Préface Les transformations du concept de guerre dans le contexte de la Grande Guerre. Les limites de la guerre, l’extension d’un concept
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Éthique, politique, religions Les transformations du concept de guerre (1910-1930)
2016 – 2, n° 9. I. Limites et extension - Auteur : Goupy (Marie)
- Pages : 9 à 28
- Revue : Éthique, politique, religions
Préface
Les transformations du concept de guerre
dans le contexte de la Grande Guerre.
Les limites de la guerre,
l’extension d’un concept
Il est généralement admis que la Grande Guerre constitue un moment important, sinon un tournant, dans la redéfinition du statut et de la signification que l’on accorde à la guerre dans l’ordre international1. Au niveau du droit international, le changement semble particulièrement évident : le contexte de la Grande Guerre est effectivement marqué par une inflexion prononcée du droit international en direction d’une interdiction du recours à la force armée – ce que l’on qualifie aussi parfois de criminalisation de la guerre. Et l’on ne saurait, à ce titre, manquer de mentionner le Pacte de la SDN ou le Pacte Briand-Kellogg. À un niveau plus général, certains auteurs, à l’instar de John Muller, voient dans la période une étape importante dans un processus historique plus large se caractérisant à la fois par une transformation des mentalités et par le rôle central joué désormais par l’économie, menant à une « obsolescence des guerres interétatiques2 ». Le développement de la croyance dans le droit et la civilisation comme moyens de limiter les guerres est, à n’en pas douter, bien antérieur à la Grande Guerre, et la pluralité des facteurs socio-politiques (montée du libéralisme politique, pacification des mœurs, etc.) et économiques (notamment la construction d’un marché libre au 10niveau mondial) qui participent à cette transformation exigeraient de comprendre cette transformation sur un temps long ; néanmoins, c’est le conflit lui-même, par sa brutalité et son extension, qui aurait marqué un véritable tournant dans la construction d’une pensée de la sécurité collective. Et l’on ne saurait alors manquer de relever que c’est d’ailleurs dans ce contexte que l’on doit situer la naissance du droit international en tant que discipline3.
Au sein de ce schéma interprétatif, on admet parfois que le 11 septembre témoigne d’une « inversion de tendance », marquée par une re-légitimation des recours aux violences armées4, voire par un « retour de la guerre5 ». Néanmoins, une telle analyse devient complexe, sinon épineuse, dès que l’on aborde la délicate question de la qualification des conflits armés en tant que guerre à l’époque contemporaine6 – ce dont témoigne récemment l’embarras provoqué par la déclaration de François Hollande affirmant que « La France est en guerre », devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre 2015. Et là réside sans doute l’une des interrogations décisives dès que l’on tente de penser à la nature des violences ou des guerres à l’époque contemporaine : que l’on assiste à un retour de la guerre, à sa transformation, ou au contraire à sa disparition, on est invité à penser le concept de guerre comme un concept construit, par des acteurs déterminés, dans des contextes spécifiques – un concept qui fait également l’objet de lectures diverses et de conflits d’interprétation dont le statut même (juridique et normatif ou politique, voire moral) doit être pris en compte. Ce qui signifie alors, comme le soutient Stephen Launey, que « la question à laquelle nous 11sommes confrontés – celle de la délimitation et de la définition des guerres aujourd’hui – est éminemment politique7 ».
Le caractère construit, négocié et souvent conflictuel de la définition du concept de guerre est particulièrement évident après la Seconde Guerre Mondiale, à une époque où l’opposition « entre l’ancien et le nouveau, les guerres révolutionnaires ou interétatiques d’hier et les guerres civiles anarchiques ou prédatrices aujourd’hui, entre les guerres liées à l’âge des nations et à des idéologies et celles de l’ère post-bipolaire dominée par la globalisation8 » aura fait de la définition de la guerre un problème évident. Et cette difficile délimitation de la guerre s’est encore accentuée dans le contexte actuel que certains auteurs comparent à l’ordre fractionné par des allégeances et des hiérarchies multiples caractéristique du monde pré-Westpalien9. Le projet de la présente publication s’origine néanmoins dans le constat que la pensée de la guerre, c’est-à-dire à la fois sa définition, son statut juridique, son rôle et sa signification politique, esthétique voire existentielle, est constituée en problème dès la période de la Grande Guerre. Et l’on ne saurait à ce titre manquer de relever d’abord que, si d’un côté, on considère parfois la Grande Guerre comme l’une des dernières guerres classiques, elle arrache aussi, à l’époque même, au chef nouvellement nommé à la tête du War Office en août 1914 le constat alarmé que : « Ce n’est plus une guerre10 ».
Si l’on se resitue en premier lieu au niveau strictement juridique évoqué précédemment, il convient en effet de noter que la période de la guerre ainsi que l’après-guerre donnent lieu à des stratégies de redéfinition 12de la guerre diverses et conflictuelles. Sans doute le droit international lui-même, ainsi qu’un vaste courant de pensées et d’activités plus ou moins institutionnelles, témoignent-ils d’un effort complexe mais relativement cohérent visant à dégager une définition partagée de la guerre légitime, dans le cadre d’un droit international qui se veut désormais, pour bon nombre de juristes, pacifiste. Mais cet effort, porté par des élites politiques et juridiques qui multiplient les Congrès internationaux et s’organisent en associations11, fait à l’époque même l’objet de très nombreuses critiques, qui ne sont pas sans disputer de la définition même de la notion de guerre, sa nature, ses possibles limites et le cadre juridico-politique de ces dernières.
