Exposition et transparence du corps et de la vie à l’ère du capitalisme digital Une lecture sociologique du Cercle, de Purity et Zero K
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Études digitales
2016 – 2, n° 2. Le gouvernement des données - Auteurs : Gallo (Mattia), Turrini (Mauro)
- Pages : 121 à 138
- Revue : Études digitales
EXPOSITION ET TRANSPARENCE
DU CORPS ET DE LA VIE
À L’ÈRE DU CAPITALISME DIGITAL
Une lecture sociologique du Cercle, de Purity et Zéro K
INTRODUCTION
Lorsque Wikileaks publie, le 16 mars 2016, une archive consultable contenant plus de 30 000 courriels adressés à et envoyés par Hillary Clinton durant la période 2009-20141, la campagne pour les primaires présidentielles du Parti Démocrate états-unien bat son plein. Le 22 juillet, Wikileaks divulgue 19 252 courriels décelant le support des responsables du Comité national démocrate à Hillary Clinton lors des primaires – qu’elle avait remportées quelques jours avant – ainsi que des informations personnelles de certains donateurs2. La présidente du Comité national, Debbie Wasserman Schultz, décide alors de démissionner et l’entourage de la candidate démocrate avance l’hypothèse d’une intromission de la part de Vladimir Poutine, par le biais des services secrets russes, vouée à favoriser l’élection du candidat du Parti Républicain, Donald Trump.
En évitant toute considération portant sur l’autonomie de Wikileaks, il est évident que l’entreprise fondée par Julian Assange fait de la transparence de la vie politique, c’est-à-dire des pratiques des femmes et des hommes qui détiennent le pouvoir, le soubassement d’une société démocratique. En prenant en considération l’expression « transparence de la vie politique », le logicien français Jean-Yves Girard soutient qu’elle « est mal venue », car elle n’établit pas une distinction nette entre un « besoin légitime », celui de la « clarification », et sa « caricature 122inquisitoire ». Celle-ci est le fruit d’une « approche immédiate aux choses de l’esprit3 », à laquelle il donne le nom de transparentisme, porteuse de « trois slogans subliminaux », à savoir « on peut répondre à tout ; on peut tout comparer ; on peut tout prévoir4 ». Le transparentisme opère au niveau politique, autant du côté de pouvoirs publics qui acquièrent des informations sur les citoyens, afin de garantir la sécurité nationale, que du côté des institutions (étatiques ou pas) entendant rompre avec toute médiation, considérée comme source des abus perpétrés par les élites économico-politiques5.
Cette interprétation, certes, féconde, de l’injonction à la transparence nécessite d’un élargissement, car elle ne prend pas en compte le rôle que celle-ci revêt au niveau économique. En effet, dans ce dernier, les trois slogans évoqués plus haut ne sont plus subliminaux, mais patents : les entreprises réalisant des capitalisations boursières ahurissantes (e.g., Alphabet, Amazon, Microsoft, Facebook, Visa, etc.) sont celles douées de technologies qui cherchent à répondre à tout, à comparer tout, à tout prévoir. En d’autres termes, ces entreprises, moyennant les technologies dont elles disposent, arrivent à rendre leurs usagers transparents, et à faire de cette transparence un atout. Si dans le domaine politique celle-ci est le fruit d’un forçage, provenant, pour ainsi dire, de l’extérieur, émanant d’autrui, dans le domaine économique, la transparence est le résultat d’un choix du soi : en s’exposant, le soi devient transparent aux yeux des entreprises6. Exposition et transparence ne sont pas au service du contrôle, de la surveillance, mais acquièrent un caractère productif7. Dans l’espace horizontal, inclusif et participatif des réseaux 123sociaux dominé par l’interactivité8, l’exposition du soi et sa prétendue transparence représentent un vecteur formidable d’accélération des processus de valorisation, dont le produit final est le sujet – son autorité, sa popularité, sa réputation9. La capture du soi dans et par les dispositifs numériques provoque un mouvement ambivalent où la dématérialisation du corps se nourrit des traces de sa présence10 – cela est particulièrement évident dans ce que l’on nomme désormais « quantification de soi11 ». Plusieurs innovations et expérimentations biomédicales, notamment dans le domaine de la génomique, visent à faire de l’organisme humain un « corps transparent », un corps, donc, qui peut être parcouru, enquêté, représenté et exhibé12.
Il nous semble alors approprié d’interpréter, en suivant le courant marxiste post-opéraïste, la mise en valeur de la vie dans sa globalité en tant que la tendance caractérisant le mode de production contemporain, où la transparence de la vie – autant biologique que sociale – est cruciale. Comme le soulignent Michael Hardt et Antonio Negri, qui relèvent de ce courant, à l’heure actuelle, les formes de travail hégémoniques sont celles qui ont affaire au savoir, à l’information, à la communication, aux relations13 – elles concernent, par conséquent, les éléments constitutifs de la subjectivité14. Cela implique que la source de valeur n’est plus le corps que l’on dispose dans l’espace-temps de la production industrielle, mais le corps qui à la fois interagit et s’expose. Dès lors, la valorisation passe par des technologies capables de lire et interpréter ce corps, de réduire ce dernier à un faisceau d’informations.
