Scepticisme et exercice du pouvoir politique Indifférence montanienne et double pensée pascalienne
- Publication type: Journal article
- Journal: Éthique, politique, religions
2014 – 2, n° 5. Scepticismes en politique - Author: Laborie (Karine)
- Pages: 49 to 65
- Journal: Ethics, Politics, Religions
Scepticisme et exercice
du pouvoir politique
Indifférence montanienne et double pensée pascalienne
Les bras ballants, installé sur la berge des événements dans une sorte d’expectative sans lendemain, telle est la posture attribuée à un sceptique. Scepticisme irait de pair avec indifférence à l’égard des affaires communes et trahirait une forme de désengagement. Appliqué au plus grand nombre, il serait cette part d’inertie du corps social qui l’affaiblit de manière dramatique. D’où le rejet sans appel de certains intellectuels tel Antonio Gramsci :
Un homme ne peut vivre véritablement sans être un citoyen et sans résister. L’indifférence, c’est l’aboulie, le parasitisme, et la lâcheté, non la vie. C’est pourquoi je hais les indifférents1.
Une telle présentation n’est pas complètement en rupture avec le type philosophique dont elle est un avatar. Dès l’antiquité, ceux qui se désignèrent sous l’appellation de skeptikoi considérèrent Pyrrhon, à l’instar de Sextus Empiricus, comme celui qui « s’est approché du scepticisme d’une manière plus consistante et plus éclatante que ceux qui l’ont précédé2 ». Or, Pyrrhon était salué par ses contemporains pour son indifférence d’équilibre. S’il force leur admiration, ce n’est pas par son désintérêt à l’égard de la cité mais pour l’imperturbabilité et l’impassibilité dont sa conduite témoigne. Situé hors de la mêlée, préservé de la cacophonie philosophique comme des tumultes du monde, Pyrrhon s’abstient de juger car tout se présente à lui de manière non-différente3.
Rappeler que ce même Pyrrhon fut de l’expédition d’Alexandre et fait grand prêtre dans sa cité d’Élis, qu’un Carnéade joua les ambassadeurs à Rome en argument pro et contra sur la question de la justice, qu’un Montaigne occupa des charges publiques ou bien encore qu’un La Mothe Le Vayer fut le précepteur du dauphin ne suffit certes pas à établir que scepticisme et affaires communes peuvent se conjuguer. De telles indications dissuadent néanmoins de réduire le scepticisme à une posture, celle du désengagement, et à l’évincer d’entrée de jeu de la politique au motif d’une inquiétante inefficience.
Dès l’antiquité, l’indifférence d’équilibre puis l’epokhê, pratiquée tant par les néo-pyrrhoniens que les académiciens, n’ont cessé d’entretenir la polémique sur la viabilité du scepticisme. Qui n’approuve rien ne fait rien ! Ce trait, censé mettre à terre le sceptique, apparaîtra à Augustin « déjà usé, il est vrai, et tout rouillé4 » mais d’une efficacité redoutable. Les néo-pyrrhoniens comme les académiciens parèrent inlassablement à cette attaque en découplant critère de vérité et critère d’action. Si l’observation des règles de la vie quotidienne, dont celle de suivre les lois et coutumes de son pays, leur permit, semble-t-il, de déjouer l’accusation de réduction à l’inaction, elle contribua à faire du scepticisme une attitude politique conformiste.
Aussi sommaire que discutable, une telle présentation minimise la thématisation sceptique des questions politiques qui s’esquisse dès l’antiquité tout comme elle biaise leur traitement. Nous ne saurions chercher dans la double tradition sceptique ce que nous savons ne pas pouvoir y trouver : une théorie fondationnelle de l’ordre politique ou même une doctrine normative susceptible de prescrire comment il convient d’exercer le pouvoir politique. Par ailleurs, l’observation de « la règle des règles » prend forme, dans le cadre de l’État, dans un dédoublement intérieur qui entretient l’équivocité au sujet de la relation du sceptique avec l’ordre établi. Il témoigne d’une attitude politique pour le moins déconcertante, suivre le train du monde pour mieux s’en préserver :
Le sage doit au-dedans retirer son âme de la presse, et la tenir en liberté et puissance de juger librement des choses : mais quant au dehors, qu’il doit suivre entièrement les façons et formes reçues. La société publique n’a que
faire de nos pensées : mais le demeurant, comme nos actions, notre travail, nos fortunes et notre vie, il la faut prêter et abandonner à son service et aux opinions communes : comme ce bon et grand Socrates refusa de sauver sa vie par la désobéissance du magistrat, voire d’un magistrat très injuste et très inique5.
Ce dédoublement, classiquement emblématique du retrait dans la sphère privée, seul lieu de la liberté, réactive la polémique. Selon le volet retenu (pratique de l’examen ou observation des lois et coutumes admises), le sceptique est accusé soit de mettre à nu l’ordre établi, au risque de lui retirer tout titre de créance, soit de le cautionner à un point tel qu’il lui serait toujours inféodé. Dénoncé par les uns en raison de la subversion dont il serait porteur, il est soupçonné par les autres d’une trop grande docilité. Mixte de passivité et d’activité, le dédoublement entretient l’équivoque sur le jeu politique sceptique.
