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Classiques Garnier

Préface Les transformations du concept de guerre dans le contexte de la Grande Guerre. Les limites de la guerre, l’extension d’un concept

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Éthique, politique, religions Les transformations du concept de guerre (1910-1930)
    2016 – 2, n° 9
    . I. Limites et extension
  • Auteur : Goupy (Marie)
  • Résumé : L’article présente certains grands enjeux du double numéro d’Éthique, politique, religions portant sur les transformations du concept de guerre dans les années 1914-1930. Il examine la place occupée par la question des limites de la guerre, dont les enjeux ne sont pas seulement juridiques et politiques, mais affectent jusqu’à la pensée du social, de l’existence humaine, et les conditions épistémologiques de la pensée.
  • Pages : 9 à 28
  • Revue : Éthique, politique, religions
  • Thème CLIL : 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
  • EAN : 9782406067634
  • ISBN : 978-2-406-06763-4
  • ISSN : 2271-7234
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06763-4.p.0009
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 13/01/2017
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Guerre, limitation de la guerre, guerre totale, culture de guerre
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Préface

Les transformations du concept de guerre
dans le contexte de la Grande Guerre.
Les limites de la guerre,
lextension dun concept

Il est généralement admis que la Grande Guerre constitue un moment important, sinon un tournant, dans la redéfinition du statut et de la signification que lon accorde à la guerre dans lordre international1. Au niveau du droit international, le changement semble particulièrement évident : le contexte de la Grande Guerre est effectivement marqué par une inflexion prononcée du droit international en direction dune interdiction du recours à la force armée – ce que lon qualifie aussi parfois de criminalisation de la guerre. Et lon ne saurait, à ce titre, manquer de mentionner le Pacte de la SDN ou le Pacte Briand-Kellogg. À un niveau plus général, certains auteurs, à linstar de John Muller, voient dans la période une étape importante dans un processus historique plus large se caractérisant à la fois par une transformation des mentalités et par le rôle central joué désormais par léconomie, menant à une « obsolescence des guerres interétatiques2 ». Le développement de la croyance dans le droit et la civilisation comme moyens de limiter les guerres est, à nen pas douter, bien antérieur à la Grande Guerre, et la pluralité des facteurs socio-politiques (montée du libéralisme politique, pacification des mœurs, etc.) et économiques (notamment la construction dun marché libre au 10niveau mondial) qui participent à cette transformation exigeraient de comprendre cette transformation sur un temps long ; néanmoins, cest le conflit lui-même, par sa brutalité et son extension, qui aurait marqué un véritable tournant dans la construction dune pensée de la sécurité collective. Et lon ne saurait alors manquer de relever que cest dailleurs dans ce contexte que lon doit situer la naissance du droit international en tant que discipline3.

Au sein de ce schéma interprétatif, on admet parfois que le 11 septembre témoigne dune « inversion de tendance », marquée par une re-légitimation des recours aux violences armées4, voire par un « retour de la guerre5 ». Néanmoins, une telle analyse devient complexe, sinon épineuse, dès que lon aborde la délicate question de la qualification des conflits armés en tant que guerre à lépoque contemporaine6 – ce dont témoigne récemment lembarras provoqué par la déclaration de François Hollande affirmant que « La France est en guerre », devant le Parlement réuni en Congrès le 16 novembre 2015. Et là réside sans doute lune des interrogations décisives dès que lon tente de penser à la nature des violences ou des guerres à lépoque contemporaine : que lon assiste à un retour de la guerre, à sa transformation, ou au contraire à sa disparition, on est invité à penser le concept de guerre comme un concept construit, par des acteurs déterminés, dans des contextes spécifiques – un concept qui fait également lobjet de lectures diverses et de conflits dinterprétation dont le statut même (juridique et normatif ou politique, voire moral) doit être pris en compte. Ce qui signifie alors, comme le soutient Stephen Launey, que « la question à laquelle nous 11sommes confrontés – celle de la délimitation et de la définition des guerres aujourdhui – est éminemment politique7 ».

Le caractère construit, négocié et souvent conflictuel de la définition du concept de guerre est particulièrement évident après la Seconde Guerre Mondiale, à une époque où lopposition « entre lancien et le nouveau, les guerres révolutionnaires ou interétatiques dhier et les guerres civiles anarchiques ou prédatrices aujourdhui, entre les guerres liées à lâge des nations et à des idéologies et celles de lère post-bipolaire dominée par la globalisation8 » aura fait de la définition de la guerre un problème évident. Et cette difficile délimitation de la guerre sest encore accentuée dans le contexte actuel que certains auteurs comparent à lordre fractionné par des allégeances et des hiérarchies multiples caractéristique du monde pré-Westpalien9. Le projet de la présente publication sorigine néanmoins dans le constat que la pensée de la guerre, cest-à-dire à la fois sa définition, son statut juridique, son rôle et sa signification politique, esthétique voire existentielle, est constituée en problème dès la période de la Grande Guerre. Et lon ne saurait à ce titre manquer de relever dabord que, si dun côté, on considère parfois la Grande Guerre comme lune des dernières guerres classiques, elle arrache aussi, à lépoque même, au chef nouvellement nommé à la tête du War Office en août 1914 le constat alarmé que : « Ce nest plus une guerre10 ».