En effet, les années qui vont de la fin de la guerre franco-prussienne jusqu’à la Grande Guerre sont certainement marquées par une importante activité de courants pacifistes dans nombre d’États européens12. Ces mouvements, qui sont largement mus par une vision progressiste de l’histoire et qui perçoivent dans le rapprochement des Nations sous l’impact d’une accélération des échanges commerciaux en même temps que sous l’influence grandissante d’idéaux progressistes les deux faces d’un même processus historique en direction de la paix13, font très généralement du droit international l’un des principaux instruments de promotion de la paix. Cet effort se traduit d’abord à un niveau institutionnel (création de la SDN) ou juridico-politique (Pacte Briand-Kellogg). Il se traduit également dans un certain nombre de théories juridiques, qui, à l’instar de celles par ailleurs fort divergentes de G. Scelle, d’H. Kelsen, ou encore de C. Van Vollenhoven, s’opposent à la vision classique de l’ordre international interétatique. À l’encontre de la représentation dominante d’un ordre mondial structuré par le rapport des États souverains, ils opposent généralement une conception moniste du droit assumant la continuité du droit international et du droit interne ; à l’opposé de l’idée que les États 13sont détenteurs d’un droit absolu de faire la guerre comme « moyen de leur politique nationale14 », ils admettent la subordination du droit de faire la guerre aux conditions fixées par le droit international15. Dans ce cadre, le statut de la guerre en droit international est largement discuté, puisqu’il s’agit alors non pas seulement de limiter les guerres ou de les encadrer par le droit, mais bien de les condamner comme moyen de règlement ordinaire des différends interétatiques, au profit d’un arbitrage international, en substituant aux guerres entre États souverains, guerres désormais illégitimes, des « actes de contrainte prévus par le droit international général (ou commun) », à savoir des « représailles et, spécialement, la guerre » s’exerçant en application du droit international16. Ces discours participent également de la construction d’une histoire du droit international et de l’ordre international, qui contribue à réécrire ou à réinterpréter le rôle et le statut de la guerre en leur sein17. En puisant des ressources conceptuelles au sein d’une histoire théorique chargée, bien des juristes écrivent ainsi l’histoire d’un droit international marqué par le sceau de la rupture avec l’ordre interétatique classique. C’est le cas par exemple de Van Vollenhoven, qui condamne le droit des gens classique, accusé d’être responsable d’un ordre international brutal ou d’une « paix armée » ; on trouve également dans ces reconstructions historiques l’origine de mobilisations théoriques encore présentes aujourd’hui, qui opposent la théorie du droit des gens de Grotius à celle de Vattel, en faisant de ce dernier l’incarnation théorique des impasses du système international classique18.
Contre cette position, nombre de juristes internationalistes souverainistes opposent une attitude nationaliste, parfois belliciste, mais en tous cas résolument hostile au droit international émergent. Sans 14surprise, c’est en Allemagne que l’on voit en particulier se constituer un fort courant de juristes conservateurs qui, traumatisés par le Traité de Versailles, s’efforcent de démontrer les limites du nouveau droit international et les écueils de l’esprit qui l’anime. À l’instar de H. Triepel, ces juristes n’admettent très généralement de droit international qu’à titre de norme régissant les relations d’État à État19, et comme fruit d’une « déclaration de volonté20 » exigeant d’être ensuite intégrée dans le droit interne. Et dans ce cadre, le statut de la guerre n’est guère problématique puisqu’elle constitue par excellence un acte de souveraineté, que l’État peut bien exercer en vertu du droit international compris comme le fruit d’un acte de volonté liant les États, mais qu’il exerce quoiqu’il en soit en vertu d’un jugement souverain et en choisissant le moyen de contrainte qui lui semble le plus adapté pour défendre ses intérêts21. Plus radicalement et profondément, C. Schmitt met progressivement en scène les dangers ou les contradictions que représentent le renversement de l’ordre interétatique classique par le droit humanitaire naissant, ainsi que le processus de criminalisation de la guerre dont la création de la SDN et le Pacte Briand-Kellogg constituent les principales étapes dans l’après-guerre. Avant même que ne soit construite la grande histoire du droit public européen dans le Nomos de la Terre, Schmitt identifie dans la naissance de ce nouvel ordre international l’instrument de politiques impérialistes22, notamment parce que les États appliquent eux-mêmes le droit international et les actes de contraintes qu’il prévoient. De telle sorte, selon Schmitt, que le nouvel ordre international doit moins signifier l’abolition ou la fin des guerres, que l’instrumentalisation du système de représailles issu du droit de contrainte légal qui doit s’accompagner de leur « intensification idéologique23 ».
15Mais en outre, en marge des discours juridiques ou en dehors du droit, le concept émergent de guerre totale annonce également un effort de redéfinition de la guerre, qui discute à la fois les efforts de limitation juridiques de la guerre portés par le droit international et le fait même que la définition de la guerre et sa signification puissent être données par le droit. Du point de vue de la recherche historique, bien que l’antériorité des premières guerres totales sur la Grande Guerre soit parfois discutée24, on admet assez généralement que la guerre de 14-18 témoigne d’une nouvelle forme de guerre relativement bien identifiée, dont les acteurs de l’époque ont d’ailleurs conscience. La violence extrême qui s’exerce sur les zones de conflit et contre les populations civiles, la crispation des valeurs autour de la communauté nationale et la diabolisation de l’ennemi, la mobilisation industrielle et celle de l’ensemble des ressources, l’escalade technologique et celle des savoirs scientifiques, l’appel des puissances aux Empires, l’implication enfin de la majeure partie de l’Europe, constituent ainsi les principaux traits d’une telle guerre totale, sinon de ce que John Horne qualifie de « logique de totalisation25 ». Mais avant d’être assumé comme un concept à valeur descriptive et scientifique, le terme de guerre totale est d’abord construit et mobilisé dans le contexte de la Grande Guerre même, en particulier par des élites politiques françaises et des élites militaires et intellectuelles allemandes, souvent mues par le sentiment d’avoir manqué ou compris trop tardivement les nécessités des nouvelles logiques à l’œuvre durant le conflit26.