Bien que les raisons avancées soient diamétralement opposées, elles convergent pour contester la viabilité politique du scepticisme. L’examen sceptique purge la politique de toute ambition fondationnelle, ce que d’aucuns peuvent juger fâcheux. En favorisant le passage à une approche relationnelle du pouvoir politique, ne lui retire-t-il pas toute son autorité ? La conduite d’un citoyen présumé sceptique témoigne pourtant de son loyalisme. Ne trahit-elle pas, à son tour, un manque de hardiesse, une forme d’inertie incompatible avec l’exercice du pouvoir politique ? En effet, ce dernier requiert sens de l’arbitrage en situation et aptitude à modeler un ordre des choses à venir, ce dont le scepticisme rendrait incapable. Si la nécessité de vivre et les exigences de la vie pratique ont toujours été « le talon d’Achille du scepticisme6 », l’exercice du pouvoir politique serait-il celui d’une politique sceptique ?
Question d’autant plus épineuse que le scepticisme ne se laisse pas aisément reconduire à un type philosophique tant ses figures sont multiples, à l’instar des usages auxquels il se prête, des appropriations contrastées dont il est l’objet. Sans prétendre à une variation exhaustive, nous proposons d’envisager l’ordre établi dans le droit fil des examens montanien et pascalien. En effet, même s’ils ne revendiquent ni ne légitiment une ambition fondationnelle, Montaigne et Pascal ne restent
pas silencieux au sujet de ce qui assure l’autorité du pouvoir politique et garantit son efficacité. Nous tenterons de montrer que, loin de les négliger, leur examen sceptique de l’ordre établi s’accompagne d’une interrogation sur les conditions d’exercice du pouvoir politique. Plus précisément, l’indifférence montanienne et la double pensée pascalienne sont le pivot de deux éthiques de l’exercice du pouvoir politique qui témoignent, chacune selon son mode propre, d’une appropriation contrastée de la tradition sceptique.
De plus, reconnaître un héritage montanien dans la pensée politique pascalienne ne nous conduira pas à l’aligner sur la pensée du Bordelais. « Tous ceux qui disent les mêmes choses ne les possèdent pas de la même sorte7 » nous prévient Pascal. Bien plus n’écrit-il pas : « Ce n’est pas dans Montaigne mais dans moi que je trouve tout ce que j’y vois8 ». À rebours, sa présentation de Montaigne comme « pur pyrrhonien9 » ne témoignerait-elle pas d’une lecture prévenue à laquelle Montaigne pensait ne pas pouvoir échapper, lui qui soulignait : « On couche volontiers les dits d’autrui à la faveur des opinions qu’on a préjugées en soi10 » ? Nous trouvons ici comme une invitation à relire Montaigne en nous dégageant de la lecture pascalienne.
L’examen sceptique de l’ordre établi :
un examen relationnel et non relativiste
Bien souvent réifié, entre autres pour justifier sa conquête puis sa conservation, le pouvoir n’en reste pas moins une relation entre des consciences. Avoir un pouvoir, c’est disposer d’une capacité d’action susceptible d’être codifiée par la loi (sous la forme d’un privilège ou d’un droit). Bien qu’elle se déploie dans un ordre de choses conventionnelles (codes,
règles, ou coutumes) qui lui donne une allure stable, cette capacité d’action, foncièrement instable, est toujours susceptible d’être renversée. Qu’elle soit pensée à l’aune de la catégorie du commandement et de l’obéissance ou bien de celle d’action collective librement consentie, cette relation entre des consciences suppose l’intervention « des cordes de l’imagination », le jeu du désir et des affects pour s’exercer dans la durée. Elle requiert, a fortiori lorsqu’il s’agit de la capacité de façonner des lois et de les faire exécuter, que les parties en présence croient en sa propre stabilité.
Or, en raison de son approche relationnelle de la réalité, le scepticisme rend particulièrement attentif à ce maillage grâce auquel l’ordre établi perdure. En effet, au sein de l’argumentaire rassemblé d’abord par Énésidème puis par Agrippa, le trope du relatif (pros ti) joue un rôle central au point d’être le trope des tropes11. Il n’est pas un trope comme les autres ou parmi d’autres mais celui sous lequel ils peuvent être reconduits. Tout est envisagé relativement à ce qui juge et à ce qui est jugé si bien que « nous ne pourrons pas dire ce que chaque objet réel est selon sa nature, c’est-à-dire purement et simplement, mais seulement ce qu’il paraît être relativement à quelque chose12 ». Cette variation ne débouche pas sur une solution relativiste mais sur la suspension de l’assentiment au sujet de la nature des choses.
Ainsi, au gré d’un examen mettant en relief qu’à toute loi ou coutume, une autre loi ou coutume peut être opposée par contrebalancement, le sceptique ancien suspend son assentiment au sujet de l’existence de biens et de maux naturels. Il s’en remet pourtant à ce qui est posé par convention et admis en matière de mœurs. Mais, à la différence des philosophes qu’il tient pour dogmatiques, cette observation n’est pas corrélée à un discours mobilisant le concept de loi naturelle et l’argument du concordisme universel. Le découplage entre critère de vérité et critère d’action est entériné. Nul besoin pour vivre de s’en remettre à une doctrine, fût-ce celle de l’indifférence d’équilibre ou de l’epokhê. Nul besoin de légitimer les règles de la vie quotidienne pour les suivre13.
