Blockchain technology and the cryptodivine promise to put an end to third parties
- Publication type: Journal article
- Journal: Études digitales
2018 – 2, n° 6. Religiosité technologique, II - Author: Becker (Katrin)
- Pages: 33 to 52
- Journal: Digital Studies
La technologie blockchain
et la promesse crypto-divine
d’en finir avec les tiers
« L’avantage de la blockchain consiste à supprimer le besoin d’un tiers de confiance1 », à « permettre de passer de la confiance aux gens à la confiance en les mathématiques2 ».
Voilà l’acquis essentiel de la technologie blockchain : son objectif est de permettre de se débarrasser de toutes les entités tierces qui, jusqu’ici, ont permis l’échange entre deux ou plusieurs partenaires impliqués dans tout type de transactions ou d’interactions en garantissant leur crédibilité.
Dans ce qui suit, nous examinerons cette promesse de la technologie blockchain en portant notre attention sur les tiers qu’elle promet d’abolir. À cette fin, nous allons d’abord regarder de plus près ce tiers qui, dans les discours pertinents, est généralement conçu comme « des gouvernements, des banques, des institutions financières ou d’autres organisations3 ». Ensuite, nous allons l’inscrire dans un contexte culturel et théorique plus large – en nous basant sur l’approche de l’anthropologie dogmatique fondée par Pierre Legendre et développée par Alain Supiot et Pierre Musso, approche selon laquelle la croyance en un tiers métaphysique est 34nécessaire au fonctionnement de tout système institutionnel-culturel. Partant d’une mise en rapport de la technologie blockchain avec le système idéologico-institutionnel occidental, nous allons ensuite problématiser cette idée de surmonter le tiers dans une perspective culturelle-théorique et de logique religieuse. En particulier, nous poserons la question de savoir comment évaluer les concepts et les discours explicitement religieux qui apparaissent de plus en plus souvent dans le contexte de cette nouvelle technologie.
La base technologique de la blockchain
L’objectif principal de la technologie blockchain est de libérer le sujet des contraintes de toutes ces institutions, entreprises et intermédiaires, qui servent traditionnellement de tiers de confiance.
Qu’il s’agisse de banques, de banques centrales, de notaires, de registres, de cadastre, de grandes entreprises ou, en dernière analyse, de structures étatiques, les structures centrales sont obsolètes et doivent être surmontées. La base de données décentralisée blockchain prend le relais de leur fonction de médiateur de la coexistence sociale4.
La réalisation de ce scénario a été rendue possible par le fondateur de la crypto-monnaie Bitcoin, dont l’identité véritable – cachée derrière le pseudonyme Satoshi Nakamoto – est restée opaque jusqu’à nos jours. En créant une procédure de stockage des informations collective, consensuelle et par conséquent infalsifiable, il a rendu superflue la nécessité d’un tiers de confiance. Afin de présenter le système de la blockchain de la manière la plus illustrative et accessible possible, Primavera de Filippi et Aaron Wright proposent de le considérer comme un « “livre” infalsifiable avec des copies identiques stockées sur plusieurs ordinateurs dans le monde 35entier5 ». Chaque fois qu’un nouveau contenu est ajouté, toutes les copies de ce livre stockées sur des ordinateurs interconnectés dans un réseau pair à pair mondial sont mises à jour. Par contre, les pages de ce « livre » sont ici remplacées par des « blocks », des « accusés de bien-trouvé non modifiables6 » qui sont intégrés dans « l’historique “sans faille” » d’une chaîne continue : la blockchain.
La particularité – à savoir l’impossibilité de falsifier ce « livre » ou la chaîne – est assurée par « un algorithme spécial [qui est] intégré à un logiciel commun exécuté par tous les ordinateurs du réseau. L’algorithme oriente systématiquement les ordinateurs vers un consensus partagé concernant les nouvelles données qui seront ajoutées au registre, intégrant toutes sortes d’échanges économiques, de revendications de propriété et d’autres formes d’informations précieuses7. »
Dans la mesure où cette méthode de stockage est décentralisée et basée sur le consensus, une modification ou une falsification des informations stockées et acceptées deviennent impossibles : cela entraînerait automatiquement une modification de toutes les informations stockées dans la blockchain8.
Outre la première blockchain Bitcoin, qui poursuit un but purement monétaire, d’autres blockchains ont entre-temps été développées qui, comme la blockchain Ethereum, permettent désormais le stockage et le référencement d’informations ainsi que l’implémentation de contrats 36intelligents. Ces smart contracts sont de « petits programmes informatiques » qui opèrent selon la logique « if-then ». Dans ces « contrats », « les prestations (par exemple, le transfert d’un montant de crypto-monnaie) […] sont subordonnées à la réalisation de conditions préalablement programmées9 ». Autrement dit, parce que la monnaie de la blockchain concernée est également intégrée dans le code, le transfert d’un montant (ou bien l’enregistrement d’une information) – en tant qu’élément « IF » – peut déclencher, de manière automatisée et en temps réel, une opération préalablement programmée en tant qu’élément « THEN ».
Notamment dû au fait de l’expansion de l’Internet des Objets (Internet of Things), c’est-à-dire de la possibilité de connecter des objets aux programmations en ligne, il semble donc possible d’automatiser des procédures administratives, de vendre, par exemple, de l’énergie générée de manière privée indépendamment des compagnies énergétiques, ou de lier les fonctions de certaines machines (l’ouverture des portes, le démarrage d’une voiture autonome) à la réalisation de certaines conditions programmées dans le code10.
En rendant la contrefaçon impossible et en automatisant l’exécution des transactions programmées par des « contrats intelligents », la confiance en un tiers garantissant l’exactitude des informations devient donc redondante. On parle de confiance sans confiance (trustless trust), c’est-à-dire qu’il suffit de faire confiance au code qui est au fondement de la blockchain. En conséquence, la blockchain serait à concevoir comme un « nouveau système d’objectivation des valeurs, relativement perfectionné11 » et prendrait ainsi le relais de ces tiers de confiance qui traditionnellement 37« garantissent l’objectivité » des systèmes de valeurs, tels que les monnaies (banque), les religions (l’Église) et les systèmes juridiques (l’État)12.
Ainsi, la blockchain développe la capacité à « rompre avec les processus économiques et sociaux, à mettre les intermédiaires à genoux et à attaquer aussi l’essence des institutions13 ».