En France, le terme apparaît notamment dans le texte éponyme de Léon Daudet, où la guerre totale se voit définie par le critère essentiel de la totalisation de l’ensemble du champ social, politique et économique :
16Qu’est-ce que la guerre totale ? C’est l’extension de la lutte, dans ses phases aigues comme dans ses phases chroniques, aux domaines politique, économique, commercial, industriel, intellectuel, juridique et financier. Ce ne sont pas seulement les armées qui se battent, mais aussi les traditions, mais aussi les institutions, les coutumes, les codes, les esprits et surtout les banques27.
Une telle définition, qui lie la transformation de la guerre à l’ensemble des transformations économiques, technologiques, démographiques, culturelles, etc. qui affectent les sociétés modernes, constitue à l’évidence l’assise d’un concept moins descriptif que militant et polémique, notamment opposé au pacifisme de l’après-guerre largement associé aux yeux de Daudet au parlementarisme républicain. Mais on sait que la notion de guerre totale (totaler Krieg) constitue surtout le cœur de l’ouvrage non moins polémique et plus radical encore de Ludendorff, qui marque le triomphe du militarisme28. Ludendorff voit effectivement dans l’exigence de totalisation de la guerre moderne le principe d’une identification de la politique au « principe conservateur de la vie d’un peuple », qui fait de la guerre une « lutte pour la vie » au sens racial du terme, nécessite la préparation continuelle de la nation à la guerre en temps de paix et mène à l’inversion des rapports entre guerre et politique :
La guerre et la politique servent la conservation du peuple, mais la guerre reste la suprême expression de la volonté de vie raciale. C’est pourquoi la politique doit servir la guerre29.
Une telle inversion joue un rôle central dans le succès ambigu de la notion de guerre totale qui, d’un concept semi-descriptif, qui désigne l’implication massive de l’économie et de l’industrie, de la propagande et de la communication de masse, des civils et des colonies dans la guerre, glisse vers un concept analytique politiquement surchargé, lequel vise une nouvelle organisation sociale et politique porteuse d’une inversion du rapport entre guerre et politique. L’apparition d’une telle notion et son maniement polémique dans le contexte même de l’entre-deux guerres 17invite à revenir sur les débats actuels importants autour de la « culture de guerre30 » dominante dans le contexte de la Grande Guerre. La notion de guerre totale et son cheminement traduit en effet sans doute, dans certains courants intellectuels et politiques des sociétés engagées31, le développement d’un système de représentations porteur d’une logique de totalisation de la guerre ou d’exportation de la logique guerrière dans tous les champs de l’existence32. Sans doute invite-t-elle donc à réinterroger le poids des représentations culturelles dans l’acceptation de la guerre pendant le conflit, ou dans les logiques de réinterprétation qui vont se développer à sa suite. Sans prétendre nullement répondre, ni même contribuer à une réflexion aussi complexe et épineuse sur le plan historique, mais peut-être aussi épistémologique et politique, on notera seulement ici, qu’à un niveau strictement conceptuel, les discussions qui se jouent autour de la notion de guerre totale ne traduisent pas seulement une logique de « brutalisation » des mentalités et un militarisme grandissant, mais également un effort de redéfinition des limites de la guerre, ou plus exactement, de sa signification et de son « extension » conceptuelle. Ce point est particulièrement clair chez des auteurs comme Ernst Jünger ou Carl Schmitt, que l’on a souvent classés dans le même mouvement hétéroclite de la Révolution conservatrice33.
