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Classiques Garnier

La technologie blockchain et la promesse crypto-divine d’en finir avec les tiers

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Études digitales
    2018 – 2, n° 6
    . Religiosité technologique, II
  • Auteur : Becker (Katrin)
  • Résumé : L’objectif clé de la technologie blockchain est de se débarrasser du tiers de confiance. L’article met en rapport cette technologie avec le système idéologico-institutionnel occidental, et problématise cette promesse de surmonter le tiers selon une perspective culturelle et religieuse. L’accent est mis sur la réapparition paradoxale du décor irrationnel-mythologique dans l’entourage de ce dispositif technologique qui prétend pourtant en avoir fini avec toute forme d’ambiguïté et d’irrationalité.
  • Pages : 33 à 52
  • Revue : Études digitales
  • Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
  • EAN : 9782406095637
  • ISBN : 978-2-406-09563-7
  • ISSN : 2497-1650
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-09563-7.p.0033
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 15/10/2019
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Blockchain, confiance, tiers, technologie, irrationnel
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La technologie blockchain
et la promesse crypto-divine
den finir avec les tiers

« Lavantage de la blockchain consiste à supprimer le besoin dun tiers de confiance1 », à « permettre de passer de la confiance aux gens à la confiance en les mathématiques2 ».

Voilà lacquis essentiel de la technologie blockchain : son objectif est de permettre de se débarrasser de toutes les entités tierces qui, jusquici, ont permis léchange entre deux ou plusieurs partenaires impliqués dans tout type de transactions ou dinteractions en garantissant leur crédibilité.

Dans ce qui suit, nous examinerons cette promesse de la technologie blockchain en portant notre attention sur les tiers quelle promet dabolir. À cette fin, nous allons dabord regarder de plus près ce tiers qui, dans les discours pertinents, est généralement conçu comme « des gouvernements, des banques, des institutions financières ou dautres organisations3 ». Ensuite, nous allons linscrire dans un contexte culturel et théorique plus large – en nous basant sur lapproche de lanthropologie dogmatique fondée par Pierre Legendre et développée par Alain Supiot et Pierre Musso, approche selon laquelle la croyance en un tiers métaphysique est 34nécessaire au fonctionnement de tout système institutionnel-culturel. Partant dune mise en rapport de la technologie blockchain avec le système idéologico-institutionnel occidental, nous allons ensuite problématiser cette idée de surmonter le tiers dans une perspective culturelle-théorique et de logique religieuse. En particulier, nous poserons la question de savoir comment évaluer les concepts et les discours explicitement religieux qui apparaissent de plus en plus souvent dans le contexte de cette nouvelle technologie.

La base technologique de la blockchain

Lobjectif principal de la technologie blockchain est de libérer le sujet des contraintes de toutes ces institutions, entreprises et intermédiaires, qui servent traditionnellement de tiers de confiance.

Quil sagisse de banques, de banques centrales, de notaires, de registres, de cadastre, de grandes entreprises ou, en dernière analyse, de structures étatiques, les structures centrales sont obsolètes et doivent être surmontées. La base de données décentralisée blockchain prend le relais de leur fonction de médiateur de la coexistence sociale4.

La réalisation de ce scénario a été rendue possible par le fondateur de la crypto-monnaie Bitcoin, dont lidentité véritable – cachée derrière le pseudonyme Satoshi Nakamoto – est restée opaque jusquà nos jours. En créant une procédure de stockage des informations collective, consensuelle et par conséquent infalsifiable, il a rendu superflue la nécessité dun tiers de confiance. Afin de présenter le système de la blockchain de la manière la plus illustrative et accessible possible, Primavera de Filippi et Aaron Wright proposent de le considérer comme un « “livre” infalsifiable avec des copies identiques stockées sur plusieurs ordinateurs dans le monde 35entier5 ». Chaque fois quun nouveau contenu est ajouté, toutes les copies de ce livre stockées sur des ordinateurs interconnectés dans un réseau pair à pair mondial sont mises à jour. Par contre, les pages de ce « livre » sont ici remplacées par des « blocks », des « accusés de bien-trouvé non modifiables6 » qui sont intégrés dans « lhistorique “sans faille” » dune chaîne continue : la blockchain.

La particularité – à savoir limpossibilité de falsifier ce « livre » ou la chaîne – est assurée par « un algorithme spécial [qui est] intégré à un logiciel commun exécuté par tous les ordinateurs du réseau. Lalgorithme oriente systématiquement les ordinateurs vers un consensus partagé concernant les nouvelles données qui seront ajoutées au registre, intégrant toutes sortes déchanges économiques, de revendications de propriété et dautres formes dinformations précieuses7. »

Dans la mesure où cette méthode de stockage est décentralisée et basée sur le consensus, une modification ou une falsification des informations stockées et acceptées deviennent impossibles : cela entraînerait automatiquement une modification de toutes les informations stockées dans la blockchain8.

Outre la première blockchain Bitcoin, qui poursuit un but purement monétaire, dautres blockchains ont entre-temps été développées qui, comme la blockchain Ethereum, permettent désormais le stockage et le référencement dinformations ainsi que limplémentation de contrats 36intelligents. Ces smart contracts sont de « petits programmes informatiques » qui opèrent selon la logique « if-then ». Dans ces « contrats », « les prestations (par exemple, le transfert dun montant de crypto-monnaie) [] sont subordonnées à la réalisation de conditions préalablement programmées9 ». Autrement dit, parce que la monnaie de la blockchain concernée est également intégrée dans le code, le transfert dun montant (ou bien lenregistrement dune information) – en tant quélément « IF » – peut déclencher, de manière automatisée et en temps réel, une opération préalablement programmée en tant quélément « THEN ».

Notamment dû au fait de lexpansion de lInternet des Objets (Internet of Things), cest-à-dire de la possibilité de connecter des objets aux programmations en ligne, il semble donc possible dautomatiser des procédures administratives, de vendre, par exemple, de lénergie générée de manière privée indépendamment des compagnies énergétiques, ou de lier les fonctions de certaines machines (louverture des portes, le démarrage dune voiture autonome) à la réalisation de certaines conditions programmées dans le code10.

