » ?, Paris, Gestion des Entreprises Sociales et Solidaires (GESS), 2018.
18 Co auteurs : Aloïs Guillopé, développeur, vice-président de CoopCycle ; Pauline Langlois, coordinatrice d’équipes, vice-présidente et trésorière de CoopCycle ; Mathis Lorenzo, étudiant en Histoire, vice-président de CoopCycle, Claire Martinet, traductrice ; Jérôme Pimot, livreur, vice-président de CoopCycle.
- CLIL theme: 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN: 978-2-406-10497-1
- EAN: 9782406104971
- ISSN: 2497-1650
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-10497-1.p.0135
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 06-15-2020
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Commons, economic value, digital platforms, capitalism, activism, Praxis