Dans cet article, nous aborderons la transparence de la vie et du corps, et ses implications socio-économiques, grâce à une confrontation systématique avec le récit littéraire et sa propre grammaire imaginative, à partir de l’analyse de trois romans, à savoir Le Cercle de Dave 124Eggers15, Purity de Jonathan Franzen16 et Zero K de Don DeLillo17. Tant l’intention que la méthode qui régit notre article n’ont aucun rapport avec la sociologie de la littérature : l’imagination littéraire nourrit ici l’analyse socio-anthropologique de processus naissants. Certes, il s’agit de mondes imaginaires, décrits avec une « syntaxe » qui se démarque de celle propre aux sciences sociales18 ; pourtant, le roman permet de penser aux interactions entre personnages et techniques, en offrant ainsi des moyens heuristiques souvent oubliés ou volontairement négligés dans l’analyse plus impersonnelle – au moins dans ses intentions – des sciences sociales19.
Dans la première partie, nous nous intéresserons au Circle afin de relever les transformations qui se sont opérées dans l’organisation du travail, où l’exposition et la transparence du soi sont centrales. Dans la deuxième partie, nous nous concentrerons sur Purity et Zero K, en envisageant les stratégies à travers lesquelles les corps désirent, subissent et réagissent dans une société qui fait de la transparence sa valeur fondatrice. Dans la troisième, et dernière, partie, nous nous attarderons sur ce qui semble s’opposer à la transparence, c’est-à-dire l’opacité.
125LE CORPS EXPOSÉ
L’exposition est le thème central du Cercle. L’histoire se déroule dans un futur à portée de main, où l’écart avec le présent, à envisager en tant qu’ensemble de techniques et pratiques, est donné par une plus grande intensité et pervasivité de celles-ci. La protagoniste du roman, Maebelline, après avoir fréquenté une université dans le cœur pulsant de l’économie des États-Unis et tenté de monter dans l’échelle sociale exploitant son diplôme, décide de rentrer dans le village où résident ses parents. Grâce à l’aide de sa meilleure amie de l’Université, elle arrive à se soustraire au salariat monotone, répétitif et sous-payé, en trouvant un emploi dans l’entreprise la plus innovante des États-Unis : le Cercle. Le succès de l’entreprise est le fruit d’une idée somme toute banale et pourtant révolutionnaire : agréger tous les identifiants et les mots de passe en poussant ainsi les usagers à utiliser leur véritable identité sur Internet. La mise en œuvre de cette idée a permis au Cercle de devancer les autres géants du web, en faisant converger maints services et objets connectés (webcams miniaturisées, bracelets électroniques pour le contrôle de l’état de santé, etc.) dans un seul réseau social.
Le Cercle n’est pas seulement une plateforme informatique, virtuelle, mais il est aussi une citadelle autosuffisante qui entend subsumer sans reste les activités de la force de travail, en lui offrant toute sorte de service : des restaurants aux spectacles artistiques, en passant par les salles de sport et les établissements de soins. Phalanstère post-industriel, incarnant la liturgie de la motivation, de la flexibilité, de la responsabilité individuelle et de la communication typiques du « nouvel esprit du capitalisme20 », le Cercle est considéré, par Maebelline, dans la première partie de l’ouvrage, comme « le paradis » et « le seul poste où cela vaut la peine de travailler ». Dans ce décor, l’intrigue s’articule en mettant en scène, d’une manière qui pourrait paraître simpliste et exagérée, la transformation du mode de production du travail salarié se déployant à l’intérieur de l’espace discipliné de l’usine à la capture de processus issus de la coopération sociale.
126À la fin des années 1970, le courant opéraïste diagnostiqua la crise de la centralité économico-politique de l’ouvrier et, plus en général, du salariat. Au vu de la vague de mobilisation et de contestation sociales, les penseurs se réclamant de ce courant constatèrent l’inefficacité des stratégies d’accumulation capitalistes et l’émergence de la « fabrique sociale », syntagme censé désigner le débordement de la production de l’espace-temps industriel et son élargissement à tout domaine d’activité. D’après eux, celle-là était en train de remplacer l’usine, transformant l’« ouvrier masse » en « ouvrier social », la « production fordiste » en « coopération sociale », que le capital devait capturer, n’étant pas à même de l’organiser. Cette intuition mena les penseurs opéraïstes à étudier les nouvelles formes de travail qui se développaient au-delà – ou dans les interstices – des coordonnées politico-économiques héritées du fordisme et fondées sur une division nette entre, d’un côté, activités productives et activités improductives (i.e., consommation, reproduction) et, de l’autre, temps de travail et temps de vie. Aujourd’hui, cette transformation est visible de manière désormais distincte, notamment dans les secteurs de ce que l’on nomme « économie cognitive », qui valorise la créativité et la spontanéité de la coopération, en négligeant (ou en reformulant) ainsi les schémas des activités hétérodirigées.