En rendant la contrefaçon impossible et en automatisant lexécution des transactions programmées par des « contrats intelligents », la confiance en un tiers garantissant lexactitude des informations devient donc redondante. On parle de confiance sans confiance (trustless trust), cest-à-dire quil suffit de faire confiance au code qui est au fondement de la blockchain. En conséquence, la blockchain serait à concevoir comme un « nouveau système dobjectivation des valeurs, relativement perfectionné11 » et prendrait ainsi le relais de ces tiers de confiance qui traditionnellement 37« garantissent lobjectivité » des systèmes de valeurs, tels que les monnaies (banque), les religions (lÉglise) et les systèmes juridiques (lÉtat)12.

Ainsi, la blockchain développe la capacité à « rompre avec les processus économiques et sociaux, à mettre les intermédiaires à genoux et à attaquer aussi lessence des institutions13 ».

Conformément au « thème récurrent de la personnalisation de la gouvernance et des systèmes juridiques permise par la blockchain14 », lidée est de permettre à lindividu de se délier des structures et des directives institutionnelles en lautorisant à négocier au cas par cas les règles et les termes juridiques avec chaque partenaire associé à chaque transaction. Ceux-ci sont ensuite mis en œuvre de manière transnationale et – en particulier grâce à lintégration croissante dobjets intelligents – de manière autonome, cest-à-dire, « indépendamment de tout gouvernement ou dautre autorité centralisée15 ».

Compte tenu de la possibilité de personnaliser des services gouvernementaux et des systèmes juridiques et de lattaque concomitante contre l« essence des institutions », lobjectif principal de la technologie blockchain semble être, à première vue, lautonomisation et la souverainisation du sujet. Par contre, les propos des fondateurs de la blockchain indiquent que celle-ci est censée servir de base pour un tout nouveau système social. Par exemple, Vitalik Buterin, fondateur de la blockchain Ethereum, explique :

Ethereum fonctionne sur des milliers de PC et repose sur un contrat social. En tant que communauté, nous définissons des paramètres que nous considérons communément bons et corrects. Nous veillons tous à ce que ce contrat social ne soit pas rompu16.

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Il semble donc nécessaire de porter notre attention sur la dimension socio-culturelle de lidéologie de la blockchain, ce que nous allons faire à la lumière de lapproche théorique de lanthropologie dogmatique selon laquelle « [a]ucune société ne peut se passer de croyance, de divinités et de leur mise en scène théâtrale et normative17 ». En ce sens, nous analyserons la technologie blockchain en fonction de son « système de croyance », et en particulier au regard de sa relation avec la « structure fiduciaire18 » de lOccident.

La fonction culturelle du Tiers

Dans son anthropologie dogmatique, Legendre affirme que chaque culture est soumise à limpératif de créer un point de référence métaphysique « au nom duquel » le système institutionnel entier parle et trouve ainsi sa légitimité. Les institutions, le droit et la politique dune société doivent donc parler « au nom de » ce Référent symbolique pour paraître crédible et pour légitimer et authentifier les valeurs, les significations et les paradigmes quils représentent et mettent en œuvre. La subjectivité individuelle se constitue également au nom de cette Référence : le sujet sintègre dans le système de représentation mise en jeu par cette dernière via les rôles et les masques que lui offrent ou lui imposent les institutions. Cest à travers ceux-ci quil se reconnaît comme partie intégrante de la culture, quil se soumet au système normatif et quil entre en échange avec les autres membres. Dans toutes les sociétés, cette relation entre 39les sujets et les institutions se base ainsi sur une structure de foi dans la mesure où, comme lexplique Alain Supiot :

Tout gouvernement implique pour durer que ses membres lui fassent crédit, à la fois au sens le plus fort et le plus technique du mot « crédit ». Le plus fort, car il sagit bien de croyance, au sens dogmatique : de la foi dans une Vérité légale qui simpose à nous. Le plus technique, car cette croyance nest pas une affaire privée, mais une créance opposable à tous et garantie par un Tiers19.

Par contre, cette relation de foi ne peut être stable, ou, pour le dire dans la terminologie de Legendre, « ce discours “au nom de” ne peut être efficace que si lentité au nom de laquelle on parle est rendue visible, dicible, saisissable à travers des mots et des images qui “peuplent” labîme20 ».

Ce concept d« abîme » se réfère ici à tout abîme qui souvre entre deux pôles dune relation normative, cest-à-dire – au sens des fondements psychanalytiques de lapproche legendrienne – comme lécart qui souvre au moment de lidentification de lenfant avec son reflet spéculaire ; la distance entre le signifiant et le signifié ; ainsi que labîme qui souvre dans la tentative de répondre à la question ultime du pourquoi ?, concernant lorigine de lexistence humaine dans la culture21.

En ce sens, chaque culture doit mettre en scène lentité dun tel grand tiers dune manière qui permette aux sujets dy croire – à savoir par la mise en œuvre « des moyens bassement mythologiques22 ». Ce nest que par la mobilisation de moyens esthétiques et discursifs que le lien émotif des sujets à la culture sétablit ; ce nest quen adressant sa partie irrationnelle que le sujet arrive à croire aux fondements et aux institutions de la culture et par conséquent à sa propre identité culturelle – une foi qui est en même temps essentielle pour la validité et lefficacité de ces mêmes institutions. Et dans ce sens, la normativité et la mythologie se superposent dans la figure du tiers de chaque culture : « Fonctionnalité 40et fictionnalité vont de concert. La déraison ou lirrationnel, le mythe, est le complément obligé de son inverse rationnel, la loi et la norme23. »

Contrairement à ce que suggère la thèse du « désenchantement du monde », cette dimension mythologique-irrationnelle est toujours à lœuvre dans le monde industrialisé, comme lexplique Pierre Musso dans son ouvrage La religion industrielle en imputant cette forme spécifiquement rationnelle de religion, et en tant que telle méconnaissable, à la particularité de la « structure fiduciaire » en Occident. Celle-ci, telle est lhypothèse de lanthropologie dogmatique, trouve son origine dans la fusion du droit romain et du christianisme qui a eu lieu aux xie et xiie siècle. Cette fusion aurait créé la combinaison paradoxale du mythe irrationnel chrétien de lincarnation de Dieu dans lhomme dun côté, et, de lautre côté, dun dispositif juridique hautement rationnel et efficace, promulgué par ce « Dieu législateur24 ». De ce fait, lirrationalité du mythologique et la rationalité du système normatif organisé selon des critères defficacité se sont superposées, créant ainsi la matrice spécifique de la culture occidentale qui, depuis, fonctionne selon le « schéma ternaire » suivant : « une foi fondatrice, une normativité et un médiateur [institutionnel] qui “colle” les deux ensemble25. » Cette structure, explique Pierre Musso en sappuyant sur lapproche de Legendre, est également à lœuvre dans la structure institutionnelle actuelle quil appelle « religion industrielle ». 