Conformément au « thème récurrent de la personnalisation de la gouvernance et des systèmes juridiques permise par la blockchain14 », l’idée est de permettre à l‘individu de se délier des structures et des directives institutionnelles en l’autorisant à négocier au cas par cas les règles et les termes juridiques avec chaque partenaire associé à chaque transaction. Ceux-ci sont ensuite mis en œuvre de manière transnationale et – en particulier grâce à l’intégration croissante d’objets intelligents – de manière autonome, c’est-à-dire, « indépendamment de tout gouvernement ou d’autre autorité centralisée15 ».
Compte tenu de la possibilité de personnaliser des services gouvernementaux et des systèmes juridiques et de l’attaque concomitante contre l’« essence des institutions », l’objectif principal de la technologie blockchain semble être, à première vue, l’autonomisation et la souverainisation du sujet. Par contre, les propos des fondateurs de la blockchain indiquent que celle-ci est censée servir de base pour un tout nouveau système social. Par exemple, Vitalik Buterin, fondateur de la blockchain Ethereum, explique :
Ethereum fonctionne sur des milliers de PC et repose sur un contrat social. En tant que communauté, nous définissons des paramètres que nous considérons communément bons et corrects. Nous veillons tous à ce que ce contrat social ne soit pas rompu16.
38Il semble donc nécessaire de porter notre attention sur la dimension socio-culturelle de l‘idéologie de la blockchain, ce que nous allons faire à la lumière de l‘approche théorique de l‘anthropologie dogmatique selon laquelle « [a]ucune société ne peut se passer de croyance, de divinités et de leur mise en scène théâtrale et normative17 ». En ce sens, nous analyserons la technologie blockchain en fonction de son « système de croyance », et en particulier au regard de sa relation avec la « structure fiduciaire18 » de l‘Occident.
La fonction culturelle du Tiers
Dans son anthropologie dogmatique, Legendre affirme que chaque culture est soumise à l‘impératif de créer un point de référence métaphysique « au nom duquel » le système institutionnel entier parle et trouve ainsi sa légitimité. Les institutions, le droit et la politique d‘une société doivent donc parler « au nom de » ce Référent symbolique pour paraître crédible et pour légitimer et authentifier les valeurs, les significations et les paradigmes qu’ils représentent et mettent en œuvre. La subjectivité individuelle se constitue également au nom de cette Référence : le sujet s’intègre dans le système de représentation mise en jeu par cette dernière via les rôles et les masques que lui offrent ou lui imposent les institutions. C’est à travers ceux-ci qu’il se reconnaît comme partie intégrante de la culture, qu’il se soumet au système normatif et qu’il entre en échange avec les autres membres. Dans toutes les sociétés, cette relation entre 39les sujets et les institutions se base ainsi sur une structure de foi dans la mesure où, comme l’explique Alain Supiot :
Tout gouvernement implique pour durer que ses membres lui fassent crédit, à la fois au sens le plus fort et le plus technique du mot « crédit ». Le plus fort, car il s’agit bien de croyance, au sens dogmatique : de la foi dans une Vérité légale qui s’impose à nous. Le plus technique, car cette croyance n’est pas une affaire privée, mais une créance opposable à tous et garantie par un Tiers19.
Par contre, cette relation de foi ne peut être stable, ou, pour le dire dans la terminologie de Legendre, « ce discours “au nom de” ne peut être efficace que si l’entité au nom de laquelle on parle est rendue visible, dicible, saisissable à travers des mots et des images qui “peuplent” l’abîme20 ».
Ce concept d’« abîme » se réfère ici à tout abîme qui s’ouvre entre deux pôles d’une relation normative, c’est-à-dire – au sens des fondements psychanalytiques de l’approche legendrienne – comme l’écart qui s’ouvre au moment de l’identification de l’enfant avec son reflet spéculaire ; la distance entre le signifiant et le signifié ; ainsi que l’abîme qui s’ouvre dans la tentative de répondre à la question ultime du pourquoi ?, concernant l’origine de l’existence humaine dans la culture21.
En ce sens, chaque culture doit mettre en scène l’entité d’un tel grand tiers d’une manière qui permette aux sujets d’y croire – à savoir par la mise en œuvre « des moyens bassement mythologiques22 ». Ce n’est que par la mobilisation de moyens esthétiques et discursifs que le lien émotif des sujets à la culture s’établit ; ce n’est qu’en adressant sa partie irrationnelle que le sujet arrive à croire aux fondements et aux institutions de la culture et par conséquent à sa propre identité culturelle – une foi qui est en même temps essentielle pour la validité et l’efficacité de ces mêmes institutions. Et dans ce sens, la normativité et la mythologie se superposent dans la figure du tiers de chaque culture : « Fonctionnalité 40et fictionnalité vont de concert. La déraison ou l’irrationnel, le mythe, est le complément obligé de son inverse rationnel, la loi et la norme23. »
Contrairement à ce que suggère la thèse du « désenchantement du monde », cette dimension mythologique-irrationnelle est toujours à l’œuvre dans le monde industrialisé, comme l’explique Pierre Musso dans son ouvrage La religion industrielle en imputant cette forme spécifiquement rationnelle de religion, et en tant que telle méconnaissable, à la particularité de la « structure fiduciaire » en Occident. Celle-ci, telle est l’hypothèse de l’anthropologie dogmatique, trouve son origine dans la fusion du droit romain et du christianisme qui a eu lieu aux xie et xiie siècle. Cette fusion aurait créé la combinaison paradoxale du mythe irrationnel chrétien de l’incarnation de Dieu dans l’homme d’un côté, et, de l’autre côté, d’un dispositif juridique hautement rationnel et efficace, promulgué par ce « Dieu législateur24 ». De ce fait, l‘irrationalité du mythologique et la rationalité du système normatif organisé selon des critères d‘efficacité se sont superposées, créant ainsi la matrice spécifique de la culture occidentale qui, depuis, fonctionne selon le « schéma ternaire » suivant : « une foi fondatrice, une normativité et un médiateur [institutionnel] qui “colle” les deux ensemble25. » Cette structure, explique Pierre Musso en s’appuyant sur l’approche de Legendre, est également à l’œuvre dans la structure institutionnelle actuelle qu’il appelle « religion industrielle ».