Si lon se resitue en premier lieu au niveau strictement juridique évoqué précédemment, il convient en effet de noter que la période de la guerre ainsi que laprès-guerre donnent lieu à des stratégies de redéfinition 12de la guerre diverses et conflictuelles. Sans doute le droit international lui-même, ainsi quun vaste courant de pensées et dactivités plus ou moins institutionnelles, témoignent-ils dun effort complexe mais relativement cohérent visant à dégager une définition partagée de la guerre légitime, dans le cadre dun droit international qui se veut désormais, pour bon nombre de juristes, pacifiste. Mais cet effort, porté par des élites politiques et juridiques qui multiplient les Congrès internationaux et sorganisent en associations11, fait à lépoque même lobjet de très nombreuses critiques, qui ne sont pas sans disputer de la définition même de la notion de guerre, sa nature, ses possibles limites et le cadre juridico-politique de ces dernières.

En effet, les années qui vont de la fin de la guerre franco-prussienne jusquà la Grande Guerre sont certainement marquées par une importante activité de courants pacifistes dans nombre dÉtats européens12. Ces mouvements, qui sont largement mus par une vision progressiste de lhistoire et qui perçoivent dans le rapprochement des Nations sous limpact dune accélération des échanges commerciaux en même temps que sous linfluence grandissante didéaux progressistes les deux faces dun même processus historique en direction de la paix13, font très généralement du droit international lun des principaux instruments de promotion de la paix. Cet effort se traduit dabord à un niveau institutionnel (création de la SDN) ou juridico-politique (Pacte Briand-Kellogg). Il se traduit également dans un certain nombre de théories juridiques, qui, à linstar de celles par ailleurs fort divergentes de G. Scelle, dH. Kelsen, ou encore de C. Van Vollenhoven, sopposent à la vision classique de lordre international interétatique. À lencontre de la représentation dominante dun ordre mondial structuré par le rapport des États souverains, ils opposent généralement une conception moniste du droit assumant la continuité du droit international et du droit interne ; à lopposé de lidée que les États 13sont détenteurs dun droit absolu de faire la guerre comme « moyen de leur politique nationale14 », ils admettent la subordination du droit de faire la guerre aux conditions fixées par le droit international15. Dans ce cadre, le statut de la guerre en droit international est largement discuté, puisquil sagit alors non pas seulement de limiter les guerres ou de les encadrer par le droit, mais bien de les condamner comme moyen de règlement ordinaire des différends interétatiques, au profit dun arbitrage international, en substituant aux guerres entre États souverains, guerres désormais illégitimes, des « actes de contrainte prévus par le droit international général (ou commun) », à savoir des « représailles et, spécialement, la guerre » sexerçant en application du droit international16. Ces discours participent également de la construction dune histoire du droit international et de lordre international, qui contribue à réécrire ou à réinterpréter le rôle et le statut de la guerre en leur sein17. En puisant des ressources conceptuelles au sein dune histoire théorique chargée, bien des juristes écrivent ainsi lhistoire dun droit international marqué par le sceau de la rupture avec lordre interétatique classique. Cest le cas par exemple de Van Vollenhoven, qui condamne le droit des gens classique, accusé dêtre responsable dun ordre international brutal ou dune « paix armée » ; on trouve également dans ces reconstructions historiques lorigine de mobilisations théoriques encore présentes aujourdhui, qui opposent la théorie du droit des gens de Grotius à celle de Vattel, en faisant de ce dernier lincarnation théorique des impasses du système international classique18.

Contre cette position, nombre de juristes internationalistes souverainistes opposent une attitude nationaliste, parfois belliciste, mais en tous cas résolument hostile au droit international émergent. Sans 14surprise, cest en Allemagne que lon voit en particulier se constituer un fort courant de juristes conservateurs qui, traumatisés par le Traité de Versailles, sefforcent de démontrer les limites du nouveau droit international et les écueils de lesprit qui lanime. À linstar de H. Triepel, ces juristes nadmettent très généralement de droit international quà titre de norme régissant les relations dÉtat à État19, et comme fruit dune « déclaration de volonté20 » exigeant dêtre ensuite intégrée dans le droit interne. Et dans ce cadre, le statut de la guerre nest guère problématique puisquelle constitue par excellence un acte de souveraineté, que lÉtat peut bien exercer en vertu du droit international compris comme le fruit dun acte de volonté liant les États, mais quil exerce quoiquil en soit en vertu dun jugement souverain et en choisissant le moyen de contrainte qui lui semble le plus adapté pour défendre ses intérêts21. Plus radicalement et profondément, C. Schmitt met progressivement en scène les dangers ou les contradictions que représentent le renversement de lordre interétatique classique par le droit humanitaire naissant, ainsi que le processus de criminalisation de la guerre dont la création de la SDN et le Pacte Briand-Kellogg constituent les principales étapes dans laprès-guerre. Avant même que ne soit construite la grande histoire du droit public européen dans le Nomos de la Terre, Schmitt identifie dans la naissance de ce nouvel ordre international linstrument de politiques impérialistes22, notamment parce que les États appliquent eux-mêmes le droit international et les actes de contraintes quil prévoient. De telle sorte, selon Schmitt, que le nouvel ordre international doit moins signifier labolition ou la fin des guerres, que linstrumentalisation du système de représailles issu du droit de contrainte légal qui doit saccompagner de leur « intensification idéologique23 ».