Ainsi, ce seraient les paradigmes rationnels comme celui de progrès ou celui de développement qui occupent, depuis lère de lindustrialisation, la place du Référent symbolique. Malgré leur nature dapparence rationnelle, ils sont donc lobjet dune foi déraisonnable, mythologiquement chargée. En même temps, est édicté en leur nom un « ensemble de “préceptes du vivre”, de techno-rationalités, de normes, voire dinterdits [tels que] lefficacité, lorganisation, laction et les résultats “utiles”26 ». Les « corps dexperts – les managers-ingénieurs27 » ou les entreprises représentées par eux jouent alors le rôle de messagers, dentités incarnant le référent symbolique Progrès. De 41surcroît, à la façon dune religion, le système industriel a créé « ses images, ses rythmes, ses propagandes publicitaires, son discours et même son art28 » moyennant lesquels ces messagers assurent que les sujets croient aux doctrines de la « nouvelle Bible, laïque, [] [qui] sappelle Techno-Science-Économie29 ».

Selon Pierre Musso, lévolution des possibilités technologiques et, en particulier, lavènement de lordinateur auraient surtout conduit à une modification de la nature et du fonctionnement de la « colle institutionnelle », dont la logique sest progressivement éloignée des institutions étatiques pour se rapprocher de lorganisation dentreprise30. Ensuite, dans le cadre de « lère cyber-managériale » et au nom du progrès et de la domination de la nature, elle miserait de plus en plus sur le « pouvoir des machines “intelligentes” » au lieu du « politique failli » (ayant « conduit à la catastrophe » de guerre31) :

Le cybermanagement prétend réaliser (enfin) le rêve du gouvernement scientifique, machine, automatique des hommes [] géré[] par un corps dexperts – les managers-ingénieurs –, et dun pilotage scientifique, surrationnel, voire automatique, de la société32.

La gouvernementalité algorithmique

Notre hypothèse est que cette évolution récente de la « colle institutionnelle », intensifiée par limportance croissante des algorithmes, implique, de surcroît, une dynamique autodestructive qui concerne le fondement légitimateur des institutions ainsi que le lien de foi entre les institutions et le sujet. En même temps, cest cette dynamique même qui, à mon avis, sert de fondement à la création et au succès de la technologie blockchain.

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Dans ce qui suit, notre hypothèse sera développée à partir des réflexions dAntoinette Rouvroy, qui, sous le titre de « gouvernementalité algorithmique33 », décrit la mise en place dune représentation fondamentalement nouvelle du monde, de la subjectivité et de la société – et cela dans le sens dune intensification de ce que Pierre Musso et Alain Supiot décrivent sous la notion de l« ère numérique » ou de la « gouvernance par les nombres34 ».

Dans cette perspective, la montée dune « modélisation algorithmique du réel35 » aboutirait à une situation où la nécessité de croire aux vérités représentées et mises en scène par la culture se trouverait généralement remise en question : Ainsi Antoinette Rouvroy décrit comment sétablit, sur la base de lexploitation des big data, une « mise en nombres de la vie même, à laquelle est substituée non pas une vérité, mais une réalité numérique, une réalité qui se prétend le monde, cest-à-dire qui se prétend non construite36 » .

Dès lors quil « suffit » de faire tourner des algorithmes sur des quantités massives de données pour en faire surgir comme par magie des hypothèses à propos du monde, lesquelles ne vont pas nécessairement être vérifiées, mais seront opérationnelles, on a effectivement limpression davoir décroché le Graal, davoir atteint lidée dune vérité qui ne doit plus, pour simposer, passer par aucune épreuve, aucune enquête, aucun examen, et qui, pour surgir, ne dépend plus daucun événement37.

Ces vérités-réalités, établies par des algorithmes et principalement axées sur des valeurs économiques, constituent de plus en plus souvent la référence principale pour les actions des institutions politico-juridiques, qui ensuite sinterconnectent au niveau mondial, conformément à la revendication de validité universaliste de ces vérités. Ainsi on observe, comme lexplique Alain Supiot, « la soumission [du] contenu [des lois] à un calcul dutilité, en sorte quelles servent les “harmonies économiques” qui présideraient au fonctionnement des sociétés humaines38 ». En même temps, ces acquis technologiques offrent la possibilité croissante dun 43pilotage automatique de certaines structures sociales en fonction des résultats calculés par lalgorithme.

En conséquence, les institutions perdent deux de leurs caractéristiques et fonctions traditionnelles.

En premier lieu, elles nont plus besoin de décor mythologique-esthétique (traditionnellement spécifique à chaque culture) pour incarner de manière crédible l« au nom de ». Se basant sur lexploitation des big data et donc sur labolition de toute dimension contingente et virtuelle, cette nouvelle conception de lorganisation sociale élimine « tout rapport spéculatif, théorique, artistique ou politique au présent39 ». En dautres termes, la possibilité ou bien la nécessité dadresser et dintégrer la dimension irrationnelle savère désormais superflue : labîme se clôt.

En deuxième lieu – et comme conséquence logique de ce qui précède – la croyance des sujets en ces tiers industriels qui mettent en œuvre le système représentationnel nest plus nécessaire dans la mesure où la possibilité algorithmique de « faire exister par avance des actes qui nont pas encore été commis40 » prive progressivement les sujets de toute possibilité de désobéissance. Comme le constate Antoinette Rouvroy, on assiste à la mise en scène de labolition du sujet dont les « capacités dentendement et de volonté » ne jouent plus aucun rôle. Il est désormais conçu plutôt comme le destinataire de signaux « qui provoquent du réflexe, donc des stimuli et des réflexes41 ». On nie donc « le fait quon ne sait jamais si lindividu va toujours faire tout ce dont il est capable, cette possibilité de ne pas faire, cette possibilité de désobéir42 ».