Ainsi, ce seraient les paradigmes rationnels comme celui de progrès ou celui de développement qui occupent, depuis l’ère de l’industrialisation, la place du Référent symbolique. Malgré leur nature d’apparence rationnelle, ils sont donc l’objet d’une foi déraisonnable, mythologiquement chargée. En même temps, est édicté en leur nom un « ensemble de “préceptes du vivre”, de techno-rationalités, de normes, voire d’interdits [tels que] l’efficacité, l’organisation, l’action et les résultats “utiles”26 ». Les « corps d’experts – les managers-ingénieurs27 » ou les entreprises représentées par eux jouent alors le rôle de messagers, d’entités incarnant le référent symbolique Progrès. De 41surcroît, à la façon d’une religion, le système industriel a créé « ses images, ses rythmes, ses propagandes publicitaires, son discours et même son art28 » moyennant lesquels ces messagers assurent que les sujets croient aux doctrines de la « nouvelle Bible, laïque, […] [qui] s’appelle Techno-Science-Économie29 ».
Selon Pierre Musso, l’évolution des possibilités technologiques et, en particulier, l’avènement de l’ordinateur auraient surtout conduit à une modification de la nature et du fonctionnement de la « colle institutionnelle », dont la logique s’est progressivement éloignée des institutions étatiques pour se rapprocher de l’organisation d’entreprise30. Ensuite, dans le cadre de « l‘ère cyber-managériale » et au nom du progrès et de la domination de la nature, elle miserait de plus en plus sur le « pouvoir des machines “intelligentes” » au lieu du « politique failli » (ayant « conduit à la catastrophe » de guerre31) :
Le cybermanagement prétend réaliser (enfin) le rêve du gouvernement scientifique, machine, automatique des hommes […] géré[…] par un corps d’experts – les managers-ingénieurs –, et d’un pilotage scientifique, surrationnel, voire automatique, de la société32.
La gouvernementalité algorithmique
Notre hypothèse est que cette évolution récente de la « colle institutionnelle », intensifiée par l’importance croissante des algorithmes, implique, de surcroît, une dynamique autodestructive qui concerne le fondement légitimateur des institutions ainsi que le lien de foi entre les institutions et le sujet. En même temps, c’est cette dynamique même qui, à mon avis, sert de fondement à la création et au succès de la technologie blockchain.
42Dans ce qui suit, notre hypothèse sera développée à partir des réflexions d’Antoinette Rouvroy, qui, sous le titre de « gouvernementalité algorithmique33 », décrit la mise en place d‘une représentation fondamentalement nouvelle du monde, de la subjectivité et de la société – et cela dans le sens d‘une intensification de ce que Pierre Musso et Alain Supiot décrivent sous la notion de l’« ère numérique » ou de la « gouvernance par les nombres34 ».
Dans cette perspective, la montée d’une « modélisation algorithmique du réel35 » aboutirait à une situation où la nécessité de croire aux vérités représentées et mises en scène par la culture se trouverait généralement remise en question : Ainsi Antoinette Rouvroy décrit comment s’établit, sur la base de l’exploitation des big data, une « mise en nombres de la vie même, à laquelle est substituée non pas une vérité, mais une réalité numérique, une réalité qui se prétend le monde, c’est-à-dire qui se prétend non construite36 » .
Dès lors qu’il « suffit » de faire tourner des algorithmes sur des quantités massives de données pour en faire surgir comme par magie des hypothèses à propos du monde, lesquelles ne vont pas nécessairement être vérifiées, mais seront opérationnelles, on a effectivement l’impression d’avoir décroché le Graal, d’avoir atteint l’idée d’une vérité qui ne doit plus, pour s’imposer, passer par aucune épreuve, aucune enquête, aucun examen, et qui, pour surgir, ne dépend plus d’aucun événement37.
Ces vérités-réalités, établies par des algorithmes et principalement axées sur des valeurs économiques, constituent de plus en plus souvent la référence principale pour les actions des institutions politico-juridiques, qui ensuite s’interconnectent au niveau mondial, conformément à la revendication de validité universaliste de ces vérités. Ainsi on observe, comme l’explique Alain Supiot, « la soumission [du] contenu [des lois] à un calcul d’utilité, en sorte qu’elles servent les “harmonies économiques” qui présideraient au fonctionnement des sociétés humaines38 ». En même temps, ces acquis technologiques offrent la possibilité croissante d’un 43pilotage automatique de certaines structures sociales en fonction des résultats calculés par l’algorithme.
En conséquence, les institutions perdent deux de leurs caractéristiques et fonctions traditionnelles.
En premier lieu, elles n’ont plus besoin de décor mythologique-esthétique (traditionnellement spécifique à chaque culture) pour incarner de manière crédible l’« au nom de ». Se basant sur l’exploitation des big data et donc sur l’abolition de toute dimension contingente et virtuelle, cette nouvelle conception de l’organisation sociale élimine « tout rapport spéculatif, théorique, artistique ou politique au présent39 ». En d’autres termes, la possibilité ou bien la nécessité d’adresser et d’intégrer la dimension irrationnelle s’avère désormais superflue : l’abîme se clôt.
En deuxième lieu – et comme conséquence logique de ce qui précède – la croyance des sujets en ces tiers industriels qui mettent en œuvre le système représentationnel n’est plus nécessaire dans la mesure où la possibilité algorithmique de « faire exister par avance des actes qui n’ont pas encore été commis40 » prive progressivement les sujets de toute possibilité de désobéissance. Comme le constate Antoinette Rouvroy, on assiste à la mise en scène de l’abolition du sujet dont les « capacités d’entendement et de volonté » ne jouent plus aucun rôle. Il est désormais conçu plutôt comme le destinataire de signaux « qui provoquent du réflexe, donc des stimuli et des réflexes41 ». On nie donc « le fait qu’on ne sait jamais si l’individu va toujours faire tout ce dont il est capable, cette possibilité de ne pas faire, cette possibilité de désobéir42 ».