Chez Schmitt, qui définit notamment la guerre totale comme « l’extension de la lutte hors des secteurs militaires (la propagande, l’économie)34 », la notion répond au constat d’une transformation concomitante du droit international et des pratiques et techniques de la guerre, qui témoignent de l’exploitation de l’ensemble des moyens 18mis à la disposition des puissances étatiques, et par suite de la dilution entre ce qui relève des pratiques militaires et ce qui n’en relève pas – les premières intégrant désormais aussi bien l’économie, l’industrie, la propagande, etc.35 Mais ensuite, la notion fait également écho à n’en pas douter à une importante littérature marxiste, ou influencée par le marxisme, qui, chez Lénine ou Rosa Luxemburg, ou encore, et de manière sensiblement différente chez John A. Hobson ou Rudolf Hilferding, invite à penser les liens entre le capitalisme dans ses différentes phases de développement et les politiques impérialistes des grandes puissances, et qui conduit Lénine à faire de la Grande Guerre un conflit d’essence impérialiste36. En reprenant à son compte l’idée que le droit international et la morale pacifiste même peuvent être les instruments de politiques impérialistes, Schmitt charge sa notion de guerre totale d’une réflexion plus large sur les nouvelles formes de guerre et sur leur nature37. Mais en abandonnant toute l’assise proprement matérialiste d’une telle réflexion, il finit par réduire l’impérialisme à un ensemble de « méthodes de domination et d’exploitation nouvelles (protectorat, traités d’intervention et contrats de bail) », qui fondent un droit d’intervention en « évitant l’annexion politique ouverte38 » et qui permettent par suite une exploitation économique sans occupation nécessaire, ou, inversement, qui utilisent les leviers de l’économie pour asseoir des dominations politiques. Néanmoins, il n’est pas certain que la notion de guerre totale chez Schmitt trahisse seulement une réflexion amputée sur les nouvelles formes d’impérialisme dont les transformations mêmes du droit international se font l’écho. Schmitt esquisse assez tôt l’idée que la logique de totalisation des guerres qui s’esquisse à partir 19de la Grande Guerre va en fait bien au delà d’une continuité entre une logique économique et une logique militaire, et qu’elle pourrait paradoxalement être le fruit d’une démocratisation de la société et d’une politique libérale de « dépolitisation » et de neutralisation39 qui aura conduit à la politisation complète du social et de l’économique40. Ces analyses, qui ne sauraient être isolées dans l’argumentation schmittienne de celles portant sur l’interpénétration de l’État et de la société dans les États démocratiques modernes, trouvent semble-t-il leur traduction au niveau des conflits armés, interrogeant à la fois la « démocratisation » de la guerre et sa dilution – c’est-à-dire à la fois l’effritement de la séparation entre guerre interne et guerre externe, entre guerre et paix et, enfin, l’extension de la lutte à l’ensemble des secteurs de la vie sociale – dans les champs économique, technique et social en particulier. De telle sorte que Schmitt esquisse ainsi l’idée extrêmement polémique, que l’effort qui se fait jour dans le droit international en direction d’une limitation et d’une criminalisation de la guerre, pour autant qu’il est structurellement lié à l’exploitation de l’économie et de la technique comme moyens de contrainte voire, à une idéologie libérale croyant encore dans le caractère pacificateur de l’économie, pourrait bien participer à la « totalisation » des guerres que le même droit prétend ensuite maîtriser. Sous cet angle, Schmitt critique au moins autant l’impérialisme sous-jacent à la mise en place d’un nouveau droit international libéral, que l’aveuglement et l’inconscience des mêmes libéraux à l’égard des conséquences de leur conception dépolitisée du « droit universel » et de leurs efforts en direction d’une neutralisation, susceptibles de mener à une situation mondiale chaotique. Et ce que l’analyse schmittienne pointe alors plus largement dans sa critique du droit international émergent, c’est peut-être aussi la dissolution même du concept de guerre ou l’expansion de la guerre hors de ses limites traditionnelles et dans tous les champs du social.
Chez Jünger, il est intéressant de noter que c’est précisément dans l’expérience de la guerre moderne, c’est-à-dire de la guerre technique qui 20broie la figure classique de l’héroïsme militaire, que s’opère le renversement ambigu des thèses de Clausewitz41. Comme le relève H. Arendt dans le Système totalitaire, les survivants des tranchés n’idéalisèrent pas la guerre ; ils « furent les premiers à reconnaître qu’à l’ère du machinisme, elle ne pouvait plus produire de vertus telles que l’esprit chevaleresque, le courage, l’honneur et la virilité, qu’elle n’apporterait aux hommes que l’expérience de la destruction pure et simple, ainsi que l’humiliation de n’être que de minuscules rouages dans la majestueuse roue dentée de l’abattoir ». Mais poursuit Arendt, les survivants n’en devinrent pas pour autant pacifistes ; bien plutôt, ils « s’accrochèrent aux souvenirs de quatre années vécues dans les tranchées comme si elles eussent constitué un critère objectif pour la fondation d’une nouvelle élite42 ». Chez Jünger, où se joue une transition « qui conduisit de l’expérience de l’impuissance du soldat naufragé de la bataille de matériel à l’apothéose du Travailleur enseigné par le soldat finalement maître du matériel43 ? », c’est le renversement d’une relation écrasée de l’homme à la technique qui se joue dans la pensée de la guerre totale, et qui explique son lien avec la mobilisation totale et avec l’État total. La Grande Guerre est instituée alors en guerre totale parce qu’elle conduit en même temps à la mobilisation totale des forces techniques, sociales et économiques, et à la mobilisation intégrale de l’individu même – mobilisation qui reçoit une dimension cosmique44. Par suite, la célèbre proclamation de Lénine, que Jünger reprend à son compte dans Le Travailleur, selon laquelle le xxe siècle devait être celui des « guerres et des révolutions en chaine45 », intègre elle-même cette nouvelle dimension plus existentielle, qui accentue la thèse portant sur l’impossible limitation des « guerres » modernes.