Inscrit dans cet héritage, l’examen montanien des lois et des coutumes n’en est pourtant pas une simple reprise. Dans la lignée du trope 10, Montaigne se livre à une recension de lois et de coutumes dont l’entassement n’en fait que mieux ressortir la bigarrure et inconstance14. Il en ressort l’impossibilité d’exhiber un seul cas attestant d’un accord unanime des peuples. L’argumentation des dogmatiques se trouve ainsi retournée15. La non-universalité de fait de la loi naturelle infirme-t-elle alors son universalité de droit ? Montaigne ne glisse pas d’un plan à l’autre : il ne se rallie pas plus au relativisme d’un Protagoras qu’au conventionnalisme d’un Thrasymaque mais dénonce la vanité d’une raison qu’il tient pour responsable d’un détournement de la nature16. Alors que la raison prétend se situer dans son droit fil, elle est responsable d’un écart constant hors de sa mesure, écart attesté par l’inanité du concordisme.
Légitimer l’obéissance à la loi civile par cet argument n’est donc ni probant ni souhaitable selon Montaigne. La raison masque l’éloignement à l’endroit de la nature dont elle est paradoxalement la source. Engager un mouvement rétrograde vers les commencements de la loi enseigne, contre toute attente, qu’elle est privée d’assise naturelle. La loi oblige en dépit de son origine et non pas grâce à elle. L’origine ne fonde rien. Pire, elle fait apparaître un néant de justice que la raison tente désespérément d’occulter. Au bout du compte, la légitimation rationnelle risque de fragiliser le maintien de ce qui est établi. Pourquoi faudrait-il se donner de « bonnes raisons » d’obéir aux lois ? Ne peut-on leur obéir parce qu’elles sont lois et rien davantage ? La question prééminente n’est donc pas celle de la vérité des lois mais celle de leur autorité.
Les lois obligent à proportion de leur adoption et reconduction tacite : « Les lois prennent leur autorité de la possession et de l’usage :
il est dangereux de les ramener à leur naissance : elles grossissent et s’ennoblissent en roulant, comme nos rivières17 ». Aussi Montaigne s’en remet à la force de la coutume présente, sans soutenir d’opinion d’un point de vue axiologique. Modalité du préjugé, la coutume est le ressort secret de la continuité politique. Que peut la coutume ? Elle peut ce que la raison tente vainement de donner à l’ordre politique : une assise. La dénonciation montanienne de la coutume, « violente et traîtresse maîtresse d’école18 », se double donc, si ce n’est d’un éloge, tout au moins de la reconnaissance de son apport cardinal pour le corps politique. La coutume a une fonction centrale, celle de stabiliser les affaires humaines en introduisant une règle commune au sein d’un peuple19. Grâce à l’accoutumance des esprits et à son auto-accroissement, elle enraye l’action corrosive du temps et renforce le donné.
Par sa mise en accusation de la raison et par la fonction décisive qu’il reconnaît à la coutume, Montaigne infléchit l’examen sceptique de l’ordre établi. Aussi décapant soit-il, il ne lui retire pas son fondement car ceci laisserait supposer qu’il en avait un. Montaigne porte plutôt un coup d’arrêt à cette quête épuisante de la raison en levant le voile sur l’origine processuelle de l’ordre établi. Tel est le cadre dans lequel s’opère le passage à une approche relationnelle du pouvoir politique. C’est précisément ce qui fait la créativité et la dangerosité politique de cet examen. Double dimension dont se fait l’écho la pensée pascalienne de manière exemplaire jusque dans sa discussion avec le Bordelais.
À première vue, Pascal reprend à son compte sa position tout en l’intégrant dans son propre panorama20. Il fait fond sur l’argumentaire de la tradition pyrrhonienne dont Montaigne constitue, à ses yeux, non seulement le passeur mais aussi le représentant. Il ne renie pas les apports de son examen comme ses concepts politiques en portent la trace. Cependant, quel est son dessein dans l’usage d’un arsenal pyrrhonien revu par Montaigne ? Jusqu’où pratique-t-il effectivement l’art
sceptique de sonder l’ordre établi ? Pascal aborde son siècle comme une sorte de laboratoire. Son époque lui offre un double privilège : celui de retenir dans le secret l’usurpation à l’origine de l’ordre politique, celui de rendre palpable les dangers de son dévoilement.
Selon Pascal, l’ordre politique est comparable à une scène de théâtre sur laquelle chacun est appelé à tenir son rang et à jouer son rôle. Les prodiges de l’imagination humaine, cette puissance trompeuse, sont légions. Elle contribue, entre autres, à dissiper les commencements en auréolant la force des atours du droit21. Bien plus, elle entretient cet enjolivement. L’imagination sacralise le fait et justifie l’établissement. Elle pare la loi de justifications rétrospectives contrastant avec le motif « si faible et si léger » qui présida à son élaboration. Tout enjolivement des commencements est bien écarté par Pascal dans le cadre d’une genèse de l’ordre établi qui retrace l’institutionnalisation de la force en droit à partir d’une constante anthropologique : le désir universel de dominer22.
C’est précisément à ce niveau que s’opère sa discussion du pyrrhonisme dans le cadre d’une démystification de la démystification de l’ordre établi. La publicité de l’examen sceptique fait débat car elle présente des risques. Désormais sans illusion sur la véritable assise de la loi, comment prévenir le double risque de sédition (de la part du peuple) et de tyrannie (de la part de ceux qui exercent le pouvoir politique) ? La responsabilité politique des promoteurs d’un tel examen se trouve donc engagée. Si l’art sceptique de sonder l’ordre établi peut servir des menées frondeuses, il importe de les prévenir. À cet effet, Pascal procède, selon nous, à un habile encadrement de l’examen sceptique dont la double pensée est l’expression. L’art sceptique de sonder l’ordre établi peut-il
être, au contraire, un antidote contre des pratiques frondeuses si, au lieu de bloquer l’action, il la préserve de toutes ses caricatures ? Telle nous semble être l’option montanienne dont son indifférence porte témoignage.