Par contre, cette appréciation des conséquences induites par le triomphe de la gouvernance par les algorithmes sur les institutions ne prend pas 44en compte les processus de logique représentationnelle propres aux sujets. Pour ceux-ci, le manque de liberté résultant de la conception algorithmique du monde, de la subjectivité etc. conduit parallèlement à une liberté et une indépendance nouvelles – un double mouvement qui, en même temps, a un impact destructif sur la force d’adhésion et donc la validité des institutions :
C’est au sens d’une « complicité43 » paradoxale que les sujets adoptent pour eux-mêmes la « “vision” algorithmique44 » mise en œuvre à l’échelle institutionnelle ; c’est-à-dire la vision du monde se basant uniquement sur les représentations construites selon le calcul algorithmique. De cette façon, sont abolies toutes les représentations qui, en raison de leur nature dogmatique et indémontrable, nécessitent un moment de foi, l’effort de surmonter l’écart entre réalité et vérité à l’aide de moyens esthétiques et mythologiques. De la sorte, les sujets se voient libérés de toute nécessité de croire aux « modèle[s] a priori45 » traditionnellement incarnés et dictés par les institutions. Au lieu de cela, et grâce aux représentations et informations de plus en plus individualisées transmises par les médias sociaux, les sujets sont capables d’édifier pour eux-mêmes une représentation individualiste du monde et du soi. Par ailleurs, en raison de la divulgation du nouveau concept de vérité-réalité par les institutions elles-mêmes, cette représentation individualiste n’a plus besoin d’être intégrée aux représentations communes pour être validée46. Ainsi, cette nouvelle logique de représentation, se basant sur la conception de la « vérité ultime » comme vérité-réalité calculée selon les algorithmes, comporte elle-même en germe la distanciation croissante des sujets vis-à-vis de toutes les institutions traditionnelles ainsi que l’affaiblissement de celles-ci résultant de ce fait même47.
45L’idéologie de la blockchain
La caducité apparente de la croyance aux « modèles a priori » et aux paradigmes de vérité mis en scène au niveau institutionnel, déjà alimentée par le « politique failli » mentionné précédemment, se trouve encore aggravée par une économie faillie48. L’« épuisement » de « la confiance du public dans les institutions49 » qui en résulte, associée à la caducité de la foi, sert de base de départ pour l’idéologie de la blockchain. Celle-ci pousse à l’extrême la tendance à la déliaison vis-à-vis des institutions et proclame que le sujet n’aurait en grande partie plus besoin de ces structures institutionnelles, que celles-ci pourraient être fondamentalement surmontées.
Cette revendication se légitime par le mécanisme technologique de la blockchain qui se fonde sur le calcul algorithmique, l’implémentation automatisée des règles enregistrées dans le crypto-code et le consensus : de la sorte, cette technologie élimine, d’une part, le besoin de messagers dont le rôle est précisément d’assurer la représentation d’une vérité quelconque autant qu’elle évacue la nécessité d’un cadre institutionnel garantissant la mise en œuvre de son dispositif normatif. D’autre part, ce mécanisme offre aux sujets de nouveaux moyens permettant la gouvernance du soi et du monde (cf. la personnalisation des services gouvernementaux).
Ce nouveau système de représentation obéit donc entièrement au « principe de non-contradiction », s’affranchissant ainsi de toutes « choses ambivalentes, voire paradoxales50 », c’est-à-dire de la dimension irrationnelle et déraisonnable de la vie sociale. En conséquence, l‘objectif déclaré 46de la blockchain – celui de surmonter le besoin du tiers de confiance – est à comprendre en ce sens : devant le référent « Nombre » ou « Code algorithmique », les représentants humains (intégrant nécessairement la dimension irrationnelle) ont été mis à mal. Sont plus spécifiquement remis en cause leur potentiel de confiance ainsi que le besoin de leur service. Au lieu de faire confiance à des États corrompus ou à des représentants humains qui feraient office de messagers porteurs d’une vérité métaphysique, chacun peut désormais avoir accès aux vérités-réalités algorithmiquement établies et construire sa propre structure institutionnelle51. La seule confiance nécessaire est celle en l’algorithme de base de la blockchain – qui stocke toutes les données de manière infaillible et accessible.
Je me réfère ici uniquement à l’idée originale d’une blockchain « publique », c’est-à-dire celles qui sont ouvertes à la consultation et à l’utilisation de chacun et qui poursuivent l’objectif d’une organisation sociale/économique décentralisée à l’échelle mondiale, au-delà de toute contrainte institutionnelle52.
Comme nous l’avons vu, l’idée des fondateurs et des propagateurs de la blockchain n’est pas, par contre, celle d’établir un mode de vie simplement individualiste. Ils considèrent plutôt la technologie comme la base d’une nouvelle société53, une société dans laquelle les États-nations ne jouent plus aucun rôle et où la rencontre physique entre ses membres n’est pas nécessaire, puisque ceux-ci n’ont besoin ni de se connaître ni de se faire confiance54. Considérant que l’« histoire de la civilisation humaine [est 47fondée sur] un consensus, une compréhension commune de ce que nous considérons être la vérité, un accord à l’échelle de la société », Michael J. Casey et Paul Vigna proposent de concevoir la technologie blockchain « comme un outil permettant à la société de créer les histoires communes dont elle a besoin pour semer encore plus de confiance, de construire un capital social et de forger un monde meilleur55. »
À première vue, l’idéologie sous-jacente à la blockchain s’inscrit donc dans le système fiduciaire de l’Occident mis en lumière par Pierre Legendre et Pierre Musso, c’est-à-dire que sa création repose sur la foi dans le Progrès scientifique, économique et technologique. En ce sens, la « décentralisation » au nom de laquelle la blockchain a été développée et opère principalement n’est pas conçue comme étant « fondée sur une décision géopolitique », mais plutôt comme « un pas en avant dans l’évolution des systèmes56 ». « De cette manière, bitcoin et le discours numérique “naturalisent, théologisent et téléologisent la technologie de réseau”. Ce discours considère les progrès rendus possibles par la technologie de réseau comme une loi naturelle et inévitable57. »
Cependant, nous émettons l’hypothèse selon laquelle la technologie de la blockchain est en train de dépasser toutes les structures, systèmes et « révolutions » jusqu’ici établis par la « religion industrielle » : elle repose non seulement sur le basculement et la précarisation de la « colle institutionnelle » traditionnelle, mais elle incite de surcroît à une modification majeure de l’« au nom de », c’est-à-dire du Référent symbolique. Celui-ci se superpose désormais à la plus nouvelle innovation du progrès technico-économique, à savoir le code algorithmique de blockchain. En conséquence, elle établit un système de représentation totalement nouveau, une « vérité qui est plus fiable que toute vérité que nous ayons 48jamais vue58 », qui émerge de la structure fiduciaire de l’Occident tout en la dépassant.