Ceci nous conduit à formuler l’hypothèse qui a en partie animé le projet de ce numéro. Du bref exposé de quelques-uns des grands concepts de guerre qui ont été formulés dans le contexte de la Grande Guerre 21pour penser les transformations de la guerre et agir sur le droit et sur les représentations, on peut retenir d’abord le caractère éminemment conflictuel. Pour appréhender ces conflits, il conviendrait d’analyser, en amont des analyses esquissées ici, les usages stratégiques des concepts déployés dans leur contexte de formulation46. À n’en pas douter, la notion de guerre totale, pour ne prendre qu’un exemple, s’oppose très directement à tout un courant de pensée porté par divers mouvements politiques et intellectuels condamnant la brutalité de la guerre comme contraire au progrès et à la civilisation. Mais la restitution des intentions stratégiques des auteurs permettrait sans doute d’insister aussi sur l’ambiguïté d’une telle notion, qui tient autant à son caractère essentiellement polémique qu’à la multiplicité des cibles visées – conformément d’ailleurs en cela au caractère équivoque de « la pensée » de la Révolution conservatrice47. Et ce caractère polymorphe expliquerait peut-être également ce fait étonnant que les représentations et les valeurs qui se trouvent associées à l’idée de guerre dans le contexte de la Grande Guerre continuent à faire l’objet de lectures aussi contrastées – ainsi, contre la thèse de Mueller selon lequel la Première Guerre Mondiale constitue le grand moment d’une « perte de légitimité de la guerre », laquelle serait au cœur de la construction d’une pensée de la sécurité collective48, d’autres auteurs, à l’instar de Mosse, voient dans cette première guerre de masse le moment où se forge un grand mythe autour de la valeur du combat et du sacrifice :
Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, le mythe avait donné aux conflits une dimension de régénération personnelle et nationale. La poursuite, dans la paix, des attitudes agressives de la guerre entraîna une « brutalisation » de la vie politique et accentua l’indifférence à l’égard de la vie humaine49.
Mais ensuite, au cœur de ces conflits de définition, se joue plus généralement une réflexion sur les limites de la guerre, qui excède la question 22de l’encadrement légal de la guerre et même celle de la distinction entre situation de guerre et situation de paix à l’ère des nouveaux impérialismes. Entre les discours qui se formulent dans le droit international et ceux qui se développent en marge du droit, dans le champ politique, dans le champ universitaire, ou dans la littérature, la question de la définition de la guerre ou de son sens nous semble en effet continuellement articulée à une interrogation sur ses limites : sont interrogées d’abord les limites géographiques et temporelles de la guerre, qui sont en même temps des limites juridiques et politiques. Est questionné ensuite le principe ou la source de cette limitation, notamment car si, d’un côté, le droit international revendique clairement le droit de fixer les limites de la guerre, de l’autre, c’est bien la possibilité concrète de le faire qui est mis en cause par une notion comme celle de guerre totale, qui met en scène un conflit entre droit, politique et fait. Et ce dernier point explique peut être aussi l’ambivalence même de la notion, qui se meut d’emblée entre un aspect descriptif et un aspect normatif et militant – ambiguïté à laquelle il n’est pas certain que l’on puisse complètement s’échapper. Ce sont ensuite les frontières de la politique et de la guerre, et, en amont, la manière dont ces frontières sont intrinsèquement liées à la structure du champ social, ou au rapport entre État et société, État et économie, qui est en jeu – un enjeu qui éclaire sans doute en partie la nature du « projet » révolutionnaire conservateur par ailleurs si confus, mais également peut-être aussi les débats qui ont eu lieu autour de l’origine historique de la guerre totale50. Enfin, la sacralisation de la guerre, sa constitution en mythe, son esthétisation même, ouvrent une autre brèche, ou une autre interrogation, que l’on pourrait formuler de la manière suivante : la guerre n’est-elle qu’une question politico-militaire, n’est-elle par bien plutôt ce qui permet d’accéder à l’essence du politique et du social, au cœur de l’existence humaine ?
La question des limites de la « guerre » s’est à l’évidence imposée comme une question absolument cruciale à l’époque contemporaine. 23Ainsi que le note très justement Julie Saada, la substitution de la notion de conflit armé à celle de guerre, l’extension du lexique juridique qui cherche à s’adapter à la pluralité des formes de violences interétatiques, transétatiques ou civiles, traduit un enjeu théorique, qui est en même temps politique, juridique et éthique : celui de la distinction entre formes de violences relevant de la guerre et celles qui n’en relèvent pas, ainsi que celui de la rupture ou de la continuité entre conflictualité politique et conflictualité belliqueuse51. Or, l’étude des conflits théoriques qui se jouent dans le contexte de la Grande Guerre invite semble-t-il à élargir ces enjeux. Si ces enjeux ne sont effectivement pas exclusivement liés à des transformations historiques que l’on tend largement à associer à des conflits et des pratiques relativement récents (guerres de décolonisation, Guerre Froide, opérations de police sous mandat de l’ONU, terrorisme, pratiques d’assassinats ciblés, usage des drônes, etc.), c’est dans une certaine mesure l’émergence du problème même de la limitation de la guerre qu’il convient alors de repenser dans le cadre d’une généalogie plus longue, mais peut-être surtout comme une forme de questionnement spécifique sur l’ordre et la limite. Autrement dit, derrière la variabilité, la polymorphie, la multiplicité des stratégies qui se jouent autour de la définition de la guerre – variabilités, polymorphie et support de stratégies plurielles qui sont, à l’évidence, toujours d’actualité, et qui, dans une certaine mesure, l’ont toujours été – ne peut-on identifier l’émergence d’un concept essentiellement constitué en problème mettant en jeu la possibilité même d’un ordre contemporain ? Et si tel est bien le cas, cet ordre contemporain mis au défi par la guerre, à une époque marquée par la montée en puissance du libéralisme tout autant que de ses critiques, ne devrait pas alors être seulement compris comme un ordre politique, juridique et économique, mais également comme un ordre social, voire épistémologique52. Car la guerre n’interroge pas seulement, dans le contexte de l’entre-deux guerres, la possibilité 24même d’un certain ordre international, un ordre libéral, dominé par une certaine conception du droit, de l’économie et de la morale ; elle interroge aussi bien sa circonscription même hors de certains champs sociaux, et la manière dont cette circonscription engage une manière de penser ces champs sociaux mêmes, à un niveau disciplinaire et à un niveau épistémologique (on peut songer ici à l’épineuse question de la valeur heuristique du conflit pour penser le politique, mais la question est sans aucun doute plus large, puisque les conflits qui se jouent autour du concept de guerre interrogent continuellement les frontières disciplinaires ainsi que leur signification politique).