Pourquoi faut-il encadrer l’usage du scepticisme
en politique ? La double pensée pascalienne
La conformité des lois à une justice naturelle, qui est, selon Pascal, une justice imaginée, motive l’obéissance. Le peuple aspire légitimement à obéir à la justice et à se garder de l’injustice. Pascal ne méprise pas les sentiments de justice et d’injustice en vertu desquels les hommes ne peuvent composer avec la tyrannie. Mais, dans la mesure où le peuple tient pour vrai que les lois sont fondées en droite raison, tout doute émis sur la justice d’une loi dégénère en contestation de l’obéissance au pouvoir politique. Cet attachement à la justice imaginée ne peut que le conduire à secouer le joug dès que l’incertitude sera jetée sur la justice naturelle de la loi, par suite à contester l’autorité du pouvoir politique.
Dès lors, comment la préserver sans, d’une part, renier les enseignements de l’examen sceptique et sans, d’autre part, négliger l’attachement du peuple à la justice qu’il imagine ? Il importe de contenir les frondeurs et de réduire leur pouvoir de nuisance sur le peuple. Contre de tels vices, le plus sûr rempart reste d’édifier les grands eux-mêmes. C’est ainsi que Pascal pense prémunir le corps politique contre le double risque de sédition et de tyrannie. Ni précepteur des princes ni directeur de conscience, il exhorte les grands à connaître leur condition afin de régner dans leur ordre, celui de la concupiscence. Il propose une pédagogie qui tient en une seule recommandation :
Vous devez avoir, comme cet homme dont nous avons parlé, une double pensée ; et que si vous agissez extérieurement avec les hommes selon votre rang, vous devez reconnaître par une pensée plus cachée mais plus véritable, que vous n’avez rien naturellement au-dessus d’eux. Si la pensée publique vous élève au-dessus du commun des hommes, que l’autre vous abaisse et vous tienne dans une parfaite égalité avec tous les hommes ; car c’est votre état naturel23.
La double pensée est censée préserver les grands d’un usage tyrannique du pouvoir tout en sauvant les apparences afin d’éviter le risque de sédition. Elle est le pivot d’une éthique qui, sans rien ignorer de la nature relationnelle du pouvoir, s’emploie à la dissimuler pour garantir son autorité. Il importe d’entretenir le jeu des apparences : faire comme si la grandeur d’établissement était une grandeur naturelle, faire comme si la loi civile était fondée sur une loi naturelle. Les grands doivent apprendre à parler comme le peuple sans devenir le jouet des apparences qu’ils entretiennent. La pensée secrète est censée les en préserver. La leçon de pyrrhonisme intervient ici de manière décisive. Funeste pour le peuple, elle est salutaire pour les grands à une condition : ne rien se dissimuler afin d’entretenir l’illusion sans y céder.
Même si elle n’est pas érigée en règle de gouvernement, la piperie du peuple se trouve ainsi justifiée. Elle ne sert pas à le priver d’une justice naturelle originaire pour le duper. Elle sert à masquer qu’il n’y a rien d’autre à l’origine qu’un désir de dominer et des rapports de force toujours susceptibles de resurgir. Or, ce qui opère dans le secret de l’établissement n’est pas susceptible d’être admis par le peuple sans sédition. S’il pouvait entendre qu’« il faut obéir aux lois parce qu’elles sont lois24 », comme Pascal lui-même l’envisage, cette piperie ne serait plus ni nécessaire ni légitime.
Le dédoublement entre pensée publique et pensée secrète est-il la préconisation finale d’une attitude politique sceptique ? Cette édification des grands témoigne d’une pratique réelle du scepticisme par la structure isosthénique de la double pensée. La pensée publique élève, sans enfler d’orgueil, parce qu’elle est contrebalancée par la pensée secrète ; la pensée secrète abaisse, sans réduire au désespoir, parce qu’elle est contrebalancée par la pensée publique. La double pensée n’est pourtant isosthénique ni dans son intention ni dans son résultat ; elle possède une tonalité prescriptive qui fait sortir de la neutralité axiologique. Elle entérine la scission entre ce qui se joue in petto et ce qui se montre in foro. Sauf qu’il n’est pas question de traiter avec soi-même librement tout en affichant un conformisme social mais d’entrer dans une connaissance véritable de sa condition susceptible de préserver de l’injustice.
La préconisation de la double pensée manifeste une prudente localisation du scepticisme dont Pascal s’attache à désamorcer les effets
dans l’exercice du pouvoir politique. Il s’impose ainsi moins comme un penseur sceptique (comme Bouillier ou encore Saisset ont pu le présenter au xixe siècle) que comme un expert dans son maniement. Son habileté consiste à encadrer les arguments sceptiques, à les retourner de telle sorte qu’ils se trouvent désarmés. Procéder de la sorte, c’est en reconnaître la dangerosité dès lors qu’ils s’étendraient au monde.
Cette façon d’opérer n’a rien d’anodin : elle prend son sens au sein d’une approche de la justice et a contrario de la tyrannie25 qui infiltre toute sa pensée et pas seulement sa politique. Ce qui prime est de « savoir douter où il faut, assurer où il faut, se soumettre où il faut. Qui ne fait ainsi n’entend pas la force de la raison26 ». Donner une publicité à l’examen sceptique ne serait rien moins que céder à une forme d’injustice. Tel est selon nous le sens du reproche adressé à Montaigne27.