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Mais en outre, en marge des discours juridiques ou en dehors du droit, le concept émergent de guerre totale annonce également un effort de redéfinition de la guerre, qui discute à la fois les efforts de limitation juridiques de la guerre portés par le droit international et le fait même que la définition de la guerre et sa signification puissent être données par le droit. Du point de vue de la recherche historique, bien que lantériorité des premières guerres totales sur la Grande Guerre soit parfois discutée24, on admet assez généralement que la guerre de 14-18 témoigne dune nouvelle forme de guerre relativement bien identifiée, dont les acteurs de lépoque ont dailleurs conscience. La violence extrême qui sexerce sur les zones de conflit et contre les populations civiles, la crispation des valeurs autour de la communauté nationale et la diabolisation de lennemi, la mobilisation industrielle et celle de lensemble des ressources, lescalade technologique et celle des savoirs scientifiques, lappel des puissances aux Empires, limplication enfin de la majeure partie de lEurope, constituent ainsi les principaux traits dune telle guerre totale, sinon de ce que John Horne qualifie de « logique de totalisation25 ». Mais avant dêtre assumé comme un concept à valeur descriptive et scientifique, le terme de guerre totale est dabord construit et mobilisé dans le contexte de la Grande Guerre même, en particulier par des élites politiques françaises et des élites militaires et intellectuelles allemandes, souvent mues par le sentiment davoir manqué ou compris trop tardivement les nécessités des nouvelles logiques à lœuvre durant le conflit26.

En France, le terme apparaît notamment dans le texte éponyme de Léon Daudet, où la guerre totale se voit définie par le critère essentiel de la totalisation de lensemble du champ social, politique et économique :

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Quest-ce que la guerre totale ? Cest lextension de la lutte, dans ses phases aigues comme dans ses phases chroniques, aux domaines politique, économique, commercial, industriel, intellectuel, juridique et financier. Ce ne sont pas seulement les armées qui se battent, mais aussi les traditions, mais aussi les institutions, les coutumes, les codes, les esprits et surtout les banques27.

Une telle définition, qui lie la transformation de la guerre à lensemble des transformations économiques, technologiques, démographiques, culturelles, etc. qui affectent les sociétés modernes, constitue à lévidence lassise dun concept moins descriptif que militant et polémique, notamment opposé au pacifisme de laprès-guerre largement associé aux yeux de Daudet au parlementarisme républicain. Mais on sait que la notion de guerre totale (totaler Krieg) constitue surtout le cœur de louvrage non moins polémique et plus radical encore de Ludendorff, qui marque le triomphe du militarisme28. Ludendorff voit effectivement dans lexigence de totalisation de la guerre moderne le principe dune identification de la politique au « principe conservateur de la vie dun peuple », qui fait de la guerre une « lutte pour la vie » au sens racial du terme, nécessite la préparation continuelle de la nation à la guerre en temps de paix et mène à linversion des rapports entre guerre et politique :

La guerre et la politique servent la conservation du peuple, mais la guerre reste la suprême expression de la volonté de vie raciale. Cest pourquoi la politique doit servir la guerre29.

Une telle inversion joue un rôle central dans le succès ambigu de la notion de guerre totale qui, dun concept semi-descriptif, qui désigne limplication massive de léconomie et de lindustrie, de la propagande et de la communication de masse, des civils et des colonies dans la guerre, glisse vers un concept analytique politiquement surchargé, lequel vise une nouvelle organisation sociale et politique porteuse dune inversion du rapport entre guerre et politique. Lapparition dune telle notion et son maniement polémique dans le contexte même de lentre-deux guerres 17invite à revenir sur les débats actuels importants autour de la « culture de guerre30 » dominante dans le contexte de la Grande Guerre. La notion de guerre totale et son cheminement traduit en effet sans doute, dans certains courants intellectuels et politiques des sociétés engagées31, le développement dun système de représentations porteur dune logique de totalisation de la guerre ou dexportation de la logique guerrière dans tous les champs de lexistence32. Sans doute invite-t-elle donc à réinterroger le poids des représentations culturelles dans lacceptation de la guerre pendant le conflit, ou dans les logiques de réinterprétation qui vont se développer à sa suite. Sans prétendre nullement répondre, ni même contribuer à une réflexion aussi complexe et épineuse sur le plan historique, mais peut-être aussi épistémologique et politique, on notera seulement ici, quà un niveau strictement conceptuel, les discussions qui se jouent autour de la notion de guerre totale ne traduisent pas seulement une logique de « brutalisation » des mentalités et un militarisme grandissant, mais également un effort de redéfinition des limites de la guerre, ou plus exactement, de sa signification et de son « extension » conceptuelle. Ce point est particulièrement clair chez des auteurs comme Ernst Jünger ou Carl Schmitt, que lon a souvent classés dans le même mouvement hétéroclite de la Révolution conservatrice33.