Comme s’il radicalisait cette intuition, Eggers imagine une entreprise où production et reproduction se recoupent, où tout besoin peut être satisfait en son sein. De surcroît, l’auteur semble donner corps à la représentation d’Internet en tant que « playground and factory » promue par les théoriciens du digital labour21. C’est dans ce contexte que le processus (renversé !) d’apprentissage de l’interconnexion et de l’interactivité digitale auquel la protagoniste est soumise se réalise. Pour répondre au refus de Mae de partager sa vie privée, le Circle, en bon pasteur face à une brebis récalcitrante, utilise des techniques de persuasion pénétrantes, qui font appel au désir, à l’intérêt personnel, à la promesse d’une amélioration. Dans un passage clé du roman, Mae est accusée par ses supérieurs non pas en raison de son rythme productif, qui est d’ailleurs élevé et satisfaisant, mais pour ce que l’on appelle désormais « droit à la déconnexion », silencieusement réclamé et factuellement exercé par Mae pendant les heures de temps libres garanties, au moins en apparence, par l’entreprise. Incapable de comprendre la logique qui 127régit les réprimandes dont elle fait l’objet, Mae montre son étonnement lorsqu’on lui reproche ce qui de prime abord ne semblerait pas être un manque, mais qui aux yeux de l’entreprise l’est : ne pas avoir fait part au Cercle de sa passion pour le kayak, considérée, par Mae, une passion personnelle, n’affectant, en aucun cas, la vie de l’entreprise et, plus en général, d’autrui. À la naïveté de Mae, qui souligne que c’est « juste du kayak », répond la fermeté de son supérieur qui lui rappelle la valeur des entreprises de kayak, estimée autour de trois milliards de dollars. « Tout est lié », chaque geste est productif et doit, par conséquent, être connu – Mae doit faire sa partie, elle doit « parti-ciper ». Et ce, parce que le temps libre, c’est-à-dire l’ensemble des activités menées au-delà de la sphère de travail, a de la valeur. Mieux : il participe à la création de la valeur. Les techniques d’incitation au – et non de simple disciplinarisation du – travail qui, dans le Cercle, se réifient dans des moyens, très sophistiqués, à même de développer des canaux de communication et entre-aide voués à transformer ses employés dans les modèles d’une nouvelle forme de socialité à exporter au-delà des bornes de l’entreprise. La neutre efficacité de ces dispositifs cache une immense capacité de pénétration et d’extraction de valeur.
Le débat développé autour du free labour22 et du digital labour23 a pointé la dimension aliénante et l’asservissement aux algorithmes des activités (coopératives, libres, gratuites) stimulées par les dispositifs informatiques, notamment à l’intérieur des réseaux sociaux. Cette réflexion plonge ses racines dans les analyses du courant critiques des media studies, paru dans les années 1970 et interprétant l’« attention » en tant que ressource rare à l’intérieur de contextes où la valeur symbolique de la consommation représente un moment crucial de la création de profit. Le concept d’audience labour restitue leur idée-force et il peut être résumé dans la devise suivante : « Si tu ne paies pas un service (par exemple, radio ou télévision), cela ne signifie pas qu’il est gratuit, mais que tu es la marchandise. » Ce courant, focalisé sur l’analyse de l’économie des mass media, dominée, jusqu’aux années 2000, par la télévision, définit le fait de « regarder » (watching) comme moment productif, dont les aspects 128cognitifs, émotifs, linguistiques, relationnels et érotiques participent activement à l’accumulation de capital. Avec l’essor de techniques et formats plus interactifs (par exemple, reality shows), la disponibilité à être regardés est au cœur d’un processus de travail fondé sur la marchandisation de données personnelles. Cette tendance trouve son accomplissement avec l’usage de technologies omniprésentes, qui produit une double intensification de l’exploitation, grâce, d’un côté, à l’élargissement indéfini du regard du/sur le public et, de l’autre, à la mobilisation de ce dernier en tant que créateur de contenus informatifs qui, dans une sorte de cercle vicieux, multiplient la capacité de capture de l’attention.
C’est précisément cette intensification que le roman d’Eggers cherche à saisir. Le Cercle est une entité mouvante, comparée à un requin, dont l’évolution est marquée par une série d’innovations qui se superpose à la trajectoire autant de l’activité de travail que de l’existence de la protagoniste, de plus en plus enveloppée dans les mailles des technologies digitales. Ce récit semble résonner avec le débat théorique autour du « capitalisme cognitif24 », envisagé comme système productif qui, à l’encontre du capitalisme industriel, est caractérisé non pas tant pour l’accumulation (et l’exploitation) des machines (le capital fixe), mais plutôt par la mobilisation de capacités d’apprentissage, de coopération et de création propre aux corps (le capital variable)25. L’acmé est atteinte lorsque Mae « devient transparente », c’est-à-dire lorsqu’elle transmet, en temps réel, tout ce qu’elle voit et entend, en partageant intégralement son existence et, par voie de conséquence, celle de ses proches. Variante contemporaine de l’aveu religieux, l’injonction à la transparence et à l’exposition du soi, socle de stratégies ayant pour but la réalisation ou l’amélioration du bien-être psychophysique à travers une socialisation constante, ne peut pas être analysée sans prendre en compte l’impact économique que l’on vient d’évoquer.
Dans le Cercle, l’absence de discipline – typique du régime industriel et fondée sur un commandement direct – fait place à une forme encore 129plus dure du commandement productif qui passe par un investissement personnel dans les pratiques et dans les technologies employées par l’entreprise, entraînant une adhésion intime à celles-là. La transformation de sphères de plus en plus amples – tendanciellement illimitées – de la vie humaine en information – processus qui, dans le roman, va sous le nom d’« encerclement de la réalité » – est rendue possible grâce à la diffusion de pratiques et techniques qui se déploient au-delà des limites de l’entreprise, mais qui, toutefois, sont semblables à celles qui à l’intérieur de cette dernière sont considérées en tant que formes de travail. À cet égard, mieux que d’autres, la pensée opéraïste appréhende la dimension générative des externalités dont le processus d’accumulation se nourrit moyennant la capture et la stimulation de processus de coopération sociale, qui est, à son tour, subsumée à travers des processus d’« abstraction matérielle » exploitant la médiation des technologies et des infrastructures informatiques26.