Même si la question de la publicité mérite d’être posée, le procès ouvert par Pascal contre Montaigne a-t-il lieu de se tenir ? Montaigne ne dit pas que le peuple est susceptible de cette doctrine. Selon lui, il suffit que le peuple consente au pouvoir qui s’exerce sur lui pour qu’il soit légitimé. De plus, il se défie, au moins autant que Pascal, de tous les frondeurs qui, au nom d’une justice éternelle, bouleversent les états sans relève ni mesure28. Enfin, la manière même dont il dit s’être engagé en politique est éclairante à un double titre : elle fait ressortir le caractère privé de son examen, elle indique en quel sens il est possible d’être indifférent dans l’exercice même des charges publiques.
Montaigne :
engagé en politique par indifférence ?
Montaigne semble suggérer que le lieu de la liberté ne peut être la scène publique mais la vie privée29. Ce retrait consisterait en une culture de l’indifférence à l’endroit des affaires communes doublé d’un loyalisme envers ce qui est établi. Or, est-ce le sens que Montaigne donne effectivement à sa pratique de l’indifférence ? Selon nous, son scepticisme se manifeste non pas dans son retrait hors des affaires communes mais jusque et y compris dans sa manière de s’engager.
Montaigne prend d’abord soin de rappeler que « se charger » des affaires étrangères ne revient jamais pour lui à « se les incorporer30 ». Cette nuance n’est pas négligeable pour notre sujet. Il affirme avec force combien il importe de ne pas s’y abandonner au péril d’une « dislocation de l’âme ». Se trouve ainsi repoussé tout engagement politique qui stipulerait de renoncer à se conduire soi-même sous prétexte qu’un tel soin nuirait à la défense de l’intérêt général. Au contraire, l’aliénation sans réserve du moi compromet non seulement la préservation de sa tranquillité mais l’exercice de la fonction31. En effet, pourquoi accepter une charge publique et l’exercer comme il convient exigerait-il d’oublier de « bien et sainement vivre » ?
Au lieu de prôner un retrait intégral, Montaigne esquisse une éthique de la charge publique : à quelles conditions est-il possible de l’endosser sans pour autant sacrifier sa tranquillité ? Son engagement n’a jamais été total autrement dit sans conditions et sans réserves32. Il pense ainsi des degrés ou des seuils dans la persuasion et l’assentiment donnés et envisage la manière dont l’agent se rapporte à lui-même dans l’action.
En ce sens, il élabore une théorie de l’action dans laquelle sa culture de la négociation et de la modération en politique, dont il a témoigné à de multiples reprises, trouvent leur véritable ancrage dans une pratique de l’indifférence. C’est à ce titre qu’il procède à une reconfiguration de l’héritage politique sceptique.
Il maintient bien une approche duelle de la vie. La séparation entre la fonction et l’homme privé ou entre « la peau et la chemise » est affirmée sans équivoque33. Chaque métier a ses usages dont celui qui l’exerce n’est pas débiteur34. Le jugement de l’honnête homme ne saurait être tordu selon les attendus d’une charge dont il serait à ce point captif qu’elle induirait une approche unilatérale de chaque problème. Ainsi en est-il surtout de celui qui exerce la charge politique la plus haute. Montaigne maintient fermement la possibilité d’un retour à soi et d’un entretien de soi à soi. Quiconque, tout empereur qu’il soit, doit pouvoir juger à part soi et savoir revenir à soi35. S’il ne fait pas mystère de sa proximité avec les catholiques, Montaigne admet que suivre ce parti ne revient pas pour lui à s’engager sans réserve au point de renoncer à sa liberté de jugement36. Bien qu’il dégage le rôle constituant de la coutume, il s’emploie à s’en déprendre pour la suivre sans se départir de soi. Lorsqu’il cherche une dénomination pour caractériser la disposition dans laquelle il se tient, il recourt à ce vieux vocable surdéterminé par le poids de la tradition stoïcienne et surtout pyrrhonienne, celui d’indifférence :
Hors le nœud du débat, je me suis maintenu en équanimité, et pure indifférence […]. De quoi je me gratifie, d’autant que je vois communément faillir au contraire37.
Quel est alors le sens de la pratique montanienne de l’indifférence ? Est-elle, comme il semble admis par Pascal lui même, un retrait hors de l’action qui le conduirait à se dérober à ses devoirs de citoyen ? Ou bien est-ce un dégagement de l’action au cœur de l’action, susceptible de ménager sa volonté ?
Son indifférence atteste d’une attention à la contingence du donné, au jeu des circonstances faisant ressortir l’impuissance de la raison à se rendre maîtresse de l’action. Elle est une manière de modaliser l’engagement qui prémunit contre les illusions de l’action. Elle est une façon de conserver, dans l’action, une liberté de jugement analogue à celui qui est hors de l’action d’où la belle formule de Bernard Sève : « un retrait de l’action au cœur de l’action38 ». Son indifférence ne s’entend pas d’un point de vue psychologique comme désintérêt du sort d’autrui en particulier s’il est victime de violence. Elle ne s’entend pas non plus d’un point de vue axiologique. Montaigne admet la barbarie de certains usages et de certaines lois, il rejette la cruauté et condamne la torture39. Ce qui est inhumain n’est pas aspiré dans la version montanienne de la variation sceptique. C’est sous cet angle qu’il se démarque du scepticisme ancien par un énoncé tranché à ce niveau en ne reconduisant pas la formule clé du pyrrhonisme « pas plus ceci que cela ».