Chez Schmitt, qui définit notamment la guerre totale comme « lextension de la lutte hors des secteurs militaires (la propagande, léconomie)34 », la notion répond au constat dune transformation concomitante du droit international et des pratiques et techniques de la guerre, qui témoignent de lexploitation de lensemble des moyens 18mis à la disposition des puissances étatiques, et par suite de la dilution entre ce qui relève des pratiques militaires et ce qui nen relève pas – les premières intégrant désormais aussi bien léconomie, lindustrie, la propagande, etc.35 Mais ensuite, la notion fait également écho à nen pas douter à une importante littérature marxiste, ou influencée par le marxisme, qui, chez Lénine ou Rosa Luxemburg, ou encore, et de manière sensiblement différente chez John A. Hobson ou Rudolf Hilferding, invite à penser les liens entre le capitalisme dans ses différentes phases de développement et les politiques impérialistes des grandes puissances, et qui conduit Lénine à faire de la Grande Guerre un conflit dessence impérialiste36. En reprenant à son compte lidée que le droit international et la morale pacifiste même peuvent être les instruments de politiques impérialistes, Schmitt charge sa notion de guerre totale dune réflexion plus large sur les nouvelles formes de guerre et sur leur nature37. Mais en abandonnant toute lassise proprement matérialiste dune telle réflexion, il finit par réduire limpérialisme à un ensemble de « méthodes de domination et dexploitation nouvelles (protectorat, traités dintervention et contrats de bail) », qui fondent un droit dintervention en « évitant lannexion politique ouverte38 » et qui permettent par suite une exploitation économique sans occupation nécessaire, ou, inversement, qui utilisent les leviers de léconomie pour asseoir des dominations politiques. Néanmoins, il nest pas certain que la notion de guerre totale chez Schmitt trahisse seulement une réflexion amputée sur les nouvelles formes dimpérialisme dont les transformations mêmes du droit international se font lécho. Schmitt esquisse assez tôt lidée que la logique de totalisation des guerres qui sesquisse à partir 19de la Grande Guerre va en fait bien au delà dune continuité entre une logique économique et une logique militaire, et quelle pourrait paradoxalement être le fruit dune démocratisation de la société et dune politique libérale de « dépolitisation » et de neutralisation39 qui aura conduit à la politisation complète du social et de léconomique40. Ces analyses, qui ne sauraient être isolées dans largumentation schmittienne de celles portant sur linterpénétration de lÉtat et de la société dans les États démocratiques modernes, trouvent semble-t-il leur traduction au niveau des conflits armés, interrogeant à la fois la « démocratisation » de la guerre et sa dilution – cest-à-dire à la fois leffritement de la séparation entre guerre interne et guerre externe, entre guerre et paix et, enfin, lextension de la lutte à lensemble des secteurs de la vie sociale – dans les champs économique, technique et social en particulier. De telle sorte que Schmitt esquisse ainsi lidée extrêmement polémique, que leffort qui se fait jour dans le droit international en direction dune limitation et dune criminalisation de la guerre, pour autant quil est structurellement lié à lexploitation de léconomie et de la technique comme moyens de contrainte voire, à une idéologie libérale croyant encore dans le caractère pacificateur de léconomie, pourrait bien participer à la « totalisation » des guerres que le même droit prétend ensuite maîtriser. Sous cet angle, Schmitt critique au moins autant limpérialisme sous-jacent à la mise en place dun nouveau droit international libéral, que laveuglement et linconscience des mêmes libéraux à légard des conséquences de leur conception dépolitisée du « droit universel » et de leurs efforts en direction dune neutralisation, susceptibles de mener à une situation mondiale chaotique. Et ce que lanalyse schmittienne pointe alors plus largement dans sa critique du droit international émergent, cest peut-être aussi la dissolution même du concept de guerre ou lexpansion de la guerre hors de ses limites traditionnelles et dans tous les champs du social.

Chez Jünger, il est intéressant de noter que cest précisément dans lexpérience de la guerre moderne, cest-à-dire de la guerre technique qui 20broie la figure classique de lhéroïsme militaire, que sopère le renversement ambigu des thèses de Clausewitz41. Comme le relève H. Arendt dans le Système totalitaire, les survivants des tranchés nidéalisèrent pas la guerre ; ils « furent les premiers à reconnaître quà lère du machinisme, elle ne pouvait plus produire de vertus telles que lesprit chevaleresque, le courage, lhonneur et la virilité, quelle napporterait aux hommes que lexpérience de la destruction pure et simple, ainsi que lhumiliation de nêtre que de minuscules rouages dans la majestueuse roue dentée de labattoir ». Mais poursuit Arendt, les survivants nen devinrent pas pour autant pacifistes ; bien plutôt, ils « saccrochèrent aux souvenirs de quatre années vécues dans les tranchées comme si elles eussent constitué un critère objectif pour la fondation dune nouvelle élite42 ». Chez Jünger, où se joue une transition « qui conduisit de lexpérience de limpuissance du soldat naufragé de la bataille de matériel à lapothéose du Travailleur enseigné par le soldat finalement maître du matériel43 ? », cest le renversement dune relation écrasée de lhomme à la technique qui se joue dans la pensée de la guerre totale, et qui explique son lien avec la mobilisation totale et avec lÉtat total. La Grande Guerre est instituée alors en guerre totale parce quelle conduit en même temps à la mobilisation totale des forces techniques, sociales et économiques, et à la mobilisation intégrale de lindividu même – mobilisation qui reçoit une dimension cosmique44. Par suite, la célèbre proclamation de Lénine, que Jünger reprend à son compte dans Le Travailleur, selon laquelle le xxe siècle devait être celui des « guerres et des révolutions en chaine45 », intègre elle-même cette nouvelle dimension plus existentielle, qui accentue la thèse portant sur limpossible limitation des « guerres » modernes.