La montée en puissance de la communication horizontale entre humains et objets connectés ubiquitaires ne renouvelle pas seulement les capacités de profilage utilisées par l’industrie de la publicité pour cibler leurs messages, mais propose aussi un modèle organisationnel horizontal, transparent et participatif à même de se répandre dans d’autres secteurs. Eggers examine deux exemples de ce dernier. Le premier concerne la surveillance des individus, de leurs régularités et de leur milieu, et il fait référence tant aux processus de surveillance mutuelle qu’aux capacités d’analyser d’immenses banques de données. Le deuxième, le souci de la santé, quoiqu’évoqué de manière plus nuancée, introduit des éléments de réflexions particulièrement intéressants, qui renvoient à un modèle de soin open access, où le partage de la maladie ou d’un style de vie nocif a pour but celui d’élaborer des interventions personnalisées et de motiver les malades. D’ailleurs, la devise de la clinique du Cercle récite ainsi : « Pour soigner, nous devons connaître ; pour connaître, nous devons partager. » C’est à la connaissance des secrets du corps et de la psyché que l’auteur consacre les dernières pages du roman, décrivant, 130en respectant le style des récits dystopiques, la manière, ambivalente, dans laquelle l’accès à la vie tant sociale que biologique est au cœur des préoccupations des transformations économiques.
Geste passif et banal si comparé à d’autres formes expressives, l’exhibition du soi implique une renonciation à toute protection de l’intime, qui met en branle un processus de subjectivation extrêmement actif et contagieux. Dans l’organisation productive du Cercle, l’enjeu n’est pas autant la disciplinarisation des corps que l’inclusion de corps disponibles à être observés. Il n’en demeure pas moins que cette inclusion peut avoir des effets de disciplinarisation : c’est l’hypothèse sur laquelle Jonathan Franzen bâtit son roman.
LE CORPS ENTRE ENTERREMENT ET TRANSPARENCE
À l’instar du Cercle, Purity confie le rôle de protagoniste à une jeune femme, dont la ressemblance avec Maebelline est évidente dès les premières lignes. Purity (dite Pip) Tyler, submergée par une dette suite à un prêt étudiant, habite une ville peu attractive, travaille dans une entreprise de services qui effrite tout espoir de développement professionnel, et arrive, par ce que l’on croit être au début un concours de circonstances, à obtenir un emploi dans une entreprise de pointe dans le domaine informatique, le Sunlight Project. Cette entreprise, installée en Bolivie, collecte et dévoile des informations sensibles pour dénicher et rendre publiques les pratiques déloyales de multinationales et d’États, en se présentant comme un ennemi des élites et un ami des masses.
Le Sunlight Project est la version fictive de Wikileaks – qui est d’ailleurs évoqué au fil des pages –, à quelques différences près. Son fondateur, Andreas Wolf, à l’encontre de Julian Assange, ne maîtrise pas le langage de programmation, ce qui l’oblige à s’entourer de hackers « mercenaires ». Aux yeux de beaucoup, il représente un paladin de la liberté d’information sur Internet, un héros fascinant, qui lutte contre le caractère oppressif du secret, auquel il oppose la transparence, considérée en tant que garantie de liberté. Cependant, c’est sur le secret que son identité sociale se fonde. Lorsqu’il vivait dans l’Allemagne 131de l’Est, Wolf avait tué, pour amour, un informateur de la Stasi. En raison du statut de son père, membre du SED et fervent tenant du socialisme, celle-là n’avait pas donné suite à l’affaire. Le mur écroulé, craignant que ce secret, gardé dans les archives de la Stasi, soit dévoilé, Wolf décide de récupérer les documents qui auraient pu l’incriminer. Une fois la tâche accomplie, satisfait par son travail, il se retrouve face à des caméras de chaînes télévisées occidentales, et il se lance dans un discours de dénonciation du régime soviétique qui le promeut à devenir un symbole de la dissidence.
La convergence entre transparence et totalitarisme est, dans le roman de Franzen, évidente : au sommet d’une entreprise vouée à la collecte et au dévoilement d’informations, l’auteur place un homme qui a vécu le socialisme et compris l’étendue du pouvoir assuré par la surveillance et la collecte d’informations. Cependant, cette convergence n’est pas circonscrite à Wolf, mais déborde le périmètre de l’entreprise qu’il dirige. La matrice des mots-clés qui peuplent l’univers digital (« collaboration », « partage », « horizontalité ») n’est pas le capitalisme occidental, mais le socialisme soviétique, où se mélangent surveillances et parades. Wolf reconnaît qu’en substituant au mot « socialisme » celui de « réseau », on obtient « Internet », un système où des plateformes concurrentes tâchent de définir tous les aspects de l’existence. Les apparatchiks survivent dans les Ted Talk et dans le lancement de nouveaux produits avec PowerPoint, et la révolution numérique n’est que le nouveau visage d’un régime totalitaire, qui, à l’instar du Socialisme scientifique, cherche à libérer les êtres humains à travers l’efficience des marchés et la rationalité des machines.