Sont-ce ses convictions éthiques indéracinables qui bornent son scepticisme40 ou bien est-ce son scepticisme qui en vient ainsi à sa limite ? Ce n’est pas envers et contre son scepticisme qu’il dénonce sans ménagement des discours et des pratiques violentes mais en raison même de ce dernier. Ce n’est pas tant la morale universelle qui vient borner, de façon surplombante, son scepticisme que son usage du scepticisme qui s’autolimite. Il manifeste un scepticisme qui s’auto-régule, ce dont est incapable le dogmatisme. Un scepticisme envers son scepticisme, un scepticisme redoublé en somme plutôt qu’un scepticisme encadré, retourné et finalement désarmé par une instance supérieure comme ce sera le cas pour Pascal.
Conclusion
L’art sceptique de sonder l’ordre établi dévoile le tissu relationnel du politique. C’est ce qui lui donne sa fécondité pour aborder les affaires communes. C’est aussi ce qui peut le rendre dangereux non pas seulement pour les tenants d’un droit naturel mais pour quiconque se soucie de préserver l’ordre établi. C’est pourquoi, même si Pascal s’engage dans un faux procès contre Montaigne, la question mérite d’être posée de savoir qui peut être sceptique en politique.
L’art sceptique de sonder l’ordre établi pratiqué par nos deux auteurs libère deux éthiques de l’exercice du pouvoir politique. Leur caractère remarquable tient en ce qu’elles permettent de se dégager d’une entente absolutisée du retrait comme de l’engagement. Contrairement à ce que l’on pouvait supposer, ce n’est pas l’indifférence montanienne qui entérine la scission entre le dedans et le dehors mais la double pensée pascalienne. Alors qu’elle semblait être l’expression d’une pernicieuse inefficience, l’indifférence devient celle d’une précieuse pondération dans l’action. La conduite de Montaigne en porte témoignage, rien de plus rien de moins.
Le statut reconnu au scepticisme dans l’exercice du pouvoir politique est indexé sur une évaluation de sa capacité ou non à s’auto-limiter. La latitude accordée au scepticisme en politique est indissociable d’un mode de philosopher. Il consiste pour Pascal en une pratique de la justice dont le point haut reste la charité, pour Montaigne en un apprentissage de la marche en régime d’incertitude.
Karine Laborie
Université Grenoble Alpes,
Philosophie, langages et cognition / EA 3699
Bibliographie
Sources
Montaigne, Les Essais, Paris, Le Livre de poche, La Pochothèque, 2001.
Pascal, Œuvres complètes, préface d’Henri Gouhier, présentation et notes de Louis Lafuma, Paris, Seuil, L’Intégrale, 1963.
Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, (éd. bilingue), trad. P. Pellegrin, Paris, Seuil, Essais, 1997.
Les Sceptiques grecs, textes choisis par J. P. Dumont, Paris, PUF, Collection sup, 1966.
Ouvrages de références
Brahami, F., Le Scepticisme de Montaigne, Paris, PUF, 1997.
Brahami, F., Le Travail du scepticisme. Montaigne, Bayle, Hume, Paris, PUF, 2001.
Brochard, V., Les Sceptiques grecs, Paris, Le Livre de poche, 2002.
Conche, M., Pyrrhon ou l’apparence, Éd. de Mégare, 1973 ; rééd. PUF, coll. « Perspectives critiques », 1994.
Conche, M., Montaigne et la philosophie, Éd. de Mégare, 1987 ; rééd. PUF, coll. « Perspectives critiques », 1997 ; 3e éd. 1999.
Dooley, Bredan M., A Social History of Skepticism : experience and doubt in early modern culture, Johns Hopkins University Press, cop. 1999.
Ferreyrolles, G., Pascal et la raison du politique, Paris, PUF, 1984.
Fontana, B., Montaigne en politique, Marseille, Agone, 2013.
Giocanti, S., Penser l’irrésolution. Montaigne, Pascal, La Mothe Le Vayer. Trois itinéraires sceptiques, Paris, Campion, 2001.
Gramsci, A., Pourquoi je hais l’indifférence, Paris, Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2012.
Laursen, J. C., The Politics of Skepticism in the ancients, Montaigne, Hume and Kant, E. J. Brull, 1992.
Lazzeri, C., Force et justice dans la politique de Pascal, Paris, PUF, 1993.
Le Scepticisme au xvie et au xviie siècle, Pierre-François Moreau (dir.), Paris, éditions Albin Michel, 2001 : Frédéric Brahami, « Des Esquisses aux Essais. L’enjeu d’une rupture », p. 121-131 ; Hubert Vincent, « Scepticisme et conservatisme chez Montaigne ou qu’est-ce qu’une politique sceptique ? », p. 132-163 ; Catherine Larrère, « Droit naturel et scepticisme », p. 293-308 ; Ezequiel De Olaso, « Sur un prince sceptique. Propositions et objections de Saavedra Fajardo », p. 322-333.
Nakam, Géralde, Montaigne et son temps. Les évènements et les Essais, Paris, Gallimard, coll. « tel », 1993.
Sève, B., Montaigne. Des règles pour l’esprit, Paris, PUF, 2007.
Articles
Brahami, F., « Théories sceptiques de la politique : Montaigne et Bayle », The Return of Scepticism from Hobbes and Descartes to Bayle, edited by Gianni Paganini, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht/Boston/London, 2003, p. 377-392.