Ceci nous conduit à formuler lhypothèse qui a en partie animé le projet de ce numéro. Du bref exposé de quelques-uns des grands concepts de guerre qui ont été formulés dans le contexte de la Grande Guerre 21pour penser les transformations de la guerre et agir sur le droit et sur les représentations, on peut retenir dabord le caractère éminemment conflictuel. Pour appréhender ces conflits, il conviendrait danalyser, en amont des analyses esquissées ici, les usages stratégiques des concepts déployés dans leur contexte de formulation46. À nen pas douter, la notion de guerre totale, pour ne prendre quun exemple, soppose très directement à tout un courant de pensée porté par divers mouvements politiques et intellectuels condamnant la brutalité de la guerre comme contraire au progrès et à la civilisation. Mais la restitution des intentions stratégiques des auteurs permettrait sans doute dinsister aussi sur lambiguïté dune telle notion, qui tient autant à son caractère essentiellement polémique quà la multiplicité des cibles visées – conformément dailleurs en cela au caractère équivoque de « la pensée » de la Révolution conservatrice47. Et ce caractère polymorphe expliquerait peut-être également ce fait étonnant que les représentations et les valeurs qui se trouvent associées à lidée de guerre dans le contexte de la Grande Guerre continuent à faire lobjet de lectures aussi contrastées – ainsi, contre la thèse de Mueller selon lequel la Première Guerre Mondiale constitue le grand moment dune « perte de légitimité de la guerre », laquelle serait au cœur de la construction dune pensée de la sécurité collective48, dautres auteurs, à linstar de Mosse, voient dans cette première guerre de masse le moment où se forge un grand mythe autour de la valeur du combat et du sacrifice :

Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, le mythe avait donné aux conflits une dimension de régénération personnelle et nationale. La poursuite, dans la paix, des attitudes agressives de la guerre entraîna une « brutalisation » de la vie politique et accentua lindifférence à légard de la vie humaine49.

Mais ensuite, au cœur de ces conflits de définition, se joue plus généralement une réflexion sur les limites de la guerre, qui excède la question 22de lencadrement légal de la guerre et même celle de la distinction entre situation de guerre et situation de paix à lère des nouveaux impérialismes. Entre les discours qui se formulent dans le droit international et ceux qui se développent en marge du droit, dans le champ politique, dans le champ universitaire, ou dans la littérature, la question de la définition de la guerre ou de son sens nous semble en effet continuellement articulée à une interrogation sur ses limites : sont interrogées dabord les limites géographiques et temporelles de la guerre, qui sont en même temps des limites juridiques et politiques. Est questionné ensuite le principe ou la source de cette limitation, notamment car si, dun côté, le droit international revendique clairement le droit de fixer les limites de la guerre, de lautre, cest bien la possibilité concrète de le faire qui est mis en cause par une notion comme celle de guerre totale, qui met en scène un conflit entre droit, politique et fait. Et ce dernier point explique peut être aussi lambivalence même de la notion, qui se meut demblée entre un aspect descriptif et un aspect normatif et militant – ambiguïté à laquelle il nest pas certain que lon puisse complètement séchapper. Ce sont ensuite les frontières de la politique et de la guerre, et, en amont, la manière dont ces frontières sont intrinsèquement liées à la structure du champ social, ou au rapport entre État et société, État et économie, qui est en jeu – un enjeu qui éclaire sans doute en partie la nature du « projet » révolutionnaire conservateur par ailleurs si confus, mais également peut-être aussi les débats qui ont eu lieu autour de lorigine historique de la guerre totale50. Enfin, la sacralisation de la guerre, sa constitution en mythe, son esthétisation même, ouvrent une autre brèche, ou une autre interrogation, que lon pourrait formuler de la manière suivante : la guerre nest-elle quune question politico-militaire, nest-elle par bien plutôt ce qui permet daccéder à lessence du politique et du social, au cœur de lexistence humaine ?

La question des limites de la « guerre » sest à lévidence imposée comme une question absolument cruciale à lépoque contemporaine. 23Ainsi que le note très justement Julie Saada, la substitution de la notion de conflit armé à celle de guerre, lextension du lexique juridique qui cherche à sadapter à la pluralité des formes de violences interétatiques, transétatiques ou civiles, traduit un enjeu théorique, qui est en même temps politique, juridique et éthique : celui de la distinction entre formes de violences relevant de la guerre et celles qui nen relèvent pas, ainsi que celui de la rupture ou de la continuité entre conflictualité politique et conflictualité belliqueuse51. Or, létude des conflits théoriques qui se jouent dans le contexte de la Grande Guerre invite semble-t-il à élargir ces enjeux. Si ces enjeux ne sont effectivement pas exclusivement liés à des transformations historiques que lon tend largement à associer à des conflits et des pratiques relativement récents (guerres de décolonisation, Guerre Froide, opérations de police sous mandat de lONU, terrorisme, pratiques dassassinats ciblés, usage des drônes, etc.), cest dans une certaine mesure lémergence du problème même de la limitation de la guerre quil convient alors de repenser dans le cadre dune généalogie plus longue, mais peut-être surtout comme une forme de questionnement spécifique sur lordre et la limite. Autrement dit, derrière la variabilité, la polymorphie, la multiplicité des stratégies qui se jouent autour de la définition de la guerre – variabilités, polymorphie et support de stratégies plurielles qui sont, à lévidence, toujours dactualité, et qui, dans une certaine mesure, lont toujours été – ne peut-on identifier lémergence dun concept essentiellement constitué en problème mettant en jeu la possibilité même dun ordre contemporain ? Et si tel est bien le cas, cet ordre contemporain mis au défi par la guerre, à une époque marquée par la montée en puissance du libéralisme tout autant que de ses critiques, ne devrait pas alors être seulement compris comme un ordre politique, juridique et économique, mais également comme un ordre social, voire épistémologique52. Car la guerre ninterroge pas seulement, dans le contexte de lentre-deux guerres, la possibilité 24même dun certain ordre international, un ordre libéral, dominé par une certaine conception du droit, de léconomie et de la morale ; elle interroge aussi bien sa circonscription même hors de certains champs sociaux, et la manière dont cette circonscription engage une manière de penser ces champs sociaux mêmes, à un niveau disciplinaire et à un niveau épistémologique (on peut songer ici à lépineuse question de la valeur heuristique du conflit pour penser le politique, mais la question est sans aucun doute plus large, puisque les conflits qui se jouent autour du concept de guerre interrogent continuellement les frontières disciplinaires ainsi que leur signification politique).