De cette manière, cette « machine de vérité59 » ne rend pas seulement le messager humain corruptible superflu. En raison de sa nature consensuelle et programmable (qui est idéalement censée opérer selon des critères de justice), elle éclipse tous les tiers métaphysiques précédents jusque, au bout du compte, Dieu lui-même. Le livre blanc publié par Nick Szabo en 1997, qui a fourni une des bases pour la création de la technologie blockchain, indique de la sorte :
Imaginez le protocole idéal. Il aurait le tiers le plus digne de confiance imaginable – une divinité qui est du côté de tout le monde. Toutes les parties enverraient leurs inputs à Dieu. Dieu déterminerait de manière fiable les résultats et renverrait les outputs. Dieu étant le pouvoir ultime en matière de discrétion confessionnelle, aucune partie n’en apprendrait davantage sur les inputs des autres parties que celles-ci pourraient apprendre de leurs propres inputs et outputs60.
Le titre de ce livre blanc – « God Protocols61 » – ainsi que le nom donné au premier bloc de la blockchain Bitcoin – « Genesis-block » – ne surprennent donc pas. Tous deux sous-tendent la même prétention : celle d’avoir créé un nouveau tiers, absolument infaillible, car totalement programmable et basé sur le consensus, qui permettrait de surmonter et de remplacer le système fiduciaire occidental.
Partant de ce jeu avec des concepts religieux, la blockchain Bitcoin a ensuite constitué plusieurs mises en scène délibérément mythologiques. Comme l’explique de manière illustrative David Golumbia62, ces mises en scène se laissent surtout imputer aux objectifs prioritairement financiers de cette communauté de crypto-monnaie. Ainsi, le fondateur de 49Bitcoin, Satoshi Nakamoto, « dont l‘identité est probablement fictive » se plaçait lui-même comme une sorte de guide « qui semble osciller dans et hors de son existence63 ». Dans la mesure où « sa réserve massive de Bitcoin reste intouchée […], [il a ainsi créé] l’apparence d’un intérêt tout à fait ascétique, semblable à celui de Bouddha, dans la théologie de la crypto-monnaie64 ». À la façon d’un culte sectaire, ces mises en scène avaient principalement pour but de « renforcer la mythologie “distribuée” et “décentralisée”65 » afin de mieux réaliser des objectifs financiers. Selon David Golumbia, une même logique s’applique aux phénomènes survenus après la disparition de Nakamoto du discours public Bitcoin qu’il s’agisse de la nomination d’un « Bitcoin Jésus » ou de la fondation d’une « Église du Bitcoin » et d’une « Église de Satoshi » promouvant une « religion » appelée « Satoshism66 ».
Au-delà de ces phénomènes gravitant autour de la crypto-monnaie, la conception du code s’assortit également d’une charge de plus en plus spirituelle – au sens où on assiste à une réapparition paradoxale du décor irrationnel-mythologique entourant exactement cette « Référence » qui prétend pourtant en avoir essentiellement fini avec le besoin d’un tel décor. Ainsi, on apprend qu’il serait désormais possible de stocker toutes sortes d’informations, « des prières et des éloges aux messages et aux images allant du sophomorique au sublime67 » – une capacité de stockage qui, par endroits, se trouve ensuite spirituellement chargée. Ainsi, le 50site smartvows.com offre la possibilité de se marier sur la blockchain afin de créer un « record indélébile du mariage avec vos vœux de mariage » qui restera stocké pour toujours, « sera toujours visible publiquement sur internet » et ne sera donc « jamais perdu ni oublié ». Enfin, il est précisé que « les promesses publiques sont plus susceptibles d’être tenues, [ce qui] rédui[rai]t le divorce68. »
Dans d’autres cas, est faite la promesse d’une possibilité future d‘établir des « chaînes de pensée personnelles69. » Ces dernières permettront que « la pensée [puisse] être instanciée dans une blockchain – et en réalité toute l‘expérience subjective d‘un individu, éventuellement un jour la conscience70. » La conception de ces scénarios repose certainement aussi, dans de nombreux cas, sur la tentative d’acquérir de nouveaux « membres » pour la communauté blockchain ou sur des intérêts financiers – d’autant plus que cette structure sociale d’apparence décorporéisée et virtuelle comporte néanmoins une réalité tout à fait corporelle, liée à sa forte consommation énergétique71.
Cependant, la base technologique de la blockchain, avec son Code-Référent dématérialisé, opérant de manière décentralisée et globale, se prête particulièrement bien à l’esquisse de tels scénarios mythologiques, irrationnels et relevant parfois de la science-fiction. Ceci est d’autant plus vrai dans la mesure où ces idées correspondent parfaitement aux conceptions d’une vie sociale et subjective décorporéisées ou virtualisées promues par la communauté blockchain72. L’idée originelle d’un possible transfert dans le code du droit, de la subjectivité et de la vie sociale 51s’avère donc un terrain fertile pour de tels scénarios. En leur sein, on discerne la récurrence du « discours mythologique de la dénégation de la mort » tenu depuis toujours, toujours associé à des « fantasmes d’immortalité73 » qui sont désormais réassignés à l’idée d’une existence algorithmiquement programmable.
Indépendamment de ces scénarios étranges, souvent dystopiques et en grande partie irréalistes, le code possède toutefois un pouvoir considérable, en ce qu’il recouvre désormais les positions du Référent symbolique-algorithmique, du dispositif légal et normatif (contrats intelligents) et de la colle institutionnelle. Et c’est particulièrement en raison de l‘accroissement de l‘Internet des Objets et des nouvelles possibilités de la soumission du corps aux opérations algorithmiques, comme par exemple via le scanning de l‘iris, les applications de santé etc. que le code acquiert un pouvoir presque divin de pilotage, de sanction ou de récompense, dénué de tout contrôle humain :
Avec les ordinateurs qui gèrent tout le processus, je ne pourrais même jamais oublier de payer pour le stationnement. La seule façon d’échouer serait que ma voiture soit à court de Bitcoin, auquel cas le stationnement a un recours facile : parce que l’allumage de ma voiture est géré par un ordinateur, le parking peut simplement arrêter mon véhicule74.