Brahami, F., « Montaigne et la politique », Bulletin de la société des amis de Montaigne (BSAM), VIIIe série, no 33-34, janvier-juin 2004, édition Honoré Champion, p. 15-37.
Brahami, F., « “Être à soi”. La place du politique dans les Essais de Montaigne », Montaigne politique, sous la dir. de Ph. Desan, Champion, 2006, p. 39-56.
Burnyat, M., « Can the sceptic live his scepticism ? », The Skeptical tradition, in M. Burnyeat (ed.), 1980, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, p. 117-148.
Deleule, D., « Scepticisme et politique », Comment peut-on être sceptique ? Hommage à Didier Deleule, études réunies par M. Cohen-Halimi et H. L’Heuillet, Paris, Honoré Champion, 2010, p. 7-22.
Laursen, J. C., « Skepticism, unconvincing anti-skepticism, and politics », Scepticisme et modernité, dir. M. A. Bernier et S. Charles, Saint-Étienne, Publications de l’Université de Saint-Étienne, 2005, p. 167-188.
Laursen, J. C., « Yes, skeptics can live their skepticism, and cope with tyranny as well as anyone », Scepticism in Renaissance and Post-Renaissance Thought: New Interpretations, R. Popkin and J. M. Neto (ed.), Amherst, New York, Humanity Books, 2004, p. 201-223.
Larrère, C., « Scepticisme et politique », Revue de synthèse, Albin Michel, no 2-3, avril-septembre 1998, p. 271-292.
Merleau-Ponty, M., « Lecture de Montaigne », Éloge de la philosophie, Paris, Gallimard, « Idées », 1983, p. 321-347.
Sève, B., « L’action sur fond d’indifférence », Bulletin de la société des amis de Montaigne (BSAM), VIIIe série, no 17-18, janvier-juin 2000, Honoré Champion.
1 Antonio Gramsci, Pourquoi je hais l’indifférence, « Les indifférents », Paris, Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2012, p. 55.
2 Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, I, 3, [7], Paris, Le Seuil, 1997, p. 55.
3 Nous suivons l’interprétation de l’indifférence proposée par Marcel Conche dans Pyrrhon et le phénomène, Éd. de Mégare, 1973 ; rééd. PUF, coll. « Perspectives critiques », 1994.
4 Augustin, Dialogues philosophiques IV, Contra Academicos, Bruges, Desclée de Brouwer et Cie, 1948, p. 179.
5 Montaigne, Essais, L. I, chap. xxii, éd. sous la dir. de J. Céard, Paris, Le Livre de poche, La Pochothèque, 2001, p. 180. Toutes nos références aux Essais sont faites dans cette édition.
6 V. Brochard, Les Sceptiques grecs, Paris, Vrin, 2002, p. 136.
7 B. Pascal, De l’art de persuader, seconde section, dans Œuvres complètes, Paris, Seuil, L’Intégrale, 1963, p. 357.
8 Pensées, L. 689, dans ibid., p. 591.
9 Cette présentation intervient dès l’Entretien avec Monsieur de Sacy dans le cadre d’une bipartition de la scène philosophique où Montaigne campe par antonomase le pyrrhonien alors qu’Épictète campe le dogmatique.
10 Essais, p. 704.
11 8e trope dans la classification d’Énésidème présenté par Sextus, 3e dans celle d’Agrippa, « le relatif est le genre le plus haut dont les trois nommés sont des espèces [autrement dit celui d’après ce qui juge, celui d’après ce qui est jugé, celui qui vient des deux], auxquelles sont subordonnés les dix » (Esquisses pyrrhoniennes, L.I, 14, [39], p. 77).
12 Esquisses pyrrhoniennes, L. I, 14, [140], p. 131.
13 Les objections des dogmatiques indiquent qu’ils « ne comprennent pas que le sceptique ne vit pas conformément à une doctrine philosophique mais en prenant l’expérience et la vie pour guide non-philosophique, il est capable de choisir et d’éviter » (Contre les moralistes, 165, Les Sceptiques grecs, p. 212).
14 Cette variation est menée en particulier dans le livre I chap. xxii et xlix ainsi que dans le livre II chap. xii.
15 Non sans ironie, Montaigne souligne combien « ils sont si défortunés, ils sont, dis-je, si misérables, que de ces trois ou quatre lois choisies, il n’en y a une seule, qui ne soit contredite et désavouée, non par une nation mais par plusieurs. Or c’est la seule enseigne vraisemblable, par laquelle ils puissent argumenter aucunes lois naturelles, que l’université de l’approbation. » (Essais, p. 898).
16 « Il est croyable qu’il y a des lois naturelles : comme il se voit ès autres créatures : mais en nous elles sont perdues, cette belle raison humaine s’ingérant partout de maîtriser et commander, brouillant et confondant le visage des choses, selon sa vanité et inconstance. » (Essais, p. 899).
17 Essais, p. 903.
18 Essais, p. 164.
19 « C’est à la coutume de donner forme à notre vie, telle qui lui plaît, elle peut tout en cela. » Essais, p. 1682.
20 « Il y a sans doute des lois naturelles mais cette belle raison corrompue a tout corrompu. De cette confusion arrive que l’un dit que l’essence de la justice est l’autorité du législateur, l’autre la commodité du souverain, l’autre la coutume présente et c’est le plus sûr. » (Pensées, L. 60).