Par contre, cette appréciation des conséquences induites par le triomphe de la gouvernance par les algorithmes sur les institutions ne prend pas 44en compte les processus de logique représentationnelle propres aux sujets. Pour ceux-ci, le manque de liberté résultant de la conception algorithmique du monde, de la subjectivité etc. conduit parallèlement à une liberté et une indépendance nouvelles – un double mouvement qui, en même temps, a un impact destructif sur la force dadhésion et donc la validité des institutions :

Cest au sens dune « complicité43 » paradoxale que les sujets adoptent pour eux-mêmes la « “vision” algorithmique44 » mise en œuvre à léchelle institutionnelle ; cest-à-dire la vision du monde se basant uniquement sur les représentations construites selon le calcul algorithmique. De cette façon, sont abolies toutes les représentations qui, en raison de leur nature dogmatique et indémontrable, nécessitent un moment de foi, leffort de surmonter lécart entre réalité et vérité à laide de moyens esthétiques et mythologiques. De la sorte, les sujets se voient libérés de toute nécessité de croire aux « modèle[s] a priori45 » traditionnellement incarnés et dictés par les institutions. Au lieu de cela, et grâce aux représentations et informations de plus en plus individualisées transmises par les médias sociaux, les sujets sont capables dédifier pour eux-mêmes une représentation individualiste du monde et du soi. Par ailleurs, en raison de la divulgation du nouveau concept de vérité-réalité par les institutions elles-mêmes, cette représentation individualiste na plus besoin dêtre intégrée aux représentations communes pour être validée46. Ainsi, cette nouvelle logique de représentation, se basant sur la conception de la « vérité ultime » comme vérité-réalité calculée selon les algorithmes, comporte elle-même en germe la distanciation croissante des sujets vis-à-vis de toutes les institutions traditionnelles ainsi que laffaiblissement de celles-ci résultant de ce fait même47.

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Lidéologie de la blockchain

La caducité apparente de la croyance aux « modèles a priori » et aux paradigmes de vérité mis en scène au niveau institutionnel, déjà alimentée par le « politique failli » mentionné précédemment, se trouve encore aggravée par une économie faillie48. L« épuisement » de « la confiance du public dans les institutions49 » qui en résulte, associée à la caducité de la foi, sert de base de départ pour lidéologie de la blockchain. Celle-ci pousse à lextrême la tendance à la déliaison vis-à-vis des institutions et proclame que le sujet naurait en grande partie plus besoin de ces structures institutionnelles, que celles-ci pourraient être fondamentalement surmontées.

Cette revendication se légitime par le mécanisme technologique de la blockchain qui se fonde sur le calcul algorithmique, limplémentation automatisée des règles enregistrées dans le crypto-code et le consensus : de la sorte, cette technologie élimine, dune part, le besoin de messagers dont le rôle est précisément dassurer la représentation dune vérité quelconque autant quelle évacue la nécessité dun cadre institutionnel garantissant la mise en œuvre de son dispositif normatif. Dautre part, ce mécanisme offre aux sujets de nouveaux moyens permettant la gouvernance du soi et du monde (cf. la personnalisation des services gouvernementaux).

Ce nouveau système de représentation obéit donc entièrement au « principe de non-contradiction », saffranchissant ainsi de toutes « choses ambivalentes, voire paradoxales50 », cest-à-dire de la dimension irrationnelle et déraisonnable de la vie sociale. En conséquence, lobjectif déclaré 46de la blockchain – celui de surmonter le besoin du tiers de confiance – est à comprendre en ce sens : devant le référent « Nombre » ou « Code algorithmique », les représentants humains (intégrant nécessairement la dimension irrationnelle) ont été mis à mal. Sont plus spécifiquement remis en cause leur potentiel de confiance ainsi que le besoin de leur service. Au lieu de faire confiance à des États corrompus ou à des représentants humains qui feraient office de messagers porteurs dune vérité métaphysique, chacun peut désormais avoir accès aux vérités-réalités algorithmiquement établies et construire sa propre structure institutionnelle51. La seule confiance nécessaire est celle en lalgorithme de base de la blockchain – qui stocke toutes les données de manière infaillible et accessible.

Je me réfère ici uniquement à lidée originale dune blockchain « publique », cest-à-dire celles qui sont ouvertes à la consultation et à lutilisation de chacun et qui poursuivent lobjectif dune organisation sociale/économique décentralisée à léchelle mondiale, au-delà de toute contrainte institutionnelle52.

Comme nous lavons vu, lidée des fondateurs et des propagateurs de la blockchain nest pas, par contre, celle détablir un mode de vie simplement individualiste. Ils considèrent plutôt la technologie comme la base dune nouvelle société53, une société dans laquelle les États-nations ne jouent plus aucun rôle et où la rencontre physique entre ses membres nest pas nécessaire, puisque ceux-ci nont besoin ni de se connaître ni de se faire confiance54. Considérant que l« histoire de la civilisation humaine [est 47fondée sur] un consensus, une compréhension commune de ce que nous considérons être la vérité, un accord à léchelle de la société », Michael J. Casey et Paul Vigna proposent de concevoir la technologie blockchain « comme un outil permettant à la société de créer les histoires communes dont elle a besoin pour semer encore plus de confiance, de construire un capital social et de forger un monde meilleur55. »

À première vue, lidéologie sous-jacente à la blockchain sinscrit donc dans le système fiduciaire de lOccident mis en lumière par Pierre Legendre et Pierre Musso, cest-à-dire que sa création repose sur la foi dans le Progrès scientifique, économique et technologique. En ce sens, la « décentralisation » au nom de laquelle la blockchain a été développée et opère principalement nest pas conçue comme étant « fondée sur une décision géopolitique », mais plutôt comme « un pas en avant dans lévolution des systèmes56 ». « De cette manière, bitcoin et le discours numérique “naturalisent, théologisent et téléologisent la technologie de réseau”. Ce discours considère les progrès rendus possibles par la technologie de réseau comme une loi naturelle et inévitable57. »

Cependant, nous émettons lhypothèse selon laquelle la technologie de la blockchain est en train de dépasser toutes les structures, systèmes et « révolutions » jusquici établis par la « religion industrielle » : elle repose non seulement sur le basculement et la précarisation de la « colle institutionnelle » traditionnelle, mais elle incite de surcroît à une modification majeure de l« au nom de », cest-à-dire du Référent symbolique. Celui-ci se superpose désormais à la plus nouvelle innovation du progrès technico-économique, à savoir le code algorithmique de blockchain. En conséquence, elle établit un système de représentation totalement nouveau, une « vérité qui est plus fiable que toute vérité que nous ayons 48jamais vue58 », qui émerge de la structure fiduciaire de lOccident tout en la dépassant.