En partant donc des discours conflictuels sur la guerre tels qu’ils ont été formulés dans le contexte de la Grande Guerre, et en cherchant à comprendre à la fois quelles sont les mutations effectives dans les pratiques, les armes, etc. qui ont généré ces discours et quelles sont les ressources théoriques héritées du passé dans lesquels ces discours viennent puiser, nous nous sommes proposés, dans le double numéro présenté ici, d’interpréter les efforts conflictuels de redéfinition de la guerre dans le contexte de la Grande Guerre, qui constitue un tournant dans la pensée de la guerre à la lisière du xxe siècle. L’approche interdisciplinaire retenue par le numéro permettra d’interroger la pluralité des discours tenus sur la guerre et les « lieux » d’où ils se formulent, en les confrontant aux mutations réelles qui sont à l’œuvre notamment dans les pratiques et les techniques militaires. Le questionnement, qui se veut quant à lui, résolument philosophique, entend prendre appui sur ces différentes approches pour tenter de répondre, mais peut-être surtout de mieux cerner ce qui constitue à nos yeux l’un des grands problèmes pour la pensée contemporaine de la guerre : quelle(s) signification(s) accorder à la si difficile limitation du concept de guerre à l’époque contemporaine ?
Cette réflexion portant sur les Transformations du concept de guerre (1914-1930) constitue le premier volet d’un double numéro d’Éthique, Politique, Religions. Le premier numéro, « Limites et extensions », s’interroge à la fois sur les efforts de limitation juridique et politique de la guerre, et sur l’extension concomitante de la pensée de la guerre et de ses enjeux. Le second numéro, « Techniques, stratégies, culture », se penchera sur la complexité des facteurs qui entrent en jeu dans ces renégociations des « limites » de la guerre et de son concept. Ce double numéro est issu d’un colloque international, co-organisé par Thomas 25Berns, Juliette Lafosse et Marie Goupy, et qui s’est tenu à l’Université Libre de Bruxelles, les 12, 13 et 14 novembre 2015. Il s’est néanmoins enrichi de la présence de plusieurs articles qui n’ont pas fait l’objet d’une présentation lors du colloque, et qui permettent de donner une portée aussi large que possible à cette question philosophique difficile et encore aujourd’hui très actuelle, celle des limites du concept de guerre.
Marie Goupy
Institut Catholique de Paris
Université Paris X – Nanterre
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1 Voir par exemple Sur, Serge, « Quelle légalité pour le conflit armé en droit international ? », Cités, 2005, no 24, p. 104.
2 Ainsi, pour Mueller, la Grande Guerre constitue le grand moment de « perte de légitimité de la guerre », où l’« attrait de la guerre, à la fois comme exercice désirable en soi et comme méthode légitime et raisonnable de résoudre des différents internationaux, diminua radicalement sur le continent, ravagé par le conflit ». Mueller, John, « Vers la fin de la guerre ? », Politique étrangère, no 4, 2006, p. 864. Voir également Mueller, John, Retreat from Doomsday : the Obsolescence of Major War, New York, Basic Books, 2001.
3 Deperchin, Annie et Van Ypersele, Laurence, « Droit et occupation : le cas de la France et de la Belgique », in J. Horne (dir.), Vers la guerre totale, Le tournant de 1914-1915, Paris, Tallandier, 2010, p. 154.
4 Sur, Serge, « Quelle légalité pour le conflit armé en droit international ? », Op. cit., p. 104.
5 Sur ce point, on peut voir l’excellent numéro de Raisons Politiques consacré au « Retour de la guerre », Raisons Politiques, no 13, Janvier 2004.
6 Voir Gros, Frédéric, États de violence, Paris, Gallimard, 2006 ; Holeindre, Jean-Vincent, Ramel, Frédéric, La fin des guerres majeures ?, Paris, Économica, 2010 ; Saada, Julie, La guerre en question. Conflits contemporains, théorie politique et débats normatifs, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2015 ; Sarkees, Meredith R. et Wayman, Franck W., Resort to War : A data guide to Inter-State, Extra-State, Intra-State, and Non-State Wars, 1816-2007, Washington (DC), CQ Press, 2010, p. 563-565 ; Launay, Stephen, La guerre sans la guerre. Essai sur une querelle occidentale, Paris, Descartes et Cie, 2003 ; Duffield, Mark, Global Governance and the New Wars : A Merging of Development ans Security, London-New-York, Zed Books, 2003.
7 Launey, Stephen, « Quelques formes et raisons de la guerre », Raisons Politiques, no 13, février 2004, p. 15. Nous soulignons. Pour asseoir cette affirmation, Stefen Launey affirme un peu plus haut que : « La guerre est objet de lectures, d’interprétations, et non pas seulement d’enregistrements ou de chroniques factuelles. Car pour l’appréhender, il faut nourrir une définition dont découle une idée de son devenir, une tentation de prospective, voire de prophétie, une espérance, projetant généralement sa disparition ». Ibid., p. 9.