Actuellement, la blockchain est implémentée par un nombre croissant d’entreprises, d’institutions étatiques et d’organisations, notamment comme système technologique de stockage décentralisé et d’automatisation des processus administratifs75. Même si, dans ces contextes, seuls les aspects pratiques et économiques comptent, l’absence de prise de conscience de l’idéologie globale et de la logique représentationnelle sous-jacentes 52à cette technologie est, de mon point de vue, à la fois frappante et problématique.
D’une part, l’expansion croissante du champ d’application de cette technologie a nécessairement un effet déstabilisateur supplémentaire sur les systèmes juridico-politiques existants, et surtout sur leur force d’adhésion – précisément en raison de ce nouveau système spécifique de représentation et des paradigmes sociaux propagés par cette même technologie (comme par exemple la subjectivité autonome, les fonctions juridiques et services gouvernementaux programmables et les communautés dématérialisées/décorporéisées)76.
D’autre part, en reconnaissance de l’irrationalité ou du caractère généralement irréalisable de certaines idées touchant l’organisation sociale esquissée par la communauté blockchain, et de la nécessité conséquente de préserver les structures institutionnelles données, il apparaît urgent de tourner le regard vers l’émergence potentielle de nouveaux tiers d’« ici-bas » qui, désireux d’accumuler davantage de pouvoir et de contrôle, seraient en mesure d’exploiter cette technologie « sans tiers77 ».
C’est surtout en vue de ses implications possibles et effectives sur les structures sociales et culturelles que la montée d’une mise en œuvre insouciante de ce système de confiance sans confiance nécessiterait davantage de méfiance.
Katrin Becker
Université du Luxembourg
IEA de Nantes
1 Marcella Atzori, Blockchain Technology and Decentralized Governance : Is the State still necessary ?, http://nzz-files-prod.s3-website-eu-west-1.amazonaws.com/files/9/3/1/blockchain+Is+the+State+Still+Necessary_1.18689931.pdf, p. 7. [[T]he advantage of the blockchain consists of removing the need of a trusted third party].
2 Andreas Antonopoulos, Bitcoin security model : trust by computation. A shift from trusting people to trusting math. http://radar.oreilly.com/2014/02/bitcoin-security-model-trust-by-computation.html.
3 Marcella Atzori, op. cit., p. 3. [governments, banks, financial institutions or other organizations].
4 http://www.handelsblatt.com/finanzen/maerkte/devisen-rohstoffe/krypto-kolumne/coin-und-co-die-krypto-kolumne-das-blockchain-manifest-und-seine-abgruende/21245486.html [Ob Banken, Notenbanken, Notare, Register, Kataster, Großkonzerne, oder in letzter Konsequenz auch staatliche Gebilde : Zentrale Strukturen sind überholt und zu überwinden. Ihre Funktion als Mittler des gesellschaftlichen Zusammenlebens übernimmt die dezentrale Blockchain-Datenbank].
5 Primavera De Filippi / Aaron Wright, Blockchain and the Law : The Rule of Code, Harvard : 2018, p. 22. [tamper-resistant book with identical copies stored on a number of computers across the globe].
6 https://www.nzz.ch/finanzen/private-finanzen/herausforderung-fuer-banken-und-den-staat-blockchain-der-naechste-wohlstandsschock-ld.17609 [nicht veränderbaren Richtigbefundanzeigen].
7 Michael J. Casey / Paul Vigna, The truth machine. The blockchain and the future of everything, New York : St. Martin’s Press 2018, p. 12. [with a special algorithm [that is] embedded into a common piece of software run by all the computers in the network. The algorithm consistently steers the computers toward a shared consensus on what new data to add to the ledger, incorporating all manner of economic exchanges, claims of ownership, and other forms of valuable information].
8 The computers‘ owners are either paid in a digital currency, which incentivizes them to work on protecting the system’s integrity, or they do their work as part of a commitment to a consortium agreement. The result is something unique : a group of otherwise independent actors, each acting in pure self-interest, coming together to produce something for the good of all – an immutable record that everyone can trust and that’s not managed by a single, centralized intermediary. (Michael J. Casey / Paul Vigna, p. 12)
9 https://www.it-daily.net/it-sicherheit/governance-risk-compliance/14002-smart-contracts-eine-neue-anwendung-fuer-die-blockchain-technologie [Leistungen (z.B. die Überweisung eines Betrags in einer Kryptowährung) […] vom Eintritt zuvor programmierter Bedingungen abhängig gemacht].
10 Slock.it – des serrures intelligentes (smart locks) pouvant être payées, ouvertes et verrouillées via la blockchain à l’aide de contrats intelligents. Lo3Energy – un projet à Brooklyn permettant aux propriétaires d’acheter et de vendre de l’énergie générée avec des panneaux solaires sur le toit. La blockchain leur permet de fixer leurs propres prix, sans passer par un intermédiaire. « Si les actes de naissance ou de décès étaient enregistrés dans une blockchain, les paiements et services gouvernementaux liés à ces événements pourraient être automatiquement déclenchés ou suspendus… » (Primavera De Filippi / Aaron Wright, S. 111) [If birth or death records were recorded to a blockchain, government payments and services tied to these events could be automatically triggered or suspended]. https://smartdubai.ae/initiatives/blockchain
11 https://blockchainfrance.net/2017/09/19/blockchain-et-droit/
12 Ibid.
13 https://www.nzz.ch/finanzen/private-finanzen/herausforderung-fuer-banken-und-den-staat-blockchain-der-naechste-wohlstandsschock-ld.17609 […wirtschaftliche und soziale Prozesse aufbricht, Intermediäre in die Knie zwingt und nun auch das Wesen der Institutionen im Kern angreift.]
14 Melanie Swan : Blockchain. Blueprint for a New Economy. Sebastopol : O’Reilly 2015, p. 48. [ongoing theme of blockchain-enabled personalization of governance and legal systems].
15 Primavera De Filippi / Aaron Wright, op. cit. p. 207. [independently of any government or other centralized authority].