De cette manière, cette « machine de vérité59 » ne rend pas seulement le messager humain corruptible superflu. En raison de sa nature consensuelle et programmable (qui est idéalement censée opérer selon des critères de justice), elle éclipse tous les tiers métaphysiques précédents jusque, au bout du compte, Dieu lui-même. Le livre blanc publié par Nick Szabo en 1997, qui a fourni une des bases pour la création de la technologie blockchain, indique de la sorte :

Imaginez le protocole idéal. Il aurait le tiers le plus digne de confiance imaginable – une divinité qui est du côté de tout le monde. Toutes les parties enverraient leurs inputs à Dieu. Dieu déterminerait de manière fiable les résultats et renverrait les outputs. Dieu étant le pouvoir ultime en matière de discrétion confessionnelle, aucune partie nen apprendrait davantage sur les inputs des autres parties que celles-ci pourraient apprendre de leurs propres inputs et outputs60.

Le titre de ce livre blanc – « God Protocols61 » – ainsi que le nom donné au premier bloc de la blockchain Bitcoin – « Genesis-block » – ne surprennent donc pas. Tous deux sous-tendent la même prétention : celle davoir créé un nouveau tiers, absolument infaillible, car totalement programmable et basé sur le consensus, qui permettrait de surmonter et de remplacer le système fiduciaire occidental.

Partant de ce jeu avec des concepts religieux, la blockchain Bitcoin a ensuite constitué plusieurs mises en scène délibérément mythologiques. Comme lexplique de manière illustrative David Golumbia62, ces mises en scène se laissent surtout imputer aux objectifs prioritairement financiers de cette communauté de crypto-monnaie. Ainsi, le fondateur de 49Bitcoin, Satoshi Nakamoto, « dont lidentité est probablement fictive » se plaçait lui-même comme une sorte de guide « qui semble osciller dans et hors de son existence63 ». Dans la mesure où « sa réserve massive de Bitcoin reste intouchée [], [il a ainsi créé] lapparence dun intérêt tout à fait ascétique, semblable à celui de Bouddha, dans la théologie de la crypto-monnaie64 ». À la façon dun culte sectaire, ces mises en scène avaient principalement pour but de « renforcer la mythologie “distribuée” et “décentralisée”65 » afin de mieux réaliser des objectifs financiers. Selon David Golumbia, une même logique sapplique aux phénomènes survenus après la disparition de Nakamoto du discours public Bitcoin quil sagisse de la nomination dun « Bitcoin Jésus » ou de la fondation dune « Église du Bitcoin » et dune « Église de Satoshi » promouvant une « religion » appelée « Satoshism66 ».

Au-delà de ces phénomènes gravitant autour de la crypto-monnaie, la conception du code sassortit également dune charge de plus en plus spirituelle – au sens où on assiste à une réapparition paradoxale du décor irrationnel-mythologique entourant exactement cette « Référence » qui prétend pourtant en avoir essentiellement fini avec le besoin dun tel décor. Ainsi, on apprend quil serait désormais possible de stocker toutes sortes dinformations, « des prières et des éloges aux messages et aux images allant du sophomorique au sublime67 » – une capacité de stockage qui, par endroits, se trouve ensuite spirituellement chargée. Ainsi, le 50site smartvows.com offre la possibilité de se marier sur la blockchain afin de créer un « record indélébile du mariage avec vos vœux de mariage » qui restera stocké pour toujours, « sera toujours visible publiquement sur internet » et ne sera donc « jamais perdu ni oublié ». Enfin, il est précisé que « les promesses publiques sont plus susceptibles dêtre tenues, [ce qui] rédui[rai]t le divorce68. »

Dans dautres cas, est faite la promesse dune possibilité future détablir des « chaînes de pensée personnelles69. » Ces dernières permettront que « la pensée [puisse] être instanciée dans une blockchain – et en réalité toute lexpérience subjective dun individu, éventuellement un jour la conscience70. » La conception de ces scénarios repose certainement aussi, dans de nombreux cas, sur la tentative dacquérir de nouveaux « membres » pour la communauté blockchain ou sur des intérêts financiers – dautant plus que cette structure sociale dapparence décorporéisée et virtuelle comporte néanmoins une réalité tout à fait corporelle, liée à sa forte consommation énergétique71.

Cependant, la base technologique de la blockchain, avec son Code-Référent dématérialisé, opérant de manière décentralisée et globale, se prête particulièrement bien à lesquisse de tels scénarios mythologiques, irrationnels et relevant parfois de la science-fiction. Ceci est dautant plus vrai dans la mesure où ces idées correspondent parfaitement aux conceptions dune vie sociale et subjective décorporéisées ou virtualisées promues par la communauté blockchain72. Lidée originelle dun possible transfert dans le code du droit, de la subjectivité et de la vie sociale 51savère donc un terrain fertile pour de tels scénarios. En leur sein, on discerne la récurrence du « discours mythologique de la dénégation de la mort » tenu depuis toujours, toujours associé à des « fantasmes dimmortalité73 » qui sont désormais réassignés à lidée dune existence algorithmiquement programmable.

Indépendamment de ces scénarios étranges, souvent dystopiques et en grande partie irréalistes, le code possède toutefois un pouvoir considérable, en ce quil recouvre désormais les positions du Référent symbolique-algorithmique, du dispositif légal et normatif (contrats intelligents) et de la colle institutionnelle. Et cest particulièrement en raison de laccroissement de lInternet des Objets et des nouvelles possibilités de la soumission du corps aux opérations algorithmiques, comme par exemple via le scanning de liris, les applications de santé etc. que le code acquiert un pouvoir presque divin de pilotage, de sanction ou de récompense, dénué de tout contrôle humain :

Avec les ordinateurs qui gèrent tout le processus, je ne pourrais même jamais oublier de payer pour le stationnement. La seule façon déchouer serait que ma voiture soit à court de Bitcoin, auquel cas le stationnement a un recours facile : parce que lallumage de ma voiture est géré par un ordinateur, le parking peut simplement arrêter mon véhicule74.