8 Introduction de Pierre Hassner in P. Hassner et R. Marchal (dir.), Guerres et sociétés. États et violence après la Guerre froide, Paris, Karthala, 2003, p. 6.
9 Launay, Stephen, La Guerre sans la guerre. Essai sur une querelle occidentale, Op. cit., p. 48 sq.
10 Cité dans Linhardt, Dominique et Moreau de Bellaing, Cédric, « Ni guerre, ni paix. Dislocations de l’ordre politique et décantonnements de la guerre », Politix, vol. 26, no 104, 2013, p. 10. Ce pourquoi d’ailleurs la Grande Guerre constitue moins au regard de ces auteurs un tournant en direction d’un ordre international pacifié par le droit, que l’ébranlement d’un espoir « resté vif tout au long du xixe siècle, de circonscrire la guerre en lui fixant des formes acceptables, voire de l’éliminer totalement du commerce des nations » (Ibid., p. 10).
11 Dans la seconde moitié du xixe siècle, on assiste à une multiplication des associations pour la paix, à l’instar de la Ligue internationale de la paix et de la liberté fondée en 1867 ou du Bureau International de la paix, fondé en 1891, porteurs de grands Congrès internationaux visant à en assurer la promotion. Sur ce point, voir Guieu, Jean-Michel, « De la “paix armée” à la paix “tout court”, la contribution des pacifistes français à une réforme du système international, 1871-1914 », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, no 32, 2010/2, p. 81-109.
12 Guieu, Jean-Michel, « De la “paix armée” à la paix “tout court”, la contribution des pacifistes français à une réforme du système international, 1871-1914 », Op. cit., p. 82.
13 Ibid., p. 93.
14 Kelsen, Hans, « La technique du droit international et l’organisation de la paix » (1934), in Écrits français de droit international, Paris, PUF, p. 251.
15 Cf. en particulier Kelsen, Hans, Théorie générale du droit et de l’État, Paris, L.G.D.J., 1997, p. 409 sq.
16 Kelsen, Hans, « La technique du droit international et l’organisation de la paix », Op. cit., p. 254.
17 Jouannet, Emmanuelle, « La critique de la pensée classique durant l’entre-deux guerres : Vattel et van Vollenhoven (quelques réflexions sur le modèle classique du droit international) », Miskolc Journal of International Law, 2004, Vol. 1, no 2. http://www.uni-miskolc.hu/~wwwdrint/20042jouannet1.htm.
18 Ibid. G. Scelle mobilise également par exemple la figure théorique de Machiavel dans la reconstruction d’une telle « histoire du droit international ». Cf. Scelle, Georges, Manuel de droit international public, Montchretien, Paris, 1948, p. 39.
19 Triepel, Heinrich, Droit international et Droit interne, Paris, Oxford, Pédone, Imprimerie de l’Université, 1920, p. 27. Sur la voie étroite des juristes internationalistes conservateurs entre pure et simple négation du droit international et tendance internationaliste des pacifistes, voir en particulier Jouin, Céline, Le Retour de la guerre juste. Droit international, épistémologie et idéologie chez Carl Schmitt, Paris, VRIN/EHESS, 2013, chap. 1.
20 Triepel, Heinrich, Droit international et droit interne, Op. cit., p. 29.
21 Ibid., p. 267.
22 Sur ce point, on peut voir notamment : « La Société des Nations et l’Europe » (1928) et « Les formes de l’impérialisme en droit international moderne » (1932), traduits dans Du politique. « Légalité et légitimité » et autres essais, Puiseaux, Pardès, 1990, p. 19-29 et p. 81-100 ; « Frieden oder Pazifismus ? », Frieden oder Pazifismus ? Arbeiten zum Völkerrecht und zur internationalen Politik 1924-1978, G. Maschke (éd.), Berlin, Duncker & Humblot, (1933), 2005.
23 Launey, Stephen, « Quelques formes et raisons de la guerre », Op. cit., p. 32.
24 Cf. notamment Bell, David A., The First Total War : Napoleon’s Europe and the Birth of Warfare As We Know It, Boston, Houghton Mifflin, 2007.
25 Ainsi, John Horne appréhende-t-il ce tournant de la Grande Guerre comme une logique de totalisation, parce qu’en sont constitutives « l’escalade de la violence militaire, la transformation du combat par la science et la technologie, l’abolition progressive de la distinction entre soldats et civils et la déshumanisation de l’ennemi – interne comme externe ». Horne, John, Vers la guerre totale, Le tournant de 1914-1915, Paris, Tallandier, 2010, p. 31.
26 Horne, John, Vers la guerre totale, Le tournant de 1914-1915, Op. cit., p. 31. Voir également Speir, Hans, « Ludendorff : la conception allemande de la guerre totale », in E. Mead Earle (dir.), Les Maîtres de la Stratégie, 2. De la fin du xixe siècle à Hitler, Paris, Berger-Levrault, 1982, p. 36-39.
27 Daudet, Léon, La Guerre totale, Paris, Nouvelle librairie nationale, 1918, p. 8. Clémenceau avait déjà utilisé la notion de guerre totale dans son Discours du 22 juillet 1917 à l’Assemblée.
28 Lemay, Benoît, Préface de l’ouvrage de Ludendorff, Erich, La Guerre totale, Paris, Éditions Perrin, 2010, p. 14.
29 Ludendorff, Erich, La Guerre totale, Op. cit., p. 65.
30 Annette Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau définissent ainsi la « culture de guerre » « comme le champ de toutes les représentations de la guerre forgées par les contemporains ». Becker, Annette, Audoin-Rouzeau, Stéphane, « Violence et consentement : la “culture du guerre” du premier conflit mondial », in J.-P. Rioux, J.-F. Sirinelli, Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, 1997, p. 252.
