[Le nom à venir]
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Études digitales
2017 – 1, n° 3. Variations digitales et transformation du milieu - Auteur : Douyère (David)
- Pages : 231 à 232
- Revue : Études digitales
[Le nom à venir]
Quel est le nom à venir de l’effet de l’informatisation des échanges, de l’écriture, de l’image et de la communication ? Nous avons en effet traversé des noms variés, de l’informatique au digital, en passant par l’électronique – chère à McLuhan –, le multimédia, le virtuel, le cyber-monde et la cyberculture, les NTIC, les TIC, et même internet, le web, les TNIC, et enfin le numérique – certains coexistent d’ailleurs encore, pour désigner tel ou tel aspect. La chose persiste et le nom change : est-ce qu’elle se transforme, reste la même, ou que quelque chose d’autre se dit ainsi ? La danse des mots signe-t-elle la façon dont l’époque nous vend la chose, ou une mutation de l’architecture technique et du service informationnel et communicationnel offert ? Faut-il préférer un terme quand l’époque se charge de dire à notre place ?
Digital, ce sont les acteurs de la « digitalisation » de l’entreprise, soit sa transformation au régime de l’échange et du traitement connecté à distance, qui le disent ; les acteurs de la « communication digitale » recrutent sous ce terme. Digital, ce sont aussi des chercheurs, comme Claire Clivaz ou Olivier Le Deuff, qui l’avancent quand ils y entendent le doigt et le geste, ce geste nouveau qui fait glisser les données et les visages à l’écran, celui de la délicieuse et futurible « Petite Poucette » de l’honorable Michel Serres, un geste qui tourne une page. Le corps paraît donc, dans ce qui semble l’exclure ou ne le représenter qu’à distance. C’est aussi le mot anglais qui fascine (et non le latin, le plus souvent). À quoi bon traduire… Le digital séduit les esprits, modifierait le jugement cognitif, opèrerait cette nouthésie dont parle saint Paul1 : il place dans l’esprit cette idéologie nouvelle de la connexion immédiate.
Numérique a été d’abord le nom de cette transformation, a désigné l’édition, des acteurs professionnels, la version d’un fichier, et désormais des « Humanités », indiquant l’outillage technologique d’une recherche 232traditionnelle renouvelée. Le mot rappelle le nombre du codage informatique. Il est aussi le mot des chercheurs et des enseignants, quand s’y vivrait une culture, ou des stratégies de communication. Numérique est lui aussi une incantation, une invocation. Une incitation à la (grande) conversion. Une nouvelle religion, peut-être aussi, faite d’échange universel et de lien à distance, de salut de l’humanité et de connaissance achevée.
Une vidéo, entre blague et performance, toujours présente sur Youtube2, circulait un moment sur les réseaux sociaux : trois jeunes hommes dans une rue d’une vieille ville française (Nancy) : l’un d’eux crie de façon répétée « Internet », comme une alarme. C’est la nuit. Il annonce quelque chose de majeur, dans l’urgence. « Internet ! ». Le numérique paraît ainsi une sorte d’advenue incontournable et nécessaire au surgissement de laquelle tous sont convoqués. « Ta gueule ! », lui répond quelqu’un, d’une fenêtre. Le numérique semble cette urgence imposée. Mais le mot n’est pas compris de tous. Le numérique ne saurait être refusé car il incarne une modernité transformée. En va-t-il ainsi du digital ? Mais pour les usagers, la chose n’a pas de nom. Ou pas celui-ci. Le diminutif du nom d’une application nomme l’échange : « Snap », « Insta ». Le digital est encore dans l’extériorité. La nôtre.
David Douyère
Université de Tours
Prim (Pratiques et ressources
de l’information et des médiations)
EA 7503
- Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN : 978-2-406-08531-7
- EAN : 9782406085317
- ISSN : 2497-1650
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-08531-7.p.0231
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 05/11/2018
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français