Rien de nouveau sous le soleil : nous aurions affaire à la énième critique de la société en réseaux. Cela n’a pourtant rien d’évident, car l’injonction à la transparence est mise en scène de manière novatrice. L’apport du roman de Franzen à la critique réside dans l’effort de thématiser le rapport, souvent négligé, entre corps et vérité. Comme Andreas Wolf, la mère de Pip, Anabel, a fondé son existence sur le secret. Son appartenance à une classe aisée est refusée dès sa jeunesse : ne voulant pas incarner les valeurs de sa famille, elle décide de rompre tout lien avec cette dernière, et avec le père de Purity qui avait osé accepter un financement de la part de celle-là pour la création d’un journal. Anabel joue un rôle ambivalent : d’un côté, elle est une rebelle qui lutte contre 132l’état auquel son origine la condamnerait ; de l’autre, et dès lors qu’un autre sujet rentre dans son spectre, elle ressemble à un État qui garde des secrets afin de maintenir l’ordre qu’elle a créé, faisant de Pip une citoyenne respectueuse de l’établi, des conduites que celui-ci lui impose. En somme, le choix d’Anabel relève à la fois de la puissance et du pouvoir. Elle s’oppose à sa famille pour exprimer son refus envers un mode de vie, à ses yeux, détestable, mais impose à Pip sa vérité, en gardant un secret. Elle est en quête d’autonomie et finit par parcourir le chemin de la domination.
Cette ambivalence est restituée par l’interprétation qu’Anabel offre de son corps et par l’usage qu’elle en fait. Pendant sa jeunesse, Anabel était engagée dans un projet artistique voué à la possession du soi physique. Se définissant artiste, bien qu’elle n’ait rien accompli, elle filmait chaque segment de son corps, qui, découpé en morceaux, aurait dû lui appartenir définitivement27. Le projet – inachevé, car peut-être inachevable – restitue de manière exemplaire le rôle que le corps revêtait dans sa vie : il est vecteur d’émancipation, de résistance, d’autonomie ; l’exposition du soi physique à soi-même est la clé de voûte du refus de l’appartenance à quelqu’un d’autre, à quelque chose d’autre. Abandonnée la carrière d’artiste, et se retrouvant à travailler dans un supermarché, son corps fait l’objet des regards d’autrui : elle n’est plus exposée à elle-même, elle est simplement exposée sans contrainte ni capacité de contrôle aux systèmes technologiques de reconnaissance de plus en plus développés. Cela l’amène à craindre que son corps la trahisse, qu’il fasse transparaître les informations qu’elle cache, qu’il indique sa véritable identité, qu’il la renoue à l’archè qu’elle cherche à fuir. Son autonomie n’est plus fondée sur la transparence de son corps, mais, a contrario, sur son opacité, à savoir sur sa capacité d’échapper à tout lien avec sa vraie identité. C’est sur la non-exposition de son corps que son secret s’appuie. Et le secret est le fondement de son domaine, de son pouvoir sur Pip. Le même mécanisme est à l’œuvre chez Andreas Wolf : son pouvoir s’ancre dans l’enterrement d’un corps, celui de l’homme qu’il a tué, dépositaire de la vérité (celle d’être un meurtrier) qui rend opératoire son mensonge public.
133Franzen semble suggérer l’idée qu’au-delà des vérités linguistiques que l’on impose, il existe une entité qui est à la fois le terrain où ces vérités se déploient et où elles sont affrontées et désavouées : le corps. Lorsque l’on s’impose aux corps, les corps résistent, trahissent la vérité – dans le double sens que le verbe peut assumer : dire leur vérité et désavouer la vérité d’autrui. C’est sur la quête de vérité (sans médiation) de Pip – fille-citoyenne qui entend dévoiler le secret qui organise sa vie – et sur la capacité des corps à s’exprimer que Wolf s’appuie pour convaincre Pip à travailler pour son compte, c’est la soif de connaissance de Pip que Wolf met en valeur, en privant le corps de la mère de celle-ci de son privé, en le réduisant à un ensemble d’informations connaissables, lisibles, transparentes. Une fois que le corps est réduit à des informations capturées par des dispositifs technologiques, la résistance est tâche hardie, à moins que l’on n’exerce un contrôle des informations que la transparence fournit.
À cet égard, la rencontre entre Andreas Wolf et un venture capitalist de la Silicon Valley, Tad Milliken, est éclairante : après avoir discuté d’un financement de la part du dernier du Sunlight Project, une photographie qui expose les corps des deux laudateurs de la transparence et de la vérité voit le jour. Wolf, obsédé par l’image médiatique qu’il a construite et dont il se réjouit, réussit à convaincre l’auteur du cliché à ne pas le publier. Cet épisode n’est que la énième tentative de Wolf de faire taire son corps, d’éviter toute exposition compromettante, fonctionnelle au maintien de son pouvoir. Milliken, de son côté, craint le silence de son corps, et croit qu’un jour on pourra convertir le soi en format digital, en attendant, dans l’état de mémoire informatique, la possibilité de se réincarner. La référence est ici à l’une des plus célèbres idées des certains mouvements transhumanistes ou extropiens – uploading –, fondée sur le parallélisme entre l’activité du modèle neuronal dans l’esprit humain et la capacité de l’informatique de réseau neuronal avancé, qui permettra un jour aux humains de transférer leurs esprits en des systèmes matériels plus durables28. Tout cela est rendu possible par une interprétation du corps qui met un accent particulier sur le modèle informationnel. Une 134fois que le cerveau peut être analysé comme un ensemble de canaux d’information, il s’ensuit que ce modèle peut être reproduit dans les systèmes matériels et logiciels.