Actuellement, la blockchain est implémentée par un nombre croissant dentreprises, dinstitutions étatiques et dorganisations, notamment comme système technologique de stockage décentralisé et dautomatisation des processus administratifs75. Même si, dans ces contextes, seuls les aspects pratiques et économiques comptent, labsence de prise de conscience de lidéologie globale et de la logique représentationnelle sous-jacentes 52à cette technologie est, de mon point de vue, à la fois frappante et problématique.

Dune part, lexpansion croissante du champ dapplication de cette technologie a nécessairement un effet déstabilisateur supplémentaire sur les systèmes juridico-politiques existants, et surtout sur leur force dadhésion – précisément en raison de ce nouveau système spécifique de représentation et des paradigmes sociaux propagés par cette même technologie (comme par exemple la subjectivité autonome, les fonctions juridiques et services gouvernementaux programmables et les communautés dématérialisées/décorporéisées)76.

Dautre part, en reconnaissance de lirrationalité ou du caractère généralement irréalisable de certaines idées touchant lorganisation sociale esquissée par la communauté blockchain, et de la nécessité conséquente de préserver les structures institutionnelles données, il apparaît urgent de tourner le regard vers lémergence potentielle de nouveaux tiers d« ici-bas » qui, désireux daccumuler davantage de pouvoir et de contrôle, seraient en mesure dexploiter cette technologie « sans tiers77 ».

Cest surtout en vue de ses implications possibles et effectives sur les structures sociales et culturelles que la montée dune mise en œuvre insouciante de ce système de confiance sans confiance nécessiterait davantage de méfiance.

Katrin Becker

Université du Luxembourg

IEA de Nantes

1 Marcella Atzori, Blockchain Technology and Decentralized Governance : Is the State still necessary ?, http://nzz-files-prod.s3-website-eu-west-1.amazonaws.com/files/9/3/1/blockchain+Is+the+State+Still+Necessary_1.18689931.pdf, p. 7. [[T]he advantage of the blockchain consists of removing the need of a trusted third party].

2 Andreas Antonopoulos, Bitcoin security model : trust by computation. A shift from trusting people to trusting math. http://radar.oreilly.com/2014/02/bitcoin-security-model-trust-by-computation.html.

3 Marcella Atzori, op. cit., p. 3. [governments, banks, financial institutions or other organizations].

4 http://www.handelsblatt.com/finanzen/maerkte/devisen-rohstoffe/krypto-kolumne/coin-und-co-die-krypto-kolumne-das-blockchain-manifest-und-seine-abgruende/21245486.html [Ob Banken, Notenbanken, Notare, Register, Kataster, Großkonzerne, oder in letzter Konsequenz auch staatliche Gebilde : Zentrale Strukturen sind überholt und zu überwinden. Ihre Funktion als Mittler des gesellschaftlichen Zusammenlebens übernimmt die dezentrale Blockchain-Datenbank].

5 Primavera De Filippi / Aaron Wright, Blockchain and the Law : The Rule of Code, Harvard : 2018, p. 22. [tamper-resistant book with identical copies stored on a number of computers across the globe].

6 https://www.nzz.ch/finanzen/private-finanzen/herausforderung-fuer-banken-und-den-staat-blockchain-der-naechste-wohlstandsschock-ld.17609 [nicht veränderbaren Richtigbefundanzeigen].

7 Michael J. Casey / Paul Vigna, The truth machine. The blockchain and the future of everything, New York : St. Martins Press 2018, p. 12. [with a special algorithm [that is] embedded into a common piece of software run by all the computers in the network. The algorithm consistently steers the computers toward a shared consensus on what new data to add to the ledger, incorporating all manner of economic exchanges, claims of ownership, and other forms of valuable information].

8 The computers owners are either paid in a digital currency, which incentivizes them to work on protecting the systems integrity, or they do their work as part of a commitment to a consortium agreement. The result is something unique : a group of otherwise independent actors, each acting in pure self-interest, coming together to produce something for the good of all – an immutable record that everyone can trust and thats not managed by a single, centralized intermediary. (Michael J. Casey / Paul Vigna, p. 12)

9 https://www.it-daily.net/it-sicherheit/governance-risk-compliance/14002-smart-contracts-eine-neue-anwendung-fuer-die-blockchain-technologie [Leistungen (z.B. die Überweisung eines Betrags in einer Kryptowährung) [] vom Eintritt zuvor programmierter Bedingungen abhängig gemacht].

10 Slock.it – des serrures intelligentes (smart locks) pouvant être payées, ouvertes et verrouillées via la blockchain à laide de contrats intelligents. Lo3Energy – un projet à Brooklyn permettant aux propriétaires dacheter et de vendre de lénergie générée avec des panneaux solaires sur le toit. La blockchain leur permet de fixer leurs propres prix, sans passer par un intermédiaire. « Si les actes de naissance ou de décès étaient enregistrés dans une blockchain, les paiements et services gouvernementaux liés à ces événements pourraient être automatiquement déclenchés ou suspendus… » (Primavera De Filippi / Aaron Wright, S. 111) [If birth or death records were recorded to a blockchain, government payments and services tied to these events could be automatically triggered or suspended]. https://smartdubai.ae/initiatives/blockchain

11 https://blockchainfrance.net/2017/09/19/blockchain-et-droit/

12 Ibid.

13 https://www.nzz.ch/finanzen/private-finanzen/herausforderung-fuer-banken-und-den-staat-blockchain-der-naechste-wohlstandsschock-ld.17609 [wirtschaftliche und soziale Prozesse aufbricht, Intermediäre in die Knie zwingt und nun auch das Wesen der Institutionen im Kern angreift.]

14 Melanie Swan : Blockchain. Blueprint for a New Economy. Sebastopol : OReilly 2015, p. 48. [ongoing theme of blockchain-enabled personalization of governance and legal systems].

15 Primavera De Filippi / Aaron Wright, op. cit. p. 207. [independently of any government or other centralized authority].

