Présentation
- Publication type: Journal article
- Journal: Éthique, politique, religions
2013 – 2, n° 3. Prendre soin de la nature et des hommes - Author: Pierron (Jean-Philippe)
- Pages: 9 to 10
- Journal: Ethics, Politics, Religions
Présentation
Parler d’un « prendre soin de la nature et des hommes » suppose des convergences entre des domaines traités en autant d’éthiques appliquées distinctes : éthique médicale, éthique familiale, éthique des affaires, éthique animale et éthique environnementale.
Plus avant, prendre soin se présente comme la réplique depuis une trentaine d’années aux effets et méfaits d’une hypertrophie de la rationalité instrumentale dans le champ médical, social et environnemental. Outre la complexité qui appelle l’expertise afin d’agir dans un monde incertain, la réduction des relations humaines à des rapports d’intérêts concurrents, cette hypertrophie vulnérabilise les contextes de vie du vivant humain et non humain. Elle peut aussi réduire l’éthique à une technique retenant sa dimension procédurale, rabattant le décider sur un déduire, opposant modèle volontariste et modèle intellectualiste de la décision. Aussi le prendre soin mobilise-t-il, face à l’anthropologie dominante qui triomphe sous la figure de l’homo oeconomicus, une anthropologie de la vulnérabilité, la vulnérabilité n’étant plus conçue négativement mais positivement comme une forme d’attention (caring about). Il est disponibilité éthique là où s’impose le poids des dispositifs techniques. Le prendre soin définirait de la sorte une attitude relationnelle qui ferait défaut dans un monde qui vit le déploiement sans précédents d’une bureaucratisation croissante du monde de la vie. Il désigne l’unité d’une disposition éthique fondamentale attentive à la vulnérabilité présente sous la pluralité des dispositifs du soin : le faire des soins hospitaliers, les pratiques de ménagement dans l’aménagement du territoire, les activités de soin, de nursing ou de disponibilité dans les activités éducatives. Au sens fort, le soin n’est donc pas une activité parmi d’autres mais la disposition qui en rend possibles d’autres que ce soit dans le champ médical, social ou bien environnemental.
Mais parce que le concept de vulnérabilité peut très vite être un mot bulldozer, n’appelle-t-il pas une attention aux contextes et aux relations de dépendance fournies par les sciences humaines et sociales, dans une grammaire de la vulnérabilité qui en épelle la texture et lui donne consistance institutionnelle ? La vulnérabilité ne doit-elle pas alors se faire fragilité de l’homme malade dans le soin médical, précarité des conditions d’existence dans les relations de coopération sociale (familiales ou relations de travail), ou instabilité des milieux que les enjeux de durabilité soulevée par la crise environnementale assument ?
Objet de philosophie pratique, le prendre soin n’est pas qu’une interprétation du monde. Il ambitionne aussi de la transformer, ouvrant alors sur des enjeux précis d’éthique et de politique. En plus d’interpréter le monde, voire de le transformer, le soin pose qu’il est urgent de le préserver.
Jean-Philippe Pierron
Université Lyon 3