Zero K creuse cette idée. Le narrateur est Jeffrey Lockhart, un jeune homme qui se nourrit de la technologie personnelle, envisagée par lui-même en tant que drogue fantoche. Son père, Ross Lockhart, incapable d’accepter la mort imminente de son épouse, Artis, décide de consacrer une grosse partie de sa fortune au financement de Convergence, une entreprise qui a mis en place un système de conservation des corps, afin de permettre aux « âmes » et aux « cerveaux » considérés morts de « retourner en vie ». Convergence est donc un mouroir, une communauté-bunker, où l’on vient mourir pour continuer à vivre, où l’on reconnaît à la fois l’importance de l’autonomie et la mystification dont elle fait l’objet dans les communautés numériques qui peuplent la surface. Cette dernière est décrite par les membres de l’entreprise comme un espace colonisé par des dispositifs qui écoutent et regardent les êtres humains, qui enregistrent leurs habitudes, qui mesurent leurs capacités, en provoquant une « panique digitale » qui est partout et nulle part. Le désir d’une vie au-delà de la mort du corps dont Convergence se fait porteur est nourri, financièrement, par des capitalistes. Or, cela n’est pas le fruit de l’imagination de DeLillo. La mort en tant qu’obstacle contournable est une idée répandue parmi les promoteurs de ces dispositifs et ces entreprises qui dans le roman sont la source de la « panique digitale29 ».
À l’encontre d’Eggers et de Franzen, DeLillo ne décrit pas une technologie qui prétend être au service de l’amélioration du présent, mais il se concentre plutôt sur une technologie visant à une préservation de ce que l’on est, dans l’attente d’une résurrection. DeLillo imagine ce qui pourrait être qualifié en tant que dernière étape de la subsomption 135de la vie et du corps des êtres humains, qui se donnerait non plus dans la forme de la capture de l’expression, mais de sa programmation. Convergence entend générer des corps doués d’un langage respectueux de l’informatique et des mathématiques, fuyant ainsi tout écart entre ce qui entoure le corps et le corps lui-même. L’objectif de l’entreprise, qui stimule le scepticisme de Jeffrey, entraîne une redéfinition des frontières entre les disciplines, leur compénétration. La préservation de la vie au-delà de la mort implique non seulement la médecine, mais aussi la génétique, la climatologie, la neuroscience, la psychologie, l’éthique. Ce que les gens attendent d’elle c’est qu’elle devienne le cœur d’une nouvelle métropole, voire d’un nouvel État. Convergence vend la possibilité de satisfaire le besoin qui, d’après Ross Lockhart, hante chaque individu : « Posséder la mort. » Face à une technologie de plus en plus présente, qui met à profit la vie, qui conduit des conduites, Convergence offre un nouveau produit technologique : l’espoir d’une vie au-delà de la mort. La technologie se fait théologie : abandonner le privé pour éviter d’être privé de la vie ; abandonner son corps mortel pour renaître dans un corps éternel.
Zero K complète la trajectoire de Le Cercle et Purity en se confrontant au développement du capitalisme occidental et des technologies dont il se sert pour organiser la vie et permet, paradoxalement, de parer les critiques, à vrai dire nombreuses, envers la simplification qui serait à l’œuvre dans les romans d’Eggers et de Franzen. En restituant l’imagination de corps dont toute forme d’expression est connaissable, comparable, prévisible, Zero K saisit la « connotation religieuse » que Girard attribue au transparentisme30 et arrive à explorer ce que pour le logicien est l’abstraction de la « foutue réalité ». Cette dernière est faite de conflits, de subversions, de blocages, et la prétendue entrée dans une réalité supérieure, ou mieux, dans la véritable réalité qui ne peut pas être contestée, où les corps ne sont qu’un simple support d’informations, et non pas le terrain sur lequel ces informations sont reçues et affrontées, n’est que le fruit d’une simplification, voire d’une mystification. La « foutue réalité » demeure et, en elle, le corps peut s’exprimer dans des formes que les abstractions technologiques et ses universalisations théologiques ne sont pas et ne seront pas à même de subsumer et de neutraliser.
136TRANSPARENCE/OPACITÉ :
POUR UNE STRATÉGIE DE L’EXPOSITION
Même l’un des fondateurs de la définition juridique de la confidentialité telle que nous la connaissons aujourd’hui, Louis Brandeis31, a souligné les risques entraînés par le secret. En analysant la concentration de la richesse caractérisant les banquiers d’affaires américains, et en essayant d’en repérer les causes, Brandeis souligne le rôle nullement négligeable qu’a joué le manque de transparence des institutions financières. Par conséquent, soutient-il, la « divulgation » d’informations dans le secteur financier se présente comme le seul « remède » efficace face à un phénomène inquiétant – d’où la désormais célèbre expression : « On dit que la lumière du soleil est le meilleur désinfectant32. » Cette devise – issue d’une réflexion portant sur des pratiques spécifiques – semble restituer de manière efficace l’élargissement de l’injonction à la transparence – et son intensification – que l’on vit aujourd’hui où toute relation sociale est susceptible d’être capturée par des dispositifs numériques. Désormais, la transparence – cette lumière désinfectante – est une injonction totalisante, voire totalitaire, comme affirment Girard et Franzen. Le totalitarisme fait référence tout d’abord à l’impuissance dont l’individu fait preuve face à la capacité d’enregistrer des données constamment produites de façon plus ou moins volontaire et délibérée par lui et par d’autres : « Je n’arrive même pas à compter le nombre de photos qui ont été prises par des étrangers avec moi à l’arrière-plan au Taj Mahal33 », écrit dana boyd en discutant de la confidentialité en réseaux, à savoir des nouvelles formes de négociation de la défense de la confidentialité à l’ère du web social. Les fuites de données, qui ont mis à dure épreuve les institutions politiques et les célébrités, menacent de plus en plus la sphère privée de la personne lambda. Pourtant, s’il s’agit d’un totalitarisme, il faut mettre en relief que les acteurs politiques deviennent eux-mêmes la 137cible de ce nouveau pouvoir, alors que son exercice revient aux acteurs entrepreneuriaux dominants de la nouvelle économie cognitive des données. Des compagnies privées acquièrent ainsi un pouvoir qui relève de l’État, c’est-à-dire le recueil d’informations sur la population, en effaçant toute dichotomie entre sphère publique et sphère privée et en nous obligeant à repenser des formes de protection de la confidentialité au-delà des coordonnées traditionnelles de l’ordre juridique (i.e., public, privé). La transparence désigne, certes, l’impossibilité de ne pas laisser de trace de soi, mais aussi la capacité d’être parcouru par les flux de données digitales et d’en faire partie. En nous appuyant sur cette dernière acception – d’ailleurs plus proche de la critique du capitalisme cognitif que des débats juridiques sur la confidentialité –, nous avons cherché à imaginer, moyennant l’invention littéraire, un nouvel impératif et à saisir les nouvelles pratiques de la transparence.