En partant donc des discours conflictuels sur la guerre tels quils ont été formulés dans le contexte de la Grande Guerre, et en cherchant à comprendre à la fois quelles sont les mutations effectives dans les pratiques, les armes, etc. qui ont généré ces discours et quelles sont les ressources théoriques héritées du passé dans lesquels ces discours viennent puiser, nous nous sommes proposés, dans le double numéro présenté ici, dinterpréter les efforts conflictuels de redéfinition de la guerre dans le contexte de la Grande Guerre, qui constitue un tournant dans la pensée de la guerre à la lisière du xxe siècle. Lapproche interdisciplinaire retenue par le numéro permettra dinterroger la pluralité des discours tenus sur la guerre et les « lieux » doù ils se formulent, en les confrontant aux mutations réelles qui sont à lœuvre notamment dans les pratiques et les techniques militaires. Le questionnement, qui se veut quant à lui, résolument philosophique, entend prendre appui sur ces différentes approches pour tenter de répondre, mais peut-être surtout de mieux cerner ce qui constitue à nos yeux lun des grands problèmes pour la pensée contemporaine de la guerre : quelle(s) signification(s) accorder à la si difficile limitation du concept de guerre à lépoque contemporaine ?

Cette réflexion portant sur les Transformations du concept de guerre (1914-1930) constitue le premier volet dun double numéro dÉthique, Politique, Religions. Le premier numéro, « Limites et extensions », sinterroge à la fois sur les efforts de limitation juridique et politique de la guerre, et sur lextension concomitante de la pensée de la guerre et de ses enjeux. Le second numéro, « Techniques, stratégies, culture », se penchera sur la complexité des facteurs qui entrent en jeu dans ces renégociations des « limites » de la guerre et de son concept. Ce double numéro est issu dun colloque international, co-organisé par Thomas 25Berns, Juliette Lafosse et Marie Goupy, et qui sest tenu à lUniversité Libre de Bruxelles, les 12, 13 et 14 novembre 2015. Il sest néanmoins enrichi de la présence de plusieurs articles qui nont pas fait lobjet dune présentation lors du colloque, et qui permettent de donner une portée aussi large que possible à cette question philosophique difficile et encore aujourdhui très actuelle, celle des limites du concept de guerre.

Marie Goupy

Institut Catholique de Paris

Université Paris X – Nanterre

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1 Voir par exemple Sur, Serge, « Quelle légalité pour le conflit armé en droit international ? », Cités, 2005, no 24, p. 104.

2 Ainsi, pour Mueller, la Grande Guerre constitue le grand moment de « perte de légitimité de la guerre », où l« attrait de la guerre, à la fois comme exercice désirable en soi et comme méthode légitime et raisonnable de résoudre des différents internationaux, diminua radicalement sur le continent, ravagé par le conflit ». Mueller, John, « Vers la fin de la guerre ? », Politique étrangère, no 4, 2006, p. 864. Voir également Mueller, John, Retreat from Doomsday : the Obsolescence of Major War, New York, Basic Books, 2001.

3 Deperchin, Annie et Van Ypersele, Laurence, « Droit et occupation : le cas de la France et de la Belgique », in J. Horne (dir.), Vers la guerre totale, Le tournant de 1914-1915, Paris, Tallandier, 2010, p. 154.

4 Sur, Serge, « Quelle légalité pour le conflit armé en droit international ? », Op. cit., p. 104.

5 Sur ce point, on peut voir lexcellent numéro de Raisons Politiques consacré au « Retour de la guerre », Raisons Politiques, no 13, Janvier 2004.

6 Voir Gros, Frédéric, États de violence, Paris, Gallimard, 2006 ; Holeindre, Jean-Vincent, Ramel, Frédéric, La fin des guerres majeures ?, Paris, Économica, 2010 ; Saada, Julie, La guerre en question. Conflits contemporains, théorie politique et débats normatifs, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2015 ; Sarkees, Meredith R. et Wayman, Franck W., Resort to War : A data guide to Inter-State, Extra-State, Intra-State, and Non-State Wars, 1816-2007, Washington (DC), CQ Press, 2010, p. 563-565 ; Launay, Stephen, La guerre sans la guerre. Essai sur une querelle occidentale, Paris, Descartes et Cie, 2003 ; Duffield, Mark, Global Governance and the New Wars : A Merging of Development ans Security, London-New-York, Zed Books, 2003.

7 Launey, Stephen, « Quelques formes et raisons de la guerre », Raisons Politiques, no 13, février 2004, p. 15. Nous soulignons. Pour asseoir cette affirmation, Stefen Launey affirme un peu plus haut que : « La guerre est objet de lectures, dinterprétations, et non pas seulement denregistrements ou de chroniques factuelles. Car pour lappréhender, il faut nourrir une définition dont découle une idée de son devenir, une tentation de prospective, voire de prophétie, une espérance, projetant généralement sa disparition ». Ibid., p. 9.

8 Introduction de Pierre Hassner in P. Hassner et R. Marchal (dir.), Guerres et sociétés. États et violence après la Guerre froide, Paris, Karthala, 2003, p. 6.