16 https://www.wired.de/collection/business/vitalik-buterin-der-mark-zuckerberg-der-blockchain-welt [Ethereum läuft auf tausenden von PCs, und es basiert auf einem Gesellschaftsvertrag. Wir legen als Community Parameter fest, die wir als Gemeinschaftsverbund für gut und richtig halten. Wir alle achten darauf, dass dieser Gesellschaftsvertrag nicht gebrochen wird.] Ou, comme l‘expliquent Paul Vigna et Michael J. Casey dans leur ouvrage The Truth Machine : « L’idée générale est qu’en transférant la gestion de la confiance à un réseau décentralisé, guidé par un protocole commun, au lieu de compter sur un intermédiaire de confiance, et en introduisant de nouvelles formes numériques d’argent, de tokens et d’actifs, nous pouvons changer la nature même de l’organisation sociale. » (p. 8). [The broad idea is that by deferring the management of trust to a decentralized network guided by a common protocol instead of relying upon a trusted intermediary, and by introducing new, digital forms of money, tokens, and assets, we can change the very nature of social organization.]
17 Pierre Musso, La Religion industrielle. Monastère, manufacture, usine. Une généalogie de l’entreprise. Nantes, Libraire Arthème, Fayard, 2017, p. 44.
18 Ibid.
19 Alain Supiot, La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France 2012-2014, Paris, Fayard, 2015, p. 300.
20 Katrin Becker, « L’expérience juridique – entre dogme et création. Franz Kafka en dialogue avec Pierre Legendre », in Grief, revue sur les mondes du droit 4 (2017), EHESS, Dalloz, Paris, p. 100-113, p. 102, en référence à Pierre Legendre, De la société comme texte. Linéaments d’une anthropologie dogmatique, Paris, Fayard, 2001, p. 131.
21 Cf Legendre, Leçons VII : Le désir politique de Dieu. Étude sur les montages de l’État et du Droit, Fayard, Paris, 2005, p. 22.
22 Ibid., p. 20.
23 Pierre Musso, op. cit. p. 64.
24 Ibid., p. 45.
25 Ibid., p. 47.
26 Ibid., p. 46f.
27 Ibid., p. 679.
28 Ibid., p. 48.
29 Pierre Legendre, Dominium Mundi. L’Empire du Management, Paris : Mille et une nuits 2007, p. 25.
30 Pierre Musso, La Religion industrielle, p. 695.
31 Ibid., p. 679.
32 Ibid., p. 679.
33 Antoinette Rouvroy / Bernard Stiegler, « Le régime de vérité numérique. De la gouvernementalité algorithmique à un nouvel État de droit », Socio 04/2015, 113-140, p. 114.
34 Cf. note 19.
35 Antoinette Rouvroy, p. 114.
36 Antoinette Rouvroy, p. 118f.
37 Antoinette Rouvroy, p. 118f.
38 Alain Supiot, p. 103.
39 Antoinette Rouvroy, « La vie n’est pas donnée », Études Digitales, 2.2 2016, p. 200. « L’univers des Big Data a l’air de correspondre trait pour trait à la description, par Maurice Blanchot d’“[u]n univers où l’image cesse d’être seconde par rapport au modèle […] où, enfin, il n’y a plus d’original, mais une éternelle scintillation où se disperse, dans l’éclat du détour et du retour, l’absence d’origine.” […] Cette stérilisation expurge le présent à la fois de sa contingence et de toute perspective d’altération, en réalité de tout ce qui fait une vie. Elle empêche par conséquent, au nom de l’impératif de l’optimisation en ‘temps réel’, tout rapport spéculatif, théorique, artistique ou politique au présent, et par suite, toute pro-jection hors de l’état de fait. »
40 Antoinette Rouvroy, p. 125.
41 Ibid., p. 122.
42 Ibid., p. 119.
43 Ibid., p. 117.
44 Ibid., p. 201. …qui « prétend nous dispenser purement et simplement de toute construction sociale, de toute représentation, au profit d’un accès immédiat, d’une osmose avec le monde lui-même dans son invincible hétérogénéité. »
45 Ibid., p. 117.
46 « Le concept de vérité se trouve de plus en plus replié sur celui de la réalité ou de l’actualité pure, au point, finalement, que les choses semblent parler pour elles-mêmes. » (Antoinette Rouvroy, p. 115)
47 Concernant l’hypothèse d’un éloignement croissant entre le niveau de la représentation politico-juridique et celui de la représentation subjective, voir mon article « Digitale Verbindlichkeiten und der Bann der Blockchain – das Ende der Repräsentation ? » (en parution).
48 Dans ce sens Michael J. Casey et Paul Vigna (The Truth Machine, p. 23) décrivent comment, aux États-Unis, on se retrouve dans une situation « où la confiance s’est fortement détériorée, où notre gouvernement ne fonctionne pas et où les entreprises qui auparavant garantissaient un emploi à vie ont maintenant recours à la sous-traitance ou au recrutement de robots. » [where trust has eroded sharply, where our government doesn’t work, and where companies that once guaranteed jobs for life are now either outsourcing them or hiring robots.]
49 Michael J. Casey et Paul Vigna, The Truth Machine, p. 23. Cela s’observe quotidiennement dans les discussions sur la « post-vérité », les « safe spaces », les « bulles sociales », le désenchantement politique, les biens communs… (voir dans ce sens mon article « Das postfaktische Drängen des Buchstaben in Zeiten rechtlich-sprachlicher Entgrenzung » (en parution)).
50 Pierre Musso, p. 56.
51 Ainsi, le projet Bitnation permet sur la « Plateform Pangea » de créer son propre État ou une « Nation Décentralisée Volontaire sans Frontières » [Decentralised Borderless Voluntary Nation (DBVN)]. « Les règles de ces DBVN sont entièrement personnalisables, y compris leur constitution, leurs modèles économiques, leurs codes juridiques, etc. » [The rules of these DBVN’s are entirely customizable, including their constitutions, economic models, and legal codes, etc.] https://blokt.com/news/bitnation-is-blockchain-technology-moving-us-towards-a-post-nation-state-world
52 On peut distinguer différents types de blockchain, à savoir privée, publique ou hybride. Cf. la note de bas de pages 75 pour des exemples de blockchains privées : une autorité centrale ou un consortium contrôlent les droits d’accès et d’utilisation et choisissent ses membres. (cf. de Filippi/Wright, p. 31 ; Plisson, Claire Fénéron. « La blockchain, un bouleversement économique, juridique voire sociétal », I2D – Information, données & documents, volume 54, no. 3, 2017, p. 20-22.)