21 Pensées, L. 85, L. 103.
22 « Les cordes qui attachent le respect des uns envers les autres en général sont cordes de nécessité ; car il faut qu’il y ait différents degrés, tous les hommes voulant dominer et tous ne le pouvant pas, mais quelques-uns le pouvant. Figurons-nous donc que nous les voyons commencer à se former. Il est sans doute qu’ils se battront jusqu’à ce que la plus forte partie opprime la plus faible, et qu’enfin il y ait un parti dominant. Mais quand cela est une fois déterminé alors les maîtres qui ne veulent pas que la guerre continue ordonnent que la force qui est entre leurs mains succèdera comme il leur plaît : les uns la remettent à l’élection des peuples, les autres à la succession de naissance, etc. Et c’est là où l’imagination commence à jouer son rôle. Jusque-là la pure force l’a fait. Ici c’est la force qui se tient par l’imagination en un certain parti, en France des gentilhommes, en Suisse des roturiers, etc. Or ces cordes qui attachent donc le respect à tel et à tel en particulier sont des cordes d’imagination. » (L. 828).
23 Premier discours sur la condition des Grands, dans Œuvres complètes …, p. 366.
24 Pensées, L. 66.
25 « La tyrannie consiste au désir de domination, universel et hors de son ordre. » (Pensées, L. 58).
26 Pensées, L. 70.
27 « Montaigne a tort. La coutume ne doit être suivie que parce qu’elle est coutume, et non parce qu’elle est raisonnable ou juste, mais le peuple la suit par cette seule raison qu’il la croit juste. Sinon il ne la suivrait plus quoiqu’elle fût coutume, car on ne veut être assujetti qu’à la raison ou à la justice. La coutume sans cela passerait pour tyrannie, mais l’empire de la raison et de la justice n’est non plus tyrannique que celui de la délectation. […] Il serait donc bon qu’on obéit aux lois et coutumes parce qu’elles sont lois. […] Mais le peuple n’est pas susceptible de cette doctrine, et ainsi comme il croit que la vérité se peut trouver et qu’elle est dans les lois et les coutumes il les croit et prend leur antiquité comme une preuve de leur vérité (et non de leur seule autorité (téméraire) sans (raison) vérité). Ainsi il y obéit mais il est sujet à se révolter dès qu’on lui montre qu’elles ne valent rien, ce qui se peut faire voir de toutes en les regardant d’un certain côté. » (Pensées, L. 525).
28 Essais, p. 1576.
29 Essais, p. 180.
30 « Si quelquefois on m’a poussé au maniement d’affaires étrangères, j’ai promis de les prendre en main, non au poumon et au foie ; de m’en charger, non de les incorporer : de m’en soigner, oui ; de m’en passionner, nullement : j’y regarde mais je ne les couve point. » (Essais, p. 1561).
31 « Nous ne conduisons jamais bien la chose de laquelle nous sommes possédés et conduits. » (Essais, p. 1567).
32 « J’ai pu me mêler des charges publiques, sans me départir de moi, de la largeur d’un ongle, et me donner à autrui sans m’ôter à moi : Cette âpreté et violence de désirs, empêche plus, qu’elle ne sert à la conduite de ce qu’on entreprend. Nous remplit d’impatience envers les événements, ou contraires, ou tardifs : et d’aigreur et de soupçon envers ceux, avec qui nous négocions. » (Essais, p. 1566).
33 « Le Maire et Montaigne, ont toujours été deux, d’une séparation bien claire. » (Essais, p. 1573).
34 « Un honnête homme n’est pas comptable du vice ou sottise de son métier ; et ne doit pourtant en refuser l’exercice. C’est l’usage de son pays, et il y a du profit : Il faut vivre du monde, et s’en prévaloir, tel qu’on le trouve. » (Essais, p. 1573).
35 « Mais le jugement d’un Empereur, doit être au-dessus de son Empire ; et le voir et considérer, comme accident étranger. Et lui doit savoir jouir de soi à part ; et se communiquer comme Jacques et Pierre : au moins à soi-même. » (Essais, p. 1573).
36 « Je ne sais pas m’engager si profondément, et si entier. Quand ma volonté me donne à un parti, ce n’est pas d’une si violente obligation, que mon entendement s’en infecte. Aux présents brouillis de cet état, mon intérêt ne m’a fait méconnaître, ni les qualités louables en nos adversaires, ni celles qui sont reprochables en ceux que j’ai suivi. Ils adorent tout ce qui est de leur côté : moi je n’excuse pas seulement la plupart des choses, qui sont du mien. Un bon ouvrage, ne perd pas ses grâces, pour plaider contre moi. » (Essais, p. 1573).
37 Essais, p. 1574.
38 Bernard Sève, Montaigne. Des règles pour l’esprit, Paris, PUF, 2007.
39 « Les sauvages ne m’offensent pas tant, de rôtir et manger les corps des trépassés, que ceux qui les tourmentent et persécutent vivants. » (Essais, p. 680).
40 Telle est l’option de M. Conche dans Montaigne et la philosophie, Préface, Paris, PUF, coll. « Perspectives critiques », 1997 ; 3e éd. 1999 : « La morale universelle, ou tout simplement la morale, fixe la limite, la borne qu’il met à son scepticisme. Que l’homme doive respecter l’homme, cela ne se discute pas. »
- CLIL theme: 3133 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Philosophie -- Philosophie contemporaine
- ISBN: 978-2-8124-3358-0
- EAN: 9782812433580
- ISSN: 2271-7234
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-3358-0.p.0049
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 11-29-2014
- Periodicity: Biannual
- Language: French
- Keyword: scepticism, custom, commitment, indifference, double thinking Montaigne, Pascal