9 Launay, Stephen, La Guerre sans la guerre. Essai sur une querelle occidentale, Op. cit., p. 48 sq.

10 Cité dans Linhardt, Dominique et Moreau de Bellaing, Cédric, « Ni guerre, ni paix. Dislocations de lordre politique et décantonnements de la guerre », Politix, vol. 26, no 104, 2013, p. 10. Ce pourquoi dailleurs la Grande Guerre constitue moins au regard de ces auteurs un tournant en direction dun ordre international pacifié par le droit, que lébranlement dun espoir « resté vif tout au long du xixe siècle, de circonscrire la guerre en lui fixant des formes acceptables, voire de léliminer totalement du commerce des nations » (Ibid., p. 10).

11 Dans la seconde moitié du xixe siècle, on assiste à une multiplication des associations pour la paix, à linstar de la Ligue internationale de la paix et de la liberté fondée en 1867 ou du Bureau International de la paix, fondé en 1891, porteurs de grands Congrès internationaux visant à en assurer la promotion. Sur ce point, voir Guieu, Jean-Michel, « De la “paix armée” à la paix “tout court”, la contribution des pacifistes français à une réforme du système international, 1871-1914 », Bulletin de lInstitut Pierre Renouvin, no 32, 2010/2, p. 81-109.

12 Guieu, Jean-Michel, « De la “paix armée” à la paix “tout court”, la contribution des pacifistes français à une réforme du système international, 1871-1914 », Op. cit., p. 82.

13 Ibid., p. 93.

14 Kelsen, Hans, « La technique du droit international et lorganisation de la paix » (1934), in Écrits français de droit international, Paris, PUF, p. 251.

15 Cf. en particulier Kelsen, Hans, Théorie générale du droit et de lÉtat, Paris, L.G.D.J., 1997, p. 409 sq.

16 Kelsen, Hans, « La technique du droit international et lorganisation de la paix », Op. cit., p. 254.

17 Jouannet, Emmanuelle, « La critique de la pensée classique durant lentre-deux guerres : Vattel et van Vollenhoven (quelques réflexions sur le modèle classique du droit international) », Miskolc Journal of International Law, 2004, Vol. 1, no 2. http://www.uni-miskolc.hu/~wwwdrint/20042jouannet1.htm.

18 Ibid. G. Scelle mobilise également par exemple la figure théorique de Machiavel dans la reconstruction dune telle « histoire du droit international ». Cf. Scelle, Georges, Manuel de droit international public, Montchretien, Paris, 1948, p. 39.

19 Triepel, Heinrich, Droit international et Droit interne, Paris, Oxford, Pédone, Imprimerie de lUniversité, 1920, p. 27. Sur la voie étroite des juristes internationalistes conservateurs entre pure et simple négation du droit international et tendance internationaliste des pacifistes, voir en particulier Jouin, Céline, Le Retour de la guerre juste. Droit international, épistémologie et idéologie chez Carl Schmitt, Paris, VRIN/EHESS, 2013, chap. 1.

20 Triepel, Heinrich, Droit international et droit interne, Op. cit., p. 29.

21 Ibid., p. 267.

22 Sur ce point, on peut voir notamment : « La Société des Nations et lEurope » (1928) et « Les formes de limpérialisme en droit international moderne » (1932), traduits dans Du politique. « Légalité et légitimité » et autres essais, Puiseaux, Pardès, 1990, p. 19-29 et p. 81-100 ; « Frieden oder Pazifismus ? », Frieden oder Pazifismus ? Arbeiten zum Völkerrecht und zur internationalen Politik 1924-1978, G. Maschke (éd.), Berlin, Duncker & Humblot, (1933), 2005.

23 Launey, Stephen, « Quelques formes et raisons de la guerre », Op. cit., p. 32.

24 Cf. notamment Bell, David A., The First Total War : Napoleons Europe and the Birth of Warfare As We Know It, Boston, Houghton Mifflin, 2007.

25 Ainsi, John Horne appréhende-t-il ce tournant de la Grande Guerre comme une logique de totalisation, parce quen sont constitutives « lescalade de la violence militaire, la transformation du combat par la science et la technologie, labolition progressive de la distinction entre soldats et civils et la déshumanisation de lennemi – interne comme externe ». Horne, John, Vers la guerre totale, Le tournant de 1914-1915, Paris, Tallandier, 2010, p. 31.

26 Horne, John, Vers la guerre totale, Le tournant de 1914-1915, Op. cit., p. 31. Voir également Speir, Hans, « Ludendorff : la conception allemande de la guerre totale », in E. Mead Earle (dir.), Les Maîtres de la Stratégie, 2. De la fin du xixe siècle à Hitler, Paris, Berger-Levrault, 1982, p. 36-39.

27 Daudet, Léon, La Guerre totale, Paris, Nouvelle librairie nationale, 1918, p. 8. Clémenceau avait déjà utilisé la notion de guerre totale dans son Discours du 22 juillet 1917 à lAssemblée.

28 Lemay, Benoît, Préface de louvrage de Ludendorff, Erich, La Guerre totale, Paris, Éditions Perrin, 2010, p. 14.

29 Ludendorff, Erich, La Guerre totale, Op. cit., p. 65.

30 Annette Becker et Stéphane Audoin-Rouzeau définissent ainsi la « culture de guerre » « comme le champ de toutes les représentations de la guerre forgées par les contemporains ». Becker, Annette, Audoin-Rouzeau, Stéphane, « Violence et consentement : la “culture du guerre” du premier conflit mondial », in J.-P. Rioux, J.-F. Sirinelli, Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, 1997, p. 252.