31 Sur les limites à apporter à l’idée de « culture de guerre », notamment en ce qui concerne l’homogénéité d’une telle « culture » dans les sociétés concernées, voir en particulier Offenstadt, Nicolas, Olivera, Philippe, Picard, Emmanuelle et Rousseau, Frédéric, in F. Rousseau (dir.), Guerres, paix et sociétés, 1911-1946, Neuilly, Atlande, 2004, p. 667-674.
32 Ibid., p. 256.
33 Sur ce caractère hétéroclite, voir Breuer, Stefan, Anatomie de la Révolution conservatrice, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1996.
34 Schmitt, Carl, « Über das Verhältnis der Begriffe Krieg und Feind », Frieden oder Pazifismus ?, Berlin, Duncker & Humblot, 2005.
35 Dans lettre à Jean-Pierre Faye du 5 sept 1960, Schmitt énonce ainsi : « La formule “guerre totale” (totaler Krieg) découlait de deux transformations du droit international : a) du problème du désarmement, consécutivement à l’extension illimitée de la notion de “potentiel de guerre”, puisque finalement tout pouvait devenir potentiel de guerre, et b) de la notion de contrebande, qui s’était étendue au point que finalement tout pouvait devenir contrebande ». Extrait reproduit dans Jouin, Céline, Le Retour de la guerre juste. Droit international, épistémologie et idéologie chez Carl Schmitt, Op. cit., p. 182.
36 Lenine, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, Paris, Éditions Science Marxiste, 2005, p. 22.
37 Jouin, Céline, Le Retour de la guerre juste. Droit international, épistémologie et idéologie chez Carl Schmitt, Op. cit., p. 165.
38 Schmitt, Carl « La Rhénanie, objet de politique internationale » (1925), in Machiavel-Clausewitz, Droit et politique face aux défis de l’histoire, Paris, Krisis, 2007, p. 88.
39 Ce système de « neutralisation » et de « dépolitisation » correspond bien entendu au même effort de rejet ou de relativisation de la souveraineté de l’État que le juriste identifie au niveau du droit public interne.
40 Schmitt, Carl, « Le virage vers l’État total » (1931), in Parlementarisme et démocratie, Paris, Seuil, 1988, p. 161.
41 « Mais je pourrais ajouter que, après la guerre, en Allemagne, nous avons assisté à l’inversion des thèses de Clausewitz, à savoir que la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens ». Jünger, Ernst, Les Prochains Titans, Paris, Grasset, 1998, p. 87.
42 Arendt, Hannah, Le Système totalitaire, Paris, Seuil, 1972, p. 53.
43 Cf. Evard, Jean-Luc, Ernst Jünger. Autorité et domination, Paris-Tel-Aviv, Éditions de l’éclat, 2004, p. 268.
44 Jünger, Ernst, Les Prochains Titans, Op. cit., p. 87-88.
45 Cf. Evard, Jean-Luc, Ernst Jünger. Autorité et domination, Op. cit., p. 23.
46 Sur l’importance des intentions stratégiques des auteurs dans la manipulation et l’interprétation de tels concepts, nous nous référons aux excellentes analyses d’Olivier Beaud dans Beaud, Olivier, « L’art d’écrire chez un juriste : Carl Schmitt », in C.-M. Herrera (dir.), Le Droit, le politique, autour de Max Weber, Hans Kelsen, Carl Schmitt, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 15-36.
47 Sur ce point, voir Breuer, Stefan, Anatomie de la Révolution conservatrice, Op. cit.
48 Deperchin, Annie et Van Ypersele, Laurence, « Droit et occupation : le cas de la France et de la Belgique », Op. cit., p. 154.
49 Mosse, Georges, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 1999, p. 181.
50 On pense ici notamment aux importants débats qui ont eu lieu sur le fait de savoir si les « guerres démocratiques » de la Révolution ou les guerres napoléoniennes n’ont pas constitué les premières guerres totales. Sur ce point, voir Bell, David A., The First Total War : Napoleon’s Europe and the Birth of Warfare As We Know It, Op. cit. ; Guiomard, Jean-Yves, L’invention de la guerre totale, Paris, Éditions du Félin, 2004 ; Bell, David, Crepin, Annie, Drevillon, Hervé, Forcade, Olivier et Gainot, Bernard, « Autour de la guerre totale », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], no 366, octobre-décembre 2011, mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 02 janvier 2015.
51 Saada, Julie, La Guerre en question. Conflits contemporains, théorie politique et débats normatifs, Op. cit., p. 7.
52 Sur les liens qui se jouent directement dans la théorie de Carl Schmitt entre ordre concret et ordre épistémologique dans la théorie du droit international de Carl Schmitt, voir en particulier Pasquier, Emmanuel, « Carl Schmitt et la circonscription de la guerre. Le problème de la mesure dans la doctrine des grands espaces », Revue Études internationales, volume XL, no 1, mars 2009 et Pasquier, Emmanuel, De Genève à Nuremberg. Carl Schmitt, Hans Kelsen et le droit international, Paris, Classique Garnier, 2012.
- Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN : 978-2-406-06763-4
- EAN : 9782406067634
- ISSN : 2271-7234
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06763-4.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 13/01/2017
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Guerre, limitation de la guerre, guerre totale, culture de guerre