16 https://www.wired.de/collection/business/vitalik-buterin-der-mark-zuckerberg-der-blockchain-welt [Ethereum läuft auf tausenden von PCs, und es basiert auf einem Gesellschaftsvertrag. Wir legen als Community Parameter fest, die wir als Gemeinschaftsverbund für gut und richtig halten. Wir alle achten darauf, dass dieser Gesellschaftsvertrag nicht gebrochen wird.] Ou, comme lexpliquent Paul Vigna et Michael J. Casey dans leur ouvrage The Truth Machine : « Lidée générale est quen transférant la gestion de la confiance à un réseau décentralisé, guidé par un protocole commun, au lieu de compter sur un intermédiaire de confiance, et en introduisant de nouvelles formes numériques dargent, de tokens et dactifs, nous pouvons changer la nature même de lorganisation sociale. » (p. 8). [The broad idea is that by deferring the management of trust to a decentralized network guided by a common protocol instead of relying upon a trusted intermediary, and by introducing new, digital forms of money, tokens, and assets, we can change the very nature of social organization.]

17 Pierre Musso, La Religion industrielle. Monastère, manufacture, usine. Une généalogie de lentreprise. Nantes, Libraire Arthème, Fayard, 2017, p. 44.

18 Ibid.

19 Alain Supiot, La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France 2012-2014, Paris, Fayard, 2015, p. 300.

20 Katrin Becker, « Lexpérience juridique – entre dogme et création. Franz Kafka en dialogue avec Pierre Legendre », in Grief, revue sur les mondes du droit 4 (2017), EHESS, Dalloz, Paris, p. 100-113, p. 102, en référence à Pierre Legendre, De la société comme texte. Linéaments dune anthropologie dogmatique, Paris, Fayard, 2001, p. 131.

21 Cf Legendre, Leçons VII : Le désir politique de Dieu. Étude sur les montages de lÉtat et du Droit, Fayard, Paris, 2005, p. 22.

22 Ibid., p. 20.

23 Pierre Musso, op. cit. p. 64.

24 Ibid., p. 45.

25 Ibid., p. 47.

26 Ibid., p. 46f.

27 Ibid., p. 679.

28 Ibid., p. 48.

29 Pierre Legendre, Dominium Mundi. LEmpire du Management, Paris : Mille et une nuits 2007, p. 25.

30 Pierre Musso, La Religion industrielle, p. 695.

31 Ibid., p. 679.

32 Ibid., p. 679.

33 Antoinette Rouvroy / Bernard Stiegler, « Le régime de vérité numérique. De la gouvernementalité algorithmique à un nouvel État de droit », Socio 04/2015, 113-140, p. 114.

34 Cf. note 19.

35 Antoinette Rouvroy, p. 114.

36 Antoinette Rouvroy, p. 118f.

37 Antoinette Rouvroy, p. 118f.

38 Alain Supiot, p. 103.

39 Antoinette Rouvroy, « La vie nest pas donnée », Études Digitales, 2.2 2016, p. 200. « Lunivers des Big Data a lair de correspondre trait pour trait à la description, par Maurice Blanchot d[u]n univers où limage cesse dêtre seconde par rapport au modèle [] où, enfin, il ny a plus doriginal, mais une éternelle scintillation où se disperse, dans léclat du détour et du retour, labsence dorigine.” [] Cette stérilisation expurge le présent à la fois de sa contingence et de toute perspective daltération, en réalité de tout ce qui fait une vie. Elle empêche par conséquent, au nom de limpératif de loptimisation en temps réel, tout rapport spéculatif, théorique, artistique ou politique au présent, et par suite, toute pro-jection hors de létat de fait. »

40 Antoinette Rouvroy, p. 125.

41 Ibid., p. 122.

42 Ibid., p. 119.

43 Ibid., p. 117.

44 Ibid., p. 201. …qui « prétend nous dispenser purement et simplement de toute construction sociale, de toute représentation, au profit dun accès immédiat, dune osmose avec le monde lui-même dans son invincible hétérogénéité. »

45 Ibid., p. 117.

46 « Le concept de vérité se trouve de plus en plus replié sur celui de la réalité ou de lactualité pure, au point, finalement, que les choses semblent parler pour elles-mêmes. » (Antoinette Rouvroy, p. 115)

47 Concernant lhypothèse dun éloignement croissant entre le niveau de la représentation politico-juridique et celui de la représentation subjective, voir mon article « Digitale Verbindlichkeiten und der Bann der Blockchain – das Ende der Repräsentation ? » (en parution).

48 Dans ce sens Michael J. Casey et Paul Vigna (The Truth Machine, p. 23) décrivent comment, aux États-Unis, on se retrouve dans une situation « où la confiance sest fortement détériorée, où notre gouvernement ne fonctionne pas et où les entreprises qui auparavant garantissaient un emploi à vie ont maintenant recours à la sous-traitance ou au recrutement de robots. » [where trust has eroded sharply, where our government doesnt work, and where companies that once guaranteed jobs for life are now either outsourcing them or hiring robots.]

49 Michael J. Casey et Paul Vigna, The Truth Machine, p. 23. Cela sobserve quotidiennement dans les discussions sur la « post-vérité », les « safe spaces », les « bulles sociales », le désenchantement politique, les biens communs… (voir dans ce sens mon article « Das postfaktische Drängen des Buchstaben in Zeiten rechtlich-sprachlicher Entgrenzung » (en parution)).

50 Pierre Musso, p. 56.

51 Ainsi, le projet Bitnation permet sur la « Plateform Pangea » de créer son propre État ou une « Nation Décentralisée Volontaire sans Frontières » [Decentralised Borderless Voluntary Nation (DBVN)]. « Les règles de ces DBVN sont entièrement personnalisables, y compris leur constitution, leurs modèles économiques, leurs codes juridiques, etc. » [The rules of these DBVNs are entirely customizable, including their constitutions, economic models, and legal codes, etc.] https://blokt.com/news/bitnation-is-blockchain-technology-moving-us-towards-a-post-nation-state-world

52 On peut distinguer différents types de blockchain, à savoir privée, publique ou hybride. Cf. la note de bas de pages 75 pour des exemples de blockchains privées : une autorité centrale ou un consortium contrôlent les droits daccès et dutilisation et choisissent ses membres. (cf. de Filippi/Wright, p. 31 ; Plisson, Claire Fénéron. « La blockchain, un bouleversement économique, juridique voire sociétal », I2D – Information, données & documents, volume 54, no. 3, 2017, p. 20-22.)