53 Dans l’esprit de l’objectif de la première blockchain, Bitcoin, visant à établir une « communauté monétaire ».
54 Cf. de Primavera De Filippi / Aaron Wright, op. cit. p. 81 : « Avec les contrats intelligents, les barrières linguistiques, la distance et même le fait de ne pas connaître l’identité de l’autre n’empêcheraient plus les parties de s’engager dans des transactions économiques lucratives » [With smart contracts, language barriers, distance, and even a failure to know one’s identity would no longer prevent parties from engaging in gainful economic transactions.]
55 Michael J. Casey et Paul Vigna, op. cit. p. 34.
56 Jon Baldwin, “In Digital We Trust : Bitcoin Discourse, Digital Currencies, and Decentralized Network Fetishism”, Palgrave Communications 2018, No 4.1, p. 14, p. 3. [Instead of decentralisation being considered as based upon a geopolitical decision, being a contingent choice, serving a specific historical function, and with appropriate cost-analysis, it is claimed to be “superior,” and indeed, a “step forward in the evolution of systems.”]
57 Ibid., p. 3. [In this way bitcoin and digital discourse naturalizes, theologizes and teleologizes network technology. This discourse considers progress due to network technology as being a natural law and inevitable].
58 Michael J. Casey et Paul Vigna, op. cit. p. 20. [commonly accepted version of the truth that’s more reliable than any truth we’ve ever seen. We’re calling the blockchain a Truth Machine…]
59 Michael J. Casey et Paul Vigna, op. cit., p. 20.
60 https://nakamotoinstitute.org/the-god-protocols/ [Imagine the ideal protocol. It would have the most trustworthy third party imaginable – a diety who is on everybody’s side. All the parties would send their inputs to God. God would reliably determine the results and return the outputs. God being the ultimate in confessional discretion, no party would learn anything more about the other parties’ inputs than they could learn from their own inputs and the output].
61 https://nakamotoinstitute.org/the-god-protocols/
62 David Golumbia, Zealots of the blockchain, https://thebaffler.com/salvos/zealots-of-the-blockchain-golumbia
63 https://thebaffler.com/salvos/zealots-of-the-blockchain-golumbia [leader who seemed to oscillate in and out of existence, whose identity is likely fictitious].
64 Ibid. [the fact that his massive stash of Bitcoin remains unspent gives Nakamoto the appearance of a wholly ascetic, Buddha-like interest in the cryptocurrency theology].
65 Ibid. [few circumstances could have bolstered the “distributed” and “decentralized” mythology of the cryptocurrency better than a leader who seemed to oscillate in and out of existence, whose identity is likely fictitious].
66 Ibid. [If the precise theological role of Bitcoin Jesus had been somewhat murky, it now became much clearer : the point was to get rich quickly. Yet he does not lack for explicators, and those explicators do not lack for specific personal reward from promoting what they take to be his gospel ; and as in cultic systems, that gospel is framed around rejection of empirical evidence and the promotion of alternative forms of explanation that very much conform to Lalich’s theory of “bounded choice].
67 Primavera De Filippi / Aaron Wright, op. cit. p. 42. [Blockchains, however, are capable of storing more than mere records about the transfer of digital currencies. They can store data, messages, votes, and other kinds of information that can be encoded in a digital format. …from prayers, and eulogies to messages and images ranging from the sophomoric to the sublime. More generally, a blockchain can be regarded as a shared repository of information – an open, low-cost, resilient, and secure storage system that nobody owns but many people maintain.]
68 smartvows.com [indelible record of a marriage along with your wedding vows] [never be lost nor forgotten […]always be publicly viewable on the internet] [public promises are more likely to be kept, reduces divorce].
69 Mélanie Swan, p. 43. [“personal thinking chains” as a life-logging storage and backup mechanism].
70 Mélanie Swan, p. 43. [Thus, thinking could be instantiated in a blockchain – and really all of an individual’s subjective experience, possibly eventually consciousness. […] After they’re on the blockchain, the various components could be administered and transacted – for example, in the case of a post-stroke memory restoration. […] Again perhaps speculatively verging on science fiction, ultimately the whole of a society’s history might include not just a public records and document repository, and an Internet archive of all digital activity, but also the mindfiles of individuals. Mindfiles could include the recording of every ‘transaction’ in the sense of capturing every thought and emotion of every entity, human and machine, encoding and archiving this activity into life-logging blockchains].
71 Ainsi on lit dans Le monde que la consommation énergétique de la blockchain bitcoin équivaudrait à celle de l’Autriche (https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/11/08/le-bitcoin-pourrait-accelerer-le-changement-climatique_5380452_3244.html)
72 Cf. ici les concepts de « e-citizenship » ou « citoyenneté dématérialisée ».
73 Pierre Legendre, Le désir politique de Dieu, p. 210.
74 https://www.theatlantic.com/technology/archive/2017/05/blockchain-of-command/528543/ [With computers handling the entire process, I’d never even be able to forget to pay for parking. The only way to fail would be for my car to run out of Bitcoin, in which case the parking lot has easy recourse : Because my car’s ignition is managed by a computer, the parking lot could just shut my vehicle down].
75 Comme par exemple l’administration à Dubai (https://smartdubai.ae/initiatives/blockchain), ou l’Université Woolf qui est entièrement administrée par la blockchain (https://woolf.university) ; ou plusieurs cas de gestion logistique (http://www.ipsoa.it/documents/impresa/contratti-dimpresa/quotidiano/2019/01/07/blockchain-strategy-for-the-protection-of-made-italy-products) ; la bourse (https://www.forbes.com/sites/ericervin/2018/08/16/blockchain-technology-set-to-revolutionize-global-stock-trading/)
76 Pour plus de détails de cette argumentation, voir mon article « La technologie blockchain – ou : Le désir de surmonter la nécessité du tiers » en parution (Grief, revue sur les mondes du droit 4, Paris, EHESS, Dalloz.)
77 Cf. Primavera De Filippi / Aaron Wright, op. cit., p. 55 ; Marcella Atzori, op. cit., p. 29 : « Dans un monde de plus en plus tributaire de la technologie et régi par des réseaux, les détenteurs des plates-formes, qu’ils contrôlent, auront un pouvoir important sur la société civile dans un contexte mondial. » [In a world increasingly reliant on technology and ruled by networks, whoever owns and controls these platforms will always have a significant power over civil society on a global scale].
- CLIL theme: 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN: 978-2-406-09563-7
- EAN: 9782406095637
- ISSN: 2497-1650
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-406-09563-7.p.0033
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 10-15-2019
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: Blockchain, trust, third party, technology, irrational