31 Sur les limites à apporter à lidée de « culture de guerre », notamment en ce qui concerne lhomogénéité dune telle « culture » dans les sociétés concernées, voir en particulier Offenstadt, Nicolas, Olivera, Philippe, Picard, Emmanuelle et Rousseau, Frédéric, in F. Rousseau (dir.), Guerres, paix et sociétés, 1911-1946, Neuilly, Atlande, 2004, p. 667-674.

32 Ibid., p. 256.

33 Sur ce caractère hétéroclite, voir Breuer, Stefan, Anatomie de la Révolution conservatrice, Paris, Éditions de la Maison des sciences de lhomme, 1996.

34 Schmitt, Carl, « Über das Verhältnis der Begriffe Krieg und Feind », Frieden oder Pazifismus ?, Berlin, Duncker & Humblot, 2005.

35 Dans lettre à Jean-Pierre Faye du 5 sept 1960, Schmitt énonce ainsi : « La formule “guerre totale” (totaler Krieg) découlait de deux transformations du droit international : a) du problème du désarmement, consécutivement à lextension illimitée de la notion de “potentiel de guerre”, puisque finalement tout pouvait devenir potentiel de guerre, et b) de la notion de contrebande, qui sétait étendue au point que finalement tout pouvait devenir contrebande ». Extrait reproduit dans Jouin, Céline, Le Retour de la guerre juste. Droit international, épistémologie et idéologie chez Carl Schmitt, Op. cit., p. 182.

36 Lenine, LImpérialisme, stade suprême du capitalisme, Paris, Éditions Science Marxiste, 2005, p. 22.

37 Jouin, Céline, Le Retour de la guerre juste. Droit international, épistémologie et idéologie chez Carl Schmitt, Op. cit., p. 165.

38 Schmitt, Carl « La Rhénanie, objet de politique internationale » (1925), in Machiavel-Clausewitz, Droit et politique face aux défis de lhistoire, Paris, Krisis, 2007, p. 88.

39 Ce système de « neutralisation » et de « dépolitisation » correspond bien entendu au même effort de rejet ou de relativisation de la souveraineté de lÉtat que le juriste identifie au niveau du droit public interne.

40 Schmitt, Carl, « Le virage vers lÉtat total » (1931), in Parlementarisme et démocratie, Paris, Seuil, 1988, p. 161.

41 « Mais je pourrais ajouter que, après la guerre, en Allemagne, nous avons assisté à linversion des thèses de Clausewitz, à savoir que la politique est la continuation de la guerre par dautres moyens ». Jünger, Ernst, Les Prochains Titans, Paris, Grasset, 1998, p. 87.

42 Arendt, Hannah, Le Système totalitaire, Paris, Seuil, 1972, p. 53.

43 Cf. Evard, Jean-Luc, Ernst Jünger. Autorité et domination, Paris-Tel-Aviv, Éditions de léclat, 2004, p. 268.

44 Jünger, Ernst, Les Prochains Titans, Op. cit., p. 87-88.

45 Cf. Evard, Jean-Luc, Ernst Jünger. Autorité et domination, Op. cit., p. 23.

46 Sur limportance des intentions stratégiques des auteurs dans la manipulation et linterprétation de tels concepts, nous nous référons aux excellentes analyses dOlivier Beaud dans Beaud, Olivier, « Lart décrire chez un juriste : Carl Schmitt », in C.-M. Herrera (dir.), Le Droit, le politique, autour de Max Weber, Hans Kelsen, Carl Schmitt, Paris, LHarmattan, 1995, p. 15-36.

47 Sur ce point, voir Breuer, Stefan, Anatomie de la Révolution conservatrice, Op. cit.

48 Deperchin, Annie et Van Ypersele, Laurence, « Droit et occupation : le cas de la France et de la Belgique », Op. cit., p. 154.

49 Mosse, Georges, De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Paris, Hachette, 1999, p. 181.

50 On pense ici notamment aux importants débats qui ont eu lieu sur le fait de savoir si les « guerres démocratiques » de la Révolution ou les guerres napoléoniennes nont pas constitué les premières guerres totales. Sur ce point, voir Bell, David A., The First Total War : Napoleons Europe and the Birth of Warfare As We Know It, Op. cit. ; Guiomard, Jean-Yves, Linvention de la guerre totale, Paris, Éditions du Félin, 2004 ; Bell, David, Crepin, Annie, Drevillon, Hervé, Forcade, Olivier et Gainot, Bernard, « Autour de la guerre totale », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], no 366, octobre-décembre 2011, mis en ligne le 01 décembre 2014, consulté le 02 janvier 2015.

51 Saada, Julie, La Guerre en question. Conflits contemporains, théorie politique et débats normatifs, Op. cit., p. 7.

52 Sur les liens qui se jouent directement dans la théorie de Carl Schmitt entre ordre concret et ordre épistémologique dans la théorie du droit international de Carl Schmitt, voir en particulier Pasquier, Emmanuel, « Carl Schmitt et la circonscription de la guerre. Le problème de la mesure dans la doctrine des grands espaces », Revue Études internationales, volume XL, no 1, mars 2009 et Pasquier, Emmanuel, De Genève à Nuremberg. Carl Schmitt, Hans Kelsen et le droit international, Paris, Classique Garnier, 2012.