Dans Le Cercle, la transparence se traduit en une hypersocialisation réalisée à travers l’intermédiation d’une plateforme techno-sociale qui vise à subsumer dans son univers la réalité entière. La transparence, en tant que vecteur d’accélération de l’interactivité et nouvelle source d’informations, permet de combler le décalage entre le réel et le digital, dans un univers où la matérialité des technologies informatiques se croise avec la réduction de la vie et du corps à des sources d’informations. Purity, quant à lui, semble développer la thèse du roman d’Eggers, en montrant le vide qui se cache derrière une connexion constante aux mondes numériques sociaux, où la vérité et sa quête deviennent un puissant outil de contrôle des conduites. Dans Zero K, le contrôle garanti par la digitalisation entraîne la panique, à laquelle s’oppose une technologie pacifiante promue par un capitalisme éclairé qui rêve d’un monde sans frictions.
Cibles d’un processus de codification et traduction envers les circuits technologiques, économiques et culturelles de l’information s’enracinant dans l’exposition, vie et corps deviennent de plus en plus transparents. Et pourtant ils gardent des zones d’opacité, un élan vital. Cela permet de penser la résistance du corps à l’attaque capitaliste dans les termes d’une fuite, qui se réaliserait en évitant la lumière, en préférant l’obscurité. En somme, à la colonisation technologique, les corps devraient répondre avec une décolonisation : ce n’est qu’un rêve. La colonisation technologique est un processus irréversible : ce n’est pas un cauchemar. Entre les deux, il y 138a la réalité, qui n’est pas celle envisagée ni par les technophiles, ni par les technophobes : l’exposition technologique du soi, physique et social, est devenue une activité centrale des processus économiques et culturels contemporains. C’est sur ce terrain que la lutte pour l’émancipation doit se réaliser.
Mattia Gallo
Chercheur indépendant
Mauro Turrini
IEA de Nantes
1 <https://wikileaks.org/clinton-emails/>
2 Désormais, on compte plus de 40 000 emails. Voir <https://wikileaks.org/dnc-emails/>
3 J.-Y. Girard, Le fantôme de la transparence, Paris, Éditions Allia, 2016, p. 19.
4 Ibid., p. 49.
5 Aux yeux de Girard, il n’y a point de différence entre « flicage de pays entiers », partis politiques qui prétendent écouter la « vox populi » et « mouvement de défiance anti-système » : l’accès direct et neutre à la connaissance qu’ils prétendent avoir et le refus de tout échelon synthétique, de tout intermédiaire que cette théorie de la connaissance entraine masquent une lecture tendancieuse des matériaux bruts dont ils disposent. Sur ces points, voir J.-Y. Girard, op. cit., notamment p. 86-89 et p. 154-155.
6 La dichotomie « forçage/choix » est peut-être simpliste. Elle pourrait être nuancée en avançant l’hypothèse que ce choix n’est en réalité qu’une imposition du devenir-entreprise du sujet, qui serait l’une des caractéristiques des sociétés néolibérales. Mais ce sont là des problèmes qui ne relèvent pas de cette étude.
7 Cependant, il faut relever que la ligne de démarcation entre surveillance et commerce n’est pas nette. Sur ce point, voir, entre autres, B. E. Harcourt, Exposed. Desire and Disobedience in the Digital Age, Cambridge, Harvard University Press, 2015.
8 M. Castells, La société en réseaux, Paris, Fayard, coll. « L’ère de l’information », 1998.
9 Sur la réputation à l’heure du web social et des mécanismes à travers lesquels elle se crée, voir G. Origgi, La réputation. Qui dit quoi de qui, Paris, Presses universitaires de France, 2015.
10 T. Terranova, Network Culture. Politics for the Information Age, Pluto Press, London, 2004.
11 D. Lupton, The quantified self, Cambridge (UK), Polity Press, 2016.
12 J. van Dijk, The Transparent Body. A Cultural Analysis of Medical Imaging, Seattle, University of Washington Press, 2005.