53 Dans lesprit de lobjectif de la première blockchain, Bitcoin, visant à établir une « communauté monétaire ».

54 Cf. de Primavera De Filippi / Aaron Wright, op. cit. p. 81 : « Avec les contrats intelligents, les barrières linguistiques, la distance et même le fait de ne pas connaître lidentité de lautre nempêcheraient plus les parties de sengager dans des transactions économiques lucratives » [With smart contracts, language barriers, distance, and even a failure to know ones identity would no longer prevent parties from engaging in gainful economic transactions.]

55 Michael J. Casey et Paul Vigna, op. cit. p. 34.

56 Jon Baldwin, “In Digital We Trust : Bitcoin Discourse, Digital Currencies, and Decentralized Network Fetishism”, Palgrave Communications 2018, No 4.1, p. 14, p. 3. [Instead of decentralisation being considered as based upon a geopolitical decision, being a contingent choice, serving a specific historical function, and with appropriate cost-analysis, it is claimed to be “superior,” and indeed, a “step forward in the evolution of systems.”]

57 Ibid., p. 3. [In this way bitcoin and digital discourse naturalizes, theologizes and teleologizes network technology. This discourse considers progress due to network technology as being a natural law and inevitable].

58 Michael J. Casey et Paul Vigna, op. cit. p. 20. [commonly accepted version of the truth thats more reliable than any truth weve ever seen. Were calling the blockchain a Truth Machine…]

59 Michael J. Casey et Paul Vigna, op. cit., p. 20.

60 https://nakamotoinstitute.org/the-god-protocols/ [Imagine the ideal protocol. It would have the most trustworthy third party imaginable – a diety who is on everybodys side. All the parties would send their inputs to God. God would reliably determine the results and return the outputs. God being the ultimate in confessional discretion, no party would learn anything more about the other parties inputs than they could learn from their own inputs and the output].

61 https://nakamotoinstitute.org/the-god-protocols/

62 David Golumbia, Zealots of the blockchain, https://thebaffler.com/salvos/zealots-of-the-blockchain-golumbia

63 https://thebaffler.com/salvos/zealots-of-the-blockchain-golumbia [leader who seemed to oscillate in and out of existence, whose identity is likely fictitious].

64 Ibid. [the fact that his massive stash of Bitcoin remains unspent gives Nakamoto the appearance of a wholly ascetic, Buddha-like interest in the cryptocurrency theology].

65 Ibid. [few circumstances could have bolstered the “distributed” and “decentralized” mythology of the cryptocurrency better than a leader who seemed to oscillate in and out of existence, whose identity is likely fictitious].

66 Ibid. [If the precise theological role of Bitcoin Jesus had been somewhat murky, it now became much clearer : the point was to get rich quickly. Yet he does not lack for explicators, and those explicators do not lack for specific personal reward from promoting what they take to be his gospel ; and as in cultic systems, that gospel is framed around rejection of empirical evidence and the promotion of alternative forms of explanation that very much conform to Lalichs theory of “bounded choice].

67 Primavera De Filippi / Aaron Wright, op. cit. p. 42. [Blockchains, however, are capable of storing more than mere records about the transfer of digital currencies. They can store data, messages, votes, and other kinds of information that can be encoded in a digital format. …from prayers, and eulogies to messages and images ranging from the sophomoric to the sublime. More generally, a blockchain can be regarded as a shared repository of information – an open, low-cost, resilient, and secure storage system that nobody owns but many people maintain.]

68 smartvows.com [indelible record of a marriage along with your wedding vows] [never be lost nor forgotten []always be publicly viewable on the internet] [public promises are more likely to be kept, reduces divorce].

69 Mélanie Swan, p. 43. [personal thinking chains” as a life-logging storage and backup mechanism].

70 Mélanie Swan, p. 43. [Thus, thinking could be instantiated in a blockchain – and really all of an individuals subjective experience, possibly eventually consciousness. [] After theyre on the blockchain, the various components could be administered and transacted – for example, in the case of a post-stroke memory restoration. [] Again perhaps speculatively verging on science fiction, ultimately the whole of a societys history might include not just a public records and document repository, and an Internet archive of all digital activity, but also the mindfiles of individuals. Mindfiles could include the recording of every transaction in the sense of capturing every thought and emotion of every entity, human and machine, encoding and archiving this activity into life-logging blockchains].

71 Ainsi on lit dans Le monde que la consommation énergétique de la blockchain bitcoin équivaudrait à celle de lAutriche (https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/11/08/le-bitcoin-pourrait-accelerer-le-changement-climatique_5380452_3244.html)

72 Cf. ici les concepts de « e-citizenship » ou « citoyenneté dématérialisée ».

73 Pierre Legendre, Le désir politique de Dieu, p. 210.

74 https://www.theatlantic.com/technology/archive/2017/05/blockchain-of-command/528543/ [With computers handling the entire process, Id never even be able to forget to pay for parking. The only way to fail would be for my car to run out of Bitcoin, in which case the parking lot has easy recourse : Because my cars ignition is managed by a computer, the parking lot could just shut my vehicle down].

75 Comme par exemple ladministration à Dubai (https://smartdubai.ae/initiatives/blockchain), ou lUniversité Woolf qui est entièrement administrée par la blockchain (https://woolf.university) ; ou plusieurs cas de gestion logistique (http://www.ipsoa.it/documents/impresa/contratti-dimpresa/quotidiano/2019/01/07/blockchain-strategy-for-the-protection-of-made-italy-products) ; la bourse (https://www.forbes.com/sites/ericervin/2018/08/16/blockchain-technology-set-to-revolutionize-global-stock-trading/)

76 Pour plus de détails de cette argumentation, voir mon article « La technologie blockchain – ou : Le désir de surmonter la nécessité du tiers » en parution (Grief, revue sur les mondes du droit 4, Paris, EHESS, Dalloz.)

77 Cf. Primavera De Filippi / Aaron Wright, op. cit., p. 55 ; Marcella Atzori, op. cit., p. 29 : « Dans un monde de plus en plus tributaire de la technologie et régi par des réseaux, les détenteurs des plates-formes, quils contrôlent, auront un pouvoir important sur la société civile dans un contexte mondial. » [In a world increasingly reliant on technology and ruled by networks, whoever owns and controls these platforms will always have a significant power over civil society on a global scale].