13 M. Hardt, A. Negri, Multitude. Guerre et démocratie à l’âge de l’Empire, Paris, La Découverte, 2004.
14 Id., Commonwealth, Paris, Stock, 2012.
15 D. Eggers, The Circle, San Francisco, McSweeney’s, 2013 ; tr. fr. par Emmanuelle Aronson et Philippe Aronson, Le Cercle, Paris, Gallimard, 2016.
16 J. Franzen, Purity, New York, Farrar, Straus and Giroux, 2015 ; tr. fr. par Olivier Deparis, Purity, Paris, Éditions de l’Olivier, 2016.
17 D. DeLillo, Zero K, New York, Scribner, 2016.
18 P. Lassave, Sciences Sociales et littérature – Concurrence, Complémentarité, Interférences, Paris, Presses universitaires de France, 2002.
19 Bien que leur objet soit différent (i.e., la religion), nous rejoignons ici les réflexions d’Erwan Dianteill et Michael Löwy, selon lesquels les œuvres littéraires agissent comme des « révélateurs de certains faits sociaux » (Le sacré fictif. Sociologies et religion : approches littéraires, Paris, Éditions de l’éclat, 2016, p. 11). Les deux auteurs revendiquent une proximité entre leur projet et celui d’Anne Barrère et Danilo Martuccelli, d’après qui le roman est porteur d’une forme de connaissance à même de stimuler l’imagination sociologique (Le roman comme laboratoire : de la connaissance littéraire à l’imagination sociologique, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2009).
20 E. Chiapello, L. Boltanski, Le nouvel esprit du capitalisme, [1999], Paris, Gallimard, 2011.
21 T. Scholz, Digital labor. The Internet as playground and factory, New York, Routledge, 2013.
22 Voir T. Terranova, « Free labor. Producing culture for the digital economy », Social Text, 63, vol. 18(2), 2000, p. 33-58.
23 Voir C. Fuchs. Digital labour and Karl Marx, New York, Routledge, 2014 ; E. Fisher, C. Fuchs (dir.), Reconsidering value and labour in the digital age, London, Palgrave McMillan, 2015.
24 Cf. Y. Moulier-Boutang, Le capitalisme cognitif. La nouvelle grande transformation, Paris, Éditions Amsterdam, coll. « Multitudes-Idées », 2007.
25 Cf. C. Vercellone, « La nouvelle articulation salaire, profit, rente dans le capitalisme cognitif », European Journal of Economic and Social Systems, 20(1), 2007, p. 45–64 ; C. Marazzi, « Capitalismo digitale e modello antropogenetico del lavoro. L’ammortamento del corpo macchina », in J. L. Laville, C. Marazzi, M. La Rosa, F. Chicchi (éd.), Reinventare il lavoro, Rome, Sapere 2000, 2005.
26 En s’appuyant sur les recherches menées par Romano Alquati, appartenant au courant opéraïste, à l’intérieur des usines Olivetti et sur son concept d’information valorisante (1963), Matteo Pasquinelli soutient que l’informational turn – la mise en valeur d’informations excédant les injonctions capitalistes à travers les machines – est déjà à l’œuvre dans le système productif industriel. Cf. M. Pasquinelli, « Italian Operaismo and the Information Machine », Theory, Culture & Society, 2015, Vol. 32(3), p. 49–68.
27 Le rapport qu’Anabel entretient avec son corps et le refus qu’elle montre envers la réduction de l’art au « faire » se recoupent avec la réflexion menée par Giorgio Agamben dans L’usage des corps, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2015.
28 Pour une histoire de cette utopie, dont nous trouvons des traces dans l’idée de la télétransportation des corps déjà présente dans la cybérnetique, voir E. Thacker, « Data made flesh : Biotechnology and the discourse of the posthuman », Cultural Critique, 2003, 53, p. 72-97.
29 Comme le rappelle Joshua Ferris, dans sa recension à l’œuvre de DeLillo, le fondateur d’Oracle, Larry Ellison a offert 500 millions de dollars à la recherche médicale pour arrêter le vieillissement ; le fondateur de eBay, Pierre Omidyar, soutient, avec son épouse, la recherche dans la résilience biologique ; l’un des fondateurs de Google, Sergey Brin, et le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, avec d’autres capitalistes, ont créé le Breakthrough Prize, qui garantit 3 millions de dollars aux chercheurs présentant des découvertes en gré d’étendre la vie humaine ; Google a investi plusieurs milliards de dollars dans une société qui s’intéresse au vieillissement, la California Life Company. J. Ferris, « Joshua Ferris Reviews Don DeLillo’s ‘Zero K’ », New York Times, 2 mai 2016. [En ligne] : URL : https://www.nytimes.com/2016/05/08/books/review/don-delillos-zero-k.html?_r=0
30 J.-Y. Girard, op. cit., p. 25.
31 Nous rappellons que la Harvard Law Review publie, en 1890, l’article « The Right to Privacy », écrit par L. D. Brandeis S. D. Warren.
32 L. D. Brandeis, « What publicity can do », Harper’s Weekly, 20 décembre 1913, p. 10. Dans la version originale, on lit « sunlight » (lumière du soleil). On se souviendra que l’entreprise présentée par Franzen dans son roman prend le nom de Sunlight Project.
33 d. boyd, « Networked privacy », Surveillance & Society, 10, no 3-4 (2012), p. 348-350.
- Thème CLIL : 3157 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Sciences de l'information et de la communication
- ISBN : 978-2-406-07064-1
- EAN : 9782406070641
- ISSN : 2497-1650
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07064-1.p.0121
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 12/08/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français